Les
études historiques se rapportant aux 30 ans de guerres européennes au
cours du XXe siècle se limitent trop souvent à des batailles
spectaculaires ou à des bombardements meurtriers, qui firent énormément
de victimes civiles, comme Hiroshima ou Dresde. Les aventures héroïques
de soldats allemands sur des fronts lointains et exotiques ne sont guère
évoquées, surtout dans le cadre de l’historiographie imposée par les
vainqueurs. La raison de ce silence tient à un simple fait d’histoire :
les puissances coloniales, et surtout l’Angleterre, ont exploité les
peuples de continents tout entiers et y ont souvent mobilisé les
indigènes pour les enrôler dans des régiments à leur service.
L’historiographie
dominante, téléguidée par les officines anglo-saxonnes, veut faire
oublier les années sombres de l’Empire britannique, ou en atténuer le
souvenir douloureux, notamment en valorisant le combat de cet officier
anglais du nom de Thomas Edward Lawrence, mieux connu sous le nom de
“Lawrence d’Arabie”. Cet officier homosexuel a mené au combat les tribus
bédouines de Fayçal I qui cherchaient à obtenir leur indépendance
vis-à-vis de l’Empire ottoman. Il fallait, pour les services naglais,
que cette indépendance advienne mais seulement dans l’intérêt de
Londres. Le 1er octobre 1918, Damas tombe aux mains des rebelles arabes
et, plus tard dans la même journée, les forces britanniques entrent à
leur tour dans la capitale syrienne. Mais les Arabes étaient déjà trahis
depuis 2 ans, par l’effet des accords secrets entre l’Anglais Sykes et
le Français Picot. L’ensemble du territoire arabe de la Méditerranée au
Golfe avait été partagé entre zones françaises et zones anglaises, si
bien que les 2 grandes puissances coloniales pouvaient tranquillement
exploiter les réserves pétrolières et contrôler les régions stratégiques
du Proche Orient. La liberté que Lawrence avait promise aux Arabes ne
se concrétisa jamais, par la volonté des militaires britanniques.
Beaucoup
de tribus de la région, soucieuse de se donner cette liberté promise
puis refusée, entrèrent en rébellion contre le pouvoir oppressant des
puissances coloniales. La volonté de se détacher de l’Angleterre secoua
les esprits de la Méditerranée orientale jusqu’aux Indes, tout en
soulevant une formidable vague de sympathie pour l’Allemagne. Les
rebelles voulaient obtenir un soutien de la puissance centre-européenne,
qui leur permettrait de se débarrasser du joug britannique. Ainsi,
pendant la Première Guerre mondiale, le consul d’Allemagne en Perse,
Wilhelm Wassmuss (1880-1931), fut un véritable espoir pour les
indépendantistes iraniens, qui cherchaient à se dégager du double étau
russe et anglais. L’historien anglais Christopher Sykes a surnommé
Wassmuss le “Lawrence allemand” dans ses recherches fouillées sur les
Allemands qui aidèrent les Perses et les Afghans dans leur lutte pour
leur liberté nationale.
Fin
1915, début 1916, le Feld-Maréchal von der Goltz, commandant en chef
des forces armées de Mésopotamie et de Perse, entre dans la ville
iranienne de Kermanshah. Les Perses s’attendaient à voir entrer des
unités allemandes bien armées, mais le Feld-Maréchal n’entre dans la
ville qu’avec 2 automobiles. Pendant ce temps, le Comte von Kanitz avait
constitué un front contre les Anglais qui avançaient en Perse centrale.
Les forces qui meublaient ce front étaient composées de gendarmes
iraniens, de mudjahiddins islamiques, de mercenaires, de guerriers
tribaux (des Loures et des Bachtiars) et de Kurdes. La mission militaire
germano-perse se composait de trente officiers sous le commandement du
Colonel Bopp. Le gouvernement de Teheran cultivait une indubitable
sympathie pour les Allemands : l’Angleterre se trouvait dès lors dans
une situation difficile. Lorsque la Turquie ottomane entra en guerre, un
corps expéditionnaire britannique, sous le commandement de Sir Percy
Cox, occupa Bassorah et Kourna. La Perse se déclara neutre mais, malgré
cela, les Anglais continuèrent à progresser en territoire perse, pour
s’assurer l’exploitation des oléoducs de Karoun, entre Mouhammera et
Ahwas.
Les
tribus des régions méridionales de la Perse étaient toutefois fascinées
par Wassmuss, le consul allemand de Boushir, originaire de Goslar.
