vendredi 19 octobre 2012

Mais où était (est) passé l’or de la Banque de France ?

En ces temps de crises financières, où l’on voit les monnaies fluctuer au gré de mécanismes et d’évènements inattendus sinon abstrus cet article pour rappeler l’époque à laquelle la valeur des monnaies reposait sur des concepts moins…virtuels. 
Jusqu’à la fin du XXème siècle, la crédibilité des états en matière d’échanges internationaux était proportionnelle à la quantité d’or dont ils disposaient dans leurs coffres afin de garantir le crédit accordé à leurs monnaies et en justifier les taux réciproques.
De ce fait, lors des conflits entre Etats, essayer de s’emparer du « Trésor » de l’ennemi était un exercice largement pratiqué et… souvent rentable ! (Je ne pourrais à ce sujet trop vous conseiller la lecture d’un bouquin de Pierre Péant : « Main basse sur Alger » dans lequel est relatée l’origine de quelques fortunes dont profitent largement aujourd’hui encore quelques « barons de la finance !)
Le dernier conflit européen n’échappa pas à la règle et l’Allemagne tenta aussi de faire « main basse » sur les trésors des pays qu’elle envahissait.
Mais cette stratégie était devenue tellement commune que les pays en guerre prenaient quelques précautions…
Y compris en France : c’est l’objet de l’histoire suivante.
Le 15 juin 1940, alors que la défaite était consommée et l’armistice à peine signé, quatre officiers allemands se présentaient au siège de la Banque de France à Paris pour s’enquérir de la présence des dépôts en or et devises supposés être entreposés dans la « Souterraine », nom donné aux sous-sols de la dite banque. Une visite rapide devait les convaincre que ces sous-sols étaient désespérément vides de toute encaisse de valeur.
Mais où étaient donc passées les 2 700 tonnes d’or réputées gager la monnaie, le « Franc », devant la communauté financière internationale ?
L’affaire ne remonterait-elle pas au conflit précèdent, aux premiers jours de septembre 1914, tandis que quelques détachements de « uhlans » étaient aperçus aux environs de Lagny sur Marne à moins de 50 kilomètres de Paris ? Bien que la victoire de « la Première bataille de la Marne » avait éloigné le péril de voir Paris sous le feu des canons ennemis et le danger d’une invasion de la capitale, nul doute que l’évènement avait suscité chez certains responsables l’idée d’un plan concerté d’évacuation des valeurs entreposées dans les coffres des banques dès les premières menaces d’invasion !
En effet, c’est dans la hâte qu’avaient dû être évacuées en 1914 vers les caches du Massif Central les valeurs détenues dans les coffres de la Banque de France. Toujours est-il que dès 1930 une « Instruction Générale » était élaborée par la Direction de la Sûreté Générale du Ministère de l’Intérieur détaillant « les mesures de sauvegardes à prendre en cas de guerre dans les parties du territoire exposées aux atteintes de l’ennemi. »
Un peu plus tard, en avril 1933, tandis qu’en Allemagne Hitler était nommé chancelier, cette « Instruction » était opportunément transmise au secrétariat général de la Banque de France.
Il s’agissait dans un premier temps d’établir un état des valeurs en or, métaux précieux, devises et titres de garanties détenus par la Banque, aussi bien à Paris que dans les succursales de province, puis dans une seconde phase de désigner les succursales de province, frontalières notamment, les plus exposées aux atteintes d’un envahisseur.
Enfin il restait à établir la liste des établissements de province circonscrits au périmètre « Loire-Rhone-Pyrénées » où seraient repliées les encaisses de la Banque centrale. À la suite de cette instruction, la Direction générale de la Banque devait créer au niveau du secrétariat général une sous-commission de « repliement et d’évacuation ». Les travaux de cette sous-commission la conduisirent à proposer la création d’une deuxième zone d’évacuation dite « zone de sécurité » plus proche des ports de la Manche et de l’Atlantique. C’est ainsi qu’une cinquantaine de succursales ayant pour caractéristique de se trouver à moins de 300 kilomètres d’une côte furent désignées, telles Caen, Saint Malo, Saint Brieuc, Brest, Nantes, Angers, Saumur… mais furent aussi conservés certains comptoirs du centre de la France, comme Moulin, Vichy, Bourges, Limoges… Dans leurs coffres seraient ainsi transférés les pièces et lingots en provenance des comptoirs frontaliers, mais aussi ceux d’établissements supposés être les premiers atteints en cas d’invasion. La sous-commission établissait par ailleurs la liste des itinéraires à emprunter entre établissements pour ces transferts de fonds, désignait les compagnies de transports, fer ou route, à solliciter, allant jusqu’à définir les dimensions d’un modèle standard de caisse destinée au conditionnement des valeurs !
