Cette fois, impossible d'accuser les Blancs. Aujourd'hui, l'esclavage à grande échelle ne persiste qu'en dehors de l'Europe. En Afrique et dans des pays arabes. Et lorsqu'il prend pied sur le continent, c'est à l'initiative d'immigrés qui perpétuent ici les traditions qui prévalent dans leurs pays d'origine.
Nous n'en ferons donc jamais assez ! Le 10 mai dernier, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) a défilé dans les rues de Paris pour commémorer le 160e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, mais surtout pour « lutter contre toutes les exclusions et discriminations », notamment celles qui, selon eux, frappent les « sans-papiers ». Coupable un jour, coupable toujours ! Dans une lettre ouverte adressée au secrétaire d'État aux droits de l'homme, Rama Yade, la section du Parti socialiste du Haut-Doubs s'étrangle : « Une partie de notre économie repose sur l'exploitation de ces personnes sans papiers : la commémoration de l'abolition de l'esclavage ne saurait faire oublier l'esclavage moderne ! »(1)
Or, s'il est vrai que l'esclavage existe encore, il faut un certain toupet pour en attribuer la responsabilité aux Français et aux Européens. Principal spécialiste français de l'esclavage et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, Olivier Pétré-Grenouilleau décrit, dans un récent ouvrage, les trois grands types d'esclavages dans le monde contemporain(2). « Le premier, explique-t-il, correspond à ce que l'on appelle la persistance de formes traditionnelles d'esclavage, comme l'esclavage pour dette ou bien la vente d'enfants. » Ces traditions n'étant pas d'origine jurassienne, on ne peut donc que conseiller à la section PS du Haut-Doubs de mener sa croisade abolitionniste sous d'autres latitudes… « L'Afrique noire, le sous-continent indien et l'Indonésie sont les plus touchés par cette catégorie d'esclavage », poursuit Pétré-Grenouilleau. Et de citer les cas du Népal, de l'Inde, du Pakistan, du Cambodge, de la Thaïlande, de la Birmanie et du Laos.
Au Soudan, l'asservissement dont sont traditionnellement victimes les populations noires du Sud a pris un nouvel essor à la faveur de la guerre civile qui a déchiré le pays de 1983 à 2005 et qui se poursuit de manière endémique. Mêlant motifs marchands, religieux et politiques, les milices arabes reçurent le droit de mener des raids parmi les populations noires de confessions chrétienne ou animiste. En quelques années, plusieurs dizaines de milliers de femmes et d'enfants ont été raflés dans leur village pour être revendus sur les marchés aux esclaves des villes du Nord. En mars 2008, l'ONG Christian Solidarity International a réussi à faire libérer 200 enfants asservis. On estime à 14 000 le nombre d'esclaves au Soudan. Minimum.
Mais l'asservissement peut aussi découler de traditions sociales, sans qu'intervienne la moindre considération politique ou ethnique. Chercheur au CNES, Nelly Schmidt explique : « Cette forme d'esclavage peut découler du prêt d'une somme modique, pour l'achat de médicament par exemple. Le remboursement entraîne la mise à disposition du créancier d'une personne dont le faible salaire, souvent réduit à une ration quotidienne de nourriture, permet tout juste de survivre mais jamais de rembourser la dette. »(3) Un cocktail d'usure et d'asservissement que l'on serait bien en peine de trouver dans notre droit du travail. « Ce système, reconnaît-elle, est particulièrement répandu en Asie du Sud et en Afrique. » Il existe aussi en Amérique latine et notamment dans le Brésil de Lula, où il serait utilisé pour le défrichage des forêts amazoniennes.
Des dizaines de milliers d'esclaves au Soudan et au Niger
Au Niger, une étude fouillée de l'ONG Anti-Slavery International estimait à 870 000 le nombre d'esclaves en 2004(4) ! Ils sont affectés aux travaux des champs, du bâtiment ; ils servent aussi de domestiques ou d'esclaves sexuels. En avril 2008, Hadi-jatou Mani, une ancienne esclave, a poursuivi l'État du Niger devant la Cour de justice de la Communauté économique des États d'Afrique occidentale (Cedeao). Durant dix ans, la jeune femme a servi de travailleuse agricole, de domestique et de «sadaka», esclave sexuel, au même titre que sept autres jeunes filles au service du même maître. Le Niger est accusé de n'avoir pas fait appliquer les lois contre l'esclavage officiellement aboli en… 2003.
Difficile donc dans ces conditions d'accuser l'Europe. Sauf à considérer qu'elle est coupable de ne pas imposer les armes à la main les principes de bonne gouvernance aux peuplades archaïques qui pratiquent encore l'esclavage… Mais il est douteux que ce soit là l'objectif du Cran…
Qu'en est-il des autres formes d'esclavage moderne ? « Le second type d'esclavage moderne renvoie à des formes d'exploitation extrêmes de la main-d'œuvre, aussi bien dans l'agriculture que dans les mines et des entreprises de sous-traitance industrielle », poursuit le professeur Pétré-Grenouilleau. Une pratique courante en Afrique, mais pas seulement. On la retrouve aussi « en Amérique du Sud, où des usines utilisent aussi ce type d'ouvriers, comme dans une bonne partie de l'Asie orientale, de la Chine au Vietnam. […] Le Moyen-Orient n'est pas en reste, avec des travailleurs venus des Philippines, du Pakistan, d'Inde et du Bangladesh ». Une situation liée à la mondialisation que subissent également les pays européens. « Les formes d'esclavage moderne résultent souvent d'une rencontre entre deux éléments. D'une part, l'intrusion d'une dérégulation économique rendant possible la recrudescence des formes d'exploitation. D'autre part, des conditions favorables surplace : traditions, corruption, etc. », remarque encore Pétré-Grenouilleau.
Au XXIe siècle, esclavagisme rime avec mondialisme
Beau bilan humain de la mondialisation : ici, le chômage, là-bas l'esclavage ! En l'espèce, l'Europe n'a qu'un tort : celui de laisser concurrencer ses propres productions industrielles par des produits fabriqués aux antipodes grâce à l'exploitation éhontée d'une main-d'œuvre corvéable à merci. Contre le développement de l'esclavage moderne, le retour à un certain protectionnisme serait un grand pas. Mais tel n'est pas l'avis de ceux qui battent leur coulpe sur la poitrine des entrepreneurs et ouvriers français frappés de plein fouet par cette concurrence déloyale. Ces donneurs de leçon ne jurent que par la libre circulation des biens et surtout des personnes…
D'où leur fascination pour les « sans-papiers » qui ont pénétré illégalement dans notre pays. Ces derniers sont-ils, comme le prétendent nos abolitionnistes socialistes du Haut-Doubs et leurs amis, les nouveaux esclaves sur lesquels reposerait la prospérité (relative) de notre pays ? Il est vrai que les immigrés irréguliers constituent des proies de choix pour les trafiquants d'être humains et les exploiteurs de tout poil. Prostitution, travail forcé, mendicité organisée ou esclavage domestique frappent essentiellement des personnes séjournant illégalement dans notre pays. Et pour cause : elles y ont été acheminées par des filières qui, souvent, entendent reproduire ici les comportements esclavagistes qui ont cours dans leur pays d'origine.
Dans les émirats, le mauvais exemple vient du sommet de l'État
Dans un récent ouvrage(5), l'anthropologue algérien Malek Chebel note par exemple « qu'en raison de leur boom économique, les Émirats arabes unis connaissent un besoin vital de main-d'œuvre qu'ils vont puiser en Asie et n'hésitent pas, au besoin, à mettre en servitude dans les demeures privées ». Ouvriers soumis, eunuques, domestiques, concubines : tous les degrés de la servitude sont pratiqués et entretenus dans l'une des régions les plus opulentes de la planète. Le mauvais exemple vient d'en haut. L'émir de la très futuriste ville-État de Dubai fait ainsi l'objet, devant la justice américaine, d'une procédure pour « enlèvements et trafics d'êtres humains ». En 30 ans, quelque 30 000 enfants originaires d'Afrique et d'Asie auraient été réduits en esclavage pour devenir jockeys dans des courses de chameaux ! Enlevés à leur famille, les victimes étaient notamment privées de nourriture et de sommeil pour leur faire perdre du poids…
Aussi quand les riches familles originaires du Golfe établies dans notre pays se voient reprocher par la justice française un comportement esclavagiste à l'égard de leurs « employés de maison », elles tombent des nues. « Mais nous avons traité cette fille exactement comme tout le monde le fait chez nous ! », s'exclament-ils invariablement pour leur défense(6). Ici, c'est la tradition qu'on défend, le droit à la différence : rien à voir avec de vulgaires Thénardier franchouillards !
Le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM) estime qu'un esclavagiste domestique sur cinq jouit de l'immunité diplomatique. Un exemple : le 17 décembre 2007, Gabriel Mpozagara, ancien premier ministre du Burundi, et son épouse ont été condamnés par le tribunal de Nanterre pour avoir hébergé dans des conditions d'esclavage deux de leurs nièces. Séquestrées dans la cave de la villa que le dignitaire africain possède à Ville-d'Avray, les deux adolescentes étaient des rescapées de la guerre civile qui sévit au Burundi. Elles avaient le statut de réfugiées… Et Mpozagara était en poste à l'Unesco…
Comme le souligne Georgina Vaz Cabral, collaboratrice du Comité contre l'esclavage moderne (CCEM), le renouveau de la traite des êtres humains est aussi « lié au phénomène des migrations internationales. Les gens quittent leur pays à la recherche d'un avenir meilleur. Il s'agit souvent d'une démarche volontaire en raison du contexte économique de leur pays. Ils partent de leur plein gré, mais ils n'ont pas choisi d'ère ainsi exploités » (7).
Pour lutter efficacement, contre la persistance de pratiques esclavagistes, inutile de culpabiliser les Blancs. Ceux-ci sont parfaitement innocents. À l'exception peut-être de ceux qui, en refusant toute régulation de la mondialisation et toute hiérarchie des civilisations, créent les conditions favorables au développement de tous les trafics, y compris celui des êtres humains. Au XXIe siècle, esclavagisme rime aussi avec mondialisme et relativisme.
Christophe Dessanti Le Choc du Mois n° 23 - Juin 2008 -
1) Voir « Esclavage : étrangers responsables, immigrés coupables », in Minute n° 2358 du 14 mai 2008.
2) L'Histoire de l'esclavage racontée en famille, Plon, 2008.
3) « Combats pour une abolition inachevée », in L'Histoire, n° 280, octobre 2003.
4 Selon une étude plus récente, le chiffre ne serait «que» de 43 000 ; c'est dire l'opacité qui règne en ce domaine.
5 L'Esclavage en terre d'islam : un tabou bien gardé, Fayard, 2007.
6) Esclaves encore - Lettre trimestrielle du Comité contre l'esclavage moderne, n° 30, novembre 2006.
7) Ibid.
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