Adieu
camarades. Sous ce titre, la chaîne Arte, où le pire du pire voisine,
certes, avec le meilleur diffuse une série absolument remarquable sur la
chute du communisme. (1)⇓
Le
28 novembre 1989, à Prague, des milliers de manifestants occupaient les
rues. Sur l'immeuble de l'ancienne télévision d'État une banderole est
hissée : « Pologne 10 ans ; Hongrie 10 mois ; Allemagne de l'Est 10
semaines ; Tchécoslovaquie 10 jours ». Bientôt, à Bucarest, on
ajoutera : « Roumanie 10 heures ». La fin du communisme se traduira en
effet par une plus formidable accélération de l'histoire.
Le
réalisateur Andrei Nekrasov et les scénaristes Jean-François Colosimo
et György Dalos font dès lors remarquer : « Le communisme n'est pas mort
de l'extérieur, mais de l'intérieur. Il a implosé. Il n'a pas été
vaincu par les armes mais par la volonté et la conviction de celles et
ceux que le communisme devait rendre heureux » Ce dernier membre de
phrase va peut-être un peu loin dans la mesure où le courage
extraordinaire des dissidents n'a donné que le coup de grâce au système
moribond.
Plus
de 20 ans après l'effondrement du bloc soviétique, les aspects
essentiels de cette mutation du monde semblent de moins en moins
inscrits dans la mémoire de nos dirigeants, de nos communicateurs et de
nos commentateurs agréés. Pis encore, et très logiquement, les leçons
que l'on peut en tirer s'effacent de plus en plus des stratégies
occidentales.
La
première évidence à rappeler porte donc sur les raisons qui ont conduit
à ce bouleversement, inattendu de la plupart des spécialistes. (2)⇓
La
voix dominante des stratèges affirmait que le point faible de cette
construction remontait, au fond, à l'empire des Tsars. On dénonçait
ainsi, à la fois son caractère multinational et sa tendance à la
russification. D'intéressantes statistiques intervenaient pour prouver
qu'au sein de chaque république, la nationalité russe prenait une part
grandissante. Par là même, la révolte des peuples satellisés était
présentée comme inéluctable.
Ma
génération a été largement convaincue que le meilleur antidote à la
menace communiste, mais aussi, pour les plus audacieux la voie la plus
recommandable de la victoire du camp de la Liberté passerait par le
nationalisme. À partir des années 1950, on a beaucoup admiré, pour ces
motifs, la Yougoslavie de Tito, expulsé du Kominterm par Staline. Et on
la présenta longtemps pour un modèle de réussite.
À
partir de 1974, charnière marquée par la publication en occident de
« l'Archipel du Goulag », la voix des dissidents est devenue porteuse
d'espérance. Elle a cessé de n'être répercutée que par quelques cercles
confidentiels. Rappelons à cet égard que, jusque-là, les amis de Boris
Pasternak étaient eux-mêmes profondément marginalisés, voire expulsés
des intelligentsias de Paris, Londres ou New York. On a donc conçu la
cause des droits de l'Homme comme susceptible de terrasser le dragon
rouge.
Or
l'Empire n'a ni éclaté ni évolué : il s'est écroulé sur lui-même, ruiné
et rongé par sa propre perversité juridique et économique. Roulée dans
sa crasse et ses crimes la bureaucratie soviétique a renoncé à gérer ses
dépendances et proclamé la souveraineté des territoires dont elle avait
imposé, au cours des 70 années de l'Histoire soviétique, de la façon la
plus brutale, les artificielles frontières.
C'est de son désastre économique, et pas d'autre chose, que ce système est mort.
La
faillite de toutes ses usines à gaz comptables, de toutes ses
directives inapplicables, de toutes ses utopies planificatrices a
détruit la principale puissance militaire du monde, disposant du
territoire le plus étendu et de la plus grande réserve de matières
premières de la planète.
On devrait par conséquent considérer en parallèle l'Histoire de la France.
En
1789, la fausse gloire Mirabeau dominait l'assemblée constituante. Ce
personnage, profondément corrompu, faisait encore figure de référence.
Dans un discours tonitruant, il avait prétendu prohiber « le mot hideux
de banqueroute ». Il eût sans doute été plus avisé de faire adopter les
dispositions de nature à empêcher la chose. Car les dispositions qu'il
fit adopter personnellement allaient conduire exactement à ce qu'il
prétendait redouter. Appuyant habilement la proposition de Talleyrand,
il sut convaincre les députés de voter la nationalisation des biens de
l'Église et la transformation les membres du clergé en fonctionnaires de
l'État. Cette décision funeste, mais en apparence rationnelle,
conduisit à une série d'expédients financiers catastrophiques. (3)⇓
La dérive des assignats se produisit en effet très rapidement. Elle ne
fut cependant sanctionnée qu'à l'époque du Directoire, soit après
plusieurs années dramatiques où les acquisitions spoliatrices de biens
nationaux avaient ajouté de l'Or et de la boue, au sang de la guerre
civile et de la guerre européenne déclenchées l'une comme l'autre par la
fureur et les pillages du jacobinisme.
Eh
bien très précisément : ce à quoi nous assistons particulièrement en
France aujourd'hui, mais également dans bon nombre de pays de l'Union
européenne reflète en profondeur, plus encore que la crise,
l'effondrement inéluctable de ce qu'on appelle l'État Providence,
héritier bâtard et hybride du jacobinisme et du soviétisme. (4)⇓
Aujourd'hui
les comptes publics français sont ainsi dramatiquement rongés,
notamment par les conséquences du plan Juppé de 1995-1997, ou par les
quelque 500 niches fiscales et sociales imaginées pour corriger les
tares de cet immense système spoliateur, où le régime s'épuise, de
pseudo-réforme en pseudo-réforme, à colmater des brèches.
Cet
équilibre instable a encore moins de raison de se maintenir que n'en
avait l'ordre totalitaire soviétique. On peut toujours préférer qu'il se
réforme plutôt que de subir une destruction aussi coûteuse que celle à
laquelle on assiste d'ores et déjà dans les pays les plus atteints. On
doit toujours espérer chrétiennement le repentir sincère du pécheur,
plutôt que sa condamnation définitive.
Hélas la sanction de la vie se révèle souvent moins charitable.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
Apostilles
- On peut retrouver les 6 épisodes en vidéo à la demande ou en coffret DVD.⇑
- Seul Jules Monnerot en avait annoncé les prémisses. ⇑
- On ne saurait trop recommander à ce sujet le remarquable ouvrage de Florin Aftalion "l'Économie de la révolution française". Publié en dans la collection Pluriel, alors dirigée par Georges Liébert, il a été réédité aux Belles Lettres.⇑<
- Ce caractère se retrouve dans le Rapport Beveridge de 1942 en Grande Bretagne, dans la création ruineuse du Social security trust par Roosevelt en 1935 ou de Medicare par Johnson en 1965, ou des ordonnances de 1945 en France : toujours la même inspiration, celle de la "convergence avec l'expérience soviétique" sous des apparences à peine différentes.⇑
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