Il
est temps de révolutionner notre pensée sur la guerre urbaine. Pendant
trop longtemps, l'establishment des Forces armées a lu la mauvaise
histoire, s'est préparé au mauvais combat et s'est réfugié dans la
sagesse des mauvais philosophes. La guerre urbaine est le combat du
futur – un futur très proche – et nous ne sommes pas prêts. Nos
réflexions à ce sujet ont été détournées par des principes anachroniques
et désormais inapplicables.
Nous
ne vivons pas dans le monde de Sun Tzu, ni même dans celui de
Clausewitz, Fuller ou Liddell Hart. Le monde moderne s'est urbanisé à un
degré sans précédent, et il est inconcevable que les missions
militaires futures n'impliquent aucune opération en milieu urbain. A
condition qu'il ait réellement existé, Sun Tzu vivait et écrivait à
l'âge agraire, lorsque l'essentiel des terres étaient sauvages ou
cultivées. De larges portions des populations vivaient en-dehors des
villes, et la guerre était principalement menée dans des terrains plats
et ouverts. De tels champs de bataille, foulés par tous les guerriers de
Sun Tzu à Napoléon, se raréfient chaque jour davantage. De plus,
l'efficacité des opérations interarmées américaines – et notamment des
feux interarmées – font qu'un adversaire intelligent ira dans les cités
pour se protéger. Le champ de bataille moderne est urbain.
Comme
c'est souvent le cas avec les bureaucraties militaires, la doctrine de
combat américaine n'a pas suivi le rythme des évolutions. La Joint
Publication 3-0 accorde une bonne page aux opérations urbaines, et leurs
proches associées, les opérations interagences, ne reçoivent qu'une
allusion polie dans la doctrine. La guerre urbaine continue d'être
considérée comme une anomalie, quelque chose à éviter – ou à n'engager
qu'à contrecœur. Ralph Peters et d'autres ont clairement montré que
l'éviter est presque impossible, mais nous continuons à ne pas
pleinement embrasser l'art de la guerre urbaine. Au lieu d'une doctrine
dynamique sur le combat en ville, nous avons un dogme nourri de mythes
sur la manière de l'éviter, parfumé de quelques idées sur la méthode
pour nettoyer des pièces avec des mitrailleuses. Ce qui est totalement
insuffisant.
Installations, doctrines et structures insuffisantes
Les
zones urbaines devraient devenir notre moyen de combat préféré. Nous
devrions optimiser les structures des forces dans ce but, plutôt que de
le reléguer à l'appendice Q de notre doctrine combattante en le traitant
comme une exception à la norme. En réalité, l'appendice Q devrait
traiter du combat en terrain ouvert – un événement du plus en plus rare –
pendant que notre doctrine principale s'appliquerait au combat en
ville.
En
considérant la guerre urbaine, nous devons cesser de la voir uniquement
comme un obstacle. En fait, les combats urbains présentent de nombreux
avantages pour les groupes interarmées et interagences américains, parmi
lesquels l'accès permanent à la population, à l'infrastructure, à
l'eau, au carburant, aux abris, aux communications et au pouvoir. Les
villes sont un trésor accessible d'informations et de renseignements, si
nous développons les bons outils pour extraire ces ressources des plus
précieuses. Bien que les villes présentent effectivement des obstacles
et des désavantages pour les guerriers modernes, il faut se rappeler que
l'ennemi est également désavantagé. En bref, les opérations en milieu
urbain sont en mesure de donner lieu à des succès militaires et
interagences durables, pour autant que nous nous adaptons à la réalité
au lieu de nous cramponner au mauvais conseil de Sun Tzu. La ville est
une opportunité pour manœuvrer.
Quelle
est la différence entre 1000 miles et 500 miles ? La réponse est 8
millions de personnes. Le National Training Center (NTC) de Fort Irwin,
en Californie, offre aux commandants de brigade 1000 miles carrés de
défis. Probablement la plus grande installation d'entraînement pour les
forces terrestres au monde, le NTC représente également une transition
fondamentale dans la méthodologie pour l'instruction qui a révolutionné
l'US Army. Il reste aujourd'hui l'expérience formative pour les
officiers de l'Armée – un challenge souvent plus difficile que le combat
réel.
