Tous
deux furent victimes d'un meurtre rituel, symbole de la rupture d'une
nation avec ses fondements historiques. La France se grandirait en
imitant la Russie…
Les bonnes nouvelles
sont rares dans l'actualité de ce début d'automne… Ne cachons pas notre
joie d'avoir appris ce mercredi 1er octobre la réhabilitation, par le
Présidium de la Cour suprême de Russie, de la famille impériale russe
sauvagement massacrée par la police politique de Lénine, la tcheka, le
18 juillet 1917 à Iékaterinbourg dans l'Oural.
Continuité historique
La plus haute
instance juridique du pays a ainsi reconnu les répressions contre le
tsar Nicolas II, ses quatre enfants et ses domestiques comme « injustifiées
». Au nom de cette évidence, SAI la grande-duchesse Maria Wladimirovna,
chef de la Maison impériale de Russie, vivant à Madrid, avait déposé
une plainte en 2005. Après plusieurs rejets et de multiples appels
déposés par l'avocat de la famille, la Cour suprême avait statué en
novembre 2007 que Nicolas II et les siens ne pouvaient pas être
réhabilités, arguant de « l'absence de verdict » émis par les bolcheviques qui avaient condamné à mort la famille impériale. L'argument ne pouvait tenir la route…
On comprend aujourd'hui la joie de la grande-duchesse dont le représentant en Russie, Alexandre Zakatov, déclare qu'elle « a
toujours été convaincue que cette question serait réglée en Russie et
[qu'elle] refusait de s'adresser à des tribunaux internationaux » C'est tout à l'honneur d'une aussi grande princesse… M. Zakatov poursuit : « Il
est très important pour notre société qu'un crime commis il y a
quatre-vingt-dix ans soit condamné et que les accusations injustes
contre le tsar et sa famille, selon lesquelles ils étaient les ennemis
du peuple, soient effacées. » De son côté Me Guerman Loukianov, avocat de la famille impériale, a déclaré : «
En définitive, [la décision de la Cour] va aider la Russie à comprendre
son histoire, aider le monde à voir que la Russie a respecté ses
propres lois, aider la Russie dans son développement pour devenir un
pays civilisé. » En fait, une réhabilitation tacite s'était opérée
depuis 1998 quand les restes de la famille impériale furent
solennellement inhumés à Saint-Pétersbourg. En outre, le tsar et les
siens ont été canonisés le 14 août 2000 par l'Église orthodoxe russe. Le
porte-parole du patriarcat de Moscou, Gueorgui Riabykh, s'est
d'ailleurs empressé de saluer la récente décision de justice, ajoutant
que « sans aucun doute [elle] aura des conséquences importantes pour
la Russie moderne, car elle renforce la priorité de la loi et restaure
la continuité historique ».
Le propos est à
méditer en France républicaine où le sang de Louis XVI, de
Marie-Antoinette, et du petit Louis XVII ne cesse de retomber sur les
générations successives. Tant pis pour les grandes âmes qui se croient
obligées d'afficher pour M. Poutine un certain mépris, osons affirmer
que la France se grandirait en imitant l'actuelle Russie. Si l'on peut
tenter un parallèle entre ces deux souverains au sort tragique, disons
que tous deux héritèrent d'une fabuleuse couronne au moment où dans leur
pays se produisait un bouillonnement sans précédent d'idées nouvelles,
s'accompagnant d'un rejet quasi maladif de toute autorité, tant du côté
de ceux qui l'exerçaient que du côté de ceux qui lui étaient soumis. Les
“philosophes” de notre XVIIIe siècle, comme les romantiques russes à la
manière tolstoïenne, ont empoisonné les esprits au moment où il aurait
fallu les nourrir de fermeté, en France royale pour envisager les
réformes fiscales, judiciaires, administratives qui s'imposaient à la
monarchie, en Russie tsariste pour supporter le choc d'une entrée
brutale dans l'ère industrielle.
Tragédie royale
Pour faire face à de
tels bouleversements, deux monarques bons, cordiaux, courageux, animés
d'un grand souci de bien faire et conscients de l'origine divine de leur
pouvoir, mais l'un - Louis , bien que pondéré et finement averti des
changements à opérer, répugnait à recourir à la vertu de force, l'autre -
Nicolas - moins intelligent, moins au courant des problèmes nouveaux,
hésitant et impulsif, manquait de l'habileté d'un arbitre au-dessus du
choc des propriétaires terriens, des patrons nouvellement enrichis, des
masses paysannes, et aussi du prolétariat qui surgissait dans
l'anarchie, proie facile des bolcheviques…
Est-ce à dire qu'ils
étaient l'un et l'autre destinés à être immolés sous le joug des
caprices de leurs sujets ? En des temps normaux ils auraient été
d'excellents princes. Ils avaient l'un et l'autre la chance de régner à
leur avènement sur un pays relativement prospère : Louis XV avait laissé
une France déjà moderne, au pouvoir central renforcé, économiquement et
démographiquement forte ; Alexandre III avait, de son côté, favorisé un
remarquable essor économique et éradiqué le terrorisme. Aucun de ces
deux règnes ne s'annonçait donc sous de sombres augures. S'ils eurent
l'un et l'autre à affronter une révolution, ce ne fut pas pour des
raisons économiques ou sociales. Les révolutions sont dans les esprits
bien avant d'être dans la rue.
