Le
30 septembre 1895 à Constantinople, une manifestation pacifique de
quelques milliers d'Arméniens avait été durement réprimée, ce qui avait
fait plusieurs dizaines de victimes. S'en était suivie une certaine
agitation, surtout en Anatolie orientale, région à forte minorité
arménienne. À Trébizonde, deux individus non identifiés ayant légèrement
blessé le gouverneur, la population arménienne (7 000 personnes) avait
aussitôt été accusée collectivement par les autorités. Nombre de civils
turcs, armés pour la circonstance, s'étaient déjà attaqués aux quartiers
arméniens, quand le gouverneur invita le vicaire patriarcal à dénoncer
les coupables. Comme il avouait son ignorance à leur sujet, le 8 octobre
vers midi une trompette se fit entendre. C'était le signal de la ruée
sur les Arméniens. Civils, militaires, Turcs et Lazes (les Lazes sont
des Caucasiens), tous musulmans, ravagèrent les quartiers arméniens,
tuant les passants, pénétrant dans les boutiques, égorgeant les
commerçants, achevant avec cruauté les blessés. En fin de journée, quand
la trompette sonna de nouveau, le massacre s'arrêta, preuve qu'il avait
été organisé. Six cents Arméniens étaient morts à Trébizonde, et deux
cents autres aux environs, où plusieurs villages avaient été détruits.
La justice ne condamna aucun musulman, mais huit Arméniens furent condamnés à mort et vingt-quatre à de la prison. Pour l'ensemble des provinces, environ 200 000 morts, 100 000 jeunes femmes et jeunes filles capturées et emprisonnées dans des harems, 100 000 conversions forcées et 200 000 émigrés vers la Russie, l'Europe occidentale, l'Amérique et la Bulgarie.
Malheureusement ce n'était qu'un début. Vingt ans plus tard, printemps 1915, sévit la Première Guerre mondiale. Les Turcs se battent contre les Français et les Anglais aux Dardanelles et contre les Russes au sud du Caucase. Ecœurés par des siècles d'humiliations, les Arméniens ne cachent pas leur sympathie pour le grand frère russe dont l'armée s'empare d'une partie de l'Anatolie orientale. Quoiqu'ils aient accompli leur devoir de sujets ottomans, les militaires arméniens sont désarmés, certains exécutés, sur ordre du gouvernement des Jeunes Turcs. Les Arméniens dans leur ensemble sont accusés d'avoir prêté la main aux Russes. De toute façon leur sort est scellé. Les pays chrétiens des Balkans ayant acquis au cours du XIXe siècle l'indépendance ou l'autonomie, les Arméniens et des Grecs demeurent à peu près les seuls chrétiens en pays ottoman. Il fallait donc achever de turquifier le territoire et éliminer ces deux populations en trop. C'était le nettoyage ethnique. Les grécophones, quoique de nationalité turque, seront expédiés en Grèce en 1924 au nombre de 1 500 000, échangés contre 400 000 à 500 000 turcophones musulmans vivant en Grèce. Quant aux Arméniens, une loi du 27 mai 1915 « permettait aux autorités militaires de disposer à leur guise des populations civiles soupçonnées d'espionnage et de trahison et d'entreprendre la déportation collective des villes et des villages suspects » (Yves Temon). En fait, les déportations avaient commencé fin avril.
Dans toutes les localités, le processus a été à peu près le même : affichage annonçant le jour du départ ; rassemblement des déportés en troupeau ; abandon de tous les biens, qui seront ensuite pillés (le butin, cher au Coran) ; sortie de la ville à pied, en longues colonnes ; une fois dans la campagne, exécution de la plupart ou de la totalité des hommes dans des scènes de sadisme, sous les yeux de leurs épouses et de leurs mères ; viol et capture de jolies femmes pour les harems ; assassinat des traînards et, finalement, de la presque totalité des déportés ; des femmes jetées de haut dans les gorges d'une rivière ou d'un fleuve, dans le fond desquelles elles se fracassaient et mouraient ; nourrissons écartelés ou le crâne éclaté en le tapant sur un rocher, etc. Et, pour les rares survivants, d'insignifiantes quantités de nourriture, assorties ; parfois de la privation d'eau ; enfin, les maigres troupes qui étaient parvenues au désert de Mésopotamie ou de Syrie, but de la déportation, achevaient d'y mourir, sous les coups de leurs gardiens...
