lundi 5 décembre 2011

11 octobre 1973 : Consécration de l'éthologie

En étant décerné conjointement à Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch, le prix Nobel de médecine et de physiologie 1973 promeut cette science de la vie qu'est l'éthologie an rang majeur qu'elle mérite, en décryptant l'origine et la signification des comportements animaux et humains.
Il a fallu du temps et beaucoup de travail pour en arriver là. Car, pendant longtemps, régnait la conviction que le comportement d'un être vivant était dû à ses réactions aux stimuli du milieu environnant. Une telle interprétation mécaniste aboutit au béhaviourisme (une conception typiquement américaine), qui exclut tout rôle de l'inné dans la façon de se comporter et en vient à considérer qu'on peut obtenir tel ou tel comportement en fonction d'un conditionnement adapté. D'où la négation de la fonction d'instinct.
Au début du XXe siècle, des zoologues (Whitman, Heinroth, Huxley) mettent en évidence l'existence de pulsions instinctives et de schémas de comportement innés chez les animaux. Jacob von Uexküll, lui, démontre que le comportement d'un être vivant dépend de la perception qu'il a du monde. Konrad Lorenz va prolonger, d'une façon décisive, l'œuvre de ces pionniers en débouchant, par ses travaux, sur l'éthologie proprement dite, c'est à dire l'étude comparée des comportements.
Ses premiers travaux portent sur les choucas et les oies cendrées, puis sur les chiens et les chats. Il ne veut pas entendre parler d'étude en laboratoire et il vit au milieu des animaux, qui s'ébattent librement dans leur milieu. Ce qui lui permet de jeter, entre 1935 et 1939, les bases de l'éthologie, affirmant qu'à l'origine de chaque comportement existe une détermination génétique, qui fournit une aptitude à agir en réponse aux stimuli (mais les pulsions fondamentales peuvent se déclencher sans intervention d'un stimulus ?).
Lorenz montre que beaucoup de comportements innés sont soumis à un processus de ritualisation, souvent qualifié de "parade", qui peut s'exprimer chez l'homme par des formes symboliques complexes. En rupture avec ceux qui voulaient, d'une façon réductionniste, tout expliquer soit par l'inné soit par l'acquis, Lorenz montre que l'interaction entre l'inné et l'acquis est une dé indispensable pour comprendre les comportements. D'où le devenir permanent qui caractérise la nature humaine. L'apport décisif de Lorenz, dans la biologie du comportement, est d'avoir intégré dans un système d'interprétation cohérent et complet les observations de ses prédécesseurs, faisant de lui l'incontestable fondateur de l'éthologie comparée.
Fort des conclusions scientifiques de ses travaux, Lorenz a voulu en tirer parti pour actionner un signal d'alarme au bénéfice d'une humanité contemporaine qui « est en péril ». Lorenz identifie quatre instincts fondamentaux : la faim, la peur, l'agressivité et la pulsion sexuelle. Dans son livre L'agression il montre que l'agressivité est une disposition normale dans toute espèce, chez tout organisme vivant, car liée à l'existence en tant que telle. L'agressivité nourrit des aspects essentiels du développement d'un être : apprendre, rechercher et découvrir, faire face aux défis multiples qui rythment le déroulement d'une vie. D'où, pour l'homme, la nécessité d'affronter « le combat auquel toute vie se ramène ».
Lorenz, à la différence de tant d'autres savants, ne s'est pas enfermé dans sa spécialité, ses préoccupations embrassant un vaste espace de réflexion, comme, l'a démontré son ouvrage Les huit péchés capitaux de notre civilisation. Il y écrit : « L'humanité contemporaine est en péril. Elle court de nombreux dangers, que le naturaliste et le biologiste en premier heu sont seuls à apercevoir, alors qu'ils échappent au regard de la plupart des hommes ». Il dénonce ce qu'il appelle « la mortelle tiédeur », c'est à dire le refus ou l'incapacité à réaliser que la vie n'est pas « un long fleuve tranquille », la fuite des responsabilités, toute difficulté étant vécue comme une insupportable injustice.
Lorenz dénonce l'imbécile tyrannie du « droit au bonheur », l'infantilisme qui en découle, la destruction des liens organiques et des hiérarchies au nom de l'égalitarisme, cette « escroquerie intellectuelle ». L'éthologie a marqué des points décisifs lorsqu'elle a touché le grand public, grâce à l'intelligente vulgarisation réalisée par des auteurs comme Robert Ardrey, dont les livres ont connu une grande diffusion. Dans Le territoire (Stock, 1967), il montre comment est déterminant, dans les sociétés animales et humaines, l'instinct de défense de son territoire, espace vital nécessaire à la survie de l'espèce.
Pierre VIAL Rivarol octobre 2011

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