C’est ainsi qu’en 1936, pour l’essentiel, la répartition de l’or sur le territoire était achevée, ces valeurs étant véhiculées principalement par route, mais aussi par chemin de fer, le gros de la manutention s’effectuant par le personnel de la Banque aidé ponctuellement par de la main d’œuvre de sociétés privées sous l’œil protecteur mais vigilant de la gendarmerie.
Cependant, à cette date, la plus importante partie de l’or se trouvait toujours à Paris : 44 milliards en lingots, 8 milliards en pièces d’or, plus de l’argent, du nickel, des billets de banque, le tout représentant plus de 1 500 tonnes !
En 1938, Hitler passait à l’action : Anschluss, Tchécoslovaquie, crise des Sudètes, les menaces de guerre se précisaient, même si les accords de Munich semblaient retarder, un peu, l’embrasement fatal…
À Paris, la situation était jugée suffisamment grave pour justifier l’ordre d’évacuation des valeurs entreposées dans la capitale et c’est ainsi qu’à l’automne, 400 camions et 150 wagons de 5 à 10 tonnes en transportèrent l’essentiel vers les zones dites de sécurité. Seules quelques centaines de tonnes de lingots et pièces furent conservées à la « Souterraine » pour faire face à la panique attendue à la suite de la déclaration de guerre. Dès lors, en septembre 1939 débutaient les premiers « voyages » des valeurs françaises.
Le tout premier fut pour Beyrouth : 8 caisses de billets (2 milliards de francs) pour alimenter les banques de Syrie et Liban alors sous mandat français. Départ de Marseille le 14 septembre sur le torpilleur La Bayonnaise, puis transfert des caisses en rade d’Ajaccio sur le croiseur Émile-Bertin et arrivée à Beyrouth le 21.
Le 13 novembre venant du Massif Central 1 500 caisses d’or étaient chargées à Toulon sur le cuirassé Lorraine et les croiseurs Marseillaise et Jean de Vienne qui, escortés par les torpilleurs Fortuné et Railleuse, puis rejoints en mer par les torpilleurs Lion et Simoun, atteignirent le port d’Halifax le 1er décembre. Il s’agissait de payer le matériel de guerre commandé par la France aux USA, suite à la décision du Président Roosevelt de faire payer comptant les achats de matériel militaire : « cash and carry » !
Un deuxième transport d’or vers Halifax, toujours dans le cadre d’achats d’armements, était organisé au départ de Brest avec les valeurs issues de succursales de l’ouest de la France. Le 9 décembre, 1 500 caisses étaient chargées à bord du croiseur Dunkerque qui quittait la rade le 11 escorté des contre-torpilleurs Mogador, Volga, Triomphant, Terrible, Valmy et du croiseur Gloire, pour accoster aux quais d’Halifax le 17.
Vers la fin de l’année, c’est 60 tonnes d’or qu’il fallut convoyer vers la Turquie dans le cadre d’une aide franco-britannique : condition pour que la Turquie resta bien « neutre » pendant le conflit ? Toujours est-il que cette fois, ce fut au tour du croiseur Tourville, escorté des contre-torpilleurs Vauban et Aigle de charger et de transporter les précieux chargements de Toulon à Beyrouth d’où ils furent acheminés par voie ferrée jusqu’à Ankara.
En mars 1940, 150 tonnes d’or quittaient Toulon via Mers el-Kébir vers Halifax à bord des croiseurs et cuirassés Algérie, Bretagne, Victor-Schoelcher et Colbert toujours pour poursuivre les achats d’armements.
À cette époque, le solde des réserves belges soi 120 tonnes d’or, était acheminé vers la France qui ainsi détenait alors la quasi-totalité des réserves belges, c’est-à-dire environ 250 tonnes d’or qui furent expédiées ultérieurement en Algérie. (Pour mémoire, quelques mois plus tard, le gouvernement Pétain- Laval rajoutera une nouvelle infamie au déshonneur, en « restituant » cet or belge aux Allemands au prétexte que la Belgique était alors « administrée » par l’Allemagne !)