Cependant,
ce millier de miles carrés de terrain désertique et montagneux est
virtuellement vide de toute population. Lorsqu'une task force de brigade
se déploie dans le carré de manœuvre, le commandant doit se concentrer
sur les opérations offensives et défensives, la reconnaissance, la
planification des feux, la défense antiaérienne, la défense nucléaire,
biologique et chimique, ainsi qu'une foule d'autres problèmes tactiques –
sans oublier bien entendu la fameuse tortue des sables du NTC. Ces
problèmes d'entraînement ne sont pas insignifiants, comme le sait chaque
vétéran du NTC. Au sens large, ils le deviennent cependant lorsqu'on
les superpose au champ de bataille urbain moderne.
Mexico
City ne recouvre que 500 miles carrés, la moitié du NTC, mais les
opérations militaires dans un cadre urbain de cette taille dépassent
rapidement l'instruction et la compétence du commandant de brigade
capable de maîtriser le corridor central de Fort Irwin. En plus des
problèmes tactiques familiers décrits ci-dessus, le combattant urbain
doit prendre en compte les réfugiés, les médias, les couvre-feux, le
contrôle des foules, l'administration communale, les gangs des rues, les
écoles, les citoyens armés, la maladie, les pertes massives, la police,
les sites culturels, les milliards de dollars de propriété privée, les
infrastructures et la religion, pour ne citer que quelques facteurs.
Dans ce contexte, le groupe de combat de brigade qui domine le corridor
central est malheureusement inadéquat, de même que la doctrine et les
structures qui le sous-tendent.
Le
Joint Readiness Training Center (JRTC) de Fort Polk, en Louisiane, a
bien plus rapproché l'Armée des réalités de demain. Depuis sa mise en
service en 1993, le JRTC est passé d'une priorité initiale accordée aux
unités légères à une approche davantage interarmes impliquant aussi bien
des forces lourdes que des forces spéciales ou d'autres éléments des
forces interarmées actuelles. C'est un véritable progrès, et l'intensité
d'une rotation au JRTC est difficile à surpasser. Malgré tout, la
surface urbaine ne recouvre que 56 kilomètres carrés – ce qui est
minuscule par rapport à ce qu'impliquerait un engagement réel ; et si le
JRTC inclut des non combattants au programme d'entraînement, même cette
innovation ne fait qu'effleurer la complexité des opérations urbaines
futures.
Vers les groupes de forces interagences
Les 500 miles carrés de combat urbain sont si
radicalement différents des 1000 miles carrés de combat en terrain
ouvert que nous devons redéfinir les niveaux de la guerre. Il est devenu
commun de penser que la guerre se déroule en trois niveaux – tactique,
opératif et stratégique. J'ai précédemment tenté de démontrer que le
niveau opératif (Les facteurs de conflits au début du XXIe siècle)
devient un anachronisme, parce que l'idée d'une campagne militaire de
théâtre n'est plus adaptée. Les opérations sont devenues tellement
entrelacées de considérations globales, et les facteurs militaires
tellement intégrés avec les facteurs diplomatiques, économiques et
culturels, que la guerre de théâtre ne peut plus être dissociée de la
grande stratégie. De manière similaire, le défi des opérations urbaines
servira à redéfinir le niveau tactique de la guerre.
A
quel niveau de la guerre s'intègrent les éléments de la puissance
nationale ? Si nous posons cette question dans le contexte de la
dynamique propre à la guerre froide du XXe siècle, la réponse pourrait
bien être les niveaux stratégique ou opératif de la guerre. Dans la
guerre urbaine du XXIe siècle, cependant, cette intégration peut se
produire au niveau tactique. Au cours d'un combat en ville, traiter avec
le Département d'Etat ne sera plus le souci du commandement unifié,
mais celui du commandant de bataillon.
Le
groupe de forces interagences, plutôt que la force interarmées, doit
devenir la base des opérations futures. Avec des éléments de la
puissance nationale qui s'unissent au niveau tactique de la guerre, une
large confédération d'agences gouvernementale autour du commandant
unifié est simplement insuffisante. Un examen honnête des récentes
opérations en Afghanistan montre une superbe performance des Forces
armées, mais une participation à contrecœur et mal intégrée des autres
agences du Gouvernement américain. En conséquence, la politique
étrangère américaine apparaît composée à 90% de force militaire, avec
quelques ajouts économiques et diplomatiques. Ceci est l'assurance d'un
désastre dans la future guerre urbaine. Nous devons parvenir à former
des groupes de forces interagences.
