Par
les médias européens et américains, on peut souvent avoir l’impression
que la Seconde guerre mondiale doit être périodiquement ressortie pour
donner une crédibilité à des demandes financières d’un groupe ethnique
spécifique, aux dépens des autres. Les morts civils des perdants de la
guerre sont, pour la plupart, passés sous silence. L’historiographie
standard de la Seconde guerre est couramment basée sur une distinction
nette et polémique entre les « mauvais » fascistes qui ont perdu et les «
bons » antifascistes qui ont gagné, et peu de spécialistes sont prêts à
enquêter dans l’ambigüité grise se trouvant entre les deux. Même
maintenant que les événements de cette guerre s’éloignent dans le temps,
ils semblent devenir politiquement plus utiles et plus opportuns en
tant que mythes.
Les
pertes militaires et civiles allemandes pendant et surtout après la
Seconde guerre mondiale sont encore enveloppées dans un voile de
silence, du moins dans les mass médias, même si un impressionnant corpus
de littérature spécialisée existe sur ce sujet. Ce silence, dû en
grande partie à la négligence académique, a des raisons profondes et
mérite une enquête érudite plus attentive. Pourquoi, par exemple, les
pertes civiles allemandes, et particulièrement le nombre stupéfiant de
pertes parmi les Allemands ethniques dans l’après-guerre, sont-elles
abordées aussi sommairement, quand elles le sont, dans les manuels
scolaires d’histoire ? Les mass médias – télévision, journaux, films et
magazines – se penchent rarement, ou pas du tout, sur le sort des
millions de civils allemands en Europe centrale et orientale pendant et
après la Seconde guerre mondiale [1].
Le
traitement des Allemands ethniques civils – ou Volksdeutsche – en
Yougoslavie peut être considéré comme un cas classique de « nettoyage
ethnique » à grande échelle [2]. Un examen attentif de ces tueries de
masse présente une myriade de problèmes historiques et légaux,
particulièrement quand on considère la loi internationale moderne,
incluant le Tribunal des Crimes de Guerre de la Haye qui s’est occupé
des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans la guerre des
Balkans de 1991-1995. Pourtant le triste sort des Allemands ethniques de
Yougoslavie pendant et après la Seconde guerre mondiale ne devrait pas
être une moindre préoccupation pour les historiens, en particulier parce
qu’une compréhension de ce chapitre de l’histoire apporte un éclairage
révélateur sur la désagrégation violente de la Yougoslavie communiste 45
ans plus tard. Une meilleure compréhension du sort des Allemands
ethniques de la Yougoslavie devrait encourager le scepticisme concernant
l’application loyale et juste de la loi internationale dans la
pratique. Pourquoi les souffrances et le triste sort de certaines
nations ou de certains groupes ethniques sont-ils ignorés, alors que les
souffrances d’autres nations et groupes reçoivent l’attention entière
et sympathique des médias et des politiciens ?
Au
début de la Seconde guerre mondiale en 1939, plus d’un million et demi
d’Allemands ethniques vivaient dans l’Europe du Sud-est, c’est-à-dire en
Yougoslavie, en Hongrie, et en Roumanie. Parce qu’ils vivaient surtout
près et au long du fleuve Danube, ces gens étaient connus sous le nom
populaire de « Souabes du Danube » ou Donauschwaben. La plupart étaient
les descendants des colons qui vinrent dans cette région fertile aux
XVIIe et XVIIIe siècles à la suite de la libération de la Hongrie du
règne turc.
Pendant
des siècles, le Saint Empire Romain et ensuite l’Empire des Habsbourg
luttèrent contre la domination turque dans les Balkans, et résistèrent à
l’« islamisation » de l’Europe. Dans cette lutte, les Allemands du
Danube étaient vus comme un rempart de la civilisation occidentale, et
étaient tenus en haute estime dans l’empire autrichien (et plus tard,
austro-hongrois) à cause de leur productivité agricole et de leurs
prouesses militaires. Mais le Saint Empire Romain et l’empire des
Habsbourg étaient des entités multiculturelles et multinationales, dans
lesquelles des groupes ethniques divers vécurent pendant des siècles
dans une harmonie relative.
