Les
sources écrites majeures du monde antique sont romaines, rédigées en
latin. Les textes nous livrent donc une vision romaine des 5 siècles de
lutte qui ont opposé le long du Rhin, des limes et du Danube,
les tribus germaniques à Rome. Konrad Höfinger, archéologue de l'école
de Kossina, interroge les vestiges archéologiques pour tenter de voir
l'histoire avec l’œil de ces Germains, qui ont fini par vaincre. Ses
conclusions : les tribus germaniques connaissaient une forme d'unité
confédérale et ont toutes participé à la lutte, en fournissant hommes ou
matériel. La stratégie de guérilla,
de guerre d'usure, le long des frontières était planifiée en bonne et
due forme, au départ d'un centre, située au milieu de la partie
septentrionale de la Germanie libre. Nous reproduisons ci-dessus une
première traduction française des conclusions que tire Konrad Höfinger
après son enquête minutieuse.
Si nous résumons tous les faits et gestes du temps des Völkerwanderungen
(migrations des peuples), nous constatons l'existence, sous des formes
spécifiques, d'un État germanique, d'une culture germanique, renforcée
par une conscience populaire cohérente.
•
1. Dès l'époque de César, c'est-à-dire dès leur première manifestation
dans l'histoire, les Germains ont représenté une unité cohérente,
opposée aux Romains ; ceux-ci connaissaient les frontières germaniques
non seulement celles de l'Ouest, le long du Rhin, mais aussi celles de
l'Est.
•
2. La défense organisée par les Germains contre les attaques romaines
au temps d'Auguste s'est déployée selon des plans cohérents, demeurés
identiques pendant 2 générations.
•
3. Après avoir repoussé les attaques romaines, les Germains ont
fortifié la rive droite du Rhin et la rive gauche du Danube selon une
stratégie cohérente et une tactique identique en tous points. Les appuis
logistiques pour les troupes appelées à défendre cette ligne
provenaient de toutes les régions de la Germanie antique.
•
4. Quand les Daces, sous la conduite de Decebalus, attaquent les
Romains en l'an 100 de notre ère, les Quades passent à l'offensive sur
le cours moyen du Danube et les Chattes attaquent le long du Rhin.
•
5. L'assaut lancé par les Quades et la Marcomans vers 160 a été
entrepris simultanément aux tentatives des Alamans sur les bords du Rhin
et des Goths sur le cours inférieur du Danube. Les troupes qui ont
participé à ses manœuvres venaient de l'ensemble des pays germaniques.
•
6. À l'époque où se déclenche l'invasion gothique dans la région du
Danube inférieur vers 250, les Alamans passent également à l'attaque et
s'emparent des bastions romains entre Rhin et Danube.
• 7. À partir des premières années du IVe
siècle, Rome s'arme de l'intérieur en vue d'emporter la décision finale
contre les Germains. À partir de 350, les fortifications le long du
Rhin et du Danube sont remises à neuf et des troupes, venues de tout
l'Empire, y sont installées. Simultanément, sur le front germanique, on
renforce aussi ses fortifications en tous points : ravitaillement,
appuis, matériel et troupes proviennent, une nouvelle fois, de toute la
Germanie, ce qu'attestent les sources historiques.
• 8. Sur aucun point du front, on ne trouve qu'une et une seule «tribu» (Stamm) ou un et un seul peuple (Volk), mais partout des représentants de toutes les régions germaniques.
•
9. Les attaques lancées par les Germains en 375 et 376 ne se sont pas
seulement déclenchées avec une parfaite synchronisation, mais
constituaient un ensemble de manœuvres militaires tactiquement
justifiées, qui se complétaient les unes les autres, en chaque point du
front. Le succès des Alamans en Alsace a ainsi conditionné la victoire
gothique en Bessarabie.
•
10. La grande attaque, le long d'un front de plusieurs milliers de
kilomètres, ne s'est pas effectuée en un coup mais à la suite de combats
rudes et constants, qui ont parfois duré des années, ce qui implique
une logistique et un apport en hommes rigoureusement planifiés.
•
11. Les combats isolés n'étaient pas engagés sans plan préalable, mais
étaient mené avec une grande précision stratégique et avec clairvoyance,
tant en ce qui concerne l'avance des troupes, la sécurisation des
points enlevés et la chronométrie des manœuvres. Les sources romaines
confirment ces faits par ailleurs.
