Dès
la fin du XVIIIe siècle, l'Afghanistan se trouve au cœur du “Grand Jeu”
qui oppose Russes et Anglais pour le contrôle de l'Eurasie.
Description.
Fondateurs
au XIIe siècle du sultanat de Delhi, les Pachtounes, qui ont encaissé
ensuite le choc des invasions mongole et turco-mongole, ont réussi à
s'imposer de nouveau en Inde du Nord, jusqu'au Bengale, à la fin du XVe
siècle. Cependant, Babûr, le fondateur de l'empire moghol devenu le
maître de Kaboul et de Kandahar, détruit la puissance afghane en Inde.
Au cours des 2 siècles suivants, le territoire afghan est
progressivement partagé entre Moghols et Safavides qui, sur place,
s'appuient sur des clientèles respectives. Mais le chef des Khattak,
Khosh-Hâl, entre en conflit avec le maître de l'Inde. Une révolte
générale soulève les montagnes afghanes. Elle aboutit, au cours des
années 1670, à la défaite des armées mogholes. C'est à partir de ce
conflit que s'affirme la puissance pachtoune. Celle-ci va bientôt
profiter du déclin de l'empire moghol (Aureng Zeb meurt en 1707) et de
l'affaiblissement des Safavides, qui encouragent Kandahar et Hérat à se
rebeller contre le pouvoir persan. Le vide politique qui s'installe en
Perse et en Inde après 1732 favorise la naissance d'un véritable État
pachtoune. Ahmed Abdali devient — avec le titre de “Dorrané Dorràn”
(“La perle des perles”) — roi d'Afghanistan, après avoir écrasé ses
rivaux Ghilzaï et assuré ainsi la domination des Dorrani. Aliined fonde
ensuite un empire, qui s'étend de Meshed, en Iran oriental, jusqu'au
Cachemire. Il conduit de nombreuses expéditions victorieuses contre les
Mahrattes du subcontinent et les Sikhs, qui ont installé dans le Pendjab
une puissante principauté.
Quand
Ahmed meurt, en 1772, son royaume inclut le territoire de l'actuel
Pakistan. C'est son successeur — Timour, dont le règne dure jusqu'en
1793 — qui installe sa capitale à Kaboul. Les divisions qui affectent
ensuite le clan royal font que Hérat prend son indépendance et que les
Sikhs l'emportent à l'est, refoulant vers sa forteresse montagneuse la
puissance pachtoune.
C'est
aussi à partir de ce moment, alors que s'affrontent Shah Shodjâ, le
petit-fils d'Ahmed le Grand, et son rival Dost Mohammad, que se met en
place autour de l'Afghanistan la rivalité anglo-russe, résumée dans la
célèbre formule du “Grand Jeu”
censé donner à l'une ou à l'autre de ces 2 puissances la maîtrise de
l'Eurasie et, par là même, de l'ensemble du monde. Cet affrontement va
déterminer pour longtemps l'histoire de la montagne afghane.
Vice-roi des Indes de 1899 à 1906, Lord Curzon a résumé cet affrontement en ces termes :
« Turkestan, Afghanistan, Transcaspienne, Perse, pour beaucoup de gens, de tels noms évoquent seulement un mystérieux lointain, le souvenir d'aventures étranges, une tradition romanesque désuète. Pour moi, je l'avoue, il s'agit là des pièces d'un échiquier sur lequel se dispute la partie pour la domination du monde ».
Depuis
la fin du XVIIIe siècle, la Russie des tsars a en effet entamé une
poussée vers le sud, vers les mers chaudes, qui lui apparaît
indispensable à son affirmation comme puissance globale. Les armées
russes ont ainsi conquis le Caucase, subjugué l'Asie centrale jusqu'aux
frontières perses et aux confins himalayens, poussé également vers
l'Extrême-Orient, au sud du fleuve Amour, pour s'ouvrir l'accès au
Pacifique central, à la Corée et à la Chine. Face à cette entreprise,
l'Angleterre verrouille les détroits turcs, développe son influence en
Perse et surveille la frontière du nord-ouest d'où peut venir, à partir
des passes de Khyber, le danger pour l'Inde. Le contrôle de Kaboul
constitue donc, dans cette perspective, un enjeu stratégique majeur.
Les
dirigeants anglais sont pourtant partagés quant à l'attitude à
adopter, car les libéraux ne sont guère convaincus par l'analyse
géostratégique qui commande le Great Game cher à Kipling.
