Contribution à la vérité historique de Karim Ouchik
« La
haine que l’on était parvenu à inspirer au peuple pour le roi Louis
XVI, et que n’avait pu assouvir l’échafaud du 21 janvier, avait remonté
aux rois de sa race ; on voulut poursuivre la monarchie jusqu’à sa
source, les monarques jusque dans leur tombe, jeter au vent la cendre de
soixante rois ». Dans l’une des nouvelles les plus singulières qu’il
ait composées, Les Tombeaux de Saint Denis, Alexandre Dumas
nous introduit de la sorte à l’évocation saisissante de l’un des
épisodes les plus sombres de la Révolution française, qui n’en manqua
guère : la profanation des tombeaux royaux qui furent pieusement
conservés, depuis l’an 638, dans les murs de l’abbaye de Saint-Denis.
En
sonnant le glas du lieu de sépulture privilégié des dynasties royales,
où reposaient quarante-deux rois, trente-deux reines, soixante-trois
princes et princesses et dix grands du royaume de France, l’avènement de
la République va briser instantanément rien moins que le fil d’Ariane
de l’Histoire de France.
Ce
funeste évènement doit être replacé dans sa juste perspective
historique. « Si le droit des rois d’avoir une nécropole n’est pas remis
en cause en 1789, après la chute de la royauté, le monarque et ses
aïeux font figure de traîtres héréditaires et de corps étrangers à la
Nation » (Jean-Marie Le Gall, Le mythe de Saint Denis, Entre Renaissance et Révolution, Champ Vallon, 2007).
Le
21 septembre 1792, la Convention décrète l’abolition de la royauté en
France et proclame, le lendemain, « l’An I de la République française ».
Dans les mois qui suivent l’installation du nouveau régime, la
Convention s’emploie aussitôt, durant la Terreur, à faire table rase du
passé en faisant partout disparaître les symboles royaux, des fleurs de
lys aux armoiries royales, apposés sur les monuments, meubles et
tapisseries, avant de s’en prendre aux statues des rois de France et aux
tableaux rappelant le règne des Bourbons.
En
proie depuis des mois à la discorde des esprits et aux troubles de la
rue, la population des faubourgs de Paris se déchaîne hélas sans peine
pour les causes les plus incertaines. En véritables professionnels de
l’agitation politique, les députés et les librettistes n’en ignorent
rien. Profitant du climat antimonarchique qui règne alors dans les rues
de la capitale, ils décident de lancer le peuple à l’assaut des
sépultures des rois de France.
Ainsi,
à la fin de 1792, le pamphlétaire Pierre Sylvain Maréchal, qui fut un
temps le compagnon de route de Gracchus Babeuf, réclame explicitement
l’anéantissement des tombes royales dans les colonnes de son journal Révolutions de Paris
: « Tandis que nous sommes en train d’effacer tous les vestiges de la
royauté, comment se fait-il que la cendre impure de nos rois repose
encore intacte dans la ci-devant abbaye de Saint-Denis ? Nous avons fait
main basse sur les effigies de tous nos despotes. Aucune n’a trouvé de
grâce à nos yeux. Statues, bustes, bas-reliefs, tableaux, dessins,
gravures, toute image de roi a été soustraite à notre vue et nous
souffrons que leurs reliques, précieusement conservées dans des
cercueils de plomb, insultent aux mânes de quantité de bons citoyens,
morts pour la défense de la patrie et de la liberté, et qui à peine ont
obtenu les honneurs de la sépulture » (Louis Réau, Histoire du vandalisme, collection Bouquins, Robert Laffont, 1994).
Le
31 juillet 1793, à la tribune de la Convention, Bertrand Barère en
appelle ouvertement, au nom du Comité de salut public, à la destruction
des « mausolées fastueux qui sont à Saint-Denis » qui rappellent « des
rois l’effrayant souvenir ». Le député emporte aisément l’adhésion d’une
représentation nationale avant tout soucieuse de commémorer avec force
les évènements du 10 août qui avaient renversé le trône avec la prise
des Tuileries, perpétrée un an auparavant. Et de fait, le 1er août, la
Convention nationale décrète aussitôt : « les tombeaux et mausolées des
ci-devant rois, élevés dans l’église de Saint-Denis, dans les temples et
autres lieux, dans toute l’étendue de la république, seront détruits le
10 août prochain ».
