mardi 26 juillet 2011

Avril 711 : les Arabes envahissent l’Espagne

L'histoire de l'Espagne médiévale n'est pas seulement celle d'une guerre entre les chrétiens et les musulmans. En fait, ce ne sont pas deux communautés qui sont en présence, mais bien trois : il y a les chrétiens, les musulmans (Berbères et Arabes), et aussi les juifs, qui ont alors joué un rôle très important.
Après la chute de l'Empire romain et les grandes invasions, la péninsule ibérique était gouvernée par les Wisigoths, une tribu germanique dont les princes étaient convertis à la doctrine d'Arius. Les catholiques, considérés comme des hérétiques, subissaient leur joug, tandis que les juifs, admis aux fonctions publiques, exerçaient les plus hautes fonctions, pouvaient se livrer librement à tous les commerces, s'enrichir et faire circoncire leurs esclaves, païens et chrétiens confondus.
LA PUISSANCE DES JUIFS
La situation s'inversa en 587, lorsque le roi Reccared (Récarède) abjura sa foi arienne, suivi par les membres de la noblesse et du clergé. Le troisième concile de Tolède, en 589, consacrait la victoire de l'Église catholique sur l'arianisme. Quant aux juifs, il leur fut dorénavant défendu d'occuper des emplois publics et de posséder des esclaves, mesure qui les contraria très fortement. Les juifs tentèrent alors de corrompre le prince. L'historien juif Heinrich Graetz écrit ici, dans sa monumentale Histoire des Juifs : Ils cherchèrent « à faire lever cette interdiction en offrant à Reccared une forte somme d'argent ; Reccared refusa le présent et maintint la prohibition. »
Toutefois, les juifs purent facilement tourner les lois édictées contre eux, car le roi n'avait alors qu'une puissance fort limitée. Le fait est que les seigneurs wisigoths, qui élisaient leur souverain, étaient maîtres absolus sur leurs terres et continuaient à leur permettre de posséder des esclaves et à les nommer à des fonctions publiques, tant et si bien qu'au bout de vingt ans, les lois de Reccared étaient tombées en désuétude.
UNE LUTTE INCESSANTE
L'histoire de l'Espagne est ensuite une lutte de pouvoir incessante entre, d'un côté, les juifs puissants et influents, et, de l'autre, les chrétiens conscients du danger. En 612, le roi Sisebut renouvela les édits de Reccared. Il alla même plus loin, en défendant aux juifs non seulement d'acquérir de nouveaux esclaves, mais encore de garder ceux qu'ils possédaient déjà. Malgré ces mesures, les seigneurs du pays accordaient souvent leur protection aux juifs qui leur avançaient de l'argent. Sisebut prit alors une mesure plus sévère, obligeant tous les juifs du pays à accepter le baptême dans un délai donné ou à quitter le territoire wisigoth. Les récalcitrants seraient punis du fouet et de la confiscation de leurs biens. Les uns, au nombre d'environ 90 000, se laissèrent fléchir par la crainte de perdre leurs biens et acceptèrent le baptême ; les autres émigrèrent en France et en Afrique.
Sisebut mourut en 620. Le nouveau roi, Swintila, un homme faible et corrompu, se laissa acheter et abrogea les lois de Sisebut, si bien que les juifs revinrent dans le pays les convertis retournèrent au judaïsme et ensemble, ils recouvrèrent toute leur puissance auprès du pouvoir. Swintila fut détrôné et remplacé par Sisenand, et le judaïsme connut alors une nouvelle période de reflux ; le clergé reconquit son influence, et, de nouveau, les assemblées ecclésiastiques durent abaisser la puissance juive pour protéger les chrétiens. En 636, le nouveau roi Chintila (638-642) décréta une nouvelle expulsion : les juifs d'Espagne devaient émigrer ou se convertir au catholicisme. L'historien juif Heinrich Graetz nous dit ici : « Ces juifs convertis n'en restaient pas moins attaches de toute leur âme à la foi de leurs pères ». Après la mort de Chintila, sous le règne de son successeur Chindaswind (642-652), ils s'empressèrent de revenir publiquement au judaïsme.

