Les
origines de cette importante victoire française, et la dernière de la
Monarchie légitime, sont lointaines : elles remontent au moins à la
lutte contre les Barbaresques, ces pirates musulmans qui enlevaient
des Européens en mer et sur les côtes pour les réduire en esclavage.
Déjà Louis XIV avait décidé une opération en 1660.
Relevons que
l'Algérie est une province autonome de l'Empire ottoman, gérée par des
pirates turcs et renégats - anciens chrétiens européens convertis à
l'islam - basés principalement à Alger, qui exercent une double
prédation, extérieure, et intérieure, imposant de lourdes contributions
aux Arabes et Berbères - alors peut-être encore majoritaires - ; ce
système colonial de la Sublime-Porte se maintient jusqu'en 1830, donc
les Français n'envahissent aucunement un État arabe algérien mythique -
avant 1962 -. Aussi Louis XIV, à défaut d'attaquer Alger, cible jugée
trop difficile - du moins depuis l'échec de Charles-Quint, à l'automne
1541 - choisit-il le port de Gigeri (Jijel) en 1664. Cette expédition
com prend des enjeux intérieurs, car l'expédition est commandée par son
cousin, le duc de Beaufort ; il s'agit de montrer que les Grands
redeviennent les premiers serviteurs de l'État - après toutes les
révoltes de la Fronde -. Il reçoit pour mission d'implanter une base
militaire permanente dans cette région stratégique. Mais après trois
mois de combats acharnés, si la ville est prise, la précarité de la
situation, la difficulté des approvisionnements en particulier font que
le repli en France est ordonné. Beaucoup d'éléments tendraient à
démontrer une certaine incompétence de Beaufort - le courage n'est pas
en cause -, et le caractère néfaste de ses choix.
Puis, bien plus tard,
le capitaine Boutin est envoyé comme espion dans la régence en 1808 sur
ordre de Napoléon ; celui-ci songe, après l'échec de la Campagne
d'Égypte (1798-1801) à un débarquement à Alger et à une colonisation de
l'Afrique du Nord. Il accomplit sa mission d'espionnage du 24 mai 1808
au 16 juillet 1808, ses relevés lui permettent non seulement d'établir
Sidi-Ferruch comme lieu propice au débarquement - grande plage à l'Ouest
d'Alger, mais pas à proximité immédiate -, il élabore un plan de
contournement d'Alger dont l'itinéraire passe par Staoueli, Sidi Khalef
et le Fort de l'Empereur. En outre, son rapport, précis, suggère
l'emploi d'une force d'invasion s'élevant à 35 000 ou 40 000 hommes, et
contient des recommandations à l'adresse de la future armée
d'occupation. Ainsi, quinze ans après la mort de Boutin, les commandants
des forces terrestres et navales de Bourmont - ministre de la Guerre -
et Duperré - ministre de la Marine et des Colonies - mettront assez
fidèlement en application son travail de 1808.
La cause immédiate,
invoquée à l'époque, est qu'un diplomate français a été frappé par le
Dey d'Alger : le 30 avril 1827 en audience, le consul de France Pierre
Deval refuse catégoriquement de céder à des menaces et reçoit le fameux
coup d'éventail. Le Dey s'impatientait en réclamant le remboursement
d'une créance particulièrement ancienne remontant au Directoire, et
hélas trop complexe pour un paiement simple et direct exigé - déjà un
montage financier trop créatif, avec de nombreux intermédiaires, et la
Restauration était soucieuse, elle, des deniers de l'État.
Faute d'excuses, un
blocus naval est imposé par la France, mais il s'avère trop perméable,
et le Dey refuse de céder. Aussi l'épreuve de force s'impose-t-elle
assez logiquement pour tout gouvernement soucieux de la grandeur de la
France, surtout qu'elle a été techniquement très préparée, et qu'aucune
puissance majeure n'oserait intervenir en faveur d'un État-pirate ; la
nette décroissance depuis la fin du dix-huitième siècle du brigandage
marin n'enlève rien à la nature de la chose.
Charles X peut
d'autant moins céder, ou se contenter comme Louis XIV d'un symbolique
bombardement naval d'Alger - par l'amiral Duquesne en 1682 et 1683 - que
la situation politique intérieure française tourne à l'épreuve de
force, avec des libéraux majoritaires à la Chambre des Députés, qui
entendent gouverner la France contre la volonté du roi ; aussi cette
expédition tient-elle de l'opération de prestige pour rétablir
l'autorité royale, obtenir un soutien populaire aux Quatre Ordonnances -
juillet 1830 - censées éliminer l'opposition libérale - en retrouvant
une majorité ultraroyaliste à la Chambre -.
