Le célèbre Vercingétorix du grand maître Camille Jullian doit aller dans toutes les bibliothèques de qualité. On verra par l'article de Marcel Brion l'intérêt de la personnalité du jeune chef gaulois. Elle permet un saisissant rapprochement avec notre temps. Elle montre - quelle leçon pour aujourd'hui - la France souvent vaincue par elle-même. Comme le dit Marcel Brion, la stratégie gauloise était périmée, et périmée aussi cette passion pour la liberté qui leur faisait préférer l'anarchie et la discorde à l'établissement d'un gouvernement durable. La foi religieuse, elle non plus, n'animait plus suffisamment ce peuple.
La tentative de Vercingétorix a été le magnifique sursaut d'un jeune homme intrépide et plein d'illusions, pour essayer de détourner le cours de la destinée. L'imaginatif, le chimérique, a été vaincu par le réaliste, le calculateur ; mais ces différences de caractère n'auraient pas suffi à donner la victoire à César si la Gaule n'avait déjà porté en elle-même toutes ses causes de défaite, tous les germes de désagrégation.
On peut dire que la Gaule a été vaincue par elle-même tout autant que par César. Vaincue par son esprit de désordre et d'insubordination, par son goût pour l'indépendance anarchique et brouillonne, par son défaut d'organisation morale et matérielle.
Au printemps de l'année 53, pour parachever son œuvre et garder toute la Gaule en main, César invita les peuples à tenir leur assemblée traditionnelle dans son camp et sous sa présidence. C'était le meilleur moyen de dénombrer qui était pour lui, qui était contre lui ; les absents seraient considérés, du fait même de leur absence, comme des ennemis.
Ce coup d'audace, dans un pays où l'instinct de la révolte bouillonnait encore, réussit : les peuples, intimidés, envoyèrent leurs représentants au camp de César. Il n'y en eut que trois qui manquèrent au rendez-vous et qui payèrent de la destruction de leurs champs et de leurs cités ce geste de bravade.
Fort de ce succès, César recommença lors de l'assemblée d'automne et obligea les délégués des nations à prononcer la condamnation des chefs coupables qu'il avait faits prisonniers.
Les envoyés gaulois, qui délibéraient sous la protection des légionnaires, homologuèrent les jugements désirés par César. La Gaule n'avait pas seulement perdu sa liberté, mais aussi, semble-t-il, son honneur et son âme.
En voyant la docilité avec laquelle les délégués des peuples gaulois avaient accepté ses plus insultantes exigences. César pouvait croire le pays maté. En réalité, la révolte couvait, à la fois chez les peuples qui avaient été victimes des répressions et chez ceux qui, par prudence ou par diplomatie, ne s'étaient pas compromis d'une façon prématurée et qui n'avaient pas encore attiré, ainsi, les regards soupçonneux des Romains.
La Gaule, enfin, avait la bonne fortune de voir sortir d'entre ses jeunes princes le chef qui lui avait toujours manqué ; celui sur le nom duquel l'unanimité se fait, qui personnifie la volonté de vivre et de durer, qui joint aux qualités gauloises traditionnelles des talents militaires exceptionnels ; qui, enfin, pour avoir fréquenté les Romains, connaît leur tactique et leurs procédés de combat.
un jeune Arverne
Un jour le bruit se répandit, secrètement, car il ne fallait pas éveiller trop tôt la méfiance des Romains, que la révolte éclaterait le sixième jour de la lune du solstice d'hiver. C'étaient les Carnutes qui avaient pris l'initiative du soulèvement, sans doute sous l'influence des Druides, et qui invitaient tous les peuples de la Gaule à se joindre à eux pour chasser les Romains.
Déjà, les Parisiens, les Sénons, les Aulerques, les Armoricains, les Andes, les Cadurques, les Lemoviques, les Turons, avaient juré leur foi. Les Arvernes hésitaient, leur chef, Gobbanitio, redoutant les aventures et craignant de s'engager dans une tentative sans espoir.
Au jour convenu, les Carnutes massacrèrent tous les Romains de Genabum (Orléans). Il y avait des villes plus puissantes et mieux défendues que celle-là ; le geste avait donc une valeur symbolique, plutôt qu'une portée stratégique ; il signifiait la rupture absolue avec Rome, le défi jeté à César. L'armée gauloise, faite de tant de nations diverses, traditionnellement attachées à leurs particularismes, pour une fois renonça à ses discordes anarchiques et choisit comme unique chef de guerre le jeune Vercingétorix.
En effet, la nouvelle du massacre de Genabum bouleversa l'Auvergne. Ce jeune Arverne, Vercingétorix, réunit ses clients et les enthousiasma sans peine. Il recruta des partisans dans la campagne et expulsa de Gergovie le parti aristocratique. La royauté fut rétablie en sa faveur.
Son prestige fut bientôt immense. Il raffermit le courage des peuples hésitants ; le commandement suprême de la rébellion lui fut donné.
Le choix était intelligent. Vercingétorix avait appris son métier d'homme de guerre aux côtés de César ; il connaissait donc les manœuvres, les feintes, les ruses de l'ennemi qu'on allait combattre. Il possédait les qualités natives du Gaulois, le courage, l'audace, la promptitude de décision, l'amour de son pays, l'héroïsme aveugle. Son intelligence était grande, aiguë, pratique, objective ; il savait agir vite et à propos.
Il est difficile de juger Vercingétorix avec toutes les chances de certitude et d'impartialité, puisque nous ne le connaissons que par ce que ses ennemis ont dit de lui et la « propagande » romaine ne négligeait rien pour diminuer le prestige de l'adversaire.