 Le fils et successeur de Chindaswind, Receswinth (652-672), fit confirmer les dispositions prises par le quatrième concile de Tolède. Les juifs pouvaient rester dans le pays, mais n'avaient le droit ni de posséder des esclaves, ni d'occuper une fonction publique, ni de « témoigner contre un chrétien ». On se méfiait, en effet, de cette solidarité qui amenait les juifs à se livrer systématiquement à de faux témoignages lorsqu'un juif était en procès contre un chrétien.
Sous le règne du roi Wamba (672-680), les juifs étaient encore établis en grand nombre dans le pays. Cette fois, le décret d'expulsion fut exécuté sans pitié et les juifs qui ne voulurent pas accepter le baptême passèrent les Pyrénées. Parmi les autres, nombreux étaient les faux convertis. Les plus riches essayaient d'infiltrer l'Église catholique en achetant les hautes charges ecclésiastiques. Le problème fut soulevé lors d'un nouveau concile, à Tolède. Le canon 9 insiste sur la répression de la simonie, contre ceux qui « tentent d'acheter la dignité d'évêque ».
LE ROI ERWIG
Wamba fut détrôné par un seigneur d'origine byzantine, Erwig. Devant le concile qui devait le couronner, en 681, Erwig prononça contre  les juifs un discours, dont voici le début :      « Révérendissimes Pères et honorables Prêtres des Ministères célestes… faites voir la discipline de votre ferveur contre les perfides et éteignez l'aigreur des superbes, allégez la charge des opprimés, et plus que tout déracinez la peste judaïque qui de jour en jour va croissant en fureur. » (et quod plus hic omnibus est, judaeorum pestem quae in novam semper recrudescit insaniam radicitus extirpate).
Des vingt-sept paragraphes que le roi Erwig soumit à l'approbation du concile, un seul se rapportait aux juifs. Tous les autres concernaient ceux qui s'étaient fait baptiser par intérêt et qui, malgré leurs déclarations écrites, continuaient à judaïser en secret et à œuvrer pour le triomphe d'Israël. Pour amener les juifs au christianisme, Erwig proposa tout simplement de les obliger à se présenter au baptême dans le délai d'un an, eux, leurs enfants et tous leurs parents, et, dans le cas où ils ne se conformeraient pas à cet ordre, de confisquer leurs biens, de les frapper de cent coups de verges, de leur arracher la peau du front et de la tête et de les chasser du pays.
Le concile approuva aussi une mesure visant à détruire la cinquième colonne juive dans l'Église. Le canon 18 établissait un véritable espionnage au domicile même des chrétiens descendants de juifs, et obligeait leurs serviteurs chrétiens à dénoncer leurs pratiques judaïques, en leur offrant comme prime de dénonciation la libération de leur servage. Cette loi à l'adresse de ces serfs ordonne : « qu'en tout temps, celui qui proclamerait, dirait et jurerait qu'il est chrétien, et qui découvrirait l'incrédulité de ses maîtres et renierait leur erreur, qu'il obtienne alors immédiatement sa liberté. »
EGICA LE GRAND
La puissance des juifs d'Espagne fut complètement anéantie avec le roi Egica, qui avait épousé la fille d'Erwig et qui régna de 687 à 702. En l'année 694, une vaste conspiration fut découverte. Des faux chrétiens, en rapport avec leurs frères d'Afrique, complotaient pour fomenter une révolution. Félix, l'archevêque de Tolède, réagit alors promptement et convoqua un nouveau concile qui prit connaissance des preuves de la conspiration crypto-juive. Le huitième canon du XVIIe concile de Tolède, De la Condamnation des juifs, ordonnait textuellement, au sujet de la secte :
« Ses méchancetés sont sans nombre : à cause de cela, il est nécessaire que pleurent d'avoir encouru un si grave péché de haine ceux qui, par leurs méchancetés, non seulement ont cherché à perturber l'état de l'Église, mais avec une tyrannique hardiesse sont allés jusqu'à tenter de détruire la patrie et la nation, d'autant qu'en se réjouissant de croire que leur temps était arrivé, ils ont causé aux catholiques divers ravages. Pour ce motif, leur présomption stupéfiante et cruelle doit s'extirper par un châtiment plus cruel encore. De manière que le juge doit être contre eux d'autant plus sévère que, sous tous rapports, on châtie ce que l'on sait avoir été conçu avec une plus grande perversité. » (Notons que l'exposition « Piss Christ » d'avril 2011 en Avignon a été une nouvelle manifestation, heureusement combattue, de cette haine talmudique).
