Manifestation de la Ligue des patriotes le 14 juillet 1912. Au centre Paul Déroulède et Maurice Barrès (respectivement à gauche et à droite).
Paul
Déroulède, homme politique et poète sous la IIIe République, fondateur
et chef de la Ligue des patriotes, est aujourd’hui oublié, y compris
dans les milieux patriotes, alors qu’il fut une figure emblématique du
nationalisme français jusqu’à sa mort en 1914. La mémoire a oublié ce «
premier nationalisme » auquel il se rattache pour le second incarné par
Charles Maurras et Maurice Barrès qui se développa dans les années 1890.
Pourtant, malgré ses contradictions, son intransigeance et une
obstination parfois incompréhensible dans ses erreurs, Déroulède fut un
personnage hardi, sincère, opiniâtre mais sans haine. Au-delà de la
thématique de la Revanche tombée en désuétude, son courage et sa
ténacité qu’il a incarné dans son Quand même ! peuvent interpeller.
I. Le parcours
Paul
Déroulède naît à Paris le 2 septembre 1846, fils d’un père juriste et
catholique convaincu. Le cousin du futur fondateur de la Ligue des
patriotes est Ludovic Trarieux, futur fondateur de la Ligue des Droits
de l’Homme (1898) ! Après une scolarité passable, il obtient son
baccalauréat en lettres en 1863. Son père le pousse à l’inscrire à
l’Ecole de Droit et il y obtient péniblement sa licence en 1868 et
n’aura jamais un seul client au barreau. Il déteste l’Empire et se
décrit alors comme pacifiste, antimilitariste, humanitariste voire
internationaliste. La guerre de 1870 va le bouleverser.
Déroulède
devient soldat quand il apprend la défaite de Reichshoffen. Le 1er
septembre 1870, il reçoit son baptême du feu à la bataille de Bazeilles,
avec son frère André. Ce dernier reçoit une balle prussienne et se
trouve gravement blessé. En allant secourir son frère, il est fait
prisonnier par les Prussiens et envoyé à Breslau. Evadé de sa prison
déguisé en juif polonais, il rentre en France et repart très vite au
combat en sous-lieutenant de tirailleurs algériens (les « turcos »). A
leur tête, il s’illustre par un fait d’armes à Montbéliard qui lui
vaudra la légion d’honneur. Quand, à Marseille, il apprend le
soulèvement des Parisiens, il s’engage sans hésitation du côté des
Versaillais et participe à la Semaine Sanglante pour mater la Commune,
où il faillit perdre un bras sur une barricade. Ayant horreur de
l’anarchie, il n’exprimera jamais le moindre regret pour cet épisode qui
lui sera reproché au cours de sa carrière politique.
La
guerre semble l’avoir converti au patriotisme. Dans ses souvenirs, il
rapporte que le 27 ou le 28 juillet 1870, il croise, près de la
Croix-de-Berny, un vieux paysan dont le fils est soldat et qui lui
demande quand les troupes partiront. Déroulède répond qu’il n’en sait
rien. « Le regard de mépris que me lança cet homme entra dans mes yeux comme un éclair. [...] Je sentis que je venais de manquer à la solidarité qui m’unissait, avant tout et malgré tout, aux hommes de mon pays [...] La cruauté de ma réponse se révéla à moi dans toute sa vilenie. »
Après la paix, il n’a qu’une idée en tête : la Revanche. Il reste dans
l’armée jusqu’à sa démission en 1874, alors handicapé par un accident de
cheval.
Il publie les Chants du soldat en 1872, grand succès (plus de 100.000 exemplaires vendus) dont le Clairon reste le poème le plus connu. Les Nouveaux Chants du soldat (1875), l’Hetman (pièce de théâtre, 1877) et Marches et Sonneries (1881) et La Moabite (pièce de théâtre la même année) connaissent un certain succès mais qui s’essouffle et non comparable aux Chants.
Ses pièces de théâtre sont l’occasion d’exprimer ses idées politiques.
Il fonde sa Ligue des patriotes en 1882, expliquant qu’il faut agir
contre « le flot montant des doctrines cosmopolites, qui désagrègent les Etats » (1885), et dont le journal Le Drapeau
devient le moniteur officiel (Maurice Barrès en sera un des éphémères
directeurs en 1901). Il regroupe républicains, bonapartistes et même
royalistes. Sur le journal figure la devise, répétée jusqu’en 1914 :
« Républicain, bonapartiste, légitimiste, orléaniste, ce ne sont là chez nous que des prénoms. C’est Patriote qui est le nom de famille. »
Jusqu’à
sa mort, il dirigera sa Ligue d’une main de fer, jaloux de son autorité
et peu enclin aux concessions. Purges et démissions forcées se
succéderont pour les membres s’éloignant trop de la ligne déroulédienne.