Gladstone parle de « sornettes » et Lord Argyll affirme que la
progression de la Russie, puissance européenne, « sert les intérêts de
l'Humanité ». À l'inverse, Sir Randolph Churchill, le père de Winston,
considère que « plus forte sera la Russie en Asie centrale, plus faible
sera la souveraineté britannique sur l'Inde ».
Du
côté russe, le général Ignatiev, attaché militaire à Londres, avance
pour sa part que « en cas de conflit avec l'Angleterre, il n'y a qu'en
Asie que nous serons en mesure de lutter contre elle avec quelque chance
de succès de l'affaiblir ». Dans cette confrontation, la Russie dispose
de solides atouts : la continuité territoriale qui caractérise son
empire eurasien, la liberté d'initiative dont elle dispose du fait de
son régime autocratique, enfin le faible peuplement du Turkestan russe,
ce qui constitue une garantie de sécurité sur les arrières du front de
colonisation.
À
l'inverse, la Grande-Bretagne doit compter, malgré sa puissance
navale, avec la distance qui, même après le percement de l'isthme de
Suez, la sépare des Indes, sur le fait que — dans un espace indien
qu'elle parvient certes à contrôler mais où le rapport des forces peut
évoluer — sa posture est avant tout défensive. Elle doit compter aussi
avec son régime parlementaire qui peut menacer, sur le long terme, les
politiques et les stratégies nécessaires.
La
tension entre les 2 grands rivaux se précise à la fin des années 1830,
au moment où un officier anglais défend Hérat contre une coalition
russo-persane. C'est dans ce contexte tendu que l'arrivée à Kaboul de
l'officier russe Vitkévitch, favorablement accueilli par Dost Mohammad,
suscite les plus vives inquiétudes chez les responsables de l'Inde
anglaise. L'échec de l'ambassade confiée à Alexander Burnes conduit
alors les Anglais à occuper la capitale afghane pour y rétablir Shah
Shodja, le rival malheureux de l'émir accusé de favoriser les Russes.
Les maladresses du résident anglais William MacNaghten jetant de l'huile
sur le feu, le soulèvement est général, sous la direction d'Akbar, le
fils de Dost Mohammad, et entraîne le déclenchement de la première
guerre anglo-afghane.
C'est
dans ces conditions, en janvier 1842, que le général Elphinstone décide
d'évacuer Kaboul et entame une retraite qui va se transformer en un
véritable calvaire pour ses troupes. 16.000 hommes — parmi lesquels ceux
des importants contingents indiens peu préparés à combattre dans le
froid glacial de la montagne afghane — sont tous massacrés et un seul
militaire, le chirurgien Brydon, parvient à Jalalabad pour y annoncer
le désastre. Les Anglais ne peuvent rester sur cet échec et un corps
expéditionnaire reprend Kaboul au printemps, mais la leçon a été
comprise à Londres. Dost Mohammad est rétabli sur le trône, avec
l'engagement de s'éloigner de la Russie, en échange d'importants
subsides anglais.
Bloquée pour un temps à l'issue de la guerre de Crimée
[1853-1856], du côté de la mer Noire, la Russie poursuit son avance en
Asie centrale où Boukhara et Khiva deviennent alors des émirats
“protégés”. En 1878 — alors que le Congrès de Berlin, qui fait suite à
une nouvelle guerre russo-turque, bloque de nouveau les ambitions du
tsar en direction des Balkans et des détroits — une mission russe est
reçue à Kaboul par l'émir Sher AIi, ce qui déclenche une réaction
immédiate des Anglais venus occuper Kaboul. C'est le premier épisode
d'une deuxième guerre anglo-afghane.
Par
le traité de Gandamak, signé en 1879, l'émir Yakoub, qui n'a pas appelé
les tribus au soulèvement, cède aux Anglais les territoires tribaux de
Peshawar, mais la population de Kaboul s'insurge et massacre la garnison
anglaise. Il faut alors la campagne conduite par Lord Roberts pour
reprendre la ville et imposer l'abdication à Yacoub, finalement déporté
en Inde. La lutte continue puisque le fils de Sher Ali, Ayub Khan, bat
les Anglais du général Burrows près de Kandahar. Les Britanniques
installent alors sur le trône Abd er Rahman, un rival d'Ayub Khan, mais
cherchent surtout, alors que vient de chuter le gouvernement
conservateur de Disraëli, à calmer le jeu en évacuant le pays.