Le roi Egica les expropria totalement, leur défendit de posséder des maisons et des terres, leur interdit la navigation et le commerce avec l'Afrique et, en général, toute relation d'affaires avec les chrétiens. Les juifs étaient obligés de céder tous leurs immeubles au fisc, qui leur donnait un semblant de dédommagement. En outre, ils étaient expulsés de leurs lieux de résidence. Tous les juifs d'Espagne furent réduits en servage et répartis entre les grands seigneurs du pays, sans pouvoir jamais être affranchis. Nombreux furent ceux qui émigrèrent alors en Gaule Narbonnaise (Septimanie). Par la suite, cette région allait devenir le quartier général des hérésies révolutionnaires les plus destructrices.
LE JUDAÏSME : CHEVAL DE TROIE DE L'INVASION MUSULMANE
L'empire wisigoth touchait à sa fin. En avril 711, Tarik, un conquérant musulman, traversait le détroit de Gibraltar et envahissait l'Andalousie avec des forces considérables. Les armées musulmanes étaient grossies de tous les juifs qui avaient été bannis d'Espagne, ainsi que de ceux restés dans la péninsule. Au mois de juillet, les armées de Roderic, le dernier roi des Wisigoths, furent défaites, et les musulmans s'avancèrent rapidement dans l'intérieur du pays. Grâce à l'appui des juifs, auxquels ils confiaient la garde des villes dont ils s'étaient emparés, les généraux musulmans disposaient toujours de presque toute leur armée pour continuer la conquête du pays.
À Tolède, le jour du dimanche des Rameaux de l'an 712, les juifs firent entrer les Maures dans la cité. Les grands et le clergé s'étaient enfuis, et, pendant que les chrétiens invoquaient la protection divine dans les églises, les juifs ouvrirent les portes de l'enceinte et s'unirent avec les musulmans pour massacrer les chrétiens. (Chronique de l'évêque de Tuy).
Le témoignage des historiens chrétiens est d'ailleurs concordant avec celui d'Heinrich Graetz, qui assure lui aussi que les juifs « ouvrirent les portes de la ville au général arabe, qu'ils acclamèrent comme un libérateur. » Jacques Attali le confirme : « Avec leur aide, les troupes musulmanes battent le roi Roderic en juillet 711 et ont tôt fait de conquérir toute la péninsule. » Dans ces conditions, les juifs s'exposaient naturellement à des représailles : « L'archevêque de Tolède accuse les Juifs de trahison en faveur des Sarrasins, provoquant un soulèvement et organisant le pillage des synagogues. » (Les Juifs, le monde et l'argent, Fayard, 2002, p. 238).
L'Espagne tout entière devint une province musulmane. Pour récompenser les juifs de l'appui qu'ils leur avaient prêté, les Maures les traitèrent avec bienveillance, leur permirent de pratiquer ouvertement leur religion, d'avoir leurs tribunaux particuliers. Ils recouvrèrent ainsi toute leur puissance et agirent à leur gré auprès des califes.
Les premiers califes omeyyades étaient des souverains « tolérants et éclairés, écrit Heinrich Graetz, qui ne s'inspiraient pas, dans leur conduite, des doctrines étroites du Coran ».
L'Espagne sous domination musulmane reste donc, pour les juifs, un âge d'or qu'ils regrettent infiniment. L'historien juif Léon Poliakov écrit à ce sujet : « En 711, l'invasion arabe les propulsa en haut de l'échelle sociale, en qualité de conseillers et d'alliés des conquérants. » (Histoire des crises d'identité juives, 1994). Et Jacques Attali confirmait : « Jamais les Juifs n'ont connu plus beau lieu de séjour que cet Islam européen du VIIIe siècle ». Les financiers juifs triomphaient.
Il fallut huit siècles de lutte pour que les chrétiens reprissent possession de toute la péninsule. Le 2 janvier 1492, les rois catholiques, Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille, entourés de leurs troupes, firent une entrée solennelle dans Grenade. Trois mois plus tard, le 31 mars, ils ordonnaient l'expulsion des juifs. Cette fois-ci, le pays était complètement libéré ; l'Espagne allait connaître son Siècle d'Or.
Hervé RYSSEN. RIVAROL 22 AVRIL 2011
Histoire de l'antisémitisme, 2010,432 pages, 26 € + 2 € de port. Hervé Lalin, 14 rue P. Brossolette, 92300 Levallois.

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