Et encore moins de celui qui eut la haute main sur ces expérimentations de 1937 à 1951. Il a fallu pour cela que Soljenitsyne lève le voile en 2003 dans le tome 2 de sa fresque Deux siècles ensemble – Juifs et Russes pendant la période soviétique. Et révèle des choses bien étonnantes, quoique quasiment boycottées depuis.
Le laboratoire des poisons du
régime bolchevique est installé dès 1921. En 1926, il passe sous la
férule de Gendrik Yagoda, alors second de la Guépéou. A partir de 1937,
sous le nom de Laboratoire 1, ses activités vont considérablement se développer sous la direction de Grigory Moïssevitch Maïranovski.
Les
sources ne sont pas très loquaces sur ce personnage qui ne manque
pourtant pas d’intérêt et dont les hauts faits mériteraient de passer à
la postérité au moins autant que ceux du Dr Mengele. Difficile déjà de
trouver un portrait de lui. On sait qu’il est né en 1899 à Batoumi en
Géorgie. Dans sa jeunesse, il s’affilie au Bund
(l’Union – socialiste et antisioniste – des travailleurs juifs), mais
devant les nuages qui s’amoncellent sur ce mouvement, qui sera
finalement liquidé, il préfère rejoindre les bolcheviques. C’est plus
sûr. Il devient médecin biochimiste.
Il
travaille ensuite à l’Institut de recherches médicales Gorki à Moscou
qui sera placé sous l’autorité du NKVD. En 1937, l’année des grandes
purges, ce serviteur très zélé du régime obtient une promotion dont il
tâchera de se rendre digne : on lui confie la direction du Laboratoire 1
avec la tâche très spéciale de mettre au point un poison mortel ne
laissant pas de traces. Un poison provoquant un décès qui semblerait
naturel, du genre « insuffisance cardiaque ».
Dès
lors, il va se mettre au travail avec ardeur et sans états d’âme
superflus. De toute façon, n’est-ce pas, ses victimes étaient des
ennemis du peuple, et lui-même travaillait à instaurer un monde
meilleur, alors les détails…
Il
va se livrer à des recherches sur toutes sortes de poisons : la
digitaline, le curare, la ricine, etc. Et comme c’était un homme
consciencieux et désireux de bien faire, il fera des essais sur des
cobayes humains – les oiseaux, ainsi les appelait-il
poétiquement – d’âge et de condition physique très variés. Il
administrait le poison dans la nourriture ou la boisson, puis à travers
un judas, observait les phases de l’agonie, notant scrupuleusement tous
les détails.
Il
est si bien noté par ses chefs qu’il est promu colonel du NKVD en 1943.
C’est la guerre, ce ne sont pas les ennemis du peuple qui manquent.
Outre les russes, il aura bientôt à sa disposition des oiseaux
allemands, polonais, voire japonais. Il expérimente à tour de bras.
Et d’ailleurs il réussira apparemment à mettre au point la substance parfaite, appelée C-2 qui vous tuait doucement en quinze minutes, sans laisser de traces. Elle sera largement utilisée.
Le NKVD demandera également à ce précieux auxiliaire d’expérimenter un « camion à gaz ». Mais nous en reparlerons.
Ce n’est qu’à la veille du procès de Nuremberg, en 1945,
que les expérimentations sur cobayes humains effectuées par le bon
docteur Maïranovski furent interdites. Du moins officiellement.
Les
luttes de pouvoir sauvages au sein du NKVD, alors dirigé par Lavrenti
Béria, vont affecter le colonel-empoisonneur qui se croyait pourtant
bien à l’abri dans son laboratoire. Il savait tant de choses, ayant
personnellement pratiqué tant d’assassinats politiques, qu’il se
considérait intouchable ....
Il
est cependant arrêté en décembre 1951 - pas pour ses crimes, je vous
rassure tout de suite - mais dans un contexte de luttes de clans. Et,
sans qu’il y ait de procès, il est condamné à 10 ans de prison pour…
abus de fonction et détention illégale de poisons ! Curieusement, il ne
sera pas libéré à la mort de Staline, en mars 1953, et dans l’espoir de
se dédouaner, il chargera copieusement son ancien patron, Lavrenti
Béria, lors du procès de celui-ci en juin de la même année,
reconnaissant du même coup ses propres crimes.
Il fera bel et bien ses 10 ans de prison, à sa grande indignation. Voilà comment on récompensait la vertu militante ! Il est libéré en décembre 1961 et assigné à résidence au Daghestan où il travaillera dans un laboratoire de chimie.
Il
commettra une erreur fatale en essayant d’obtenir avec acharnement sa
réhabilitation. Dans ce but, il écrit à Krouchtchev, le nouveau maître,
pour lui rappeler certains faits anciens – notamment un assassinat
commun – que ce dernier n’avait apparemment nulle envie de voir
ressurgir. Maïranovski n’aura pas l’occasion d’en parler davantage car
il succombe opportunément en décembre 1964 d’une… insuffisance
cardiaque.
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