Il est difficile de
comparer la façon dont Louis XVI et Nicolas II firent face à ce
cataclysme, l'un régnant sur une France traditionnellement “hérissée de
libertés”, l'autre devant gouverner une Russie où seule depuis toujours
avait réussi l'autocratie. Ils connurent l'un et l'autre un malheur
familial s'ajoutant à leurs soucis : Louis XVI vit mourir son fils aîné,
le dauphin, dès juin 1789, et Nicolas II ne se consola jamais de voir
son fils unique Alexis atteint par l'hémophilie. Pour triompher, une
révolution pose toujours comme première urgence de détacher le peuple de
ses autorités naturelles, et avant tout du roi. C'est ce que voulut la
Constituante en dressant légalement la nation comme un seul corps face
au roi qui cessait d'en être la tête pour en devenir le mandataire.
Louis XVI ne s'en aperçut pas tout de suite et se montra courtois avec
l'assemblée jusqu'au moment où elle lui demanda d'accepter des décisions
allant contre sa conscience. Il crut alors, à tort, que ses sujets ne
l'aimaient plus ; ne se sachant pas le droit d'abdiquer, et pour
conserver l'unité de son peuple, il s'offrit en sacrifice à l'image de
Jésus-Christ sous la fureur des hommes “qui ne savent pas ce qu'ils
font”.
Pour sa part c'est en
1905, avec l'espèce de “répétition” révolutionnaire qui suivit la
défaite navale devant les Japonais, que Nicolas II crut avoir perdu
l'amour de son peuple ; puis l'assassinat en 1911 de son meilleur
ministre Piotr Stolypine et la déroute de ses armées au début de la
Grande Guerre lui firent perdre son sang-froid, il se crut trahi par
tous ses généraux et prit la pire des décisions, celle d'abdiquer devant
l'émeute le 2 mars 1917. Encore s'y résolut-il (et en faveur de son
frère Michel), dans un esprit proche de celui de Louis XVI : « pour faciliter à notre peuple une étroite union et l'organisation de toutes ses forces pour la réalisation rapide de la victoire », déclara-t-il alors dans une lettre à la Douma (assemblée).
Comme Louis XVI crut
en la bonne foi des constituants, Nicolas II crut en celle du bourgeois
Alexandre Kerensky, lequel ne réussit jamais qu'à consolider le pouvoir
des soviets. Prisonniers et innocents, le tsar, la tsarine, le
tsarévitch (treize ans) et les trois soeurs de celui-ci virent leur sort
s'aggraver de Tsarskoie-Selo à Tobolsk, puis à Iékareringbourg où ils
tombèrent aux mains des soviets, qui entreprirent de les déshonorer
avant, sur ordre de Lénine, de les massacrer impitoyablement au matin du
17 juillet 1918 dans la lugubre maison Ipatiev. Lénine était pressé
d'en finir ; les armées blanches approchaient de l'Oural… Il valait donc
mieux liquider la famille que préparer un procès. Là est la grande
différence avec Louis XVI.
Meurtre rituel
Dans un cas comme
dans l'autre, il s'agissait bien d'un meurtre rituel ; ceux qui le
perpétraient assumaient devant l'histoire l'entière responsabilité de la
rupture totale (et totalitaire) d'une nation avec ce qui la fondait en
son être historique. Il fallait refaire un monde hors des lois divines
et humaines et renier l'idée même d'un pouvoir de droit divin, reflet
d'une transcendance. La majesté royale devait laisser place à la
toute-puissance de l'homme. On sait sur quoi cela déboucha. Le fait
qu'il y eut pour Louis XVI un procès rend la question de sa
réhabilitation à la fois plus simple et plus difficile que pour Nicolas
II. Plus simple pour les Français de bonne volonté : il leur suffit de
lire le récit du procès pour voir que, face aux brutes épaisses de la
Convention, le roi fut l'image à la fois douloureuse et triomphante de
l'unité française d'âge en âge dont il se faisait le martyr au-dessus
des déchirements du vieux peuple gaulois. La réhabilitation va donc de
soi. Mais du même coup elle est difficile pour les gardiens de
l'idéologie en place qui est encore celle au nom de laquelle on mit
Louis XVI à mort en 1793. Tout le procès montre que tant que le roi
vivrait, la Révolution ne pourrait avoir raison. Le fait de réhabiliter
le capétien reviendrait à mettre en danger les principes dits immortels,
tels les Droits de l'Homme, qu'il fut clairement accusé d'avoir voulu
violer.
Il faudra que meure
l'idéologie de 1789 comme est mort l'État communiste pour pouvoir
renouer avec la continuité historique. Toutefois dans l'âme des
Français, Louis XVI est déjà réhabilité comme l'a prouvé la foule qui
vint à la Concorde lui rendre hommage le jour du bicentenaire de son
martyre, le 21 janvier 1993. S'était jointe à eux SAI la grande-duchesse
Léonida, mère de SAI la grande duchesse Maria Wladimirovna…
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 16 octobre au 5 novembre 2008
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