mardi 18 septembre 2012

Le premier “Grand Jeu” entre Russes et Anglais

Dès la fin du XVIIIe siècle, l'Afghanistan se trouve au cœur du “Grand Jeu” qui oppose Russes et Anglais pour le contrôle de l'Eurasie. Description.
Fondateurs au XIIe siècle du sulta­nat de Delhi, les Pachtounes, qui ont encaissé ensuite le choc des invasions mongole et turco-mon­gole, ont réussi à s'imposer de nouveau en Inde du Nord, jusqu'au Bengale, à la fin du XVe siècle. Cependant, Babûr, le fondateur de l'empire moghol devenu le maître de Kaboul et de Kandahar, détruit la puissance afghane en Inde. Au cours des 2 siècles suivants, le ter­ritoire afghan est progressivement partagé entre Moghols et Safavides qui, sur place, s'ap­puient sur des clientèles respectives. Mais le chef des Khattak, Khosh-Hâl, entre en conflit avec le maître de l'Inde. Une révolte générale soulève les montagnes afghanes. Elle aboutit, au cours des années 1670, à la défaite des armées mogholes. C'est à partir de ce conflit que s'affirme la puissance pach­toune. Celle-ci va bientôt profiter du déclin de l'empire moghol (Aureng Zeb meurt en 1707) et de l'affaiblissement des Safavides, qui encouragent Kandahar et Hérat à se rebeller contre le pouvoir persan. Le vide politique qui s'installe en Perse et en Inde après 1732 favo­rise la naissance d'un véritable État pach­toune. Ahmed Abdali devient — avec le titre de “Dorrané Dorràn” (“La perle des perles”) — roi d'Afghanistan, après avoir écrasé ses rivaux Ghilzaï et assuré ainsi la domination des Dorrani. Aliined fonde ensuite un empire, qui s'étend de Meshed, en Iran oriental, jus­qu'au Cachemire. Il conduit de nombreuses expéditions victorieuses contre les Mahrattes du subcontinent et les Sikhs, qui ont installé dans le Pendjab une puissante principauté.
Quand Ahmed meurt, en 1772, son royaume inclut le territoire de l'actuel Pakis­tan. C'est son successeur — Timour, dont le règne dure jusqu'en 1793 — qui installe sa capitale à Kaboul. Les divisions qui affectent ensuite le clan royal font que Hérat prend son indépendance et que les Sikhs l'emportent à l'est, refoulant vers sa forteresse montagneuse la puissance pachtoune.
C'est aussi à partir de ce moment, alors que s'affrontent Shah Shodjâ, le petit-fils d'Ah­med le Grand, et son rival Dost Mohammad, que se met en place autour de l'Afghanistan la rivalité anglo-russe, résumée dans la célèbre formule du “Grand Jeu” censé donner à l'une ou à l'autre de ces 2 puissances la maîtrise de l'Eurasie et, par là même, de l'ensemble du monde. Cet affrontement va déterminer pour longtemps l'histoire de la montagne afghane.
Vice-roi des Indes de 1899 à 1906, Lord Curzon a résumé cet affrontement en ces termes :
« Turkestan, Afghanistan, Transcas­pienne, Perse, pour beaucoup de gens, de tels noms évoquent seulement un mystérieux loin­tain, le souvenir d'aventures étranges, une tra­dition romanesque désuète. Pour moi, je l'avoue, il s'agit là des pièces d'un échiquier sur lequel se dispute la partie pour la domination du monde ».
Depuis la fin du XVIIIe siècle, la Russie des tsars a en effet entamé une poussée vers le sud, vers les mers chaudes, qui lui apparaît indis­pensable à son affirmation comme puissance globale. Les armées russes ont ainsi conquis le Caucase, subjugué l'Asie centrale jusqu'aux frontières perses et aux confins himalayens, poussé également vers l'Extrême-Orient, au sud du fleuve Amour, pour s'ouvrir l'accès au Pacifique central, à la Corée et à la Chine. Face à cette entreprise, l'Angleterre verrouille les détroits turcs, développe son influence en Perse et surveille la frontière du nord-ouest d'où peut venir, à partir des passes de Khyber, le danger pour l'Inde. Le contrôle de Kaboul constitue donc, dans cette perspective, un enjeu stratégique majeur.