Les déportations se sont poursuivies jusqu'à la fin de 1915. Sur 1 800 000 Arméniens de Turquie, 1 200 000 seraient morts, 200 000 se seraient réfugiés en Russie et les autres auraient échappé à la déportation, soit cachés par des amis, soit habitant Constantinople ou Smyrne. Quant à Trébizonde, sa population a subi le sort commun, la persécution étant dirigée par le gouverneur, le « chef de l'Organisation Spéciale », le député, le chef de la police et le colonel de gendarmerie. On ne saurait donc nier qu'il se soit agi de suivre les ordres donnés par le gouvernement, dont la responsabilité était entière. Lorsque les troupes russes sont arrivées à Trébizonde en avril 1916, elles n'y ont trouvé que quelques familles arméniennes...
A.S. PRÉSENT — Samedi 14 janvier 2012.
La justice ne condamna aucun musulman, mais huit Arméniens furent condamnés à mort et vingt-quatre à de la prison. Pour l'ensemble des provinces, environ 200 000 morts, 100 000 jeunes femmes et jeunes filles capturées et emprisonnées dans des harems, 100 000 conversions forcées et 200 000 émigrés vers la Russie, l'Europe occidentale, l'Amérique et la Bulgarie.
Malheureusement ce n'était qu'un début. Vingt ans plus tard, printemps 1915, sévit la Première Guerre mondiale. Les Turcs se battent contre les Français et les Anglais aux Dardanelles et contre les Russes au sud du Caucase. Ecœurés par des siècles d'humiliations, les Arméniens ne cachent pas leur sympathie pour le grand frère russe dont l'armée s'empare d'une partie de l'Anatolie orientale. Quoiqu'ils aient accompli leur devoir de sujets ottomans, les militaires arméniens sont désarmés, certains exécutés, sur ordre du gouvernement des Jeunes Turcs. Les Arméniens dans leur ensemble sont accusés d'avoir prêté la main aux Russes. De toute façon leur sort est scellé. Les pays chrétiens des Balkans ayant acquis au cours du XIXe siècle l'indépendance ou l'autonomie, les Arméniens et des Grecs demeurent à peu près les seuls chrétiens en pays ottoman. Il fallait donc achever de turquifier le territoire et éliminer ces deux populations en trop. C'était le nettoyage ethnique. Les grécophones, quoique de nationalité turque, seront expédiés en Grèce en 1924 au nombre de 1 500 000, échangés contre 400 000 à 500 000 turcophones musulmans vivant en Grèce. Quant aux Arméniens, une loi du 27 mai 1915 « permettait aux autorités militaires de disposer à leur guise des populations civiles soupçonnées d'espionnage et de trahison et d'entreprendre la déportation collective des villes et des villages suspects » (Yves Temon). En fait, les déportations avaient commencé fin avril.
Dans toutes les localités, le processus a été à peu près le même : affichage annonçant le jour du départ ; rassemblement des déportés en troupeau ; abandon de tous les biens, qui seront ensuite pillés (le butin, cher au Coran) ; sortie de la ville à pied, en longues colonnes ; une fois dans la campagne, exécution de la plupart ou de la totalité des hommes dans des scènes de sadisme, sous les yeux de leurs épouses et de leurs mères ; viol et capture de jolies femmes pour les harems ; assassinat des traînards et, finalement, de la presque totalité des déportés ; des femmes jetées de haut dans les gorges d'une rivière ou d'un fleuve, dans le fond desquelles elles se fracassaient et mouraient ; nourrissons écartelés ou le crâne éclaté en le tapant sur un rocher, etc. Et, pour les rares survivants, d'insignifiantes quantités de nourriture, assorties ; parfois de la privation d'eau ; enfin, les maigres troupes qui étaient parvenues au désert de Mésopotamie ou de Syrie, but de la déportation, achevaient d'y mourir, sous les coups de leurs gardiens...
Les déportations se sont poursuivies jusqu'à la fin de 1915. Sur 1 800 000 Arméniens de Turquie, 1 200 000 seraient morts, 200 000 se seraient réfugiés en Russie et les autres auraient échappé à la déportation, soit cachés par des amis, soit habitant Constantinople ou Smyrne. Quant à Trébizonde, sa population a subi le sort commun, la persécution étant dirigée par le gouverneur, le « chef de l'Organisation Spéciale », le député, le chef de la police et le colonel de gendarmerie. On ne saurait donc nier qu'il se soit agi de suivre les ordres donnés par le gouvernement, dont la responsabilité était entière. Lorsque les troupes russes sont arrivées à Trébizonde en avril 1916, elles n'y ont trouvé que quelques familles arméniennes...
A.S. PRÉSENT — Samedi 14 janvier 2012.
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