Après
la fin de la Première guerre mondiale, en 1918, qui provoqua
l’effondrement de l’empire austro-hongrois des Habsbourg, et après le
traité de Versailles imposé en 1919, le statut juridique des
Donauschwaben allemands devint flottant. Quand le régime
national-socialiste fut établi en Allemagne en 1933, les Donauschwaben
étaient parmi les plus de douze millions d’Allemands ethniques qui
vivaient en Europe centrale et orientale en-dehors des frontières du
Reich allemand. Beaucoup de ces gens furent inclus dans le Reich avec
l’incorporation de l’Autriche et de la région des Sudètes en 1938, de la
Tchécoslovaquie en 1939, et de portions de la Pologne à la fin de 1939.
La « question allemande », c’est-à-dire la lutte pour
l’autodétermination des Allemands ethniques en-dehors des frontières du
Reich allemand, fut un facteur majeur dans l’éclatement de la Seconde
guerre mondiale. Même après 1939, plus de trois millions d’Allemands
ethniques restèrent en-dehors des frontières du Reich élargi, notamment
en Roumanie, en Yougoslavie, en Hongrie et en Union Soviétique.
Dans
la première Yougoslavie – un Etat monarchique créé en 1919 en résultat
des efforts des puissances alliées victorieuses –, la plupart des
Allemands ethniques du pays étaient concentrés dans l’est de la Croatie
et dans le nord de la Serbie (notamment dans la région de Voïvodine),
avec quelques villes et villages allemands en Slovénie. D’autres
Allemands ethniques vivaient dans l’ouest de la Roumanie et le sud-est
de la Hongrie.
Le premier Etat yougoslave multiethnique de 1919-1941 avait une population de quelque 14 millions de gens de diverses cultures et religions. A la veille de la Seconde guerre mondiale, il incluait près de six millions de Serbes, environ trois millions de Croates, plus d’un million de Slovènes, quelque deux millions de Bosniaques musulmans et d’Albanais ethniques, approximativement un demi-million d’Allemands ethniques, et un autre demi-million de Hongrois ethniques. Après l’effondrement de la Yougoslavie en avril 1941, accéléré par une rapide avance militaire allemande, approximativement 200.000 Allemands ethniques devinrent citoyens de l’Etat Indépendant de Croatie nouvellement établi, un pays dont les autorités militaires et civiles restèrent loyalement alliées à l’Allemagne du Troisième Reich jusqu’à la dernière semaine de la guerre en Europe [3]. La plupart des Allemands ethniques restants de l’ancienne Yougoslavie – approximativement 300.000 dans la région de Voïvodine – entrèrent dans la juridiction de la Hongrie, qui incorpora cette région pendant la guerre (après 1945 cette région fut rattachée à la partie serbe de la Yougoslavie).
Le premier Etat yougoslave multiethnique de 1919-1941 avait une population de quelque 14 millions de gens de diverses cultures et religions. A la veille de la Seconde guerre mondiale, il incluait près de six millions de Serbes, environ trois millions de Croates, plus d’un million de Slovènes, quelque deux millions de Bosniaques musulmans et d’Albanais ethniques, approximativement un demi-million d’Allemands ethniques, et un autre demi-million de Hongrois ethniques. Après l’effondrement de la Yougoslavie en avril 1941, accéléré par une rapide avance militaire allemande, approximativement 200.000 Allemands ethniques devinrent citoyens de l’Etat Indépendant de Croatie nouvellement établi, un pays dont les autorités militaires et civiles restèrent loyalement alliées à l’Allemagne du Troisième Reich jusqu’à la dernière semaine de la guerre en Europe [3]. La plupart des Allemands ethniques restants de l’ancienne Yougoslavie – approximativement 300.000 dans la région de Voïvodine – entrèrent dans la juridiction de la Hongrie, qui incorpora cette région pendant la guerre (après 1945 cette région fut rattachée à la partie serbe de la Yougoslavie).