L’entreprise
de démantèlement des tombeaux est entamée avec célérité, le 6 août.
Nommé alors commissaire chargé d’assister à l’exhumation, le moine
bénédictin dom Poirier dresse le procès-verbal de ces macabres
opérations : « Le nombre de monuments détruits du 6 au 8 août 1793 monte
à cinquante et un : ainsi, en trois jours, on a détruit l’ouvrage de
douze siècles ». Les tombeaux de Pépin le Bref et de Philippe le Hardi
ne résistent pas à ces premiers outrages. Dans son tableau évocateur, La
profanation, visible au Musée Carnavalet, le peintre Hubert Robert
donnera ainsi à voir l’ampleur des destructions matérielles des caveaux
royaux de l’église abbatiale de Saint-Denis commises par des
révolutionnaires acharnés tant et plus à accomplir ainsi leur misérable
dessein.
Un
temps suspendus, les saccages des sépultures royales de Saint-Denis
reprennent et se poursuivent avec intensité du 12 au 29 octobre 1793,
mais cette fois-ci avec une barbarie inégalée attendu que les
dévastations des tombeaux doivent systématiquement s’accompagner
désormais de l’exhumation sacrilège des cercueils et de l’effacement
méthodique des corps qui s’y trouvent, sans plus de respect porté à
l’égard des dépouilles des défunts.
Au
même moment, le 16 octobre, la reine Marie-Antoinette monte dignement à
l’échafaud, près de neuf mois après le martyre de son époux, Louis XVI.
En
ce terrible mois d’octobre 1793, des dizaines de tombes, celles des
rois, des reines, des membres de la famille royale, aussi bien que
celles des grands du royaume, sont ainsi semblablement profanées :
cibles posthumes d’une mise à mort symbolique, les corps de Dagobert,
Hugues Capet, Henri IV, Saint Louis, François 1er, Louis XIV, Isabeau de
Bavière, Marie de Médicis, Charles Martel, ou ceux du connétable
Bertrand du Guesclin et de l’abbé Suger seront livrés à cet instant,
parmi tant d’autres victimes expiatoires, à une rage révolutionnaire, en
apparence irrationnelle. Ces exactions ne cesseront qu’avec
l’exhumation du corps du Cardinal de Retz, le 19 novembre 1793, puis de
celui de Marguerite de Flandre, fille de Philippe V, le 18 janvier 1794.
Aussitôt
extraits des tombeaux dévastés, les cercueils sont ensuite délestés de
leurs enveloppes de plomb, lesquelles seront alors fondues pour servir à
l’armement. Un sort infâme est réservé à la plupart des corps exhumés :
jetées pêle-mêle dans la chaux, dans l’inhumanité de fosses communes,
ces dépouilles seront auparavant victimes, pour certaines d’entre elles,
d’actes de malveillances inqualifiables commis par une foule de curieux
venus nombreux assister aux profanations, à l’exemple des atteintes
impardonnables qui seront portées à la dépouille du bon roi Henri IV
dont la tête fut impitoyablement arrachée de son cadavre.
Lorsque
Bonaparte, durant le Consulat, puis Louis XVIII, sous la Restauration,
feront le choix déférent, chacun pour des motifs différents, d’exhumer
les restes des monarques et des dignitaires royaux pour les inhumer de
nouveau à Saint-Denis, il leur sera impossible, à l’un comme à l’autre,
de les identifier en grande partie de sorte que, ne pouvant être
ensevelies de ce fait dans des sépultures individuelles, les reliques
demeurées anonymes seront alors disposées solennellement dans un
ossuaire placé dans la crypte de l’abbaye.
