Un
figure historique vient de s'éteindre. Retour sur la vie de l'archiduc
Otto de Habsbourg-Lorraine, de l'exil au Parlement européen, où ses
positions, quoique controversées, semblaient inspirées par la doctrine
sociale de l'Église.
L'archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine est décédé à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans ce lundi 4 juillet à son domicile de Pöcking en Bavière. Nous n'évoquerons pas ici son ancêtre l'empereur Charles-Quint, auquel il a consacré un ouvrage très éclairant (éd. Hachette, 1967) et qui fut au XVIe siècle l'adversaire impitoyable du roi de France, François 1er, dont il voulait enserrer le royaume dans la tenaille austro-espagnole. Les temps ont, depuis lors, bien changé. Nous ne nous permettrons pas non plus de reprocher à ce prince d'avoir, au moment de la mort de sa mère l'impératrice Zita en 1989, laissé échapper l'occasion de recueillir la couronne de Hongrie, souhaitant, comme certains l'ont dit, un destin plus largement européen...
Un immense héritage
N'allons pas chercher post mortem de mauvaises querelles à ce grand prince d'Occident, dont le père, Charles 1er, le dernier empereur d'Autriche, roi apostolique de Hongrie et roi de Bohème, a été solennellement béatifié en 2004 par le pape Jean-Paul II. Otto, né le 20 novembre 1912, avait connu les derniers fastes de Vienne au temps de l'empereur François-Joseph, il était ainsi le lien entre l'Europe d'hier et celle d'aujourd'hui, et l'un de ces hommes dont l'expérience était la plus extraordinairement bénéfique pour le continent. Il unissait en lui le sang des Habsbourg, donc celui de notre reine martyre Marie-Antoinette, et celui des Bourbons car sa mère née Zita de Bourbon Parme, décédée en 1989, dix-septième enfant de Robert, duc de Parme destitué par l'unité italienne, descendait du roi de France Charles X et, par sa grand-mère Louise de France, était la nièce d'Henri V comte de Chambord.
Charles et Zita constituaient un couple heureux et effacé, jusqu'à ce que l'assassinat de l'oncle de Charles, l'archiduc François-Ferdinand, à Sarajevo, le 28 juin 1914, mît le feu à toute l'Europe et fît d'eux les héritiers directs de François-Joseph. Puis la mort de François-Joseph lui-même, en novembre 1916, les porta sur le trône impérial en pleine guerre, et l'on se souvint longtemps du petit Otto marchant entre ses parents le jour des obsèques impériales (30 novembre 1916). L'avenir de cet enfant ne promettait pas d'être facile...
On sait combien le nouvel empereur, tout pénétré de foi, de charité et de paix chrétienne, s'activa avec ses beaux-frères Sixte et Xavier de Bourbon Parme, pour trouver dès 1916 les conditions d'une paix séparée entre l'Autriche et la France, qui eût épargné deux années de sauvage hécatombe, mais dont la classe politique française, maçonnique et qui avait juré la mort de l'empire chrétien, ne voulut pas.
Une famille errante
La fin de la guerre devait voir l'éclatement de cet empire. Malgré des tentatives de reprendre le pouvoir au moins en Hongrie, Charles et Zita furent déchus de leurs prérogatives et durent avec leurs sept enfants, dont Otto âgé de neuf ans, s'exiler dans l'île de Madère. Mais l'empereur, alors âgé de trente-quatre ans et épuisé par toutes ces tensions, mourut entouré des siens le 1er avril 1922. Sa veuve âgée de vingt-neuf ans et enceinte de son huitième enfant fit face à l'adversité avec un courage admirable. Puis la famille s'installa en Espagne et en Belgique où Otto, jeune prince parlant toutes les langues européennes, put suivre des cours de sciences sociales et politiques et obtenir un diplôme à l'université catholique de Louvain. La Deuxième Guerre mondiale et son opposition farouche au nazisme le contraignirent à s'exiler de nouveau, aux États-Unis cette fois. Puis il revint vivre tantôt en France, tantôt en Bavière, jusqu'à son mariage le 10 mai 1951 avec la princesse Regina de Saxe-Meiningen, dans la belle ville de Nancy, capitale des ducs de Lorraine dont il portait le titre, descendant de François de Lorraine, époux de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche. De son mariage avec la princesse Regina, Otto devait avoir sept enfants.