Le
sort des Allemands ethniques devint sinistre pendant les derniers mois
de la Seconde guerre mondiale, et spécialement après la fondation de la
seconde Yougoslavie, un Etat communiste multiethnique dirigé par le
maréchal Josip Broz Tito. A la fin d’octobre 1944, les forces de
guérilla de Tito, aidées par l’avance soviétique et généreusement
assistées par les fournitures aériennes occidentales, prirent le
contrôle de Belgrade, la capitale serbe qui servit aussi de capitale
pour la Yougoslavie. L’un des premiers actes légaux du nouveau régime
fut le décret du 21 novembre 1944, sur « La décision concernant le
transfert des biens de l’ennemi dans la propriété de l’Etat ». Il
déclarait « ennemis du peuple » les citoyens d’origine allemande, et les
privait de droits civiques. Le décret ordonnait aussi la confiscation
par le gouvernement de tous les biens, sans compensation, des Allemands
ethniques de Yougoslavie [4]. Une loi additionnelle, promulguée à
Belgrade le 6 février 1945, retira la citoyenneté yougoslave aux
Allemands ethniques du pays [5].
A
la fin de 1944 – alors que les forces communistes avaient pris le
contrôle de l’est des Balkans, c’est-à-dire de la Bulgarie, de la Serbie
et de la Macédoine – l’Etat de Croatie, allié aux Allemands, tenait
encore bon. Cependant, au début de 1945, les troupes allemandes, en même
temps que les troupes et les civils croates, commencèrent à faire
retraite vers le sud de l’Autriche. Pendant les derniers mois de la
guerre, la majorité des civils allemands ethniques de Yougoslavie
rejoignirent aussi ce grand trek. La crainte des réfugiés devant la
torture et la mort des mains des communistes était bien fondée, étant
donné l’horrible traitement appliqué par les forces soviétiques aux
Allemands et à d’autres en Prusse orientale et dans d’autres parties de
l’Europe de l’Est. A la fin de la guerre en mai 1945, les autorités
allemandes avaient évacué 220.000 Allemands ethniques de Yougoslavie
vers l’Allemagne et l’Autriche. Pourtant beaucoup restèrent dans leurs
patries ancestrales ravagées par la guerre, attendant probablement un
miracle.
Après
la fin des combats en Europe le 8 mai 1945, plus de 200.000 Allemands
ethniques qui étaient restés en arrière en Yougoslavie devinrent
effectivement les captifs du nouveau régime communiste. Quelque 63.635
civils allemands ethniques yougoslaves (femmes, hommes et enfants)
périrent sous le règne communiste entre 1945 et 1950 – c’est-à-dire
environ 18% de la population civile allemande ethnique demeurant encore
dans la nouvelle Yougoslavie. La plupart moururent d’épuisement par le
travail forcé, par le « nettoyage ethnique », ou de maladie et de
malnutrition [6]. Une grande partie du crédit pour le « miracle
économique » tellement vanté de la Yougoslavie titiste, il faut le
noter, doit aller aux dizaines de milliers de travailleurs forcés
allemands qui, à la fin des années 1940, aidèrent à reconstruire le pays
appauvri.
Les
biens des Allemands ethniques de Yougoslavie confisqués après la
Seconde guerre mondiale se montaient à 97.490 petits commerces, usines,
magasins, fermes et affaires diverses. Les biens immobiliers et terres
cultivées confisqués des Allemands ethniques de Yougoslavie se montaient
à 637.939 hectares (environ un million d’acres), et devinrent propriété
de l’Etat. D’après un calcul de 1982, la valeur des biens confisqués
aux Allemands ethniques de Yougoslavie se montait à 15 milliards de
marks, ou environ sept milliards de dollars US. En prenant en compte
l’inflation, cela correspondrait aujourd’hui à douze milliards de
dollars US. De 1948 à 1985, plus de 87.000 Allemands ethniques qui
résidaient encore en Yougoslavie s’installèrent en Allemagne et
devinrent automatiquement citoyens allemands [7].
Tout cela constitua une « solution finale de la question allemande » en Yougoslavie.
De
nombreux survivants ont fourni des récits détaillés et illustrés du
sort sinistre des civils allemands ethniques, en particulier des femmes
et des enfants, qui restèrent captifs en Yougoslavie communiste. Un
témoin notable est le défunt père Wendelin Gruber, qui servit de
chapelain et de guide spirituel pour de nombreux compagnons de captivité
[8]. Ces nombreux récits survivants de tortures et de morts infligées
aux civils et soldats allemands capturés par les autorités communistes
s’ajoutent à la chronique de l’oppression communiste dans le monde [9].