Des
négociations anglo-russes aboutissent en 1891 à la fixation de la
frontière russo-afghane (avec le curieux tracé de la “péninsule du
Wakhan”, séparant Inde anglaise et Turkestan russe). Puis, en 1893, Abd
er Rahman et Mortimer Durand établissent sur les monts Suleiman la
frontière entre l'Afghanistan et l’empire britannique des Indes,
confirmant ainsi la perte définitive des territoires pachtounes de
Peshawar. Abd er Rahman conquiert alors en revanche le Nouristan et
convertit de force à l'islam les populations demeurées païennes. Entamé
en 1901, le règne de son fils Habibollah — qui durera jusqu'en 1919 —
ouvre un XXe siècle qui aurait pu être pour l'Afghanistan celui d'une
éventuelle modernisation, que semblait annoncer l'introduction de
automobile et de l'imprimerie. La période voit en effet plusieurs
bouleversements majeurs : la victoire en 1905 du Japon
sur la Russie, que certains interprètent comme le signal d'un réveil de
l'Asie, l'accord anglo-russe qui précise en 1907 l'étendue des zones
d'influence des 2 empires en Perse et en Asie centrale, la Première
Guerre mondiale, au cours de laquelle l'Afghanistan demeure neutre,
enfin la révolution russe de 1917.
[Ci-contre
: la ligne Durand, nom donné à la frontière entre Afghanistan et
Pakistan, établie le 12 novembre 1893 par un accord entre l'émir Abdur
Rahman Khan et sir Mortimer Durand pour l'Empire britannique. Elle
divise artificiellement des tribus pachtounes qui partagent la même
langue et la même organisation sociale. Le gouvernement afghan n'a
jamais reconnu cette ligne comme frontière]
Le
Turkestan russe semble alors plongé dans l'incertitude quant à son
avenir. Les bolcheviques ont initialement promis l'autodétermination
aux minorités du défunt empire des tsars, mais refusé ensuite d'entendre
leurs revendications. Au même moment, des troupes anglo-indiennes
venues de Perse occupent Ackhabad dans le Turkmenistan. C’est alors
qu'Habibollah est assassiné par un nationaliste afghan antibritannique
venu de Tachkent. Le second fils de l'émir, Amanollah, prend le pouvoir
après avoir écarté son frère et son oncle, l'assassin de son père étant à
peine inquiété. Dès le 1er mars 1919, Amanollah dénonce la sujétion
imposée de fait par les Britanniques et proclame l'indépendance complète
de l'Afghanistan, quelques jours avant que la nouvelle Russie
soviétique ne dénonce les accords anglo-russes. Des relations
diplomatiques sont alors établies entre Kaboul et le régime bolchevique,
au moment où l'Angleterre s'inquiète de l'agitation nationaliste qui
gagne l'Inde, où est perpétré, le 13 avril, le massacre d'Amritsar.
Quelques semaines plus tard, des incursions afghanes dans les
territoires tribaux du nord-ouest conduisent au déclenchement de la
troisième guerre anglo-afghane (3-28 mai 1919). Les bombardements
aériens visant Kaboul et Djalalabad obligent rapidement les Afghans à
demander l'armistice.
Signé
le 8 août 1919 (date retenue depuis pour la célébration de la fête
nationale), le traité de Rawalpindi reconnaît l'entière souveraineté de
Kaboul alors que Amanollah substitue le titre de shah à celui, plus
modeste, d'émir. Il conclut ensuite, en septembre 1920, un traité avec
les Soviétiques, qui fournissent une aide aérienne et installent 5
consulats en Afghanistan. Reconnu par les États-Unis, le gouvernement
afghan établit des relations avec la Turquie, la Perse, la France,
l'Italie et l'Allemagne mais, globalement, les années 1919-1921
semblent se conclure sur un succès soviétique.
S'inspirant
du modèle kémaliste turc, bientôt repris par Reza Shah en Perse,
Amanollah lance un ambitieux programme de modernisation du pays qui
s'appuie sur la mince couche sociale supérieure que constituent les
élites occidentalisées. Trois lycées sont ainsi créés à Kaboul (un lycée
de filles verra le jour dans les années 1940) qui assurent l'ouverture
sur l'extérieur et préparent des coopérations culturelles prometteuses,
notamment avec la France, dont les archéologues jouent alors un rôle
majeur dans la redécouverte du passé antique de la région. La monarchie
semble donc en mesure de conforter l'État face à l'anarchie tribale
traditionnelle, de porter le nationalisme afghan et d'incarner un projet
de modernisation de la société. Pourtant, les réformes engagées au pas
de charge se heurtent rapidement à l'opposition d'une population
rurale demeurée très rétive au changement, qui voit dans
l'occidentalisation en cours une rupture insupportable avec son héritage
religieux et culturel.