Les dirigeants anglais sont pourtant parta­gés quant à l'attitude à adopter, car les libéraux ne sont guère convaincus par l'analyse géostra­tégique qui commande le Great Game cher à Kipling. Gladstone parle de « sornettes » et Lord Argyll affirme que la progression de la Russie, puissance européenne, « sert les intérêts de l'Hu­manité ». À l'inverse, Sir Randolph Churchill, le père de Winston, considère que « plus forte sera la Russie en Asie centrale, plus faible sera la souveraineté britannique sur l'Inde ».
Du côté russe, le général Ignatiev, attaché militaire à Londres, avance pour sa part que « en cas de conflit avec l'Angleterre, il n'y a qu'en Asie que nous serons en mesure de lutter contre elle avec quelque chance de succès de l'affaiblir ». Dans cette confrontation, la Russie dispose de solides atouts : la continuité territoriale qui caractérise son empire eurasien, la liberté d'initiative dont elle dispose du fait de son régime autocratique, enfin le faible peuple­ment du Turkestan russe, ce qui constitue une garantie de sécurité sur les arrières du front de colonisation.
À l'inverse, la Grande-Bretagne doit comp­ter, malgré sa puissance navale, avec la dis­tance qui, même après le percement de l'isthme de Suez, la sépare des Indes, sur le fait que — dans un espace indien qu'elle parvient certes à contrôler mais où le rapport des forces peut évoluer — sa posture est avant tout défen­sive. Elle doit compter aussi avec son régime parlementaire qui peut menacer, sur le long terme, les poli­tiques et les stratégies nécessaires.
La tension entre les 2 grands rivaux se précise à la fin des années 1830, au moment où un officier anglais défend Hérat contre une coalition russo-persane. C'est dans ce contexte tendu que l'arrivée à Kaboul de l'of­ficier russe Vitkévitch, favorablement accueilli par Dost Mohammad, suscite les plus vives inquiétudes chez les responsables de l'Inde anglaise. L'échec de l'ambassade confiée à Alexander Burnes conduit alors les Anglais à occuper la capitale afghane pour y rétablir Shah Shodja, le rival malheureux de l'émir accusé de favoriser les Russes. Les maladresses du résident anglais William MacNaghten jetant de l'huile sur le feu, le soulèvement est général, sous la direction d'Akbar, le fils de Dost Mohammad, et entraîne le déclenche­ment de la première guerre anglo-afghane.
C'est dans ces conditions, en janvier 1842, que le général Elphinstone décide d'évacuer Kaboul et entame une retraite qui va se trans­former en un véritable calvaire pour ses troupes. 16.000 hommes — parmi lesquels ceux des importants contingents indiens peu préparés à combattre dans le froid glacial de la montagne afghane — sont tous massacrés et un seul militaire, le chirurgien Brydon, par­vient à Jalalabad pour y annoncer le désastre. Les Anglais ne peuvent rester sur cet échec et un corps expéditionnaire reprend Kaboul au printemps, mais la leçon a été comprise à Londres. Dost Mohammad est rétabli sur le trône, avec l'engagement de s'éloigner de la Russie, en échange d'importants subsides anglais.
Bloquée pour un temps à l'issue de la guerre de Crimée [1853-1856], du côté de la mer Noire, la Russie poursuit son avance en Asie centrale où Bou­khara et Khiva deviennent alors des émirats “protégés”. En 1878 — alors que le Congrès de Berlin, qui fait suite à une nouvelle guerre russo-turque, bloque de nouveau les ambi­tions du tsar en direction des Balkans et des détroits — une mission russe est reçue à Kaboul par l'émir Sher AIi, ce qui déclenche une réaction immédiate des Anglais venus occuper Kaboul. C'est le premier épisode d'une deuxième guerre anglo-afghane.
Par le traité de Gandamak, signé en 1879, l'émir Yakoub, qui n'a pas appelé les tribus au soulèvement, cède aux Anglais les territoires tribaux de Peshawar, mais la population de Kaboul s'insurge et massacre la garnison anglaise. Il faut alors la campagne conduite par Lord Roberts pour reprendre la ville et impo­ser l'abdication à Yacoub, finalement déporté en Inde. La lutte conti­nue puisque le fils de Sher Ali, Ayub Khan, bat les Anglais du général Burrows près de Kandahar. Les Bri­tanniques installent alors sur le trône Abd er Rahman, un rival d'Ayub Khan, mais cherchent surtout, alors que vient de chuter le gouvernement conservateur de Disraëli, à calmer le jeu en évacuant le pays.