Ceux-ci
seraient construits autour d'une unité expéditionnaire de Marines ou
d'une brigade de l'Armée renforcée de feux interarmées. De plus, elle
aurait une participation active des Département d'Etat, du Trésor, du
Commerce et de la Justice, de la CIA, du FBI, et au besoin des services
de l'Agriculture et de la Santé, ou du Bureau des Conseillers en
Economie et du Travail. Elle aurait également des équipes de liaison
parlementaires. A présent, la plupart de ces agences gouvernementales
n'ont pas pour mission d'appuyer la politique étrangère, mais cela doit
changer. Les éléments de la puissance nationale, dont l'intégration est
cruciale pour l'efficacité de la grande stratégie, résident dans ces
agences. Ils doivent être des acteurs dans la guerre comme dans la paix.
Que
fera le groupe de forces interagences ? Il agira d'abord dans tout le
spectre des opérations militaires. Il accomplira également d'autres
fonctions, comme l'entraînement et la gestion de forces de police, la
propagation d'argent pour des armes et des renseignements, le
fonctionnement de l'administration publique, l'aide au développement
économique, le prise de contact et la cooptation avec les gangs et les
classes moyennes en ville, la facilitation des échanges culturels, la
création et l'administration d'écoles, la conduite de campagnes
médiatiques et d'opérations psychologiques, ainsi que la planification
et l'exécution de transferts interagences des militaires aux civils. En
résumé, le groupe de forces interagences projette la puissance de la
grande stratégie au niveau tactique des guerres en ville.
Le
défi que constitue la concrétisation d'une telle vision est écrasant,
mais il existe un modèle pour le succès : le Goldwater-Nichols Act de
1986. Pour faire adopter cet article de loi hautement controversé, la
Commission des Forces armées du Sénat a poussé le projet par-dessus les
têtes de la plupart des officiers généraux, qui l'avaient franchement
condamné. Rétrospectivement, cette loi marquante s'est avérée être un
succès monumental qui s'est notamment manifesté dans les opérations
"Just Cause" et "Desert Storm". Par la législation, le Gouvernement a
changé la manière dont se bat l'Amérique.
La
lutte pour une véritable intégration des opérations interagences doit
suivre la même voie. Jusqu'ici, la coopération parmi les agences
gouvernementales dans les crises militaires s'est appuyée sur des
mandats exécutifs – une approche pratique mais somme toute à courte vue.
De même que Goldwater-Nichols a entraîné une doctrine, des exercices et
une éducation interarmées, une nouvelle loi analogue doit faire naître
une doctrine, des exercices, des expériences et une éducation
interagences. De même que le premier Reorganization Act a renforcé
l'intégrité structurelle des commandements unifiés, la deuxième loi doit
organiser les groupes de forces interagences. Un tel progrès serait
important sans égard au terrain sur lequel se dérouleront les futurs
engagements ; il est doublement important dans les opérations urbaines.
Le besoin de maîtriser la violence
Au
niveau tactique de la guerre, notre approche de la guerre urbaine reste
anachronique et s'inspire des mauvais exemples historiques. Stalingrad
n'est pas un modèle pour les opérations modernes, alors que Grozny n'est
pas non plus un bon exemple – sauf peut-être comme contre-exemple.
Mogadiscio est un meilleur cas – non pas pour les succès ou les échecs,
mais parce que les missions étaient plus typiques des engagements
futurs. La combinaison de tâches de combat et de promotion de la paix
ainsi que la transition rapide entre eux sont typiques des défis que le
futur nous opposera.
En
considérant les scénarios pour les opérations urbaines de demain, il
faut éviter les paradigmes avec lesquels nous sommes à l'aise. J'ai été
le témoin de centaines de wargames et d'exercices qui avaient la
prétention de traiter d'engagements futurs, mais qui commençaient
presque invariablement par une approche de type Overlord. Les forces
bleues et rouges débutent en étant commodément séparées, et les
officiers d'état-major bleus concentrent leur expertise considérable et
leur talent de planificateurs sur l'arithmétique de la projection des
forces. Nous aimons considérer les opérations d'entrée en force comme
appartenant aux plus difficiles, mais en fait nous évitons de nous
fatiguer si nous pensons que l'avenir se limite à la projection des
forces.