Wassmuss traversa le Louristan, région également appelée “Poucht-i-Kouh”
(Derrière les montagnes), où vivaient des tribus éprises de liberté,
celles des Lours. En 1916, Wassmuss fait imprimer le journal Neda i Haqq
(La Voix du droit) à Borasdjan, “pour éclairer et éveiller l’idée
nationale persane”. Wassmuss travailla d’arrache-pied pour influencer le
peuple iranien. Son journal en appelait à la résistance nationale et
préchait la révolte contre l’ennemi qui pénétrait dans le pays. Wassmuss
fut ainsi le seul à pouvoir unir les tribus toujours rivales et à leur
donner cohérence dans les opérations. « Les chefs religieux
distribuèrent des directives écrites stipulant qu’il était légal de tuer
tous ceux qui coopéraient avec les Anglais ». Mais tous les efforts de
Wassmuss furent vains : il n’y avait aucune planification et la révolte
échoua, littéralement elle implosa. Elle est venue trop tard : dès le
début de l’année 1918, les troupes britanniques avaient occupé la
majeure partie du territoire perse, en dépit de la neutralité officielle
qu’avait proclamée le pays pour demeurer en dehors du conflit.
Pendant
la Seconde Guerre mondiale, les Alliés ne s’intéressaient qu’au
pétrole, qu’à assurer leur prédominance économique en Iran, et ne se
souciaient guère de lutter contre l’idée nationale persane. Rien n’a
changé sur ce chapitre aujourd’hui : les Occidentaux ne cherchent que
des avantages économiques. Toujours pendant le second conflit mondial,
près d’un million d’hommes, épris de liberté, se sont rangés aux côtés
de la Wehrmacht allemande, dans l’espoir de libérer leur pays de la
tutelle des puissances coloniales occidentales : parmi eux, on compte
les Indiens de la Légion “Asad Hindi”, les troupes recrutées par le
Mufti de Jérusalem, les combattants issus des tribus du Caucase et
quelques nationalistes iraniens. Ces derniers ont également apporté leur
soutien à une opération osée, et sans espoir, que l’on avait baptisée
“Amina”. Elle avait été planifiée par l’Abwehr de l’Amiral Canaris et
devait être menée à bien par des soldats de la fameuse division
“Brandenburg”.
L’objectif
était de détruire la raffinerie de pétrole d’Abadan afin d’interrompre
l’approvisionnement en carburant de la flotte britannique du Proche
Orient. Mais les troupes britanniques et soviétiques sont entrées dans
le Sud et dans le Nord de l’Iran, le 25 août 1941 et l’opération prévue
par Canaris n’a pas pu avoir lieu. Plusieurs unités iraniennes
résistèrent âprement mais dès le 28 août, elles ont dû capituler. Mais
la lutte clandestine s’est poursuivie : début 1942, l’Abwehr allemande
engage cent soldats indiens, qu’elle a bien entraînés, pour faire
diversion dans l’Est de l’Iran. Les autres théâtres d’opération, très
exigeants en hommes et en matériels, et l’éloignement considérable du
front persan ont empêché toute intervention directe des Allemands. Les
ressortissants allemands qui se trouvaient encore en Perse, après
l’entrée des troupes britanniques et soviétiques, ont courageusement
continué à soutenir les efforts des résistants iraniens. Il faut surtout
rappeler les activités légendaires de Bernhard Schulze-Holthus, qu’il a
déployées auprès des tribus guerrières des Kashgaï. Il était le
conseiller du chef tribal Nazir Khan, qui refusait de payer des impôts à
Teheran. Le rejet de la présence britannique conduisit donc à cette
alliance germano-perse. Après plusieurs défaites, qui coûtèrent beaucoup
de vies au gouvernement central iranien, celui-ci conclut un armistice
avec Nazir Khan. Ce traité promettait l’autonomie aux Kashgaïs et leur
fournissait des armes. En 1943, Nazir Khan revient de son exil allemand.
Les Britanniques l’arrêtent et l’échangent en 1944 contre
Schulze-Holthus.
De
nos jours encore, les régions du monde qui ont fait partie de l’Empire
britannique sont des foyers de turbulences, surtout au Proche Orient. La
question est ouverte : à quand la prochaine attaque contre le “méchant
Iran”, que décideront bien entendu les “bonnes” puissances nucléaires ?
► Rudolf Moser. (article paru dans zur Zeit, Vienne, n°44/2010) http://vouloir.hautetfort.com
♦ Pour prolonger :
- Wassmuss "le Lawrence allemand" : ses aventures en Perse pendant la guerre mondiale, Christopher Sykes, Payot, 1936 (nb. illustrations)
- La pénétration allemande au Moyen-Orient, 1919-1939 : le cas de la Turquie, de l'Iran et de l'Afghanistan, Antoine Fleury, Institut universitaire de Hautes Études internationales, Genève, 1977
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