Du
million et demi d’Allemands ethniques qui vivaient dans le bassin du
Danube en 1939-1941, quelque 93.000 servirent durant la Seconde guerre
mondiale dans les forces armées de la Hongrie, de la Croatie et de la
Roumanie – des pays de l’Axe qui étaient alliés à l’Allemagne – ou dans
les forces armées allemandes régulières. Les Allemands ethniques de
Hongrie, de Croatie et de Roumanie qui servirent dans les formations
militaires de ces pays demeurèrent citoyens de ces Etats respectifs
[10].
De
plus, de nombreux Allemands ethniques de la région danubienne servirent
dans la division Waffen-SS « Prinz Eugen », qui totalisa quelque 10.000
hommes pendant son existence durant la guerre (cette formation fut
nommée en l’honneur du prince Eugène de Savoie, qui avait remporté de
grandes victoires contre les forces turques à la fin du XVIIe siècle et
au début du XVIIIe) [11]. S’engager dans la division « Prinz Eugen »
conférait automatiquement la citoyenneté allemande à la recrue.
Des
26.000 Allemands ethniques danubiens qui perdirent la vie en servant
dans diverses formations militaires, la moitié périrent après la fin de
la guerre dans des camps yougoslaves. Les pertes de la division « Prinz
Eugen » furent particulièrement élevées, le gros de la division se
rendant après le 8 mai 1945. Quelque 1.700 de ces prisonniers furent
tués dans le village de Brezice près de la frontière croato-slovène, et
la moitié restante périt dans le travail forcé dans les mines de zinc de
la Yougoslavie près de la ville de Bor, en Serbie [12].
En
plus du « nettoyage ethnique » des civils et soldats allemands du
Danube, quelque 70.000 Allemands qui avaient servi dans les forces
régulières de la Wehrmacht périrent en captivité en Yougoslavie. La
plupart d’entre eux moururent en résultat de représailles, ou comme
travailleurs forcés dans les mines, en construisant des routes, dans des
chantiers navals, etc. C’étaient principalement des soldats du « Groupe
d’Armées E » qui s’étaient rendus aux autorités militaires britanniques
dans le sud de l’Autriche au moment de l’armistice du 8 mai 1945. Les
autorités britanniques livrèrent environ 150.000 de ces prisonniers de
guerre allemands aux partisans yougoslaves communistes sous prétexte
d’un rapatriement ultérieur en Allemagne.
La
plupart de ces anciens soldats réguliers de la Wehrmacht périrent dans
la Yougoslavie d’après-guerre en trois phases. Pendant la première
phase, plus de 7.000 soldats allemands capturés moururent dans les «
marches d’expiation » (Suhnemärsche) organisées par les communistes,
faisant 1.300 kilomètres depuis la frontière sud de l’Autriche jusqu’à
la frontière nord de la Grèce. Pendant la seconde phase, à la fin de
l’été 1945, de nombreux soldats allemands en captivité furent
sommairement exécutés ou jetés vivants dans des grandes carrières de
karst le long de la côte de Dalmatie, en Croatie. Dans la troisième
phase, de 1945 à 1955, 50.000 autres périrent comme travailleurs forcés,
de malnutrition et d’épuisement [13].
Le
nombre total des pertes allemandes en captivité yougoslave après la fin
de la guerre – incluant les civils et soldats « allemands du Danube »
ethniques, ainsi que les Allemands « du Reich » [Reichsdeutsche] – peut
donc être estimé au bas mot à 120.000 tués, affamés, tués au travail, ou
disparus. Quelle est l’importance de ces chiffres ? Quelles leçons
peut-on tirer en faisant état de ces pertes allemandes d’après-guerre ?
Il
est important de souligner que le triste sort des civils allemands des
Balkans n’est qu’une petite partie de la topographie alliée de la mort.
Sept à huit millions d’Allemands – personnel militaire ou civils –
moururent pendant et après la Seconde guerre mondiale. La moitié d’entre
eux périrent dans les derniers mois de la guerre, ou après la reddition
sans conditions de l’Allemagne le 8 mai 1945. Les pertes allemandes, à
la fois civiles et militaires, furent sensiblement plus élevées pendant
la « paix » que pendant la « guerre ».
Pendant
les mois avant et après la fin de la Seconde guerre mondiale, les
Allemands ethniques furent tués, torturés et dépossédés dans toute
l’Europe orientale et centrale, notamment en Silésie, en Prusse
orientale, en Poméranie, dans les Sudètes, et dans la région du «
Wartheland ». En tout 12 à 15 millions d’Allemands s’enfuirent ou furent
chassés de leurs foyers pendant ce qui est peut-être le plus grand «
nettoyage ethnique » de l’histoire. Sur ce nombre, plus de deux millions
furent tués ou perdirent la vie d’une autre manière [14].