Des négociations anglo-russes aboutissent en 1891 à la fixation de la frontière russo­-afghane (avec le curieux tracé de la “péninsule du Wakhan”, séparant Inde anglaise et Turkes­tan russe). Puis, en 1893, Abd er Rahman et Mortimer Durand établissent sur les monts Suleiman la frontière entre l'Afghanistan et l’empire britannique des Indes, confirmant ainsi la perte définitive des territoires pach­tounes de Peshawar. Abd er Rahman conquiert alors en revanche le Nouristan et convertit de force à l'islam les populations demeurées païennes. Entamé en 1901, le règne de son fils Habibollah — qui durera jusqu'en 1919 — ouvre un XXe siècle qui aurait pu être pour l'Afgha­nistan celui d'une éventuelle modernisation, que semblait annoncer l'introduction de automobile et de l'imprimerie. La période voit en effet plusieurs bouleversements majeurs : la victoire en 1905 du Japon sur la Russie, que certains interprètent comme le signal d'un réveil de l'Asie, l'accord anglo-russe qui précise en 1907 l'étendue des zones d'influence des 2 empires en Perse et en Asie centrale, la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle l'Afghanistan demeure neutre, enfin la révolution russe de 1917.
durand10.jpg[Ci-contre : la ligne Durand, nom donné à la frontière entre Afghanistan et Pakistan, établie le 12 novembre 1893 par un accord entre l'émir Abdur Rahman Khan et sir Mortimer Durand pour l'Empire britannique. Elle divise artificiellement des tribus pachtounes qui partagent la même langue et la même organisation sociale. Le gouvernement afghan n'a jamais reconnu cette ligne comme frontière]
Le Turkestan russe semble alors plongé dans l'incertitude quant à son avenir. Les bol­cheviques ont initialement promis l'autodé­termination aux minorités du défunt empire des tsars, mais refusé ensuite d'entendre leurs revendications. Au même moment, des troupes anglo-indiennes venues de Perse occupent Ackhabad dans le Turkmenistan. C’est alors qu'Habibollah est assassiné par un nationaliste afghan antibritannique venu de Tachkent. Le second fils de l'émir, Amanollah, prend le pouvoir après avoir écarté son frère et son oncle, l'assassin de son père étant à peine inquiété. Dès le 1er mars 1919, Amanollah dénonce la sujétion imposée de fait par les Britanniques et proclame l'indépendance complète de l'Afghanistan, quelques jours avant que la nouvelle Russie soviétique ne dénonce les accords anglo-russes. Des rela­tions diplomatiques sont alors établies entre Kaboul et le régime bolchevique, au moment où l'Angleterre s'inquiète de l'agitation natio­naliste qui gagne l'Inde, où est perpétré, le 13 avril, le massacre d'Amritsar. Quelques semaines plus tard, des incursions afghanes dans les territoires tribaux du nord-ouest conduisent au déclenchement de la troisième guerre anglo-afghane (3-28 mai 1919). Les bombardements aériens visant Kaboul et Djalalabad obligent rapidement les Afghans à demander l'armistice.
Signé le 8 août 1919 (date retenue depuis pour la célébration de la fête nationale), le traité de Rawalpindi reconnaît l'entière souveraineté de Kaboul alors que Amanollah substitue le titre de shah à celui, plus modeste, d'émir. Il conclut ensuite, en septembre 1920, un traité avec les Soviétiques, qui fournissent une aide aérienne et installent 5 consulats en Afgha­nistan. Reconnu par les États-Unis, le gouver­nement afghan établit des relations avec la Tur­quie, la Perse, la France, l'Italie et l'Allemagne mais, globalement, les années 1919-1921 sem­blent se conclure sur un succès soviétique.
S'inspirant du modèle kémaliste turc, bien­tôt repris par Reza Shah en Perse, Amanollah lance un ambitieux programme de moderni­sation du pays qui s'appuie sur la mince couche sociale supérieure que constituent les élites occidentalisées. Trois lycées sont ainsi créés à Kaboul (un lycée de filles verra le jour dans les années 1940) qui assurent l'ouverture sur l'extérieur et préparent des coopérations culturelles prometteuses, notamment avec la France, dont les archéologues jouent alors un rôle majeur dans la redécouverte du passé antique de la région. La monarchie semble donc en mesure de conforter l'État face à l'anarchie tribale traditionnelle, de porter le nationalisme afghan et d'incarner un projet de modernisation de la société. Pourtant, les réformes engagées au pas de charge se heur­tent rapidement à l'opposition d'une popu­lation rurale demeurée très rétive au changement, qui voit dans l'occidentalisation en cours une rupture insupportable avec son héritage religieux et culturel.
