Le
14 octobre 1066, une petite armée féodale, à peine débarquée en
Angleterre, bat les troupes du roi en titre. La victoire à Hastings du
duc de Normandie Guillaume le Bâtard sur le roi Harold marque la naissance de l'Angleterre moderne.
À noter qu'après le débarquement de Guillaume, toutes les tentatives ultérieures de conquête de l'Angleterre échoueront.
André Larané
Fils de Viking
Le nouveau maître de l'Angleterre, Guillaume, est un robuste guerrier qui ne s'en laisse pas conter. Il descend d'un chef viking, Rollon.
Cent
cinquante ans plus tôt, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911),
Rollon a obtenu du roi carolingien de Francie occidentale, le faible Charles le Simple, le droit de s'établir à l'embouchure de la Seine, en échange du baptême et de l'hommage de vassalité.
Le duc Rollon et ses Vikings étendent très vite leur domination à l'ensemble de la région, à laquelle ils donnent leur nom, Normandie («pays des hommes du Nord»). Ils adoptent dans le même temps les moeurs féodales et la langue de leur pays d'adoption, la France.
L'un des successeurs de Rollon, le duc Robert 1er le Magnifique,
est un homme à poigne qui ne s'en laisse pas conter. Il a de nombreuses
concubines mais sa préférée est la fille d'un tanneur de Falaise,
Arlette, qui donne naissance au futur Guillaume le Conquérant vers 1027.
En
1033, le duc Robert part en pèlerinage en Terre sainte. Avant de
partir, il fait jurer à ses barons d'obéir à son fils Guillaume si
lui-même ne devait pas revenir. Les barons prêtent serment, et comme
Robert meurt sur le retour, à Nicée, le 22 juillet 1035, le , voilà son
fils bâtard duc de Normandie... À huit ans !
Pendant
plusieurs années, le duché sombre dans l'anarchie. Dans la presqu'île
du Cotentin en particulier, des seigneurs normands, attachés à leurs
anciennes traditions et au paganisme, prennent les armes contre le
nouveau duc. Guillaume et ses partisans font appel au roi de France Henri 1er, leur suzerain.
Avec
une force de caractère remarquable, le jeune Guillaume rétablit son
autorité. En 1047, il bat les insurgés au val des Dunes, près de Caen,
et impose enfin par les armes sa domination sur l'ensemble de la
Normandie. Il s'empare même de la province voisine du Maine.
La cousine Mathilde, sa première conquête
Guillaume
a plus de mal à conquérir les faveurs d'une bien-aimée cousine,
Mathilde de Flandre, qui hésite à convoler avec un bâtard. Il use de
violence pour s'emparer de la jeune fille et il semble que celle-ci ne
lui en ait pas longtemps tenu rigueur...
Le
duc, qui a gardé un mauvais souvenir de sa bâtardise et veut s'affirmer
comme un grand seigneur chrétien, fera de nombreux enfants à sa chère
Mathilde et n'engendrera aucun bâtard ! Il fera aussi suffisamment
confiance à sa femme pour lui confier la régence de son duché pendant
ses campagnes militaires.
Pour
que le pape Léon IX agrée leur mariage en dépit de leur cousinage, les
deux époux s'engagent à construire chacun une abbaye. Elles seront
construites à Caen, sous le nom d'abbaye aux Hommes et d'abbaye aux Dames. Leurs tombes y figurent encore dans le choeur de l'église de leur abbaye respective.
Caen
est une ville nouvelle créée par Guillaume lui-même près du littoral de
la Manche pour remplacer Rouen comme capitale de son duché. Une cité
fortifiée, l'une des plus grandes d'Europe, est bâtie sur un piton
rocheux, avec les deux fameuses abbayes de part et d'autre. Caen va
grandir très vite et devenir la véritable capitale de l'ensemble des
possessions anglo-normandes.
Un trône convoité
Le destin de Guillaume et Mathilde bascule avec la mort du roi d'Angleterre Édouard le Confesseur, le 5 janvier 1066.
Ce pieux roi avait fait voeu de chasteté et était mort sans descendance.
Les
seigneurs anglo-saxons, qui dominent l'île depuis les invasions
barbares, lui cherchent un successeur. Ils élisent l'un des leurs,
Harold Godwinsson (la succession héréditaire est encore une exception à cette époque).
Mais
le feu roi d'Angleterre avait de son vivant promis la couronne à
beaucoup de prétendants, dont Guillaume, qui était son neveu. Or,
Harold, suite à un naufrage sur la côte normande, s'était un jour
retrouvé prisonnier du duc. Pour retrouver sa liberté, il avait juré
qu'il défendrait le jour venu les droits de celui-ci à la couronne
anglaise. Sans le savoir, il avait juré au-dessus d'un coffre rempli de
saintes reliques, ce qui rendait son serment irrécusable, du point de
vue des témoins normands !
Guillaume
le Bâtard conteste donc avec force l'élection de Harold comme roi
d'Angleterre. Il plaide ses droits auprès des cours d'Europe. Le pape
Alexandre II lui donne raison et, pour preuve de son appui, lui fait
envoyer un étendard consacré et des reliques.
Sans
attendre, le duc lance la construction d'une flotte de débarquement à
l'embouchure de la Dive, près de Cabourg. De là, la flotte (un millier
de navires) se dirige vers Saint-Valéry-sur-Somme et attend les vents
favorables.
Guillaume
quitte enfin la Normandie pour l'Angleterre avec 4 à 6 milliers
d'hommes (Normands, Bretons, Français et Flamands). Il débarque sur la
plage de Pevensey, là même où... Jules César débarqua avec ses légions
onze siècles plus tôt.
Harold arrive à sa rencontre avec ses troupes, au total sept ou huit mille hommes. Il dispose d'une infanterie réputée, les Housecarls.
Il s'agit de Danois armés d'une longue hache. Mais ceux-ci sortent
fourbus d'une victoire sur les Norvégiens, à Stanfordbridge. Le roi
d'Angleterre attend l'assaut de Guillaume sur la colline de Senhac, dans
les environs de Hastings.
Le
14 octobre 1066, après un début de combat indécis, le duc de Normandie
lance sa chevalerie (trois mille hommes) à l'assaut des lignes
anglaises. Celles-ci résistent tant bien que mal.
À
la fin de la journée, Guillaume ordonne à ses archers d'abandonner le
tir en cloche pour adopter le tir tendu. C'est ainsi qu'Harold est
blessé à l'oeil par une flèche. Aussitôt, un groupe de chevaliers se
ruent sur lui et l'achèvent. La mort du roi entraîne la dispersion de
ses troupes et la victoire définitive de Guillaume.
Sitôt
après la victoire d'Hastings, le jour de Noël 1066, Guillaume est
couronné roi d'Angleterre à l'abbaye de Westminster, à Londres ;
Mathilde est à son tour couronnée deux ans plus tard.
Un réformateur hardi
Le
nouveau souverain a beaucoup de mal à imposer sa domination sur
l'Angleterre, alors peuplée d'environ deux millions d'hommes de toutes
origines : Celtes, Anglo-saxons, Danois, Normands...(l'Angleterre en
compte aujourd'hui près de 60 millions).
Il
commence par construire une puissante forteresse sur les bords de la
Tamise pour maintenir ses nouveaux sujets dans l'obéissance : l'actuelle
Tour de Londres ! Il impose aussi une loi commune («Common Law») à l'ensemble de ses sujets et divise le pays en comtés ou «shires». Il en confie l'administration à des officiers royaux ou«sheriffs».
Guillaume
ordonne par ailleurs un recensement des terres pour faciliter la
collecte des impôts. Ce recensement, le premier du genre, est conservé
dans un document célèbre, le «Doomsday Book» (en vieil anglais : le Livre du jugement dernier).
Ce registre a été ainsi baptisé parce que l'on considérait qu'il était
impossible de dissimuler quoi que ce soit aux enquêteurs... comme ce
sera le cas au jour du Jugement dernier !
Les
conquérants normands, au nombre d'une dizaine de milliers seulement, se
partagent les seigneuries anglaises. Ils éliminent la noblesse issue
des précédents envahisseurs, les Angles et les Saxons, et ils
introduisent leur langue d'adoption, le français. Unies et protégées par
leur insularité, les différentes populations du royaume ne vont pas
tarder à fusionner en un seul peuple.
Amère vieillesse
Le roi Guillaume (en anglais William)
aura une fin de vie difficile... Veuf et privé du soutien de Mathilde,
la seule femme qu'il ait jamais aimée, il doit faire face à de multiples
séditions, y compris celle de son fils aîné Robert Courteheuse.
Celui-ci s'irrite que la couronne d'Angleterre ait été promise à son
frère puîné, Guillaume le Roux (ou Guillaume Rufus), le préféré de Guillaume.
Pressé
de recueillir la Normandie et le Maine, ses héritages, Robert combat
son propre père avec l'opportun concours du capétien Philippe 1er.
C'est
ainsi que Guillaume le Conquérant meurt en 1087 en combattant le roi de
France, suite à une glissade de son cheval. Il est enterré dans la
discrétion à Saint-Étienne de Caen, l'abbaye de son conseiller Lanfranc,
un éminent théologien originaire d'Italie devenu après la conquête
archevêque de Cantorbéry.
Avec
la fin de Guillaume débute une longue hostilité entre la France et
l'Angleterre : pendant plus de 700 ans, les deux royaumes ne cesseront
pratiquement jamais de lutter l'un contre l'autre.
Une succession agitée
Guillaume sera, après sa mort, surnommé le Conquérant
mais lui-même refusait ce surnom car il se considérait comme l'héritier
légitime de la couronne anglaise et non comme un usurpateur ou un
conquérant.
Sa descendance directe règnera brièvement sur l'Angleterre.
Le
roi Guillaume II le Roux, encore célibataire, a du mal à s'imposer face
aux barons. Après la mort de Lanfranc, il laisse vacant l'archevêché de
Cantorbéry de même que maints autres sièges ecclésiastiques. Cela lui
permet de s'en approprier les revenus. Face à la pression du clergé et
du pape, il consent pour finir à nommer à la tête de l'archevêché un
disciple de Lanfranc, l'abbé de Bec-Hallouin, Anselme, un saint homme
qui sera plus tard canonisé.
Les
relations entre l'archevêque et le roi se tendent très vite. Guillaume
le Roux est tué le 2 août 1100 d'une flèche au cours d'une chasse,
peut-être à l'instigation du troisième fils du Conquérant, Henri Beauclerc. Celui-ci devient roi d'Angleterre au nez et à la barbe de l'aîné, Robert Courteheuse, parti à la croisade.
En
1106, le roi Henri Beauclerc trouve moyen d'enlever aussi à son frère
le duché de Normandie. Mais il a le malheur de perdre ses propres fils
dans le naufrage de la Blanche Nef,
à la Noël 1120. À sa mort, le 1er décembre 1135, il lègue la couronne
d'Angleterre à sa fille Mathilde mais elle est contestée par un cousin
de celle-ci, Étienne de Blois. Il s'ensuit quinze ans d'anarchie avant qu'Étienne ne se résigne à désigner comme héritier le fils de Mathilde, Henri II Plantagenêt. Celui-ci ceint la couronne le 19 décembre 1154.
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