Ainsi, attaché personnellement à l’amitié anglaise, il purge en 1903 la
Ligue des éléments « anglophobes » à l’occasion de la venue à Paris
d’Edouard VII (l’Entente cordiale devient alors un dogme officiel de la
Ligue).
Déroulède
voue un culte à Gambetta et se réclamera toujours d’un gambettisme
idéalisé. A l’inverse, il entretient une haine féroce à l’égard de Jules
Ferry qui le remplace. S’il se montre favorable aux lois scolaires, il
l’attaque durement sur sa politique coloniale, l’accusant de répandre le
sang français inutilement dans des expéditions lointaines alors que la
priorité est la récupération de l’Alsace-Moselle. En 1882, Déroulède lui
lance sa célèbre réplique :
« J’ai perdu deux enfants et vous m’offrez vingt domestiques. »
A partir de 1888, il se range clairement derrière le général Boulanger « porte-drapeau du parti national ». « Je bois à celui qui nous délivrera des chinoiseries parlementaires et des bavards impuissants [...]
à celui qui nous délivrera de ceux qui se soumettent humblement aux
altières exigences de l’étranger provocateur, après avoir prodigué le
plus pur sang français en expéditions lointaines. » (toast du 9 février 1889). La Ligue a alors à ce moment 25.000 à 40.000 membres dont le dixième est militant (le Drapeau
revendique plus de 100.000 membres, chiffre totalement bidonné). Plus
grand soutien à Boulanger en terme d’effectifs, la Ligue tente de
noyauter les comités boulangistes sans grand succès. Déroulède est élu
député de la Charente en 1889 (jusqu’en 1893) et sera à nouveau député
de 1898 à 1901. La mémoire a surtout gardé comme souvenir de son premier
mandat son duel au pistolet contre Clemenceau, attaqué à la Chambre sur
le scandale du Panama (six balles échangées le 22 décembre 1892 sans
conséquence). Après les déconvenues de Boulanger (fuite en Belgique le
1er avril 1889, échec aux élections d’automne) et son suicide (1891),
Déroulède tente en vain de rassembler l’armée battue sous sa bannière.
Malgré ses échecs, il garde espoir quand même !
Les années 1890 sont marquées par le retour à la poésie et aux pièces de théâtre : Les Chants du paysan en 1894, Messire Du Guesclin en 1895, La Mort de Hoche en 1897 et La Plus Belle Fille du monde
en 1897. Lorsqu’éclate l’affaire Dreyfus, il se range parmi les
antidreyfusards même s’il doute fortement en privé de la culpabilité de
Dreyfus ; ce qu’il ne supporte pas sont les attaques contre l’armée.
Déroulède n’est pas antisémite : il est l’une des rares grandes figures a
avoir condamné sans ambiguïté La France juive d’Edouard Drumont lors de sa parution ; il déclare en 1890 que « L’antisémitisme est la honte de notre siècle ».
De ce fait, il supporte mal la mainmise des antisémites sur le
mouvement anti-dreyfusard et est décontenancé par la nouvelle génération
de la Ligue qui crie « A bas les juifs ! ». S’il trouve
l’influence des juifs trop forte en France (il parle plusieurs fois de
les remettre à leur juste place), il comprend mal les motivations de
l’antisémitisme et lorsqu’il s’exprime sur ce sujet, il n’y voit qu’une
résurgence des guerres de religion.
A
la fin des années 1890, constatant que toutes les voies pour imposer
ses idées s’avèrent être des impasses, Déroulède songe au coup d’Etat.
Lorsque, à Nice, il apprend la mort de Félix Faure (16 février 1899), il
rentre immédiatement à Paris dont l’atmosphère est agitée. Pensant que
le peuple de Paris est avec lui (le nouveau président Loubet est hué),
il approche plusieurs généraux : beaucoup lui assurent qu’ils suivront
mais aucun ne veut marcher en tête, sauf un : Pellieux. Le 23 février,
selon le plan prévu, Pellieux devait passer place de la Nation avec sa
troupe tandis que Déroulède devait l’attendre avec ses ligueurs puis
marcher sur l’Elysée. Les événements ne se passent pas comme prévu : les
ligueurs sont en trop petit nombre (environ 500) et Pellieux se défile
au dernier moment. C’est le général Roget qui se présente (un des
conjurés mais ne voulant pas prendre la tête du coup d’Etat), rentrant à
la caserne avec ses hommes. Déroulède s’élance quand même, attrape la bride du cheval du général et lui lance :
« Mon général, sauvez la France ! Vive la République ! A l’Elysée ! A l’Elysée ! »
Roget est inflexible et rentre à la caserne… avec Déroulède. Le coup de Déroulède paraît grotesque (une « subite hallucination » pour La République française, une « rêverie de poète » pour Les Débats).
