Le 6 juin 1944, à l'aube, une armada de 4266 navires de transport et 722 navires de guerre s'approche des côtes normandes. Elle s'étale sur un front de 35 kilomètres et transporte pas moins de 130.000 hommes, Britanniques, Étasuniens ou Canadiens pour la plupart. Plus de 10.000 avions la protègent.
Baptisé du nom de code «Overlord» (suzerain en français), cette opération aéronavale demeure la plus gigantesque de l'Histoire, remarquable autant par les qualités humaines de ses participants que par les prouesses en matière d'organisation logistique et d'innovation industrielle et technique. Elle était attendue depuis plus d'une année par tous les Européens qui, en Europe occidentale, luttaient contre l'occupation nazie.
Les Anglo-Saxons s'entendent pour en finir
Après des victoire fulgurantes sur tous les fronts de 1939 à 1941, les Allemands ont éprouvé leur premier revers à El-Alamein, en octobre 1942, face aux Anglais (et des Français), et dès lors, n'ont plus cessé de perdre du terrain, essuyant leur plus grave défaite à Stalingrad, face aux Soviétiques.
Les Anglo-Saxons (Américains et Britanniques) débarquent en Afrique du nord le 8 novembre 1942 et du 14 au 24 janvier 1943, le président américain Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill tiennent conférence à Casablanca sur la poursuite de la guerre.
Ils se mettent d'accord pour exiger une reddition sans condition de l'Allemagne, de l'Italie et du Japon et dressent des plans pour hâter la fin de la guerre avec l'aide de leur nouvel allié, l'URSS de Staline.
Priorité aux attaques périphériques
Churchill veut privilégier les attaques périphériques plutôt qu'une attaque directe sur l'Allemagne. Il convainc Roosevelt de lancer un débarquement en Italie.
C'est ainsi que le 10 juillet 1943, les Anglo-Saxons prennent pied en Sicile... avec la complicité de la Mafia new-yorkaise (*). Ils remontent lentement la péninsule italienne avec le concours efficace du général français Alphonse Juin et de ses Marocains. Le général Henri Giraud et la Résistance française en profitent pour libérer la Corse.
Mais cette stratégie qui privilégie les attaques périphériques atteint rapidement ses limites. Bien que chancelant, le régime nazi se montre plus terrifiant que jamais et redouble d'énergie dans la répression des mouvements de résistance et l'extermination des juifs et des tziganes.
À l'Est, les Soviétiques progressent irrésistiblement au prix d'immenses sacrifices et malgré une résistance acharnée de la Wehrmacht. À la fin 1943, ils atteignent le Dniepr et la ville de Kiev, en Ukraine. Mais ils peinent à poursuivre leur avancée malgré le matériel fourni par les États-Unis. Staline réclame à ses alliés Churchill et Roosevelt d'ouvrir sans tarder un second front sur le continent européen pour le soulager.
Les trois chefs d'État alliés se rencontrent pour la première fois à Téhéran, du 28 novembre au 1er décembre 1943. C'est là qu'ils discutent des modalités du débarquement de Normandie. C'en est fini des attaques périphériques. L'Allemagne est désormais la cible principale.
Intox
Le débarquement est préparé dans le secret en Angleterre, dès la fin 1943.
Il est placé sous le haut commandement du général américain Dwight Eisenhower, dit «Ike».
Dwight Eisenhower et ses adjoints, les généraux américains Omar Bradley et George Patton ainsi que le maréchal britannique Bernard Montgomery, décident de débarquer en Normandie, au sud de la Seine.
Il faut dire qu'une tentative de débarquement à Dieppe, au nord de la Seine, le 19 août 1942, s'est soldée par le sacrifice d'une division canadienne. Ce drame leur a prouvé qu'il est vain de vouloir s'emparer des grands ports du Nord de la France.
Par contre, les plages de sable qui s'étendent entre l'estuaire de la Seine et la pointe du Cotentin (plus précisément entre l'Orne, la rivière qui traverse Caen, et la Vire, la rivière qui traverse Saint-Lô) se prêtent à un débarquement rapide et sont moins bien défendues que les ports du nord.