Même
si de tels scénarios peuvent effectivement se produire, il est bien
plus probable que les engagements futurs auront lieu avec des forces
bleues déjà entremêlées aux forces rouges et distraites par des
opérations de maintien de la paix, comme cela s'est produit à
Mogadiscio. Plutôt que le football américain, dans lequel les deux
équipes s'alignent dans des camps opposés sur une ligne, et attendent
poliment le coup d'envoi, la guerre future sera un jeu de football – le
mouvement continu de forces entremêlées.
Pour
cette raison, il faut s'intéresser à l'art délicat de la maîtrise de la
violence plutôt que reconstituer le jour J. La force interarmées qui
mène aujourd'hui des opérations d'entrée sera remplacée demain par un
groupe de forces interagences qui fera soudainement la transition d'une
opération de maintien de la paix à un conflit de haute intensité – pour y
revenir ensuite.
Les
tactiques militaires dans les opérations urbaines ont également besoin
d'être sérieusement révisées. Dans la longue histoire du combat en
ville, un fait limpide et un problème primordial apparaissent : le camp
qui mène l'assaut subit les pertes. Traverser la zone mortelle dans les
opérations urbaines est la principale cause de blessure et de mort.
Parce qu'un ennemi statique a d'innombrables occasions de prendre en
embuscade tout ce qui entre dans son secteur de feu, l'attaque urbaine
est probablement la tâche la plus mortelle à entreprendre.
Logiquement,
nous avons deux possibilités : développer une méthode pour diminuer le
coût des attaques, ou rechercher une forme de tactique urbaine qui a
pour règle d'éviter l'attaque. Cette seconde approche est cependant
compliquée, car les missions futures vont le plus souvent exiger des
opérations offensives. Comment une force armée peut-elle dès lors mener
des opérations offensives sans avoir recours à l'assaut ? La réponse
vient de l'histoire : le siège. Plutôt qu'établir un siège médiéval de
toute une ville emmurée, toutefois, la force interarmées moderne mènera
des opérations de siège à l'âge de l'information.
Le siège à l'âge de l'information
La
condition sine qua non d'un tel siège est le renseignement.
L'efficacité unique la plus importante d'un groupe de forces
interagences est celle des opérations de renseignement. Des
renseignements mis en réseau, multidisciplinaires et détaillés sont
l'âme des futures tactiques urbaines. La difficulté provient du fait que
notre infrastructure de renseignement – en particulier dans le monde
militaire – est optimisée pour la guerre en terrain ouvert. Le
renseignement visuel, électronique et radio est parfait lorsque vous
recherchez un groupe d'artillerie d'armée sur un front de style
soviétique, mais il est presque inutile lorsque vous essayez de savoir
dans quel immeuble se cachent les méchants. Plutôt qu'abandonner notre
approche actuelle en matière de renseignement, nous avons besoin de
développer nos prouesses technologiques et multiplier notre capacité à
exploiter les renseignements de source humaine.
Sherlock
Holmes peut nous être d'une certaine utilité. Le détective fictif
d'Arthur Conan Doyle évoluait dans la zone urbaine tentaculaire du
Londres victorien. Pour trouver le criminel ou l'indice qu'il
recherchait, Holmes employait souvent les fameux Irregulars de Baker
Street – un gang amorphe de gamins des rues qui pouvait tapisser les
rues d'yeux et d'oreilles, le tout dans l'espoir de mériter un shilling
du grand détective. De manière similaire, nous devons apprendre à
considérer la ville comme un moteur à information. Cela pourrait nous
coûter davantage qu'un shilling, mais exploiter les renseignements de
source humaine est le premier pas vers un siège réussi à l'âge de
l'information.
Les
opérations de renseignements dans la guerre urbaine vont produire,
parmi d'autres choses, une indication montrant où se trouve l'ennemi et –
tout aussi important – où il n'est pas. En réalité, une force ennemie
ne peut occuper qu'une petite partie de toute cité majeure. Notre
service de renseignements doit trouver l'ennemi ainsi que des
itinéraires sûrs pour l'encercler. Une fois qu'un ennemi est localisé,
le groupe de forces interagences l'entoure avec une combinaison de
forces, de robots de surveillance, de feux et au besoin de médias.