•
12. Les événements qui se sont déroulés après la bataille d'Andrinople,
entre 378 et 400, ont obligé l'Empereur Théodose à accepter un
compromis avec l'ensemble des Germains. Ce compromis permettait à toutes
les tribus germaniques, et non pas à une seule de ces tribus, d'occuper
des territoires ayant été soumis à Rome.
•
13. La campagne menée par le Roi Alaric en Italie et la prise de Rome
en 410, contrairement à l'acception encore courante, ne sont pas
pensables comme des entreprises de pillage, perpétrées au gré des
circonstances par une horde de barbares, mais bien plutôt comme un
mouvement planifié de l'armée d'une grande puissance en territoire
ennemi.
•
14. Ce ne sont pas seulement des Wisigoths qui ont marché sur Rome,
mais, sous les ordres du «Général» Alaric, des représentants de toutes
les régions de la Germanie.
•
15. L'occupation de l'Empire d'Occident s'est déroulée selon un plan
d'ensemble unitaire; les diverses armées se sont mutuellement aidées au
cours de l'opération.
•
16. L'armement et les manières de combattre de tous les Germains, le
long du Rhin à l'Ouest, sur les rives de la Mer Noire à l'extrémité
orientale du front, en Bretagne au Nord, ont été similaires et sont
demeurées quasi identiques pendant tous les siècles qu'a duré cette
longue guerre. Ils sont d'ailleurs restés les mêmes au cours des siècles
suivants.
•
17. Enfin, la guerre qui a opposé Rome aux Germains a duré pendant 4
siècles complets, ce qui ne peut être possible qu'entre deux grandes
unités politiques, égales en puissance. Cette longue guerre n'a pas été
une suite d'escarmouches fortuites mais a provoqué, lentement, de façon
constante, un renversement du jeu des forces : un accroissement de la
puissance germanique et un déclin de la puissance romaine. Cette
constance n'a été possible que parce qu'il existait une ferme volonté
d'emporter la victoire chez les Germains ; et cette volonté indique la
présence implicite d'une forme d'unité et de conscience politiques.
Après la victoire germanique, à la fin du IVe
siècle, se créent partout en Europe et en Afrique des États
germaniques, qui, tous, furent édifiés selon les mêmes principes. Que ce
soit en Bretagne avec les Angles, en Espagne avec les Alains, en
Afrique avec les Vandales, en Gaule avec les Francs, en Italie avec les
Goths ou les Lombards, toutes ces constructions étaient, sur les plans
politique, économique et militaire, avec leurs avantages et leurs
faiblesses, leur destin heureux ou malheureux, le produit d'une identité
qu'on ne saurait méconnaître. Il saute aux yeux qu'il existait une
spécificité propre à tous les Germains, comme on en rencontre que chez
les peuples qui ont reçu une éducation solide au sein d'une culture bien
typée, aux assises fermes et homogènes, si bien que leurs formes
d'éducation politique et éthique accèdent à l'état de conscience selon
un même mode, ciselé par les siècles. Nous avons toujours admiré, à
juste titre d'ailleurs, l'homogénéité intérieure de la spécificité
romaine, laquelle, en l'espace d'un millénaire, en tous les points du
monde connu de l'époque et malgré les vicissitudes politiques mouvantes,
est demeurée inchangée et, même, est restée inébranlable dans le
déclin. Le monde germanique n'est pas moins admirable pour ce qui
concerne l'unité, l'homogénéité et le caractère inébranlable de sa
constance: dès qu'il est apparu sur la scène de l'histoire romaine, au
Ier siècle avant notre ère, il est resté fidèle à lui-même et constant
jusqu'à la fin de la «longue guerre».
► Konrad Höfinger, Vouloir n°52/53, 1989. http://www.archiveseroe.eu
(Konrad Höfinger, Germanen gegen Rom : Ein europäischer Schicksalskampf, Grabert-Verlag, Tübingen, 1986, 352 S., 32 Abb.)
1 commentaire:
Dans sa conférence le Dr Bill Warner,
estime que les germains ne sont pas responsable de l'effondrement de l'empire romain ...
(à juste titre ? à 9.53 mn )
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=Tm21sJDqdVI#
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