3.500.000 hommes sont donc regroupés sur les côtes anglaises et entraînés intensivement en prévision du Jour J («D Day» en anglais).
Pendant ce temps, au début de l'année 1944, les Soviétiques franchissent le Dniepr et envahissent la Roumanie et la Bulgarie.
Pour les Allemands, la défaite n'est plus qu'une question de mois malgré les impressionnantes fortifications qui parsèment le littoral océanique des Pyrénées à la Norvège. Ce fameux «mur de l'Atlantique» a été construit en toute hâte par l'organisation Todt... et demeure inachevé dans la partie normande, là même où aura lieu le débarquement allié.
Hitler, il est vrai, ne s'inquiète pas de ce retard ! Sur la foi de l'Abwehr (les services secrets allemands), il est convaincu que le débarquement allié aura lieu au nord de la Seine, à l'endroit le plus étroit de la Manche et à 300 kilomètres seulement du centre industriel de la Ruhr.
Les Alliés font de leur mieux pour l'en convaincre. Ils montent pour cela l'opération «Fortitude», avec, face au Pas-de-Calais, une impressionnante concentration de... blindés en baudruche et d'avions en contreplaqué.
Cette intoxication s'avère à tel point réussie que Hitler persistera à croire jusqu'en juillet 1944 que le véritable débarquement aura lieu dans le Nord. Cela permettra aux Alliés de n'affronter que 17 divisions allemandes sur les 50 présentes dans la région, les autres attendant dans le Nord un deuxième débarquement.
Les forces allemandes de Normandie totalisent près de 300.000 hommes. Elles sont placées sous le haut commandement du prestigieux feld-maréchal Erwin Rommel.
Comme le temps est mauvais sur la côte normande dans les premiers jours de juin et exclut toute tentative de débarquement, Rommel prend la liberté d'une virée automobile en Allemagne pour fêter l'anniversaire de sa femme (compromis dans un attentat contre Hitler, il sera un peu plus tard contraint au suicide).
Rommel n'a pas prévu que le temps allait subitement se mettre au beau dans la nuit du 5 au 6 juin... Cette nuit-là, il n'y a que 50.000 soldats de la Wehrmacht (dont une moitié de non Allemands) pour faire face à l'armada alliée.
Débarquement à haut risque
En raison de la tempête qui sévit sur la Manche, le général Dwight Eisenhower a déjà reporté le débarquement du 4 au 6 juin. Si la tempête persiste, il faudra un nouveau report de deux semaines...
– Le 5 juin, à 4h15, le général est informé par le responsable de son service météo d'une accalmie de 36 heures au-dessus de la Manche. Après quelques minutes de réflexion, il décide d'engager sans délai l'opération Overlord (*).
– Dans la nuit du 5 au 6 juin, 23.500 parachutistes de trois divisions aéroportées (2395 avions et 867 planeurs) sont lâchés derrière les lignes allemandes.
Les premiers détachements atterrissent en planeur derrière les marais du littoral. Certains parachutistes tombent par erreur au centre du village de Sainte-Mère-l'Église, où ils sont mitraillés par les Allemands avant d'avoir touché terre. L'un d'eux, relativement chanceux, restera toute la nuit accroché au clocher.
Dans le même temps, des hommes-grenouilles cisaillent les barbelés posés par les Allemands en mer.
À l'intérieur des terres, les réseaux de résistance s'activent. Ils ont été avertis du débarquement par des messages codés de la radio anglaise, la BBC. Parmi eux deux vers de Verlaine :
«Les sanglots longs des violons de l'automne
Bercent mon coeur d'une langueur monotone».
«Les sanglots longs des violons de l'automne
Bercent mon coeur d'une langueur monotone».
Le jour J
Au matin du Jour J, à 5h30, les avions alliés et une demi-douzaine de cuirassés bombardent les fortifications des plages et des falaises.