Désireux de transformer une société bien éloignée du degré d'évolution qui était celui de la société ottomane au sortir de la Première Guerre mondiale, Amanollah ne peut aller aussi loin que Mustapha Kemal. Et ses nom­breux voyages à l'étranger ne peuvent garan­tir le succès de sa politique réformiste. En 1929, la révolte est générale et le roi doit fuir Kaboul pour se réfugier à Kandahar. Un bandit tadjik, Batcha-Saqao, s'empare alors de la capitale où il se proclame émir, mais les Pachtounes s'insurgent. Derrière le général Nâder — qui recrute une partie de ses troupes dans les tribus installées du côté anglais dé la frontière indo-afghane — ils reprennent Kaboul à l'usurpateur. En octobre, Nâder est reconnu comme roi et Batcha-Saqao, le Tadjik, est exécuté. Ces événements semblent redonner l'avantage aux Britanniques.
De 1929 à 1933, Nâder rétablit l'État et conserve bon nombre de réformes d'Amanol­lah. Il expulse les conseillers soviétiques mais, tenant d'une stricte neutralité, il refuse de les remplacer par des Anglais. Il est assassiné en novembre 1933.
L'avantage semble demeurer aux Britan­niques quand le fils aîné de Nâder, Zaher Shah, un jeune homme de 18 ans formé au lycée Janson de Sailly, monte sur le trône, qu'il occupera jusqu'en 1973. Les oncles du roi, Hashem jusqu'en 1946, puis Shah Mahmoud jusqu'en 1953, dirigent le pays, qui proclame sa neutralité en 1940. Une première mission américaine se rend à Kaboul en 1942, signe que Washington se prépare à prendre le relais de Londres — dans la poursuite du “Grand Jeu”.
Le refus des Britanniques d'organiser, dans les territoires pachtounes, des frontières du nord-ouest de l'empire des Indes, un référen­dum permettant le rattachement de ces régions à l'Afghanistan, suscite une vive colère à Kaboul. S'installe d'emblée un climat de défiance avec le tout nouveau Pakistan né de la partition du Râj britannique. Il est signifi­catif que l'Afghanistan ait été alors le seul État à voter contre l'entrée du Pakistan à l'ONU. Une opportunité pour l'URSS, qui entend exploiter le mécontentement afghan face à un Pakistan aussitôt rangé dans le camp occiden­tal. Alors que la frontière entre les 2 pays est fermée en 1950, tout le commerce exté­rieur de l'Afghanistan enclavé transite par l'URSS, qui accorde au gouvernement de Kaboul les crédits que lui refuse Washington. La visite effectuée, en décembre 1955, par Khrouchtchev et Boulganine est l'occasion pour Moscou de soutenir les revendications afghanes sur le Pachtounistan pakistanais, et de conclure des accords économiques et mili­taires. Ceux-ci débouchent sur la construction d'un oléoduc soviéto-afghan, la réalisation de voies routières — dont l'une, empruntant le tunnel de Salang inauguré en 1964, reliera Kaboul à Mazar i Sharif au nord de l'Hindou Kouch et, de là, à l'Ouzbékistan soviétique — et la formation en URSS des officiers supérieurs de l'armée afghane.
Eisenhower, qui n'entend pas laisser le champ libre aux Soviétiques, se rend à Kaboul en 1959 avec, lui aussi, des projets routiers, suivi par Khrouchtchev l'année suivante, mais ce dernier ne peut cependant obtenir du Pre­mier ministre Mohammed Daoud, un cousin du roi installé au pouvoir de 1953 à 1963, que des conseillers soviétiques soient présents dans tous les ministères. Dans le même temps, la présence à la tête du Pakistan, de 1958 à 1969, du général Ayub Khan, un dictateur militaire d'origine pachtoune (un Pathan selon le terme les désignant au Pakistan) calme quelque peu l'antagonisme entre les 2 pays.
