mercredi 16 novembre 2011

la prise d'Alger (5 juillet 1830)


Les origines de cette importante victoire française, et la dernière de la Monarchie légitime, sont lointaines : elles remontent au moins à la lutte contre  les  Barbaresques,  ces pirates musulmans qui enlevaient des Européens en mer et sur les côtes pour les réduire en esclavage. Déjà Louis XIV avait décidé une opération en 1660.

Relevons que l'Algérie est une province autonome de l'Empire ottoman, gérée par des pirates turcs et renégats - anciens chrétiens européens convertis à l'islam - basés principalement à Alger, qui exercent une double prédation, extérieure, et intérieure, imposant de lourdes contributions aux Arabes et Berbères - alors peut-être encore majoritaires - ; ce système colonial de la Sublime-Porte se maintient jusqu'en 1830, donc les Français n'envahissent aucunement un État arabe algérien mythique - avant 1962 -. Aussi Louis XIV, à défaut d'attaquer Alger, cible jugée trop difficile - du moins depuis l'échec de Charles-Quint, à l'automne 1541 - choisit-il le port de Gigeri (Jijel) en 1664. Cette expédition com prend des enjeux intérieurs, car l'expédition est commandée par son cousin, le duc de Beaufort ; il s'agit de montrer que les Grands redeviennent les premiers serviteurs de l'État - après toutes les révoltes de la Fronde -. Il reçoit pour mission d'implanter une base militaire permanente dans cette région stratégique. Mais après trois mois de combats acharnés, si la ville est prise, la précarité de la situation, la difficulté des approvisionnements en particulier font que le repli en France est ordonné. Beaucoup d'éléments tendraient à démontrer une certaine incompétence de Beaufort - le courage n'est pas en cause -, et le caractère néfaste de ses choix.
Puis, bien plus tard, le capitaine Boutin est envoyé comme espion dans la régence en 1808 sur ordre de Napoléon ; celui-ci songe, après l'échec de la Campagne d'Égypte (1798-1801) à un débarquement à Alger et à une colonisation de l'Afrique du Nord. Il accomplit sa mission d'espionnage du 24 mai 1808 au 16 juillet 1808, ses relevés lui permettent non seulement d'établir Sidi-Ferruch comme lieu propice au débarquement - grande plage à l'Ouest d'Alger, mais pas à proximité immédiate -, il élabore un plan de contournement d'Alger dont l'itinéraire passe par Staoueli, Sidi Khalef et le Fort de l'Empereur. En outre, son rapport, précis, suggère l'emploi d'une force d'invasion s'élevant à 35 000 ou 40 000 hommes, et contient des recommandations à l'adresse de la future armée d'occupation. Ainsi, quinze ans après la mort de Boutin, les commandants des forces terrestres et navales de Bourmont - ministre de la Guerre - et Duperré - ministre de la Marine et des Colonies - mettront assez fidèlement en application son travail de 1808.
La cause immédiate, invoquée à l'époque, est qu'un diplomate français a été frappé par le Dey d'Alger : le 30 avril 1827 en audience, le consul de France Pierre Deval refuse catégoriquement de céder à des menaces et reçoit le fameux coup d'éventail. Le Dey s'impatientait en réclamant le remboursement d'une créance particulièrement ancienne remontant au Directoire, et hélas trop complexe pour un paiement simple et direct exigé - déjà un montage financier trop créatif, avec de nombreux intermédiaires, et la Restauration était soucieuse, elle, des deniers de l'État.
Faute d'excuses, un blocus naval est imposé par la France, mais il s'avère trop perméable, et le Dey refuse de céder. Aussi l'épreuve de force s'impose-t-elle assez logiquement pour tout gouvernement soucieux de la grandeur de la France, surtout qu'elle a été techniquement très préparée, et qu'aucune puissance majeure n'oserait intervenir en faveur d'un État-pirate ; la nette décroissance depuis la fin du dix-huitième siècle du brigandage marin n'enlève rien à la nature de la chose.
Charles X peut d'autant moins céder, ou se contenter comme Louis XIV d'un symbolique bombardement naval d'Alger - par l'amiral Duquesne en 1682 et 1683 - que la situation politique intérieure française tourne à l'épreuve de force, avec des libéraux majoritaires à la Chambre des Députés, qui entendent gouverner la France contre la volonté du roi ; aussi cette expédition tient-elle de l'opération de prestige pour rétablir l'autorité royale, obtenir un soutien populaire aux Quatre Ordonnances - juillet 1830 - censées éliminer l'opposition libérale - en retrouvant une majorité ultraroyaliste à la Chambre -.