Les
tristes événements dans la Yougoslavie d’après-guerre sont rarement
abordés par les médias des pays qui émergèrent des ruines de la
Yougoslavie communiste, même si, d’une manière remarquable, il y a
aujourd’hui dans ces pays une plus grande liberté d’expression et de
recherche historique que dans des pays d’Europe occidentale comme
l’Allemagne et la France. Les élites de Croatie, de Serbie et de Bosnie,
largement composées d’anciens communistes, semblent partager un intérêt
commun à refouler leur passé parfois trouble et criminel concernant le
traitement des civils allemands dans l’après-guerre.
L’éclatement
de la Yougoslavie en 1990-91, les événements qui y conduisirent, et la
guerre et les atrocités qui suivirent, ne peuvent être compris que dans
un cadre historique plus large. Comme nous l’avons déjà noté, le «
nettoyage ethnique » n’a rien de nouveau. Même si l’on considère
l’ancien dirigeant serbe yougoslave Slobodan Milosevic et les autres
prévenus jugés par le Tribunal International des Crimes de Guerre de La
Haye comme de vils criminels, leurs crimes sont très petits comparés à
ceux du fondateur de la Yougoslavie communiste, Josip Broz Tito. Tito
mena le « nettoyage ethnique » et les tueries de masse sur une bien plus
grande échelle, contre les Croates, les Allemands et les Serbes, et
avec l’approbation des gouvernements britannique et américains. Son
règne en Yougoslavie (1945-1980), qui coïncida avec l’ère de la « Guerre
froide », fut généralement soutenu par les puissances occidentales, qui
considéraient son régime comme un facteur de stabilité dans cette
région souvent instable de l’Europe [15].
Le
triste sort pendant la guerre et après-guerre des Allemands des Balkans
fournit aussi des leçons sur le sort des Etats multiethniques et
multiculturels. Le sort des deux Yougoslavies – 1919-1941 et 1944-1991 –
souligne la faiblesse inhérente des Etats multiethniques. Deux fois
durant le XXe siècle, la Yougoslavie multiculturelle éclata dans un
carnage inutile et une spirale de haines entre ses groupes ethniques
constituants. On peut affirmer, par conséquent, que pour des nations et
des cultures différentes, sans même parler de races différentes, il vaut
mieux vivre à part, séparés par des murs, plutôt que prétendre vivre
dans une fausse unité cachant des animosités attendant d’exploser, et
laissant derrière elles des ressentiments durables.
Peu
de gens pouvaient prévoir les sauvages haines et tueries interethniques
qui balayèrent les Balkans après l’effondrement de la Yougoslavie en
1991, et ceci entre des peuples d’origine anthropologique relativement
similaire, bien qu’ayant des passés culturels différents. On ne peut que
s’interroger avec inquiétude sur l’avenir des Etats-Unis et de l’Europe
occidentale, où des tensions interraciales croissantes entre les
populations natives et les masses d’immigrants du Tiers Monde laissent
présager un désastre avec des conséquences bien plus sanglantes.
La
Yougoslavie multiculturelle, dans sa première tout comme dans sa
seconde incarnation, fut avant tout la création, respectivement, des
dirigeants français, britanniques et américains qui réalisèrent le
règlement de Versailles en 1919, et des dirigeants britanniques,
soviétiques et américains qui se rencontrèrent à Yalta et à Postdam en
1945. Les figures politiques qui créèrent la Yougoslavie ne
représentaient pas les nations de la région, et comprenaient très mal
les perceptions de soi et les affinités ethnoculturelles des différents
peuples de la région.
Bien
que les morts, les souffrances et les dépossessions des Allemands
ethniques des Balkans pendant et après la Seconde guerre mondiale sont
bien documentées par les autorités allemandes et les spécialistes
indépendants, elles continuent à être largement ignorées dans les grands
médias des Etats-Unis et de l’Europe. Pourquoi ? On peut penser que si
ces pertes allemandes étaient plus largement discutées et mieux connues,
elles stimuleraient probablement une vision alternative sur la Seconde
guerre mondiale, et en fait sur l’histoire du XXe siècle. Une
connaissance meilleure et plus répandue des pertes civiles allemandes
pendant et après la Seconde guerre mondiale pourrait bien encourager une
discussion plus profonde sur la dynamique des sociétés contemporaines.