Désireux
de transformer une société bien éloignée du degré d'évolution qui était
celui de la société ottomane au sortir de la Première Guerre mondiale,
Amanollah ne peut aller aussi loin que Mustapha Kemal. Et ses nombreux
voyages à l'étranger ne peuvent garantir le succès de sa politique
réformiste. En 1929, la révolte est générale et le roi doit fuir Kaboul
pour se réfugier à Kandahar. Un bandit tadjik, Batcha-Saqao, s'empare
alors de la capitale où il se proclame émir, mais les Pachtounes
s'insurgent. Derrière le général Nâder — qui recrute une partie de ses
troupes dans les tribus installées du côté anglais dé la frontière
indo-afghane — ils reprennent Kaboul à l'usurpateur. En octobre, Nâder
est reconnu comme roi et Batcha-Saqao, le Tadjik, est exécuté. Ces
événements semblent redonner l'avantage aux Britanniques.
De
1929 à 1933, Nâder rétablit l'État et conserve bon nombre de réformes
d'Amanollah. Il expulse les conseillers soviétiques mais, tenant d'une
stricte neutralité, il refuse de les remplacer par des Anglais. Il est
assassiné en novembre 1933.
L'avantage
semble demeurer aux Britanniques quand le fils aîné de Nâder, Zaher
Shah, un jeune homme de 18 ans formé au lycée Janson de Sailly, monte
sur le trône, qu'il occupera jusqu'en 1973. Les oncles du roi, Hashem
jusqu'en 1946, puis Shah Mahmoud jusqu'en 1953, dirigent le pays, qui
proclame sa neutralité en 1940. Une première mission américaine se rend à
Kaboul en 1942, signe que Washington se prépare à prendre le relais de
Londres — dans la poursuite du “Grand Jeu”.
Le
refus des Britanniques d'organiser, dans les territoires pachtounes,
des frontières du nord-ouest de l'empire des Indes, un référendum
permettant le rattachement de ces régions à l'Afghanistan, suscite une
vive colère à Kaboul. S'installe d'emblée un climat de défiance avec le
tout nouveau Pakistan né de la partition du Râj britannique. Il est
significatif que l'Afghanistan ait été alors le seul État à voter
contre l'entrée du Pakistan à l'ONU. Une opportunité pour l'URSS, qui
entend exploiter le mécontentement afghan face à un Pakistan aussitôt
rangé dans le camp occidental. Alors que la frontière entre les 2 pays
est fermée en 1950, tout le commerce extérieur de l'Afghanistan enclavé
transite par l'URSS, qui accorde au gouvernement de Kaboul les crédits
que lui refuse Washington. La visite effectuée, en décembre 1955, par
Khrouchtchev et Boulganine est l'occasion pour Moscou de soutenir les
revendications afghanes sur le Pachtounistan pakistanais, et de conclure
des accords économiques et militaires. Ceux-ci débouchent sur la
construction d'un oléoduc soviéto-afghan, la réalisation de voies
routières — dont l'une, empruntant le tunnel de Salang inauguré en 1964,
reliera Kaboul à Mazar i Sharif au nord de l'Hindou Kouch et, de là, à
l'Ouzbékistan soviétique — et la formation en URSS des officiers
supérieurs de l'armée afghane.
Eisenhower,
qui n'entend pas laisser le champ libre aux Soviétiques, se rend à
Kaboul en 1959 avec, lui aussi, des projets routiers, suivi par
Khrouchtchev l'année suivante, mais ce dernier ne peut cependant obtenir
du Premier ministre Mohammed Daoud, un cousin du roi installé au
pouvoir de 1953 à 1963, que des conseillers soviétiques soient présents
dans tous les ministères. Dans le même temps, la présence à la tête du
Pakistan, de 1958 à 1969, du général Ayub Khan, un dictateur militaire
d'origine pachtoune (un Pathan selon le terme les désignant au Pakistan)
calme quelque peu l'antagonisme entre les 2 pays.