Déroulède, lors de son procès, clame que s’il est acquitté il
recommencera : il est acquitté et tente de recommencer. Le nouveau plan
est plus élaboré mais la police découvre le coup en préparation. Cette
fois, la Haute Cour le bannit du territoire pour dix ans (4 janvier
1900).
Il
s’exile en Espagne, à Saint-Sébastien, localité qui devient un lieu de
pèlerinage pour les nationalistes. Depuis sa maison d’Espagne, Déroulède
continue à diriger la Ligue par le biais de son lieutenant Galli. Il
n’est autorisé à rentrer provisoirement en France (pour 24h) par le
gouvernement que pour un duel face à Jean Jaurès qui devient la
principale cible de la Ligue (l’Espagne ne voulant pas d’un tel duel sur
son territoire). L’Humanité avait égratigné un hommage rendu à
Jeanne d’Arc par la Ligue dans un article intitulé « La Bataille des
Pyramides » (28 novembre 1904). Deux balles sont échangées à 25 pas le 6
décembre au matin, cela sans conséquence, devant une foule curieuse.
Il
rentre en 1905 en France à la faveur d’une amnistie votée par
l’Assemblée. Suite à son échec aux législatives de 1906 en Charente, il
renonce à la carrière politique et refuse de se présenter à l’Académie
française en 1908 malgré l’insistance de Maurice Barrès. Lors des
dernières années, la politique intérieure est délaissée pour la
politique extérieure : l’Alsace et la Moselle reviennent au premier
plan. Déroulède s’en prend surtout au pacifisme, à l’antimilitarisme, à
l’internationalisme portés par ceux qu’il appelle les « émigrés de l’intérieur » coupables du « crime de lèse-patrie ».
«
les apostats de la France et les renégats de nos traditions ont inventé
toute une série de paradoxes ayant pour but d’acheminer petit à petit
la Nation vers l’indifférence pour la Patrie. [...] En voici
deux des [formules les] plus répandues, des plus accréditées mais non
pas des moins nuisibles : « Tous les peuples sont frères. Je suis un
citoyen du monde. »
J’ai déjà dit souvent, mais le répéterai mille et mille fois s’il le faut, que la fraternité des peuples n’a rien en soi à quoi je sois formellement contraire, à la condition que notre premier frère soit le frère français. Ce n’est qu’après avoir fait pour ce frère-là tout ce qui est « humainement » possible de faire que nous aurons le droit d’examiner ce qui pourra être fait « humanitairement » pour les autres. Belle conception de vouloir former les Etats-Unis d’Europe, alors qu’après quatorze siècles d’existence commune, nous ne sommes même pas capables chez nous d’organiser les Etats-Unis de France !
L’évidente ineptie de l’idée suffit à faire douter de la bonne foi de ses prosélytes.
Il en est de même pour la pompeuse déclaration de ces soi-disant citoyens du monde. Ils seraient bien embarrassés, je suppose, s’il leur fallait désigner l’emplacement de leur cité mondiale. car enfin, c’est la cité qui fait le citoyen et qu’est-ce qu’un citoyen sans cité sinon un sauvage ? [...]
A vrai dire, l’effet de la propagande humanitaire commence à s’user. Aussi, la secte qui s’évertue à démilitariser et à décatholiciser les Français afin de les opprimer plus sûrement a eu recours à une autre maxime. Ils l’ont retrouvée toute faite dans les Rêveries d’un promeneur solitaire : « Heureux les peuples qui n’ont pas d’Histoire ! » [...] Ils savent pourtant bien, ces sophistiqueurs d’idées, ces professeurs d’oubli et d’abdication, que c’est à coups de sabre que la France s’est taillée sa place dans le monde et que c’est faute d’avoir tenu son épée assez aiguisée qu’elle a perdu deux de ses plus belles provinces et avec elles et en même temps qu’elles, une partie de cet apanage sacré sans lequel un peuple n’a plus sécurité ni fierté : l’Indépendance ! » (extrait du discours du 10 juin 1909)
J’ai déjà dit souvent, mais le répéterai mille et mille fois s’il le faut, que la fraternité des peuples n’a rien en soi à quoi je sois formellement contraire, à la condition que notre premier frère soit le frère français. Ce n’est qu’après avoir fait pour ce frère-là tout ce qui est « humainement » possible de faire que nous aurons le droit d’examiner ce qui pourra être fait « humanitairement » pour les autres. Belle conception de vouloir former les Etats-Unis d’Europe, alors qu’après quatorze siècles d’existence commune, nous ne sommes même pas capables chez nous d’organiser les Etats-Unis de France !