Celle-ci, à son tour, pourrait affecter significativement la perception
de soi de millions de gens, obligeant nombre d’entre eux à rejeter des
idées et des mythes qui ont été la mode dominante pendant plus d’un
demi-siècle. Un débat ouvert sur les causes et les conséquences de la
Seconde guerre mondiale ternirait aussi la réputation de nombreux
spécialistes et faiseurs d’opinion aux Etats-Unis et en Europe. Il est
probable qu’une plus grande connaissance des souffrances des civils
allemands pendant et après la Seconde guerre mondiale, et les
implications de celle-ci, pourrait fondamentalement changer les
politiques des Etats-Unis et d’autres grandes puissances.
Tomislav Sunic http://www.voxnr.com
Notes :
1. Mads Ole Balling, Von Reval bis Bukarest (Copenhagen: Hermann-Niermann-Stiftung, 1991), vol. I and vol. II.
2.
L. Barwich, F. Binder, M. Eisele, F. Hoffmann, F. Kühbauch, E. Lung, V.
Oberkersch, J. Pertschi, H. Rakusch, M. Reinsprecht, I. Senz, H.
Sonnleitner, G. Tscherny, R. Vetter, G. Wildmann, and oth-ers, Weissbuch
der Deutschen aus Jugoslawien: Erlebnisberichte 1944-48 (Munich:
Universitäts Verlag, Donauschwäbische Kulturstif-tung, 1992, 1993), vol.
I, vol. II.
3.
Sur les forces armées de la Croatie pendant la Seconde guerre mondiale,
et leur destruction après 1945 par les communistes yougoslaves, voir
Christophe Dol-beau, Les Forces armées croates, 1941-1945 (Lyon [BP
5005, 69245 Lyon cedex 05, France]: 2002).
Sur l’attitude souvent critique des officiels militaires et diplomatiques allemands envers le régime allié oustachi de l’Etat Independent de Croatie (« NDH »), voir Klaus Schmider, Partisanenkrieg in Jugo-slawien 1941-1944 (Hamburg: Verlag E.S. Mittler & Sohn, 2002). Ce livre inclut une impressionnante bibliographie, et cite des documents allemands jusqu’ici non-publiés. Malheureusement, l’auteur ne fournit pas de données précises concernant le nombre de soldats allemands (incluant des civils et des soldats croates) qui se rendirent aux forces britanniques dans le sud de l’Autriche, and qui furent ensuite livrés aux autorités communistes yougoslaves. Le nombre de captifs croates qui périrent après 1945 dans la Yougoslavie communiste demeure un sujet chargé d’émotion en Croatie, avec d’importantes implications pour la politique intérieure et étrangère du pays.
Sur l’attitude souvent critique des officiels militaires et diplomatiques allemands envers le régime allié oustachi de l’Etat Independent de Croatie (« NDH »), voir Klaus Schmider, Partisanenkrieg in Jugo-slawien 1941-1944 (Hamburg: Verlag E.S. Mittler & Sohn, 2002). Ce livre inclut une impressionnante bibliographie, et cite des documents allemands jusqu’ici non-publiés. Malheureusement, l’auteur ne fournit pas de données précises concernant le nombre de soldats allemands (incluant des civils et des soldats croates) qui se rendirent aux forces britanniques dans le sud de l’Autriche, and qui furent ensuite livrés aux autorités communistes yougoslaves. Le nombre de captifs croates qui périrent après 1945 dans la Yougoslavie communiste demeure un sujet chargé d’émotion en Croatie, avec d’importantes implications pour la politique intérieure et étrangère du pays.
4.
Anton Scherer, Manfred Straka, Kratka povijest podunavskih Nijemaca/
Abriss zur Geschichte der Donauschwaben (Graz: Leopold Stocker Verlag/
Zagreb: Pan Liber, 1999), esp. p. 131; Georg Wild-mann, and others,
Genocide of the Ethnic Germans in Yugoslavia 1944-1948 (Santa Ana,
Calif.: Danube Swabian Association of the USA, 2001), p. 31.