Pourtant, il ne
s'agit pas d'une simple opération de politique intérieure, comme il est
dit trop souvent. Même si les projets sont parfois un peu flous, il faut
voir globalement une volonté de reprendre une expansion coloniale, avec
l'acquisition d'un vaste territoire de peuplement qui n'existe plus
depuis la perte de l'Amérique française en 1763 ; l'Algérie est alors
fort peu peuplée, avec moins de deux millions d'habitants, pourrait
accueillir près de la métropole et sous un climat méditerranéen -
parfois difficile, mais convenant à l'Européen contrairement au tropical
-, des millions de paysans français pauvres. L'évangélisation des
indigènes était envisagée sérieusement, contrairement à ce que firent
tous les gouvernements français suivants qui supposeront toujours
énergiquement aux très rares tentatives de christianisation. Bref, à ces
conditions, peuplement européen majoritaire et assimilation par la
religion et la langue, l'Algérie aurait pu être en totalité française ;
sans verser dans l'uchronie, tout ceci n'était pas absurde.
L'opposition
libérale, en particulier la presse, mène une campagne défaitiste d'une
virulence extrême, prévoyant les pires désastres, dévoilant tous les
secrets militaires - les complicités dans l'armée et la marine sont
évidentes -. La haute hiérarchie de la Marine refuse de participer à
l'expédition, plusieurs amiraux pressentis refusent leur nomination, et
le font bruyamment savoir, le vice-amiral Duperré se soumettant in
extremis par sens de l'honneur. Il accomplit certes son devoir durant
l'expédition, mais avec une prudence parfois à la limite du suspect. Le
commandant terrestre désigné est une cible facile pour une campagne de
presse odieuse, car il a quitté l'armée de Napoléon trois jours avant
Waterloo, en se rendant aux Prussiens - d'où les accusations de lâcheté
et de trahison, exprimées sans aucune réserve dans des articles et
caricatures -, choisissant probablement involontairement le plus mauvais
moment pour rejoindre Louis XVIII en bref exil à Gand ; contrairement à
Duperré, soucieux de démontrer son courage, il intrigue pour obtenir
son poste, et durant son commandement, fait preuve de détermination et
de sens de la décision. Les deux militaires disposent d'une très grande
expérience et de compétences certaines.
La flotte de
l'expédition se rassemble à Toulon, comportant 103 bâtiments de guerre,
572 navires de commerce transportant 35 000 soldats, 3 800 chevaux et 91
pièces d'artillerie de siège. Enfin, après des mois de préparation, le
25 mai, elle quitte le port. Après une navigation contrariée par le
vent, puis une relâche aux Baléares, l'armée débarque enfin le 14 juin à
Sidi-Ferruch, avec très peu d'opposition. Sur la route d'Alger sont
menées deux batailles contre les troupes du Dey, Staoueli - le 19 juin -
puis Sidi Khalef - le 24 juin - : le professionnalisme des troupes
françaises permet de l'emporter sur l'armée barbaresque, plus nombreuse,
mais composée seulement d'un corps restreint de janissaires entraînés.
Le 3 juillet les batteries de défense côtière d'Alger sont attaquées par
la marine française ; le 4 juillet le Fort de l'Empereur, principale
défense de la ville est pris, ce qui conduit le lendemain à la
capitulation d'Alger. Le siège a été mené à une vitesse remarquable. En
récompense, Bourmont est fait pair de France le 16 juillet 1830.
Ainsi, une opération
réputée téméraire, voire impossible, depuis l'échec de Charles-Quint,
est réalisée avec une facilité déconcertante au prix d'à peine plus de
quatre cents morts français - dont le fils du commandant en chef, Amédée
de Bourmont. Pourtant Charles X ne réussit pas à en faire un grand
événement populaire réhaussant son prestige, qui lui servirait au moment
ad hoc pour triompher de l'opposition libérale. Peut-être même que le
succès à Alger nuit à la tentative de reprise en main du Royaume en
créant un trop grand sentiment de confiance chez le souverain.
En Algérie, Bourmont
commence la conquête du pays, avance jusqu'à Buda dans la plaine de la
Mitidja, fait occuper Bône, laquelle ouvre ses portes au corps
expéditionnaire, et Oran après une brève résistance dans la première
quinzaine d'août. Le 11 août, le nouveau ministre de la Guerre de
Louis-Philippe, le général Gérard, lui communique officiellement la
nouvelle de la Révolution de Juillet. Bourmont refuse de reconnaître le
nouveau régime, et est remplacé par le général Clauzel envoyé par les
autorités révolutionnaires.
Scipion de SALM. RIVAROL du 1er JUILLET 2011
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