Politique sociale
Ayant renoncé en 1961 au trône impérial d'Autriche il prit la nationalité allemande et fut élu au Parlement européen en tant que député allemand (Bavière) du parti de la CDU-CSU démocrate chrétienne ; en tant que doyen d'âge, il eut à présider entre 1979 et 1999 plusieurs séances du parlement de Strasbourg. Ses activités européennes l'accaparèrent un certain temps et l'on peut ne pas le suivre en tout ce qu'il dit ou entreprit alors en faveur de la construction européenne à laquelle, en tant que membre de la Ligue anticommuniste mondiale et président de l'Union paneuropéenne Internationale, il croyait ferme, sans toutefois en dresser un plan idéologique et tout prêt. Son information à caractère universel et son réalisme lui permettaient de dresser une image juste et précise de l'Europe et de ses besoins et de replacer les problèmes du continent dans la perspective de l'évolution du monde entier. Il se dressait contre l'idée que l'Europe serait définitivement condamnée, qu'elle n'aurait rien à apporter aux temps nouveaux. Il ne croyait pas (et il avait raison) que l'Europe subsisterait dans sa forme injuste, héritée de Yalta, et divisée en deux par l'idéologie ; il voulait des réformes sociales audacieuses qui permissent d'arracher au communisme le masque d'une révolution bienfaisante.
Esprit chrétien
Dans un beau livre consacré en 1959 au prince Otto, Marie-Madeleine Martin citait des propos de lui qui ne sont en rien démodés : « Ce qu'il nous faut c'est une réforme de la mentalité sociale, c'est une attitude nouvelle de toute la population. Et celle-ci ne peut être obtenue que par un renouveau de l'esprit chrétien, par une compréhension véritable des droits et des devoirs de chacun. Le droit au travail, le droit à un domicile, le droit de fonder une famille, le droit d'éduquer librement et adéquatement les enfants sont des droits imprescriptibles qui doivent être le fondement de l'ordre social et du programme économique de l'Europe. » On devine dans ces propos des résonances de la doctrine sociale chrétienne dont son père était imprégné et qui inspira au prince des tournées de conférences, notamment en France.
Cousin des Capétiens
Otto s'est gardé de tout désir de nivellement des nations. Au contraire, il connaissait trop l'histoire européenne pour faire table rase des identités nationales qui, toutes, doivent avoir leur place. Il n'oubliait jamais qu'il était lui aussi un fils de saint Louis et se montrait fier de ses multiples parentés capétiennes. C'est sans doute ce qui le poussa à fonder un groupe au sein du Parlement européen pour la promotion du français comme langue de référence de l'Europe. Quant au rôle de la France, il lui paraissait primordial comme il ressort d'un appel qu'il lança le 11 janvier 1952 à Paris, que cite Marie-Madeleine Martin : « Votre pays, votre France est une terre à la tradition glorieuse, pays essentiellement occidental, essentiellement chrétien, patrie d'hommes vraiment libres, qui aujourd'hui croient aux vertus et aux forces de l'homme et ne se soumettent jamais à l'arbitraire... Visez plus haut : regardez au-delà de vos petites difficultés de l'heure, au delà de vos querelles. Voyez : il y a tout un continent qui attend de vous des paroles, des initiatives dignes de votre sens de la grandeur. » Et d'évoquer sainte Jeanne d'Arc et son admirable épopée... « Amis Français, entendrez- vous aujourd'hui l'appel de l'Histoire ? L'Europe vous attend et Dieu le veut ! »
L'Europe en berne
Un deuil de treize jours a été observé à partir du 5 juillet dans plusieurs pays de l'ancien empire d'Autriche-Hongrie. Le cercueil de l'archiduc Otto a été recouvert du drapeau des Habsbourg décoré avec les manteaux impériaux et royaux de l'Autriche et de la Hongrie. Cinq messes de requiem se sont succédé en Bavière jusqu'au 16 juillet et en Autriche. Dans la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, ont eu lieu les obsèques solennelles en présence de multiples personnalités européennes et des représentants des familles royales. La princesse Philoména, duchesse de Vendôme, accompagnée du prince Gaston, représentait la maison de France. Puis un cortège funèbre se déroula à travers la vieille ville de Vienne avant la mise au tombeau de l'archiduc et de son épouse Regina décédée le 3 février 2010, dans la crypte de Capucins. Le lendemain une messe a été célébrée à la basilique Saint-Étienne de Budapest suivie de l'inhumation du coeur de l'archiduc, à l'abbaye bénédictine de Pannonhalma, en Hongrie.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 21 juillet au 3 août 2011
L'archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine est décédé à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans ce lundi 4 juillet à son domicile de Pöcking en Bavière. Nous n'évoquerons pas ici son ancêtre l'empereur Charles-Quint, auquel il a consacré un ouvrage très éclairant (éd. Hachette, 1967) et qui fut au XVIe siècle l'adversaire impitoyable du roi de France, François 1er, dont il voulait enserrer le royaume dans la tenaille austro-espagnole. Les temps ont, depuis lors, bien changé. Nous ne nous permettrons pas non plus de reprocher à ce prince d'avoir, au moment de la mort de sa mère l'impératrice Zita en 1989, laissé échapper l'occasion de recueillir la couronne de Hongrie, souhaitant, comme certains l'ont dit, un destin plus largement européen...