En mars 1963, le roi Zaher Shah, dont l'autorité était demeurée jusque-là bien sym­bolique, décide d'écarter Daoud dont le neu­tralisme — affirmé dès la conférence de Bandoung de 1955 — a surtout profité à l'URSS. Pendant dix ans, de 1963 à 1973, le “règne personnel” de Zaher Shah correspond au contraire à une plus grande ouverture vers l'Occident. Dès 1959, le port du voile était devenu facultatif pour les femmes. Une Constitution est octroyée en 1964, année qui voit également l'ouverture du tunnel de Salang, ainsi que les débuts d'une activité touristique qui s'an­nonce prometteuse. 1965 voit la fondation du Parti populaire démocratique d'Af­ghanistan (en fait un parti communiste) qui se divise 2 ans plus tard entre 2 ten­dances, le Khalq (le Peuple) et le Partcham (le Drapeau), toutes 2 prosoviétiques (un autre parti communiste, apparaîtra en 1968, réunissant les communistes tadjiks et haza­ras). Nur Mohammed Taraki et Hafizollah Amin sont à la tête du Khalq alors que Babrak Karmal dirige le Partcham, un clivage qui se confond largement avec la rivalité opposant la tribu pachtoune des Ghilzaï à laquelle appartiennent les 2 premiers et le clan royal Dorrani, lui aussi pachtoune, dont est issu Babrak Karmal, un aristocrate, fils de général, alors que ses 2 rivaux sont respec­tivement les enfants d'un modeste fermier et d'un petit fonctionnaire.
Ces divisions prendront tout leur sens à la fin des années 1970... Les ravages accomplis par la sécheresse et la famine, aggravés par la généralisation de la corruption, conduisent, le 16 juillet 1973, au coup d'État organisé par Mohammed Daoud qui, écarté dix ans plus tôt, bénéficie du soutien du parti communiste Khalq. Zaher Shah abdique et part en exil pour l'Italie. La République est proclamée et Daoud en devient le président. Il fait exécuter dans sa cellule un ancien Premier ministre du roi déchu et impose alors, 5 années durant, une dictature brutale qui suscite l'opposition de divers mouvements islamistes dont les diri­geants sont en exil à Peshawar. À l'extérieur, il se rapproche de l'Iran du Shah. Par l'intermé­diaire de son nouvel allié iranien, il se rap­proche du Pakistan, puis de l'Arabie saoudite. Cette évolution inquiète Moscou. Leonid Bre­jnev ne manque pas de le faire savoir lors de la visite qu'effectue Daoud en janvier 1977. Le numéro un soviétique dénonce alors les « conseillers impérialistes » de son interlocu­teur et s'inquiète du rapprochement en cours avec les grandes monarchies pétrolières pro­-occidentales du Golfe, démesurément enri­chies à partir du premier choc pétrolier survenu en 1973.
Le 5 juillet 1977, le succès du coup d'État organisé au Pakistan par le général Zia ul Haq — qui s'appuie, avec la bénédiction de Washington, sur les mouvements islamistes fondamentalistes — confirme les inquiétudes déjà manifestées à Moscou. Les jours de Daoud sont désormais comptés, d'autant que les 2 partis communistes rivaux se sont réconciliés en juillet 1977. Le 17 avril 1978, l'assassinat par des inconnus d'un idéologue communiste mobilise de nombreux mani­festants qui accusent la CIA. Daoud réagit en faisant arrêter les responsables du mou­vement, mais, le 27 avril, un coup d'État communiste ne ren­contre guère de résistance. Daoud est assas­siné avec toute sa famille et Nur Mohammed Taraki se proclame président le 30 avril. Son gouvernement est immédiatement reconnu par l'URSS. Pour l'un des proches du prési­dent américain Jimmy Carter, « l'URSS a gagné le Grand Jeu ». Dix ans après l'interven­tion à Prague du pacte de Varsovie, le carac­tère que l'on dit “irréversible” des “conquêtes du socialisme” semble confirmer le jugement pessimiste formulé par ce responsable améri­cain. Mais l'histoire déjoue régulièrement les analyses apparemment les mieux fondées. Et c'est un tout autre avenir, ô combien drama­tique, qui attend alors la “montagne rebelle”.
► Philippe Conrad, NRH n°49, été 2010. http://www.archiveseroe.eu
◘ Pour prolonger : « Eurasisme et atlantisme » (RS)

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