mercredi 19 décembre 2012

Pourquoi la IVe République s'est rendue à de Gaulle

Le Figaro Magazine - 28/01/2012

Georgette Elgey achève son « Histoire de la IVe République ». Une oeuvre monumentale, qui représente un demi-siècle de travail et qui réhabilite pour partie un régime décrié.
     Le 20 janvier 1946, le général de Gaulle donne sa démission de chef du gouvernement. Dans les mois qui suivent, à deux reprises, une Constitution est soumise au vote des Français. Le 13 octobre 1946, le suffrage universel approuve le projet qui est promulgué le 27 octobre. La nouvelle Constitution ressemble à celle de la IIIe République : avec deux assemblées et un chef de l'Etat aux attributions limitées, le vrai pouvoir appartient au président du Conseil des ministres. Le 16 janvier 1947, Vincent Auriol est élu premier président de la IVe République, fonction qu'il cédera à René Coty en 1953.
     La IVe République durera jusqu'en 1958, le temps de voir défiler 24 gouvernements et 16 présidents du Conseil, dont l'histoire a retenu quelques noms : Félix Gouin, Georges Bidault, Paul Ramadier, Robert Schuman, René Pleven, Edgar Faure, Antoine Pinay, Pierre Mendès France, Guy Mollet, Félix Gaillard... et Charles de Gaulle. Avant de devenir le premier président de la Ve République, le Général a en effet été, du 1er juin 1958 au 8 janvier 1959, le dernier président du Conseil de la IVe République. C'est à la faveur de la crise ouverte par l'insurrection d'Alger, le 13 mai 1958, que de Gaulle est revenu aux affaires ; il ne quittera le gouvernement que pour succéder à René Coty à l'Elysée, le 8 janvier 1959, amorçant le changement de Constitution.
     De Gaulle à Matignon : sous ce titre, Georgette Elgey raconte les six mois ultimes de la IVe République. Le livre, quatrième tome de La République des tourmentes (1954-1959), forme le sixième et dernier volume de l'Histoire de la IVe République, aventure éditoriale entamée par l'auteur en... 1965 ! Un demi-siècle de labeur pour les douze années d'histoire qui vont de 1946 à 1958. Dans une postface, l'historienne relate la genèse de cette oeuvre-fleuve : « Je m'explique mal comment et pourquoi je l'ai écrite. Ce travail qui, finalement, me fut, durant près de cinquante ans, une préoccupation, sinon une obsession, je ne l'ai pas voulu. Il me semble qu'il s'est imposé à moi. »
     Georgette Elgey est née sous la IIIe République, fille illégitime d'un historien qu'elle n'a pas connu et qui ne l'a pas reconnue mais auquel, adulte, elle a emprunté les initiales pour composer un pseudonyme (Elgey comme Lacour-Gayet). Elevée par sa mère et par une grand-mère issue de la haute société israélite - mot d'époque -, la petite fille grandit dans un milieu privilégié de maîtres de forges, de polytechniciens, de membres de l'Institut ou de l'Académie de médecine, où l'on cultive la passion du travail et l'amour de la France. En 1942, rattrapées par les événements, ces femmes paisibles, dénoncées pour leurs origines juives, cherchent à gagner la zone libre. Georgette Elgey, arrêtée par les Allemands puis miraculeusement libérée avec les siens, en retirera une peur dont elle mettra des années à se débarrasser, ainsi qu'elle l'a expliqué en 1973 dans La Fenêtre ouverte, un émouvant récit constamment réédité depuis.
     Après la guerre, elle se lance dans le journalisme. Ses premiers articles paraissent dans La Nef, revue que dirigent Robert Aron et Lucie Faure, l'épouse d'Edgar Faure. En 1955, elle entre à L'Express, puis écrit dans Paris-Presse-L'Intransigeant ou Le Nouveau Candide. En 1951, Robert Aron lui a demandé de collaborer à l'Histoire de Vichy, qu'il publiera en 1954. Dix ans plus tard, ayant décidé de renoncer au journalisme, Georgette Elgey entreprend, sur les conseils de son ami Roger Stéphane, d'étudier la période qui a suivi l'Occupation et d'écrire une histoire de la IVe République, projet qui grossit au fur et à mesure de ses rencontres avec des témoins et de l'accumulation de sa documentation. Le premier entretien date de 1962, le dernier de novembre 2011...
     « Le discrédit dont est trop souvent entourée la IVe République me paraît à la fois excessif et injuste », affirme l'historienne. Soulignant que le régime avait pris en charge un pays physiquement et moralement dévasté, Georgette Elgey rappelle les contraintes subies par les gouvernements de l'époque : la pression des communistes et, dans un autre sens, des gaullistes, la menace d'une guerre mondiale, l'enclenchement de conflits coloniaux alors même que la décolonisation n'était pas dans les esprits. De la reconstruction d'après-guerre à l'expansion des Trente Glorieuses, de la réconciliation franco-allemande à l'intégration européenne, la IVe République a fait entrer la France dans la modernité. Politique monétaire, politique sociale, politique familiale, essor industriel : l'oeuvre est imposante. En annexe de ce volume, on trouve la liste des ordonnances signées entre le 3 juin 1958 et le 8 janvier 1959, de Gaulle étant président du Conseil. À travers de nombreux exemples, Georgette Elgey montre que, le plus souvent, le chef du gouvernement faisait passer en accéléré des mesures qui avaient été conçues sous l'administration de ses prédécesseurs, mais dont le contexte politique avait interdit la réalisation.
     Dans les dirigeants de cette période, l'auteur voit des grands commis désintéressés, des serviteurs de l'Etat qui n'ont pas eu les moyens de faire aboutir leurs projets. D'autres auraient-ils fait mieux ? Georgette Elgey, tout en reconnaissant le progrès décisif apporté par la Constitution de 1958, se garde bien de porter des jugements sommaires sur les hommes de la IVe : en chercheuse authentique, elle refuse l'anachronisme, le moralisme facile, la repentance. Elle relate les faits, tout simplement, avec un luxe de détails et de notes qui peuvent impressionner, mais qui sont la marque d'un esprit honnête et scrupuleux. À tous égards, Georgette Elgey est une historienne d'un autre temps.
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
De Gaulle à Matignon. La République des tourmentes, 1954-1959, tome IV, de Georgette Elgey, Fayard.

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