Dix
pour cents seulement des 3,8 millions de soldats allemands pris
prisonniers par les Américains pendant la seconde guerre mondiale ont
été embarqués sur des navires à destination des Etats-Unis, où ils ont
été plus ou moins traités jusqu’en mai 1945 selon les règles régies par
le droit des gens. 3,4 millions de prisonniers issus des rangs de la
Wehrmacht ont toutefois subi d’autres formes de détention.
Dès
la fin de l’été 1944, après le débarquement en Normandie, que les
Allemands appellent l’ “invasion”, les autorités militaires américaines
créent des “camps de transit” (“Durchgangslager”) partout en Europe
occidentale, où les prisonniers de guerre sont “internés provisoirement”
et triés, où seuls ceux auxquels on ne pouvait imposer un travail
étaient transportés en direction des Etats-Unis. Il y régnait des
conditions misérables. Les prisonniers recevaient un minimum de soins et
devaient généralement dormir à même le sol. Leur sort s’améliorait
considérablement toutefois dès qu’on les embrigadait dans les “US-Labour
Service Units” (= “les Unités du Service américain du travail”), qui
devaient prester toutes sortes de services dans les bases arrière de
l’armée américaine.
Pour
ceux qui seront pris prisonniers et détenus ultérieurement sur le sol
allemand, la même règle générale était de rigueur : seuls ceux qui
acceptaient de travailler pour les Américains recevaient des soins
corrects et étaient hébergés dans de bonnes conditions. Mais peu de
détenus, sur les trois millions qui végétaient dans ces camps de
“prisonniers de la capitulation”, ont pu “bénéficier” de ce privilège.
Ils s’étaient rendus au cours des dernières phases de la guerre, en
faisant confiance à la propagande américaine qui leur promettait un
traitement conforme à la convention de Genève, ou ils avaient été
ramassés et rassemblés par des unités américaines dès que les hostilités
avaient cessé.
Pratiquement
aucun de ces hommes n’a reçu un traitement correct. Les Américains ont
délibérément enfreint les règles du droit des gens: ils justifient
aujourd’hui leurs actes en arguant que les denrées alimentaires
manquaient partout en Europe en 1945. Dans les états-majors américains,
où étaient prises les directives principales quant au traitement des
prisonniers de guerre, le manque de vivres n’a pas vraiment joué de rôle
déterminant, au contraire de l’intention bien prononcée de punir de
manière drastique l’ensemble des soldats allemands captifs.
L’essayiste
allemand contemporainThorsten Hinz, dans son ouvrage récent consacré à
la “psychologie de la défaite”, a démontré que les Allemands se sont
tous retrouvés en 1945 dans un immense et unique “camp de rééducation”,
étendu à tout le territoire de l’ancien Reich. Ce fut le premier pas sur
le chemin de la “rééducation démocratique”: il consistait à montrer aux
Allemands qu’ils étaient entièrement sous la coupe du bon vouloir de
leurs vainqueurs, de façon à briser définitivement toute volonté
d’affirmation nationale et collective. La directive JCS-1067 des
autorités d’occupation américaines visait à imposer une grande et rude
leçon générale d’humilité, en imposant “famine et froid” à tous ceux qui
étaient tombés en leur pouvoir. Le futur gouverneur militaire américain
en Allemagne, Lucius D. Clay, a certes bien dit et écrit que cette
politique de “famine et de froid”, à propos de laquelle le consensus
régnait dans les cercles gouvernementaux américains en 1945, ne devait
pas conduire à la mort par famine et par froid de la masse du peuple
allemand. Mais de cette déclaration de Clay, il ressort toutefois bel et
bien que la distribution de vivres, certes devenus rares, aux
prisonniers de guerre allemands étaient la dernière des priorités pour
les Américains.
Pour
le sort des prisonniers pris au moment de la capitulation, cette
insouciance a eu des conséquences fatales. Dans ce contexte, cela n’a
plus guère d’importance de rappeler que le commandant-en-chef des forces
américaines en Europe, le Général Eisenhower, ait donné l’ordre le 4
mai 1945 de traiter tous les nouveaux prisonniers de guerre allemands
comme des “Disarmed Enemy Forces” (DEF), de façon à ce qu’ils ne tombent
plus sous la protection de la convention de Genève. Par ce tour de
passe-passe, les Américains se débarrassaient de l’obligation de loger,
d’alimenter et de soigner médicalement ces DEF et la confiaient aux
Allemands. Toutefois, indépendamment de leur statut, tous les
prisonniers rassemblés ont été, dans un premier temps, concentrés dans
des “camps de transit” improvisés: on se souviendra surtout des
abominables “Rheinwiesenlager” (= des “camps-prairies” de Rhénanie). On a
maintes fois décrit les conditions affreuses qui régnaient dans ces
“camps-prairies”: nous n’en donnerons qu’un bref résumé dans le présent
article. Concentrer ainsi des centaines de milliers d’hommes, après les
avoir “filtrés” et dépouillé de toutes leurs affaires personnelles, et
puis les laisser à eux-mêmes, enfermés dans des camps gigantesques
pendant des semaines, où se bousculaient parfois près de 100.000
captifs, répartis dans des “cages” séparées de 5000 à 15.000 soldats,
sans qu’il n’existe la moindre infrastructure; vivre les uns sur les
autres sans un toit au-dessus de la tête, à même le sol d’un champ, sans
installations hygiéniques ou seulement avec des installations
improvisées, sans soins médicaux, sans nourriture ou avec seulement une
nourriture insuffisante pendant les premiers jours, avec les mauvais
traitements infligés par les gardiens et par les plus corrompus des
prisonniers hissés au rang de “police du camp” sont autant de
manquements qui ont conduit à des souffrances indicibles et à la mort
d’innombrables prisonniers.