L’évidente ineptie de l’idée suffit à faire douter de la bonne foi de ses prosélytes.
Il en est de même pour la pompeuse déclaration de ces soi-disant citoyens du monde. Ils seraient bien embarrassés, je suppose, s’il leur fallait désigner l’emplacement de leur cité mondiale. car enfin, c’est la cité qui fait le citoyen et qu’est-ce qu’un citoyen sans cité sinon un sauvage ? [...]
A vrai dire, l’effet de la propagande humanitaire commence à s’user. Aussi, la secte qui s’évertue à démilitariser et à décatholiciser les Français afin de les opprimer plus sûrement a eu recours à une autre maxime. Ils l’ont retrouvée toute faite dans les Rêveries d’un promeneur solitaire : « Heureux les peuples qui n’ont pas d’Histoire ! » [...] Ils savent pourtant bien, ces sophistiqueurs d’idées, ces professeurs d’oubli et d’abdication, que c’est à coups de sabre que la France s’est taillée sa place dans le monde et que c’est faute d’avoir tenu son épée assez aiguisée qu’elle a perdu deux de ses plus belles provinces et avec elles et en même temps qu’elles, une partie de cet apanage sacré sans lequel un peuple n’a plus sécurité ni fierté : l’Indépendance ! » (extrait du discours du 10 juin 1909)
II. Le déroulédisme
● La république plébiscitaire
Déroulède
se veut profondément républicain : il est hors de question pour lui
qu’une restauration monarchique ou impériale ait lieu. En revanche, il
combat pour une autre république qu’il qualifie de
plébiscitaire et qu’il oppose à la république parlementaire laquelle
confisque la parole du peuple et est considérée comme source des maux de
la France. Sa République idéale est centralisée, dispose d’un pouvoir
exécutif fort et base sa légitimité sur le recours aux consultations
populaires (référendums qu’il nomme plébiscites). Son vœu le plus cher
est l’élection au suffrage universel du président de la République,
lequel disposerait d’un mandat de cinq ans toujours renouvelable. Le
Parlement est réduit à n’être qu’un organe de contrôle et n’empiéterait
pas sur l’exécutif.
L’épithète
« plébiscitaire » met mal à l’aise ses propres alliés (sauf
bonapartistes) qui le passent sous silence lors de leurs campagnes, y
voyant un repoussoir idéologique (cela rappelle trop le Second Empire).
Déroulède pourtant n’en démord pas, pensant qu’expliquer rationnellement
ses idées suffira à les faire accepter. Il ne se résoudra qu’à plus ou
moins abandonner la formule tardivement, après 1903, après les
nombreuses pressions de ses amis.
● Questions économiques et sociales
Déroulède
n’a eu aucune formation économique, ses idées restent assez vagues et
sont largement inspirées par Eugène Deloncle, l’un de ses éphémères
lieutenants. Au niveau industriel, sa préférence va à la petite
entreprise et à l’artisanat contre les grandes usines et manufactures.
Il éprouve une grande méfiance vis-à-vis du monde des affaires et de la
Bourse : « les hommes d’argent n’ont, pour la plupart, d’autre patrie que leur coffre-fort »
(1907). Il condamne la lutte des classes (bien qu’il dise la
comprendre) et se prononce en faveur d’une redistribution des richesses.
Il vote systématiquement toutes les propositions de loi visant à
réduire la durée du travail et à améliorer le sort des enfants dans
l’usine ; il se montre favorable à l’accroissement du poids des
syndicats ouvriers et soutient les grévistes. En 1890, il dépose une
proposition visant à créer une caisse nationale des retraites et appuie
l’année suivante le contre-projet Constans (« le progrès social […] je suis prêt à l’accepter même de M. Constans »).
Au niveau fiscal, il reste extrêmement flou, se contentant de demander
une réforme en 1885 dont il se garde de préciser le contenu (sauf la
suppression des octrois). Sa seule originalité en la matière a été de se
prononcer en faveur de l’impôt sur le revenu, impôt qu’il juge juste
(instauré en 1914).