Par
l’effet heureux de la providence, les statues de marbre et de pierre
subsisteront pour la plupart, quoique mutilées, grâce à l’intervention
décisive autant que courageuse du jeune peintre Alexandre Lenoir qui
parvint à les sauver d’une destruction certaine en les transférant, non
sans difficultés, au dépôt provisoire des Petits-Augustins (actuellement
l’Ecole des Beaux-arts) dont il fut le gardien, avec pour ambition de
rassembler de la sorte les premières collections du tout nouveau musée
des Monuments français. Cet ensemble de sculpture funéraire
incomparable, comprenant plus soixante dix gisants et tombeaux
monumentaux, réalisés entre le XIIe et le XVIe siècle, est aujourd’hui
visible à l’abbaye de Saint-Denis
Les
tombeaux de métal, dont ceux, d’une égale noblesse, de Charles le
Chauve et de Charles VIII, n’échapperont malheureusement pas à la fonte.
En
1816, Louis XVIII entreprend de reconstituer la nécropole royale, en y
transférant tous les tombeaux qui avaient été sauvés par Lenoir aussi
bien que les rares corps royaux et princiers qui ont pu être alors
retrouvés. La réhabilitation du caractère sacré de la nécropole royale
de Saint-Denis, accomplie dans la fidélité à sa vocation séculaire, est
complétée par d’importants travaux de restauration de l’édifice réalisés
pour l’essentiel de 1813 à 1846 par l’architecte Françoise Debret puis,
de 1846 à 1879, par Eugène Viollet-le-Duc qui s’appliquera, dans le
même temps, à aménager non sans intelligence les emplacements des tombes
royales, suivant une distribution qui subsistera jusqu’à ce jour.
Dans
une histoire fertile en épisodes tragiques, la France n’a guère connu
de précédents aussi puissamment destructeurs de son patrimoine
artistique que celui qui s’est produit sur son sol avec l’iconoclasme
dévastateur de 1793, hormis peut-être à l’occasion des actes de
vandalisme qui furent contemporains à la crise politico-religieuse née
de la Réforme au XVIe siècle.
A
dire vrai, l’irruption partout en France de l’iconoclasme
antimonarchique demeure inséparable d’une mutation profonde des idées
qui s’y est produite avec une radicalité singulière et dont les ressorts
épousaient étroitement les errements idéologiques du moment : la
période révolutionnaire avait accouché en effet rien moins qu’une
conception inédite de la Nation dont l’incarnation, jusqu’alors
confondue avec la personne sacrée du roi, devait s’identifier désormais
au peuple souverain, seule autorité légitime à pouvoir en déléguer
l’expression par l’intermédiaire, non plus de corps constitués, mais de
ses représentants élus.
Pour
assurer le succès de cette ambition marquée du sceau de
l’intransigeance et du sectarisme et conjurer tout risque de
restauration du régime honni, le projet révolutionnaire s’était proposé
alors, dans le sillage de son entreprise fanatique de déchristianisation
des esprits, d’éradiquer partout en France les marques et symboles
constitutifs de la société d’Ancien Régime, en détruisant méthodiquement
pour cela les tombeaux de ses souverains qui avaient symbolisé
pareillement une monarchie française fondée sur le principe de
continuité dynastique.
Cette
interprétation condamnable des réalités du monde de ce temps avait si
tristement inspiré les révolutionnaires de 1793, dans leur propension
criminelle à extirper de la conscience de leurs contemporains la
relation bienveillante que chaque Français entretenait intimement avec
la royauté, qu’elle les avait déterminés à se livrer sans aucun scrupule
aux horreurs des profanations et des exhumations et à porter de la
sorte une atteinte irréparable à l’intégrité des tombeaux de la
nécropole royale de Saint-Denis.
« Il
y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, vu
le grand nombre de nécessiteux ». Cette citation admirable de
Châteaubriand ne résume-t-elle pas au fond parfaitement le sentiment de
révolte de ceux qui, nombreux, ne peuvent se résoudre à pardonner, non
plus qu’à oublier, cette folie destructrice qui a troublé le repos des
âmes des défunts qui en ont été les infortunées victimes, non sans
priver autrement la France d’un inestimable patrimoine culturel,
aujourd’hui définitivement perdu ?
Karim Ouchikh 16 août 2010
Karim Ouchikh 16 août 2010
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