Un immense héritage
N'allons pas chercher post mortem de mauvaises querelles à ce grand prince d'Occident, dont le père, Charles 1er, le dernier empereur d'Autriche, roi apostolique de Hongrie et roi de Bohème, a été solennellement béatifié en 2004 par le pape Jean-Paul II. Otto, né le 20 novembre 1912, avait connu les derniers fastes de Vienne au temps de l'empereur François-Joseph, il était ainsi le lien entre l'Europe d'hier et celle d'aujourd'hui, et l'un de ces hommes dont l'expérience était la plus extraordinairement bénéfique pour le continent. Il unissait en lui le sang des Habsbourg, donc celui de notre reine martyre Marie-Antoinette, et celui des Bourbons car sa mère née Zita de Bourbon Parme, décédée en 1989, dix-septième enfant de Robert, duc de Parme destitué par l'unité italienne, descendait du roi de France Charles X et, par sa grand-mère Louise de France, était la nièce d'Henri V comte de Chambord.
Charles et Zita constituaient un couple heureux et effacé, jusqu'à ce que l'assassinat de l'oncle de Charles, l'archiduc François-Ferdinand, à Sarajevo, le 28 juin 1914, mît le feu à toute l'Europe et fît d'eux les héritiers directs de François-Joseph. Puis la mort de François-Joseph lui-même, en novembre 1916, les porta sur le trône impérial en pleine guerre, et l'on se souvint longtemps du petit Otto marchant entre ses parents le jour des obsèques impériales (30 novembre 1916). L'avenir de cet enfant ne promettait pas d'être facile...
On sait combien le nouvel empereur, tout pénétré de foi, de charité et de paix chrétienne, s'activa avec ses beaux-frères Sixte et Xavier de Bourbon Parme, pour trouver dès 1916 les conditions d'une paix séparée entre l'Autriche et la France, qui eût épargné deux années de sauvage hécatombe, mais dont la classe politique française, maçonnique et qui avait juré la mort de l'empire chrétien, ne voulut pas.
Une famille errante
La fin de la guerre devait voir l'éclatement de cet empire. Malgré des tentatives de reprendre le pouvoir au moins en Hongrie, Charles et Zita furent déchus de leurs prérogatives et durent avec leurs sept enfants, dont Otto âgé de neuf ans, s'exiler dans l'île de Madère. Mais l'empereur, alors âgé de trente-quatre ans et épuisé par toutes ces tensions, mourut entouré des siens le 1er avril 1922. Sa veuve âgée de vingt-neuf ans et enceinte de son huitième enfant fit face à l'adversité avec un courage admirable. Puis la famille s'installa en Espagne et en Belgique où Otto, jeune prince parlant toutes les langues européennes, put suivre des cours de sciences sociales et politiques et obtenir un diplôme à l'université catholique de Louvain. La Deuxième Guerre mondiale et son opposition farouche au nazisme le contraignirent à s'exiler de nouveau, aux États-Unis cette fois. Puis il revint vivre tantôt en France, tantôt en Bavière, jusqu'à son mariage le 10 mai 1951 avec la princesse Regina de Saxe-Meiningen, dans la belle ville de Nancy, capitale des ducs de Lorraine dont il portait le titre, descendant de François de Lorraine, époux de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche. De son mariage avec la princesse Regina, Otto devait avoir sept enfants.