5. A. Scherer, M. Straka, Kratka povijest podunavskih Nijemaca/ Abriss zur Geschichte der Donauschwaben (1999), pp. 132-140.
6.
Georg Wildmann, and others, Verbrechen an den Deutschen in
Jugo-slawien, 1944-48 (Munich: Donauschwäbische Kulturstiftung, 1998),
esp. pp. 312-313. A servi de base au livre en langue anglaise : Georg
Wildmann, and others, Genocide of the Ethnic Germans in Yugoslavia
1944-1948 ( Santa Ana, Calif.: Danube Swabian Association of the USA,
2001).
7. G. Wildmann, and others, Verbrechen an den Deutschen in Jugo-slawien, 1944-48, esp. p. 274.
8.
Wendelin Gruber, In the Claws of the Red Dragon: Ten Years Under Tito’s
Heel (Toronto: St. Michaelswerk, 1988). Traduit de l’allemand en
anglais Frank Schmidt.
En 1993, le père Gruber souffrant exile au Paraguay revint en Croatie pour passer ses dernières années dans un monastère jésuite à Zagreb. Je parlai avec lui peu avant sa mort le 14 août 2002, à l’âge de 89 ans.
En 1993, le père Gruber souffrant exile au Paraguay revint en Croatie pour passer ses dernières années dans un monastère jésuite à Zagreb. Je parlai avec lui peu avant sa mort le 14 août 2002, à l’âge de 89 ans.
9.
Stéphane Courtois, and others, The Black Book of Communism: Crimes,
Terror, Repression (Cambridge: Harvard Univ. Press, 1999).
10. G. Wildmann, and others, Verbrechen an den Deutschen in Jugo-slawien (cited above), p. 22.
11. Armin Preuss, Prinz Eugen: Der edle Ritter (Berlin: Grundlagen Verlag, 1996).
12. Otto Kumm, Geschichte der 7. SS-Freiwilligen Gebirgs-Division “Prinz Eugen” (Coburg: Nation Europa, 1995).
13.
Roland Kaltenegger, Titos Kriegsgefangene: Folterlager, Hun-germärsche
und Schauprozesse (Graz : Leopold Stocker Verlag, 2001).
14.
Alfred-Maurice de Zayas, Nemesis at Potsdam: The Expulsion of the
Germans From the East. (Lincoln: Univ. of Nebraska, 1989 [3rd rev.
ed.]); Alfred-Maurice de Zayas, The German Expellees: Victims in War and
Peace (New York: St. Martin’s Press, 1993); Alfred-Maurice de Zayas, A
Terrible Revenge: The “Ethnic Cleansing” of the East European Germans,
1944-1950 (New York: St. Martin’s Press, 1994); Ralph F. Keeling,
Gruesome Harvest: The Allies’ Postwar War Against the German People
(Institute for Historical Review, 1992).
15.
Tomislav Sunic, Titoism and Dissidence: Studies in the History and
Dissolution of Communist Yugoslavia (Frankfurt, New York: Peter Lang,
1995)
Tomislav
Sunic est détenteur d’un doctorat en sciences politiques de
l’Université de Californie, Santa Barbara. Il est écrivain, traducteur
et ancien professeur de sciences politiques aux USA. Tom Sunic vit
actuellement avec sa famille en Croatie. Une interview de lui, «
Reexamining Assumptions », a paru dans le numéro de mars-avril 2002 du
Journal of Historical Review (LIEN). Son livre le plus récent est Homo americanus: Child of the Postmodern Age (2007), qui peut être obtenu via Amazon books (LIEN). Pour plus d’autres articles de lui, voir son site web (LIEN).
Cet article est une adaptation du discours du Dr. Sunic le 22 juin 2002, à la 14ème Conférence de l’IHR, à Irvine en Californie.
1 commentaire:
Sujet sensible..Je m'y interrogeais deja,je veux comprendre passé présent futur,savez vous ce que des soixantes huitards lambdas,empreints de platitude de formatage de leurs âmes me repondirent a ce moment de débat,pour me clouer le bec de part leurs suffisantes et arrogances(rimes avec royaume-uni un jour je lisait):Si les Boch.. avaient gagner la guerre tu serais pas né petit c..!
Effectivement..un "autre" serait né,et mieux nait sans doute pensais-je..
Au plaisirs de vos articles.
Dominique.
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