Une heure plus tard, cinq divisions (2 américaines, deux britanniques et une canadienne) commencent à débarquer sur autant de plages aux noms codés. De l'ouest vers l'est, Utah et Omaha (troupes américaines), Gold (troupes britanniques), Juno (troupes canadiennes) et Sword (troupes britanniques).
Les hommes progressent sur les plages sous le feu des Allemands qui tirent du haut des blockhaus, ces derniers étant eux-mêmes pilonnés par les cuirassés alliés depuis le large.
Sur la plage Omaha, les Américains se heurtent à une résistance solide que n'ont pas entamée les bombardements de l'aviation et des cuirassés. Les soldats sont fauchés par la mitraille dans les barges de débarquement ou sur la plage. Les survivants piétinent plusieurs heures sur le sable et le repli est même un instant envisagé par le général Bradley.
À l'ouest de la plage Omaha, un commando de Rangers escalade avec grappins, échelles et cordes la pointe du Hoc sous le feu ennemi. On lui a demandé de détruire une grosse pièce d'artillerie mais quand les survivants du commando arrivent à l'endroit en question, c'est pour s'apercevoir qu'il n'y a jamais eu de canon.
Les émouvants cimetières blancs des falaises témoignent encore aujourd'hui du prix de ces actions héroïques, sanglantes et souvent désordonnées.
La chance sourit néanmoins aux Alliés. Pendant toute la journée, ils n'ont à affronter que deux avions de chasse allemands. Quant aux redoutables Panzers ou chars d'assaut allemands, ils sont inexplicablement restés en réserve à l'intérieur des terres.
C'est ainsi qu'à la fin de la journée, malgré les cafouillages et les fautes du commandement, 135.000 hommes ont déjà réussi à poser le pied sur le sol français.
Une tête de pont cher payée
Les Américains déplorent 3.400 tués et disparus, les Britanniques 3.000, les Canadiens 335 et les Allemands 4.000 à 9.000. Les trois cinquièmes des pertes alliées se sont produites sur la plage Omaha. Mais, au total, les pertes des Alliés s'avèrent beaucoup moins importantes que le général Eisenhower ne le craignait.
À noter la présence de 177 fusiliers-marins des Forces Françaises Libres sous le commandement du capitaine Kieffer parmi les troupes canadiennes qui ont débarqué à Sword. Ce commando français s'illustre dans la prise du port d'Ouistreham.
Au soir du 6 juin, les Alliés ont finalement réussi à établir une tête de pont sur la côte. Ils n'ont pas atteint tous les objectifs fixés par l'état-major, en particulier la prise de Caen, mais leur implantation est solide et ils peuvent mettre en place toute la logistique indispensable à une offensive de longue haleine.
Une logistique innovante
Le débarquement de Normandie a été préparé pendant deux ans et a donné lieu à une mobilisation industrielle et technologique sans précédent.Les navires de transport de troupes étant inaptes à accoster sur les plages, on a prévu de faire débarquer les soldats à marée basse grâce à des barges d'assaut spéciales construites à La Nouvelle-Orléans par l'industriel Andrew Jackson Higgins. Ces «Higgins Boats» s'ouvrent à l'avant pour libérer 36 hommes de troupe en tout juste 19 secondes.
On a conçu aussi des tanks amphibies, les «Hobart's Funnies» du général Hobart. Ces engins ont permis d'ouvrir le passage aux soldats sur les plages de Gold, Juno et Sword (leur absence à Omaha a contribué aux difficultés du débarquement sur cette plage).
Le Premier ministre Winston Churchill, puits d'idées sans fond, a aussi lancé avec l'amiral Mountbatten l'idée d'un port artificiel. Un tel port a pu être aménagé en quelques jours sur la plage d'Arromanches (Arromanche en anglais), à quelques kilomètres de Bayeux. Il a permis de faire suivre le matériel et le ravitaillement indispensables à la poursuite de l'offensive.
Dès le 6 juin, plusieurs dizaines de vieux navires surnommés gooseberries (indésirables en français) ont été coulés parallèlement à la plage d'Arromanches pour constituer une digue de fortune. Plus au large, des radeaux métalliques appelés bombardons ont constitué des brise-lames flottants.