Il
se déclare protectionniste et met en avant cette thématique dans les
années 1880. Il entend lutter contre la concurrence déloyale et la main
d’oeuvre étrangère : « La première défense nationale à organiser est
la défense du travail national contre les travailleurs étrangers ; la
défense de l’industrie et du commerce français contre la concurrence et
la contrefaçon étrangère, la défense des colonies françaises contre leur
exploitation par des étrangers […]. L’heure est venue d’un égoïsme national. »
(1883). Il vote la loi Méline en 1892, instaurant un tarif douanier
protectionniste sur l’agriculture, et s’en déclarera satisfait.
● La religion et l’Etat
Déroulède
se montre modéré en matière religieuse. Personnellement, il se dit
catholique mais n’est en réalité pas croyant (il est plutôt déiste). Ses
ennemis l’accusent tout au long de sa carrière d’être clérical,
accusation dont il se défend. Il renvoie dos à dos « le gouvernement des curés » et l’anticléricalisme, « cette guerre à Dieu qui n’est qu’une autre foi » (pièce La Moabite). En 1891, quand le député Camille Dreyfus réclame la séparation de l’Eglise et de l’Etat, Déroulède prend la parole : «
Je suis surpris qu’un débat semblable soit précisément ouvert devant
vous non pas par un des 36 millions de catholiques mis en cause, mais
bien par un des 500.000 ou 600.000 israélites ». Dreyfus proteste en se qualifiant de libre-penseur et Déroulède lui répond « Je proteste quand je vois que l’on veut déchristianiser la France pour la judaïser peut-être ! ». En 1905, il condamne fermement la Séparation mais reste à l’écart des manifestations contre les inventaires.
Ses
relations avec la franc-maçonnerie évoluent. Au cours des années 1880,
les francs-maçons étaient nombreux à la Ligue des patriotes et le leader
se montre plutôt bienveillant, les liens se distendent à partir du
virage boulangiste et après 1900, Déroulède tient des propos durs
vis-à-vis des loges sans afficher une hostilité de principe.
● Position par rapport à l’Allemagne
La
priorité de Déroulède est la récupération des territoires perdus dans
la guerre de 1870. Dans ses discours, il parle rarement de l’Allemagne
mais de la Prusse ; il se dit dépourvu de toute haine à l’égard des
autres provinces germaniques et affirme qu’une fois l’Alsace-Moselle
récupérée, pas un centimètre carré de territoire allemand ne sera pris.
Le chef de la Ligue se défend d’aimer la guerre pour la guerre : «
Je ne suis pas un monomane de la guerre, je sais trop ce qu’elle coûte
aux individus, aux familles et aux Etats, je ne suis même pas un ennemi
acharné de notre ennemi. » (1912).
* * *
Paul Déroulède haranguant la foule lors des fêtes en l’honneur de Jeanne d’Arc, le 4 mai 1913.
A la fin de sa vie, Déroulède se retire à Langély où il rédige ses Feuilles de route
(ses souvenirs) dont le premier volume paraît le 15 janvier 1907. Peu à
peu, le chef de la Ligue se rapproche du pouvoir déporté à droite par
l’accroissement du poids des socialistes : Clemenceau, ancien ennemi,
finit par gagner son estime et il porte de grands espoirs en Poincaré.
La Ligue des patriotes voit son poids s’affaiblir du fait de la
modération de son chef, que certains de ses membres ne comprennent pas,
et du fait de l’irrésistible ascension de l’Action française d’une part
et de l’Action libérale d’autre part. Barrès déclare le 14 juillet 1913
que la Ligue est victorieuse puisqu’elle a « nationalisé » ses
adversaires. Déroulède tombe malade en février 1913 (tachycardie,
tension). A Champigny, le 7 décembre 1913, il prononce son dernier
discours qui est un adieu à la Ligue et décède le 30 janvier 1914 avec
la bénédiction papale. Le lendemain, lors des obsèques, les témoins
parlent d’une foule extrêmement dense comparable à celle qui avait suivi
les obsèques de Victor Hugo, et d’un silence total. De nombreuses
personnalités suivent le cortège dont Millerand, Léon Daudet et Maurras.
Six mois plus tard éclate la Revanche pour laquelle le chef de la Ligue
avait tant combattu.
http://www.fdesouche.com/
Bibliographie :
DÉROULÈDE Paul, Qui vive ? France ! « Quand même ! ». Notes et discours, 1883-1910, Paris, Bloud et Cie, 1910.
JOLY Bertrand, Déroulède. L’inventeur du nationalisme, Paris, Perrin, 1998.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire