Le 1er novembre de l'an 82 av. J.-C., deux armées romaines s'affrontent sous les murs de Rome, près de la porte Colline.
Le
vainqueur est un général de 56 ans, Lucius Cornelius Sulla, plus connu
sous le nom de Sylla. Sa victoire met un terme à la première guerre
civile qui déchire la république romaine
à son agonie. Lui-même va porter un coup fatal à cette république en
croyant la restaurer. Ses réformes vont ouvrir la voie à Jules César et à
l'empire.
Un dilettante de génie
Sylla
est l'un des personnages les plus méconnus et les plus fascinants de
l'Histoire romaine. Issu d'une famille pauvre de l'aristocratie, il
dissipe sa jeunesse dans l'étude et la fréquentation des prostituées et
des gens de mauvaise vie.
À 31 ans, en 107 av. J.-C., il est néanmoins élu questeur et rejoint l'armée du consul Marius
en Afrique. Son habileté lui permet de mettre la main sur Jugurtha,
l'ennemi juré de Rome. Il participe ensuite aux côtés de Marius à la
guerre contre les Cimbres et les Teutons, des Germains qui ont envahi la
Gaule et menacent Rome.
Indifférent
à sa popularité naissante, il retourne à sa vie de débauche et ne
revient qu'en 93 avant JC à la vie publique avec les fonctions de
préteur puis propréteur en Cilicie.
Il
conclut un premier traité avec les Parthes et s'enrichit au passage. À
son retour à Rome, il divorce de sa troisième femme et se remarie avec
Caecilia Metella, fille du chef du Sénat. Cette union lui vaut d'être
désormais regardé par les sénateurs et l'aristocratie comme une possible
alternative face au parti populaire qu'anime... Marius..
La guerre sociale
amène Sylla à reprendre du service dans l'armée... toujours sous les
ordres de Marius. Son talent tactique et son habileté font une nouvelle
fois leurs preuves. Sylla s'empare de Stabies et réduit les derniers
îlots de résistance du Samnium en 89 av. J.C..
Ce
nouveau succès lui vaut d'être nommé consul l'année suivante et de
recevoir du Sénat le soin de mener la guerre contre le roi du Pont,
Mithridate VI, coupable d'avoir repris les hostilités et massacré des
milliers de Romains et d'Italiens en Orient. Cette décision contrarie
Marius (69 ans), représentant du parti populaire, qui comptait sur cette
guerre pour redresser son prestige.
Première guerre civile
Marius
manigance avec un tribun de la plèbe, P. Sulpicius Rufus, un
arrangement qui lui confie le commandement de la campagne du Pont.
Sylla,
qui s'était déjà mis en route pour l'Asie, ne l'entend pas de cette
oreille. Avec son armée, il revient à Rome en violation de toutes les
règles et fait mettre Marius, Rufus et leurs partisans hors la loi. Il
fait exposer la tête du tribun félon sur les rostres (une galerie qui
domine les Forums romains et est décorée avec des figures de proue - les
rostres - de navires ennemis). Marius préfère s'enfuir en Afrique.
Là-dessus,
Sylla s'en va combattre Mithridate qui a profité des troubles pour
occuper la Grèce. Le général romain occupe Athènes après un long siège
avant de poursuivre Mithridate sur ses terres. Mithridate VI est bientôt
battu. Sylla, pressé d'en finir, lui accorde un traité favorable, qui
lui conserve son royaume en échange d'un tribut de 2000 talents... et de
80 navires pour le retour de l'armée romaine en Italie. Avant de s'en
retourner, il tire encore 20.000 talents de la province d'Asie.
Mais
à Rome, pendant ce temps, un consul, Cinna, se révolte contre le Sénat.
Marius en profite et revient prestement d'Afrique où il s'était
réfugié. Il fait mettre à mort de nombreux sénateurs et se fait réélire
consul une septième fois. Il meurt l'année suivante, en 86 avant JC,
mais ses partisans, les marianistes, restent au pouvoir sous l'autorité de Cinna.
Quand
Sylla débarque à Brindes (aujourd'hui Brindisi, à la pointe de la
péninsule italienne), avec une armée aguerrie, c'est pour en finir avec
ses opposants du parti de Marius et Cinna. Pour lui faire face, les
marianistes lèvent pas moins de six armées, essentiellement composées
d'alliés italiens. Sylla les bat l'une après l'autre. La dernière armée,
composée de Samnites, est écrasée à la porte Colline. Impitoyable,
Sylla ordonne le massacre des prisonniers (7.000, y compris treize
généraux marianistes).
Il se fait élire par les comices «dictateur chargé de faire les lois et d'organiser la république» pour une durée indéfinie ! C'est la lex Valeria de 82 av. J.-C., qui consacre de fait la ruine de la république sénatoriale.
Comme ses soldats commencent à tuer sans discrimination tous ceux qu'ils suspectent d'être des opposants, Sylla fait publier (autrement dit proscrire
en latin) la liste de ceux qui peuvent être tués par quiconque. Les
délateurs et les tueurs s'en donnent à coeur joie car une prime
récompense leur geste. On évalue à 5.000 le nombre de leurs victimes.
Beaucoup de partisans de Sylla - comme le futur triumvir Marcus Licianus Crassus - s'enrichissent inconsidérément en s'appropriant la fortune des proscrits. Le jeune Caius Julius Caesar, né en 100 et neveu par alliance de Marius, figure parmi les proscrits et doit s'enfuir de Rome.
Une dictature de caractère monarchique
Assuré
de son pouvoir, Sylla, qui se soucie peu d'ambition personnelle, tente
aussitôt de restaurer le Sénat dans son ancienne puissance.
– Il porte de 300 à 600 le nombre de sénateurs et leur restitue le droit exclusif de siéger dans les jurys criminels.
–
Il enlève aux tribuns de la plèbe le droit de proposer une loi aux
comices et de briguer un deuxième mandat, réservant aux sénateurs
l'initiative des lois.
–
Il abolit la censure et confère aux magistrats sortant de charge la
dignité de sénateur, limite les droits des consuls et des préteurs à des
fonctions civiles en Italie et leur permet en sortie de charge de
devenir proconsul ou propréteur en province sur désignation du Sénat...
–
Il distribue des terres à 100.000 vétérans et supprime les
distributions gratuites de blé aux citoyens pauvres dans l'espoir de
mettre fin à l'exode rural !
Honoré du surnom de «Felix» (heureux)
et jugeant son travail accompli, Sylla démissionne de toutes ses
fonctions en 79 av. J.-C.. Il se retire dans sa maison de Cumes où il
file le parfait amour avec une jeune femme de 25 ans, Valeria, dont il
fait sa cinquième épouse. Sa félicité sera de courte durée... Il meurt
l'année suivante ! Les Romains confèrent à sa dépouille le privilège
d'une inhumation sur le Champ de Mars, lieu de sépulture des anciens
rois.
Cependant,
contrairement à ce que Sylla a pu croire, ses réformes n'ont en rien
réglé les tensions au sein de Rome... elles ont seulement inspiré à
nombre d'ambitieux le désir d'exercer à leur tour la dictature.
Bibliographie
Sur
la République romaine et plus précisément Sylla, nous recommandons la
lecture des historiens romains eux-mêmes, tels Tite-Live et Salluste,
réunis dans un beau livre de La Pléiade (Gallimard).
Jean-François Zilberman http://www.herodote.net
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