A
cet instant, nous devons en appeler à des technologies qui n'existent
pas encore. En particulier, nous devons développer une capacité de
cartographier de manière dynamique un immeuble dès que nous savons qu'il
est occupé. Essayer de résoudre le problème de la cartographie par des
bases de données ne fonctionnera pas. Cela coûte trop cher, et les bases
de données seront certainement périmées. A la place, nous devons être à
même de cartographier sur place les caractéristiques importantes de
différents bâtiments. Celles-ci comprennent les ouvertures, le câblage,
le chauffage, la lumière, l'eau et ainsi de suite. L'objectif de la
cartographie dynamique est de faciliter le prochain pas du siège à l'âge
de l'information : rendre intenable la position ennemie.
Parce que nous avons l'intention d'éviter l'assaut à
travers la zone mortelle, nous devons inciter l'ennemi à se déplacer.
Nous le ferons en déclenchant des feux létaux et non létaux sur sa
position en évitant les pertes civiles et les dommages à la propriété.
Les moyens utilisés dépendront de la situation. Les feux conventionnels
peuvent être la réponse. Alternativement, l'usage de micro-ondes à haute
puissance, d'armes acoustiques ou d'agents chimiques non létaux
pourrait être nécessaire. A cette fin, nous devons changer les règles
anachroniques s'opposant à l'usage de substances pour le contrôle
d'émeutes. Les vieilles lois qui nous permettent de déchiqueter un corps
humain avec des mitrailleuses mais qui interdisent l'usage d'agents
étouffants non létaux ne sont rien moins qu'immorales et ridicules. Le
gaz lacrymogène est une arme superbe en combat urbain, et chaque soldat
dans les villes devrait demain en disposer.
Quoi
qu'il en soit, nous devons parvenir à contraindre l'ennemi à quitter sa
position. Lorsque celui-ci en sortira, nous l'engagerons. Cette
engagement pourrait prendre la forme d'une arrestation, d'une dispersion
ou d'une destruction, selon la situation, mais la clef consiste à
construire un système tactique d'attaque qui évite l'assaut. Il y aura
bien entendu des exceptions à cette technique, des scénarios dans
lesquels les assauts seront inévitables, mais l'approche générale visera
à les éviter pour minimiser les pertes amies.
Sun Tzu doit se rasseoir
La
robotique semble offrir un grand potentiel pour la guerre urbaine
future. Le développement de robots dans les forces armées a été lent,
notamment dans le domaine des robots terrestres. Du point de vue du
développement, le grand fléau des robots est que dès qu'un appareil
simple est conçu, le système d'acquisition bureaucratique ne peut pas
s'empêcher de lui ajouter n'importe quel instrument, du baromètre au
fusil sans recul. Les robots terrestres du groupe de forces
interagences, plutôt qu'être conçus pour approcher une "solution
parfaite" qui sera trop lourde et trop légère à utiliser, ont besoin
d'être des appareils simples et modulaires pour entrer par les portes et
les fenêtres. Le commandant au sol pourra utiliser de tels appareils
pour la cartographie, la reconnaissance, la diffusion de gaz lacrymogène
ou pour placer selon les besoins une charge explosive sous un immeuble.
L'un
des aspects les plus paradoxaux du combat urbain est le thème des
règles d'engagement (ROE). Parce que les ROE s'appliquent au domaine des
interactions humaines, elles ne fonctionnent pas selon une logique
linéaire. En physique, si l'on veut déplacer une masse du point A au
point B, on applique une force et la masse bouge dans la direction
donnée. En science sociale, appliquer une force peut amener la masse à
avancer, à reculer ou simplement à rester en plan et pleurer. Les
humains ne réagissent pas selon une logique linéaire. Les ROE, qui
visent à protéger les non combattants des dangers du combat, ont donc
souvent un effet opposé : mettre les gens en danger. Ceci est devenu
évident à Mogadiscio lorsque l'ennemi a utilisé des femmes et des
enfants comme boucliers humains. Sachant que les soldats américains
éviteraient de blesser des non combattants, l'ennemi trouve refuge
derrière. L'image perverse d'un voyou tirant avec son AK-47 entre les
jambes de son fils adolescent est le produit de ces mêmes règles
d'engagement qui s'efforcent de protéger le jeune garçon.