Fin mars, 400 tonnes d’or avaient quitté la France, principalement pour des achats d’armements. Mais le 15 mai, les Allemands avaient franchi la Meuse…
À ce moment, la direction de la Banque de France donna l’ordre d’évacuation générale :  environ 2 500 tonnes de métal précieux étaient concernées !
Le 19 mai, 200 tonnes étaient convoyées à Toulon, chargées sur le porte-avions Béarn direction Halifax, tandis que 200 autres tonnes devaient être chargées à Brest sur les Jeanne-d ’Arc et Émile-Bertin avec mission de se joindre au Béarn au large de Madère. Si à Toulon, loin du front, les acheminements ne posaient pas de problèmes, en Bretagne, tandis que les Allemands étaient déjà à Cambrais les affaires se présentaient plus tendues pour regrouper les caisses venues de Paris et de Morlaix, Vannes, Rennes, Quimper, sur des routes déjà encombrées par les militaires en déroute et les civils en fuite !
Surmontant ces difficultés, tous les convois réussirent cependant à atteindre Brest et leurs chargements, rapidement transférés sur la Jeanne D’Arc et l’Émile- Bertin, prirent le large le 21 mai, cap sur Halifax via Madère où les attendait le Béarn.
Le 2 juin, à Halifax, tandis que le Béarn restait à quai dans l’attente de charger une livraison d’avions « Curtiss » commandés par la France, l’Émile-Bertin, à peine déchargé, appareillait cap sur Brest qu’il atteignait le 9 juin.
Pendant ce temps, en France, la situation militaire se dégradait rendant plus urgente encore la mise à l’abri des « valeurs » !
Cette fois, 210 tonnes d’or rejoignirent les soutes du Pasteur, seul paquebot disponible qui quittait Brest le 2 juin pour arriver à Halifax le 7, devant ensuite charger le 13 juin à New York de l’armement (une centaine de canons de 75) et attendre les ordres…
Entre temps, l’Émile-Bertin, arrivé à Brest le 9 juin, recevait 200 autres tonnes d’or tandis qu’à l’intérieur du pays, les Allemands étaient sur le point de franchir l’Oise ! L’Émile-Bertin fit son entrée dans le port d’Halifax le 18 juin sans se douter que cette date serait retenue par les Français, mais pour d’autres raisons !
À cette date, quatre navires français étaient donc amarrés de l’autre côté de l’Atlantique : l’Émile-Bertin et le Pasteur à Halifax, le Béarn et le Jeanne d’Arc à New York.
Pendant ce temps, dans le sud, 200 tonnes d’or issues des comptoirs de Tulle, Brive, Périgueux, Libourne, Rodez, Villefranche étaient acheminées vers le port du Verdon pour y être chargées, le 30 mai, sur le Ville d’Oran, paquebot armé en « croiseur auxiliaire », cap sur Casablanca. Là, l’or serait chargé sur le navire américain, le Vincennes, pour alimenter le crédit français de la Banque de France à New York.
Au même moment, à Paris, le 30 mai, tandis que ça chauffait dur à Dunkerque, la Direction de la Banque prenait la décision d’évacuer la totalité de son or présent sur le territoire.
Il s’agissait premièrement d’évacuer les 900 tonnes encore en dépôt dans les 60 succursales de l’Ouest : Le Mans, Quimper, Vannes, Redon, Saint-Brieuc, Nantes, Cholet, Cognac, Saint-Lô, Rennes, Niort, Saintes…
Au milieu de la pagaille qui s’était installée du fait de « l’exode » des populations et de la retraite des armées, cahin-caha les convois d’or étaient centralisés vers la casemate du Portzic dans la rade de Brest, juste en face de la Pointe des Espagnols, où les dernières caisses arrivaient des Sables d’Olonne le 14 juin : il était temps !
Déjà les avions allemands survolaient Brest et lâchaient des mines magnétiques dans la rade et le « Goulet »… Trois petits paquebots rapides, les trois « El », El- Mansour, El-Djézaïr et El-Kantara, armés en croiseurs auxiliaires, étaient à quais et devaient se joindre aux Ville d’Alger et Ville d’Oran pour le transport.
Le 17 juin, Pétain lançait son premier message à la nation… (« …Je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat… »), message que l’Amirauté devait ignorer en poursuivant les manœuvres de conditionnements et de chargements de l’or !
Le 18 juin, nouvelles attaques de bombardiers sur Brest ! Tandis que les blindés ennemis étaient déjà à Rennes et fonçaient vers les ports bretons. À cet instant, le 18 à 11 h, il restait encore 400 tonnes d’or à charger : ce qui fut réalisé dans l’affolement plus que dans la hâte : Plus d’escorte de gendarmes, un seul chauffeur par camion, plus d’opérations de comptages, plus d’officiers de marine pour surveiller les opérations…
Enfin, vers 17h45, les dernières caisses étaient arrimées à bord de l’El Kantara : Ouf !
 Cependant que tout ce qui était en état de prendre la mer se pressait devant le Goulet, dont le Richelieu encore à demi armé, la Direction de la Banque voyait avec soulagement les navires transportant son or tracer leurs sillages scintillants dans l’Iroise au soleil couchant…
 Les allemands étaient alors à quelques heures de Brest. La flottille aux caisses d’or croisa alors sur sa route le Victor-Schoelcher venant de Lorient chargé lui aussi d’or… Polonais ! 250 tonnes évacuées à la hâte lors de l’Anschluss avaient, après un périple étonnant, été transportées dans les cales de ce navire ! Tous devaient gagner Dakar le 28 juin, après une escale à Casablanca, laissant sur place un chalutier terre-neuvas, le Clairvoyant, qui avait quitté Lorient quelques jours plus tôt avec une tonne d’or et des valeurs en numéraire. Le Clairvoyant fut rejoint dans le port de Casablanca le 25 juin par le croiseur Primauguet chargé d’une centaine de tonnes provenant de tous les fonds de tiroirs raclés en France avant la mainmise par les Allemands. Les valeurs transportées par ces deux navires furent mises en dépôt dans les coffres de la Banque au Maroc.
Entre temps, l’Émile-Bertin arrivé à Halifax reçut l’ordre de ne pas décharger son or : la nouvelle de l’armistice en France changeait en effet la donne tandis que les relations entre les officiers français et leurs interlocuteurs anglo-saxons devenaient plus tendues. Cependant, après accord entre officiers français et autorités « anglo-canado- américaine », il fut convenu que l’or serait acheminé et stocké à la Martinique jusqu’à la fin du conflit.
De même les trois autres navires, Béarn transportant les avions Curtiss, Jeanne d’Arc et Pasteur chargés d’armements, reçurent l’ordre de l’Amirauté de gagner Fort-de-France : avions et armes qui auraient été si utiles quelques semaines plus tôt devaient rouiller là en attendant la fin de la guerre !
Cependant, à Dakar, commençait à se jouer une partie compliquée entre les représentants de la Banque, et les autorités françaises passées quasiment sous tutelle allemande depuis l’armistice.
Par ailleurs, les Français Libres du général de Gaulle et les anglo-américains suivaient de loin les mouvements de ces caisses d’or convoitées par tous. Le 2 juillet, après l’intervention dévastatrice de la marine anglaise à Mers El-Kébir, la marine française à Dakar fut mise en alerte, et l’ordre fut donné de débarquer en urgence l’or de tous les bateaux.
Ce fut le petit fortin de Thiès, à 70 km de Dakar qui fut d’abord choisi pour entreposer les caisses d’or. Tandis que les opérations de comptages s’effectuèrent au calme, un certain nombre de « manquements » furent constatés, mais plusieurs enquêtes diligentées par les services de la Marine permirent de recouvrer la quasi-totalité des pertes.
Constatant la fragilité du fort de Thiès et sa trop grande proximité avec Dakar, où les français libres du général De Gaulle accompagnés des troupes et navires anglais avaient déjà tentés de débarquer le 22 septembre, il fut décidé que l’or serait évacué vers les coffres de la Banque à Kayès au Soudan français d’alors, ville située sur la ligne de chemin de fer Dakar-Bamako construite au début du XXème siècle.
À l’exception de l’or belge ignominieusement « rendu » aux Allemands ainsi qu’il a été mentionné, pas une seule autre once d’or français ne fut utilisée durant la guerre, mais put à la Libération servir pour la reprise économique du Pays.
Sources : Tristan Gaston-Breton, « Sauvez l’or de la Banque de France ! L’incroyable périple. (1940-1945) », Cherche Midi, 2002.
Fin de l’histoire au travers de laquelle nous avons pu constater avec quelle autonomie et quelle indépendance par rapport au pouvoir central a su manœuvrer « La Banque » pour mettre ses sous à l’abri : mais il vrai que les sous de la Banque de France étaient alors aussi ceux de ses actionnaires…
Mais aujourd’hui il reste-t-il encore un peu d’or dans les coffres de la Banque de France ?
Bien à vous.

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