On
ne peut par dire a posteriori que toutes ces souffrances ont été
planifiées volontairement dans tous leurs détails mais la terrible
expérience subie par ces millions d’hommes, où le prisonnier perd toute
dignité et tout sens de la solidarité à cause de la faim et de la
misère, fut bel et bien le lot de tous les porteurs d’uniforme allemands
pris par les Américains en 1945. La lutte constante pour recevoir une
nourriture chiche dans les “cages”, a poussé jusqu’à l’absurde les vieux
idéaux de la discipline militaire et de la camaraderie entre soldats.
Tout cela cadre bien avec la première “thérapie de choc”, qui allait
être suivie par la politique plus vaste de “rééducation”.
Après
avoir infligé aux prisonniers de guerre allemands cette épouvantable
leçon, les Etats-Unis n’avaient aucun intérêt à les retenir captifs
indéfiniment. Après que les Américains aient sélectionné quelque 300.000
hommes pour leurs “Labour Service Units”, ils ont commencé à libérer
les autres. À partir de juin 1945, ils ont libéré les plus vieux et les
plus jeunes (surtout les très jeunes) puis ceux qui avaient un métier
important pour l’économie du ravitaillement; à partir d’août, ce fut le
tour de la grande masse des prisonniers. Les Allemands concentrés
pêle-mêle dans ces “camps de transit” sans être correctement
enregistrés, devaient êtretriés et répartis éventuellement dans d’autres
lieux de détention; pour ces malchanceux, la captivité a duré encore
plus longtemps.
D’autres
encore subirent des épreuves complémentaires: ils ont été accusés de
crimes de guerre ou retenus comme témoins de tels crimes, et donc leur
détention a été prolongée; enfin, une masse importante a été transférée
dans les pays alliés pour y forunir une main-d’oeuvre forcée. Au début
de l’année 1946, il y avait encore en Europe un million de prisonniers
de guerre allemands détenus officiellement par les Américains (dont une
bonne partie en France et en Italie). Au début de l’année 1947, il n’y
en avait plus que 40.000.
Les
conditions de vie de ces prisonniers, dans les camps gérés par l’armée
américaine sur le sol allemand, étaient contraires au droit des gens,
dans la mesure où les délégués de la Croix Rouge internationale avaient
reçu expressément l’interdiction de les visiter. Ces conditions se sont
améliorées à partir de juillet 1945. Les “camps de transit” ont été
démantelés les uns après les autres ou transformés en camps de
prisonniers plus ou moins normaux. Dans les camps résiduaires, l’hygiène
s’est progressivement améliorée, de même que les soins médicaux et le
logement. L’alimentation des prisonniers étaient encore mesurée
chichement mais devenait plus régulière. Comparé au sort de leurs
homologues retenus prisonniers aux Etats-Unis, celui des prisonniers
allemands en Europe restait misérable à la fin de l’année 1945 mais
moins mortel, potentiellement, qu’au début de l’été.
En
mai et en juin 1945, les “camps-prairies” de Rhénanie et les autres
camps de prisonniers organisés par l’armée américaine en Allemagne, avec
une nourriture totalement insuffisante, des conditions d’hygiène
déplorables, l’obligation de dormir à la belle étoile ou dans des trous
de terre creusés par les prisonniers eux-mêmes, l’exposition aux pluies
incessantes et à la boue qui en résultait, ont entraîné la mort
d’innombrables malheureux. L’adjectif “innombrable” est bien celui qui
sied ici car nous ne possédons toujours pas de chiffre fiable quant aux
nombre de décès qu’a entraînés l’administration pleinement consciente de
cette “leçon de famine et de froid”. Cela explique le choc qu’a
provoqué la parution en 1989 du livre du journaliste canadien James
Bacque, consacré aux prisonniers de guerre allemands dans les camps
américains et français en 1945 et 1946; Bacque avance le chiffre d’un
million de morts dans les camps américains.
Dag KRIENEN. http://euro-synergies.hautetfort.com
(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°49/2010; trad. franç.: mars 2012 ; http://www.jungefreiheit.de/ ).
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