En
s'attaquant enfin à ce paradoxe, nous pouvons progresser dans l'art et
dans la science de la guerre urbaine. L'usage d'armes non létales pour
vider les combattants de la zone dangereuse est un pas dans la bonne
direction, mais un autre nécessite la modération des ROE. Les forces
futures devraient appliquer une politique généralement bienveillante
pour éviter les pertes en non combattants. Nous devrions cependant
rendre tout le monde attentif au fait que n'importe qui en danger dans
la zone rouge, et que nous ne risquerons par les forces amies en la
limitant excessivement par des ROE. Lorsqu'il devient clair pour les non
combattants qu'ils sont tout près de la mort ou du démembrement en
approchant du combat, ils essaieront d'éviter de telles zones – et
accomplissant ainsi ce dont nos fameuses ROE sont incapables.
La
voie vers la création de groupes de forces interagences qui excellent
dans les opérations urbaines appelle une approche institutionnelle. Au
sein du Commandement de l'Entraînement et de la Doctrine de l'Armée
(Training and Doctrine Command, TRADOC), plusieurs centres et écoles
obtiennent souvent une compétence pour différents problèmes. L'une des
clés des opérations urbaines réussies consiste à assigner la compétence
aux bonnes écoles. Malheureusement, parce que nous voyons le combat
urbain à travers les lentilles de la Seconde guerre mondiale, nous avons
tendance à le réduire à un problème de nettoyage de pièces. Les centres
et les écoles des armes ont par conséquent une trop grande influence
sur le développement d'une doctrine urbaine dans le TRADOC.
Pour
un fantassin, les opérations militaires en terrain urbanisé impliquent
sous une certaine forme l'ouverture d'une porte et le mitraillage d'une
pièce. Même si de telles tactiques peuvent effectivement être une partie
– mais minuscule – des opérations urbaines futures, elles n'en seront
aucunement la totalité. La compétence pour les opérations urbaines au
TRADOC devrait appartenir à la branche du renseignement. Les futures
opérations urbaines se joueront avant tout sur le renseignement, et pas
sur les assauts.
En
matière de structures, nous devons aller au-delà du grand mythe selon
lequel les combats en ville nécessitent de l'infanterie légère. Autre
produit d'une histoire militaire mal lue, ce mythe envahit aujourd'hui
presque chaque discussion sur les opérations militaires en zone bâtie.
Les forces légères ne sont pas la réponse à l'environnement urbain. Les
forces lourdes sont tout aussi souvent la bonne solution, mais la
solution optimale est une force mécanisée moyenne. Le siège à l'âge de
l'information nécessite que l'ennemi, une fois détecté, soit rapidement
encerclé. Une grande mobilité et un mouvement à l'abri sont essentiels
pour des sièges réussis, et les forces légères sont incapables de telles
choses dans la plupart des cas. La mobilité et le blindage de
l'infanterie mécanisée, combinés avec la puissance de feu et la mobilité
des chars de combat, sont une bonne base pour la structure des forces.
De manière à être pleinement efficace, cependant, cette base doit se
transformer en un groupe de forces interarmées et interagences
complètement intégré.
Il
est temps de dire à Sun Tzu de se rasseoir. Prendre d'assaut les
murailles d'une cité à l'époque agraire doit sans doute avoir été à la
fois imprudent et évitable, mais combattre au XXIe siècle exige
absolument des opérations urbaines. En suivant le mauvais conseil de Sun
Tzu, nous continuerons à mener des opérations urbaines à contre-cœur,
en utilisant une doctrine d'assauts tactiques visant à les éviter. Nous
devons au contraire considérer le combat en ville comme un scénario
optimal et cultiver l'art et la science des tactiques de siège à l'âge
de l'information. De même que l'Armée a appris à posséder la nuit au
lieu de la craindre, nous devons posséder la ville. L'objectif de demain
ne sera pas le sommet d'une colline : il se trouvera au milieu d'un
immeuble, entouré de non combattants.
Lt. Col. Robert R. Leonhard (Ret.) http://www.theatrum-belli.com
"Sun Tzu's Bad Advice: Urban Warfare in the Information Age"
Army Magazine, April 2003
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