Un
froid extrême s’abat sur une France déjà fragilisée par la guerre.
Confronté à un effroyable désastre, le roi exhorte pourtant les Français
à consentir de nouveaux sacrifices.
Cette année-là, la
soixante-sixième de son règne, Louis XIV, soixante et onze ans, criblé
de soucis par les défaites militaires, se sentait bien seul au-dessus
d'une cour déchirée par les rivalités.
Nous avons déjà dit
dans cette chronique dans quelles circonstances il avait accepté en 1700
la couronne d'Espagne pour son petit-fils le duc d'Anjou, devenu dès
lors Philippe V, et nous avons montré que, même face à l'Europe coalisée
contre lui, le roi de France entendait maintenir coûte que coûte un
Bourbon sur le trône d'outre-Pyrénées, non par orgueil familial ou
national, mais tout simplement pour empêcher qu'un jour la France fût à
nouveau prise en tenaille et que fût rompu le difficile équilibre
européen. Hélas, depuis 1704, les armées françaises perdaient partout
leur avantage et les troupes ennemies du prince Eugène de Savoie et du
duc de Marlborough venaient de nous infliger à Audenarde une grave
défaite, dégarnissant ainsi notre frontière du Nord. Le découragement
gagnait le pays tout entier. Et le roi s'apprêtait à négocier la paix.
Un malheur n'arrive
jamais seul. Le 6 janvier 1709 - jour des Rois ! -, la température
baissa subitement et, jusqu'au 24, la France entière dut subir des -
18°, parfois des - 25°. Fleuves et rivières étaient pris par les glaces,
même la mer au Vieux-Port de Marseille ! À la campagne, le vent glacial
entrait dans les habitations, les oiseaux tombaient en plein vol, les
animaux succombaient dans les étables, les végétaux dépérissaient, tout
gelait et le pain ne se coupait plus qu'à la hache. Les loups réapparus
et affamés terrorisaient les paysans. À Versailles le roi devait
attendre que son vin fût dégelé près du feu.
Premier dégel le 25
janvier, puis nouvelle vague de froid du 4 au 8 février, puis encore fin
février et début mars ! Le désastre était effroyable : semis,
vignobles, vergers, tout avait pourri, les chênes éclataient, les
oliviers de Provence mouraient. Puis survinrent les inondations, noyant
ce qui restait des cultures ! Paris n'était plus alimenté et le prix du
blé se trouvait multiplié par huit. Il fallut taxer les riches et
envoyer des troupes pour empêcher les vols dans les boulangeries, qui
dégénéraient souvent en émeutes ! Et les vagabonds traînaient avec eux
la dysenterie et la fièvre typhoïde ! Louis XIV, sensible à la misère de
ses peuples, fit fondre à la Monnaie sa vaisselle d'or, obligeant les
courtisans à l'imiter. C'était agir en roi, donc en père. Mais le
désastre démographique fut énorme : entre 6 et 800 000 victimes !
L'appel aux peuples
Les coalisés, surtout
les Anglais et les Hollandais, voyant le royaume capétien à genoux, en
profitèrent sans vergogne pour répondre par de nouvelles exigences à
chaque déchirante concession qu'envisageait Louis XIV. Ils voulaient,
c'était clair, démembrer la France en se ménageant des ouvertures à nos
frontières du Nord… Il fallait absolument résister. Alors le roi prit la
décision de s'adresser directement au coeur de ses sujets, de leur
expliquer paternellement pourquoi il fallait consentir à de nouveaux
sacrifices, en fait, de leur demander leur soutien : « Quoique ma
tendresse pour mes peuples ne soit pas moins vive que celle que j'ai
pour mes propres enfants ; quoique je partage tous les maux que la
guerre fait souffrir à des sujets aussi fidèles, et que j'aie fait voir à
toute l'Europe que je désirais sincèrement de les faire jouir de la
paix, je suis persuadé qu'ils s'opposeraient eux-mêmes à la recevoir à
des conditions également contraires à la justice et à l'honneur du nom
FRANÇAIS (en majuscules dans le texte). »
À cette très belle
lettre (commentée dans le Louis XIV de Jean-Christian Petitfils), lue
dans toutes églises de France et affichée sur les murs publics, les
Français répondirent alors par un nouvel élan, manifestant, dit
Bainville, « cette faculté de redressement qui leur est propre ».
De Malplaquet à Villaviciosa, puis à Denain, les ennemis perdirent
l'envie d'envahir la France. Cela se termina par le traité d'Utrecht
(1712) qui, loin d'être parfait (puisqu'il laissa monter en puissance la
Prusse…), ne fut pas déshonorant et permit à la France de n'être jamais
envahie jusqu'à la Révolution.
Puisse l'évocation de
cette année terrible rappeler aux Français d'aujourd'hui ce que peut
coûter la volonté de garder la patrie indépendante et libre. Héritiers
de tant d'hommes, du roi jusqu'au simple manant, qui ont tant souffert
pour nous léguer la France, n'aurions-nous pas honte de la laisser se
liquéfier dans une “Europe” fourre-tout ?
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 16 octobre au 5 novembre 2008
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