Pourtant, il ne s'agit pas d'une simple opération de politique intérieure, comme il est dit trop souvent. Même si les projets sont parfois un peu flous, il faut voir globalement une volonté de reprendre une expansion coloniale, avec l'acquisition d'un vaste territoire de peuplement qui n'existe plus depuis la perte de l'Amérique française en 1763 ; l'Algérie est alors fort peu peuplée, avec moins de deux millions d'habitants, pourrait accueillir près de la métropole et sous un climat méditerranéen - parfois difficile, mais convenant à l'Européen contrairement au tropical -, des millions de paysans français pauvres. L'évangélisation des indigènes était envisagée sérieusement, contrairement à ce que firent tous les gouvernements français suivants qui supposeront toujours énergiquement aux très rares tentatives de christianisation. Bref, à ces conditions, peuplement européen majoritaire et assimilation par la religion et la langue, l'Algérie aurait pu être en totalité française ; sans verser dans l'uchronie, tout ceci n'était pas absurde.
L'opposition libérale, en particulier la presse, mène une campagne défaitiste d'une virulence extrême, prévoyant les pires désastres, dévoilant tous les secrets militaires - les complicités dans l'armée et la marine sont évidentes -. La haute hiérarchie de la Marine refuse de participer à l'expédition, plusieurs amiraux pressentis refusent leur nomination, et le font bruyamment savoir, le vice-amiral Duperré se soumettant in extremis par sens de l'honneur. Il accomplit certes son devoir durant l'expédition, mais avec une prudence parfois à la limite du suspect. Le commandant terrestre désigné est une cible facile pour une campagne de presse odieuse, car il a quitté l'armée de Napoléon trois jours avant Waterloo, en se rendant aux Prussiens - d'où les accusations de lâcheté et de trahison, exprimées sans aucune réserve dans des articles et caricatures -, choisissant probablement involontairement le plus mauvais moment pour rejoindre Louis XVIII en bref exil à Gand ; contrairement à Duperré, soucieux de démontrer son courage, il intrigue pour obtenir son poste, et durant son commandement, fait preuve de détermination et de sens de la décision. Les deux militaires disposent d'une très grande expérience et de compétences certaines.
La flotte de l'expédition se rassemble à Toulon, comportant 103 bâtiments de guerre, 572 navires de commerce transportant 35 000 soldats, 3 800 chevaux et 91 pièces d'artillerie de siège. Enfin, après des mois de préparation, le 25 mai, elle quitte le port. Après une navigation contrariée par le vent, puis une relâche aux Baléares, l'armée débarque enfin le 14 juin à Sidi-Ferruch, avec très peu d'opposition. Sur la route d'Alger sont menées deux batailles contre les troupes du Dey, Staoueli - le 19 juin - puis Sidi Khalef - le 24 juin - : le professionnalisme des troupes françaises permet de l'emporter sur l'armée barbaresque, plus nombreuse, mais composée seulement d'un corps restreint de janissaires entraînés. Le 3 juillet les batteries de défense côtière d'Alger sont attaquées par la marine française ; le 4 juillet le Fort de l'Empereur, principale défense de la ville est pris, ce qui conduit le lendemain à la capitulation d'Alger. Le siège a été mené à une vitesse remarquable. En récompense, Bourmont est fait pair de France le 16 juillet 1830.
Ainsi, une opération réputée téméraire, voire impossible, depuis l'échec de Charles-Quint, est réalisée avec une facilité déconcertante au prix d'à peine plus de quatre cents morts français - dont le fils du commandant en chef, Amédée de Bourmont. Pourtant Charles X ne réussit pas à en faire un grand événement populaire réhaussant son prestige, qui lui servirait au moment ad hoc pour triompher de l'opposition libérale. Peut-être même que le succès à Alger nuit à la tentative de reprise en main du Royaume en créant un trop grand sentiment de confiance chez le souverain.
En Algérie, Bourmont commence la conquête du pays, avance jusqu'à Buda dans la plaine de la Mitidja, fait occuper Bône, laquelle ouvre ses portes au corps expéditionnaire, et Oran après une brève résistance dans la première quinzaine d'août. Le 11 août, le nouveau ministre de la Guerre de Louis-Philippe, le général Gérard, lui communique officiellement la nouvelle de la Révolution de Juillet. Bourmont refuse de reconnaître le nouveau régime, et est remplacé par le général Clauzel envoyé par les autorités révolutionnaires.
Scipion de SALM. RIVAROL  du 1er JUILLET 2011

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