La digue a été renforcée dans les jours suivants par d'énormes caissons en béton de 7000 tonnes, les «Mulberry Harbours». Ces caissons dont la longueur pouvait atteindre 65 mètres avaient été préfabriqués sur les bords de la Tamise puis remorqués jusqu'en Normandie pour être mis en eau et coulés devant la plage.
Pour l'accostage des navires à l'intérieur du port artificiel ainsi créé, on aménagea des pontons flottants avec des flotteurs coulissant le long de piliers ancrés au fond de l'eau. Ce principe innovant sera repris plus tard par les compagnies pétrolières pour l'aménagement de plate-formes offshore. Les pontons étaient reliés à la plage par des passerelles métalliques posées sur des barges.
Cette logistique impeccable a permis aux Alliés de débarquer en dix jours 557.000 hommes, 81.000 véhicules et 186.000 tonnes de matériels divers.
À la fin juillet, ils ont débarqué pas moins de 1.500.000 hommes, aidés de manière non négligeable par les actions de la Résistance française (celle-ci a saboté en particulier plusieurs centaines de voies ferrées, bloquant l'arrivée de renforts allemands).
À la fin août, 2 millions d'hommes, 438.000 véhicules et 3 millions de tonnes de matériels ont déjà débarqué sur le sol français.
La «guerre des haies»
Les Anglo-Saxons avaient prévu dans les moindres détails le débarquement et l'occupation des plages mais ils avaient sous-estimé les difficultés du combat dans le bocage normand, avec ses haies très denses qui freinent la progression des blindés et privent les hommes de toute visibilité.
Devant Caen, où le terrain est relativement dégagé, Montgomery tente de forcer le passage mais les blindés allemands lui opposent une résistance farouche pendant un mois.
Pendant les dix jours qui suivent le débarquement, les villes de Basse-Normandie sont bombardées sans répit et Caen est littéralement pulvérisée. On compte 14.000 victimes dans la population civile.
Le 31 juillet, les chars de Patton arrivent enfin à percer le front à Avranches, au sud-ouest, sur la baie du mont Saint-Michel.
Sur ordre de Hitler, les Allemands venus de la vallée de la Seine tentent dans un ultime sursaut d'isoler les Américains mais se font piéger dans la «poche» de Falaise et doivent refluer vers l'Allemagne.
La «guerre des haies» aura duré près de huit semaines.
La libération de Paris ne sera presque qu'une formalité avec l'entrée des chars de la division Leclerc le 25 août. Un mois encore et la plus grande partie de la France sera libérée (certaines poches de résistance ne se rendront qu'après la capitulation de l'Allemagne).
Stratégies divergentes
Très vite se fait jour un conflit d'idées entre les deux têtes de l'offensive alliée, Montgomery et Eisenhower. Le Britannique préconise une attaque frontale sur le coeur industriel de l'Allemagne, la Ruhr, en vue d'en finir avant Noël 1944.
L'Américain est partisan d'un front plus large et d'une progression plus méthodique. On le soupçonne de vouloir empêcher les Britanniques de s'attribuer l'honneur de la victoire afin de faciliter la réélection du président Roosevelt en novembre 1944.
Montgomery tente de mettre son plan en oeuvre en attaquant les Pays-Bas. Le dimanche 17 septembre, il lance une grande offensive aéroportée sur le pont d'Arnhem, dernier pont sur le Rhin avant la Ruhr.
Les Allemands, prévenus, contre-attaquent. C'est un échec sanglant avec 3.000 rescapés sur les 11.000 hommes engagés (en souvenir de ce drame, les paras britanniques portent un ruban noir à l'arrière de leur béret).
Finalement, Anglais et Américains se rallient à l'idée d'une offensive dans les Ardennes en décembre. Pas moins de 750.000 hommes engagés des deux côtés. Il faudra encore cinq mois de combats avant que l'Allemagne ne capitule. À l'autre bout de l'Eurasie, le Japon, quant à lui, résistera jusqu'à la capitulation du 2 septembre 1945. André Larané. http://www.herodote.net/
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