Louis XIV entendait sauvegarder l'équilibre européen, par un ensemble au sud sous influence catholique et française.
Cette année-là, la
cinquante-troisième de son règne, Louis XIV, soixante-deux ans, décidait
d'accepter pour son deuxième petit-fils Philippe, duc d'Anjou, dix-sept
ans, la couronne d'Espagne que par testament, le roi défunt
d'outre-Pyrénées Charle II transmettait à celui-ci.
Un choix difficile
La décision n'avait
pas été facile pour le roi de France. Depuis longtemps déjà le roi
Charles II, beau-frère de Louis XIV, né en 1660, n'était que l'ombre de
lui-même. Comme il n'avait pas eu d'enfant de ses deux épouses
successives (Marie-Louise d'Orléans, puis Marie-Anne de Neubourg
Bavière) toute l'Europe était en haleine en attendant de savoir qui
ceindrait après lui la prestigieuse couronne de Charles Quint et de
Philippe II. Le roi d'Espagne, dernier Habsbourg de sa branche, pouvait
tester en faveur de l'un ou l'autre de trois de ses parents :
Joseph-Ferdinand de Bavière, petit-fils de sa soeur
Marguerite-Marie-Thérèse, première épouse de l'empereur Léopold 1er ; ou
l'empereur lui-même qui était son oncle et qui transmettrait la
couronne à un de ses fils d'un troisième mariage, l'archiduc Charles ;
ou bien encore Philippe duc d'Anjou, second petit-fils de sa demi-soeur
Marie-Thérèse reine de France.
Le Bavarois, en
mourant à neuf ans en 1699, ne simplifia même pas la situation. Pour
Louis XIV l'enjeu était de taille : ou bien l'extinction des Habsbourg
d'Espagne amènerait un Habsbourg autrichien à Madrid et, du même coup,
ce serait l'encerclement de la France, donc la ruine de toute l'oeuvre
de Richelieu et Mazarin, ou bien un Bourbon recueillerait ce fabuleux
héritage comptant, outre la péninsule ibérique, Naples, la Sicile, le
Milanais, les Pays-Bas et les colonies américaines, et alors toute
l'Europe, avec l'appui des Anglais, lancerait une coalition contre le
France…
Prudent et rusé,
Louis XIV avait tenté d'amadouer le perfide Albion, en proposant à
l'empereur un partage de l'héritage à venir. Or, de cela, les Espagnols
ne voulaient pas entendre parler, car ils détestaient les Allemands, et
Louis XIV le savait. La cour de France avait envoyé dès 1697 en
ambassade à Madrid le marquis d'Harcourt, lequel, en plein accord avec
l'élite d'outre-Pyrénées, n'avait eu guère de difficultés à persuader
discrètement le chétif monarque que seul un Bourbon était à la hauteur
d'une aussi prestigieuse succession.
Charles II signa donc
le 2 octobre 1700 le testament en faveur du duc d'Anjou, déclarant en
outre l'indivisibilité des possessions, puis il mourut un mois plus tard
le jour de la Toussaint. Louis XIV apprit la nouvelle le 10 novembre,
se donna un temps de réflexion, consulta ses conseillers, puis, le 16,
fit venir l'ambassadeur d'Espagne et lui dit, désignant le jeune prince
Philippe : « Vous le pouvez saluer comme votre roi. » Puis entrèrent les courtisans. « Messieurs, leur dit-il, voilà
le roi d'Espagne ; la naissance l'appelait à cette couronne : toute la
nation l'a souhaité et me l'a demandé instamment, ce que je lui ai
accordé avec plaisir. C'était l'ordre du Ciel. » Puis se tournant vers le jeune prince devenu aussitôt Philippe V d'Espagne : « Soyez
bon Espagnol ; c'est présentement votre premier devoir, mais
souvenez-vous que vous êtes né Français pour entretenir l'union entre
les deux nations. C'est le moyen de les rendre heureuses et de conserver
la paix en Europe. » Puis le jeune roi partit dès le 5 décembre pour l'Espagne et entra solennellement dans Madrid le 18 février 1701.
Équilibre européen
Certes, s'en est-il
suivi une guerre sans merci et ruineuse avec l'Angleterre, la Hollande
et les Allemagnes, qui ne s'acheva qu'en 1713, avec le traité d'Utrecht,
par lequel Philippe V renonçait définitivement au trône de France pour
lui et ses descendants. L'obstination du Roi Soleil à défendre
l'héritage espagnol de son petit-fils n'est nullement le signe d'un
appétit de gloire. Le roi voyait loin : il importait de sauvegarder
l'équilibre européen, lequel requerrait de contrebalancer les volontés
de puissance anglaise et germanique par un ensemble au sud sous
influence catholique et française.
Les déclarations de
Louis XIV à son petit-fils étaient claires. Seul un souci de paix les
inspirait. Un Bourbon allait fondait une nouvelle lignée : son destin
ferait désormais corps avec l'Espagne, dont les intérêts pourraient ne
pas toujours coïncider avec ceux de la France. Si cette branche des
Bourbons devait se souvenir de son origine française, c'était afin
d'entretenir avec la France des rapports d'amitié, et non pour chercher à
y semer le trouble en prétendant à un destin français qui, par la
nature même des choses, traité d'Utrecht ou pas, ne serait plus le sien.
Cela est toujours vrai quatre cents ans plus tard, et même le fait que
les aînés des Bourbons d'Espagne soient devenus les aînés de tous les
Bourbons en 1883, ne saurait servir de prétexte à une remise en cause du
principe de nationalité de la couronne.
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 4 au 17 septembre 2008
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