Politique sociale
Ayant renoncé en 1961 au trône impérial d'Autriche il prit la nationalité allemande et fut élu au Parlement européen en tant que député allemand (Bavière) du parti de la CDU-CSU démocrate chrétienne ; en tant que doyen d'âge, il eut à présider entre 1979 et 1999 plusieurs séances du parlement de Strasbourg. Ses activités européennes l'accaparèrent un certain temps et l'on peut ne pas le suivre en tout ce qu'il dit ou entreprit alors en faveur de la construction européenne à laquelle, en tant que membre de la Ligue anticommuniste mondiale et président de l'Union paneuropéenne Internationale, il croyait ferme, sans toutefois en dresser un plan idéologique et tout prêt. Son information à caractère universel et son réalisme lui permettaient de dresser une image juste et précise de l'Europe et de ses besoins et de replacer les problèmes du continent dans la perspective de l'évolution du monde entier. Il se dressait contre l'idée que l'Europe serait définitivement condamnée, qu'elle n'aurait rien à apporter aux temps nouveaux. Il ne croyait pas (et il avait raison) que l'Europe subsisterait dans sa forme injuste, héritée de Yalta, et divisée en deux par l'idéologie ; il voulait des réformes sociales audacieuses qui permissent d'arracher au communisme le masque d'une révolution bienfaisante.
Esprit chrétien
Dans un beau livre consacré en 1959 au prince Otto, Marie-Madeleine Martin citait des propos de lui qui ne sont en rien démodés : « Ce qu'il nous faut c'est une réforme de la mentalité sociale, c'est une attitude nouvelle de toute la population. Et celle-ci ne peut être obtenue que par un renouveau de l'esprit chrétien, par une compréhension véritable des droits et des devoirs de chacun. Le droit au travail, le droit à un domicile, le droit de fonder une famille, le droit d'éduquer librement et adéquatement les enfants sont des droits imprescriptibles qui doivent être le fondement de l'ordre social et du programme économique de l'Europe. » On devine dans ces propos des résonances de la doctrine sociale chrétienne dont son père était imprégné et qui inspira au prince des tournées de conférences, notamment en France.
Cousin des Capétiens
Otto s'est gardé de tout désir de nivellement des nations. Au contraire, il connaissait trop l'histoire européenne pour faire table rase des identités nationales qui, toutes, doivent avoir leur place. Il n'oubliait jamais qu'il était lui aussi un fils de saint Louis et se montrait fier de ses multiples parentés capétiennes. C'est sans doute ce qui le poussa à fonder un groupe au sein du Parlement européen pour la promotion du français comme langue de référence de l'Europe. Quant au rôle de la France, il lui paraissait primordial comme il ressort d'un appel qu'il lança le 11 janvier 1952 à Paris, que cite Marie-Madeleine Martin : « Votre pays, votre France est une terre à la tradition glorieuse, pays essentiellement occidental, essentiellement chrétien, patrie d'hommes vraiment libres, qui aujourd'hui croient aux vertus et aux forces de l'homme et ne se soumettent jamais à l'arbitraire... Visez plus haut : regardez au-delà de vos petites difficultés de l'heure, au delà de vos querelles. Voyez : il y a tout un continent qui attend de vous des paroles, des initiatives dignes de votre sens de la grandeur. » Et d'évoquer sainte Jeanne d'Arc et son admirable épopée... « Amis Français, entendrez- vous aujourd'hui l'appel de l'Histoire ? L'Europe vous attend et Dieu le veut ! »
L'Europe en berne
Un deuil de treize jours a été observé à partir du 5 juillet dans plusieurs pays de l'ancien empire d'Autriche-Hongrie. Le cercueil de l'archiduc Otto a été recouvert du drapeau des Habsbourg décoré avec les manteaux impériaux et royaux de l'Autriche et de la Hongrie. Cinq messes de requiem se sont succédé en Bavière jusqu'au 16 juillet et en Autriche. Dans la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, ont eu lieu les obsèques solennelles en présence de multiples personnalités européennes et des représentants des familles royales. La princesse Philoména, duchesse de Vendôme, accompagnée du prince Gaston, représentait la maison de France. Puis un cortège funèbre se déroula à travers la vieille ville de Vienne avant la mise au tombeau de l'archiduc et de son épouse Regina décédée le 3 février 2010, dans la crypte de Capucins. Le lendemain une messe a été célébrée à la basilique Saint-Étienne de Budapest suivie de l'inhumation du coeur de l'archiduc, à l'abbaye bénédictine de Pannonhalma, en Hongrie.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 21 juillet au 3 août 2011
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