En
mars 1963, le roi Zaher Shah, dont l'autorité était demeurée jusque-là
bien symbolique, décide d'écarter Daoud dont le neutralisme — affirmé
dès la conférence de Bandoung de 1955 — a surtout profité à l'URSS.
Pendant dix ans, de 1963 à 1973, le “règne personnel” de Zaher Shah
correspond au contraire à une plus grande ouverture vers l'Occident. Dès
1959, le port du voile était devenu facultatif pour les femmes. Une
Constitution est octroyée en 1964, année qui voit également
l'ouverture du tunnel de Salang, ainsi que les débuts d'une activité
touristique qui s'annonce prometteuse. 1965 voit la fondation du Parti
populaire démocratique d'Afghanistan (en fait un parti communiste) qui
se divise 2 ans plus tard entre 2 tendances, le Khalq (le Peuple) et le
Partcham (le Drapeau), toutes 2 prosoviétiques (un autre parti
communiste, apparaîtra en 1968, réunissant les communistes tadjiks et
hazaras). Nur Mohammed Taraki et Hafizollah Amin sont à la tête du
Khalq alors que Babrak Karmal dirige le Partcham, un clivage qui se
confond largement avec la rivalité opposant la tribu pachtoune des
Ghilzaï à laquelle appartiennent les 2 premiers et le clan royal
Dorrani, lui aussi pachtoune, dont est issu Babrak Karmal, un
aristocrate, fils de général, alors que ses 2 rivaux sont
respectivement les enfants d'un modeste fermier et d'un petit
fonctionnaire.
Ces
divisions prendront tout leur sens à la fin des années 1970... Les
ravages accomplis par la sécheresse et la famine, aggravés par la
généralisation de la corruption, conduisent, le 16 juillet 1973, au coup
d'État organisé par Mohammed Daoud qui, écarté dix ans plus tôt,
bénéficie du soutien du parti communiste Khalq. Zaher Shah abdique et
part en exil pour l'Italie. La République est proclamée et Daoud en
devient le président. Il fait exécuter dans sa cellule un ancien Premier
ministre du roi déchu et impose alors, 5 années durant, une dictature
brutale qui suscite l'opposition de divers mouvements islamistes dont
les dirigeants sont en exil à Peshawar. À l'extérieur, il se rapproche
de l'Iran du Shah. Par l'intermédiaire de son nouvel allié iranien, il
se rapproche du Pakistan, puis de l'Arabie saoudite. Cette évolution
inquiète Moscou. Leonid Brejnev ne manque pas de le faire savoir lors
de la visite qu'effectue Daoud en janvier 1977. Le numéro un soviétique
dénonce alors les « conseillers impérialistes » de son interlocuteur et
s'inquiète du rapprochement en cours avec les grandes monarchies
pétrolières pro-occidentales du Golfe, démesurément enrichies à partir
du premier choc pétrolier survenu en 1973.
Le
5 juillet 1977, le succès du coup d'État organisé au Pakistan par le
général Zia ul Haq — qui s'appuie, avec la bénédiction de Washington,
sur les mouvements islamistes fondamentalistes — confirme les
inquiétudes déjà manifestées à Moscou. Les jours de Daoud sont désormais
comptés, d'autant que les 2 partis communistes rivaux se sont
réconciliés en juillet 1977. Le 17 avril 1978, l'assassinat par des
inconnus d'un idéologue communiste mobilise de nombreux manifestants
qui accusent la CIA. Daoud réagit en faisant arrêter les responsables du
mouvement, mais, le 27 avril, un coup d'État communiste ne rencontre
guère de résistance. Daoud est assassiné avec toute sa famille et Nur
Mohammed Taraki se proclame président le 30 avril. Son gouvernement est
immédiatement reconnu par l'URSS. Pour l'un des proches du président
américain Jimmy Carter, « l'URSS a gagné le Grand Jeu ». Dix ans après
l'intervention à Prague du pacte de Varsovie, le caractère que l'on
dit “irréversible” des “conquêtes du socialisme” semble confirmer le
jugement pessimiste formulé par ce responsable américain. Mais
l'histoire déjoue régulièrement les analyses apparemment les mieux
fondées. Et c'est un tout autre avenir, ô combien dramatique, qui
attend alors la “montagne rebelle”.
► Philippe Conrad, NRH n°49, été 2010. http://www.archiveseroe.eu
◘ Pour prolonger : « Eurasisme et atlantisme » (RS)
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