Il faut donc considérer les documents l'origine romaine comme sujets à caution et ne leur accorder qu'une créance limitée. Il est possible qu'il y ait eu dans les actes de Vercingétorix quelques traits de la duplicité et de la cruauté que nous reprochons à César, sa personnalité étant certainement plus nuancée que celle que nous voyons se dégager de la rareté et de l'unilatéralité des textes. Il possédait de grands talents militaires, qu'avait développés une formation politique ; sa conduite fut en réalité dictée par beaucoup de sang-froid et de prudence.
On aurait tort de ne voir dans le jeune Arverne que le cavalier audacieux, le « beau sabreur », l'homme des coups de main désespérés. Il importe de remarquer avant tout le prestige immense qui fut celui de Vercingétorix auprès de ses compatriotes. Prestige dû, évidemment, à son parfait désintéressement et à son noble et ardent amour de la liberté. mais aussi à ce qu'il était doué par la nature de cette qualité essentielle du chef de guerre et de l'homme d'État : l'autorité.
Celle-ci était aussi l'un des traits du caractère de César. Mais alors que l'ascendant du Romain reposait non seulement sur son génie personnel, mais aussi sur l'organisation et la discipline séculaire des légions, celui de Vercingétorix, tout de prestige et d'éloquence, était instable, car il ne pouvait prendre appui sur la cohue des bandes gauloises.
Le jeune Arverne le savait, c'est pourquoi, s'il se montre parfois intrépide, voire téméraire, sa conduite sera d'affaiblir l'adversaire en faisant le vide dans le pays, en se dérobant aux attaques directes : il eût été imprudent d'affronter en rase campagne les légionnaires romains. Chaque fois que, sous la pression de ses propres troupes, Vercingétorix renoncera à cette tactique, l'événement lui sera fatal : ainsi à Avaricum, ainsi à Dijon, Vercingétorix fut véritablement l'incarnation du patriotisme gaulois.
César revient
Profitant de l'absence de César, il inaugure sa campagne en déclenchant les hostilités en plein hiver, ce qui est contraire à la tradition, et en partageant en trois armées les troupes que lui a fournies la coalition des peuples gaulois. Il va frapper César à trois points vitaux de la puissance romaine en Gaule, dans la Narbonnaise, que les Cadurques ont envahie, sous la direction de Luctère, à Sens où six légions attendent, sur pied de guerre, l'ordre de marcher, et chez les Bituriges, qui ont répondu avec tiédeur à l'appel des Arvernes.
César n'étant pas en Gaule, il faut agir vite, avant qu'il n'ait pu être prévenu de ce qui s'y passe. Malheureusement, le chef senon Drappès, qui avait pour mission d'encercler Sens, n'a pas su empêcher Labienus, le meilleur lieutenant de César, d'envoyer un message à son chef qui se trouve, à ce moment-là, au bord de l'Adriatique, à Ravenne.
Il aurait fallu profiter de son absence pour achever le rassemblement de toutes les forces gauloises - il y a encore des tièdes et des hésitants - et pour écraser les garnisons qui occupent les points principaux du pays. C'est ce qu'a voulu faire Vercingétorix. Il sait que l'absence de César est, pour lui, un grand facteur de succès. Il est prêt à agir promptement mais, si vite qu'il se déplace, il ne connaît pas la rapidité prodigieuse de César, cette endurance quasi surhumaine qui lui permet de couvrir, au galop, presque sans repos, des distances considérables.
Pour tous les deux, la victoire est une question de vitesse. César a confiance dans ses lieutenants, mais il sait bien qu'il est nécessaire en Gaule ; pour Vercingétorix, il faut l'empêcher d'arriver avant que la concentration des troupes ne soit achevée et l'alliance des peuples gaulois totale.
Vercingétorix n'a pas hésité à frapper durement les tièdes et les suspects. Il a usé de l'intimidation et de la terreur, là où la persuasion était inefficace. Il est prêt à conduire cette guerre avec la plus grande cruauté contre ses ennemis, et envers ses soldats aussi dont les défaillances seront punies par des supplices terribles.
Ce qui compte, c'est le résultat. Il n'est pas mauvais que les châtiments soient assez spectaculaires pour frapper l'imagination et Vercingétorix qui, à bien des égards, demeure un barbare, impose à son armée une discipline de fer, qui réussira, dans une certaine mesure, à briser enfin l'anarchie gauloise. Il faut que la peur renforce le zèle et le patriotisme. Et surtout, agir vite, frapper fort et vaincre, avant que César ne soit revenu.
Malheureusement, César, avec une rapidité qui tient du miracle, est déjà là. Il franchit les Alpes à la fin de janvier 52 et la Narbonnaise, à sa vue, revient à l'obédience romaine. Luctère et ses Cadurques battent en retraite. César dédaigne de les poursuivre. Traversant les montagnes du Vivarais, par six pieds de neige, il lance ses légions sur le pays des Arvernes.
C'est frapper en plein cœur Vercingétorix, qui est obligé, alors, de quitter le pays des Hédues qu'il tentait de rallier à sa cause, pour venir défendre sa terre. Tout son plan de campagne se trouve désorganisé.
César, enfin, amène d'Italie des troupes aguerries, des vétérans des guerres d'Asie. Les légions, douées d'une mobilité formidable, suivent sa marche en zigzag qui déconcerte l'adversaire, lequel ne sait plus où le joindre.
Ce serait une imprudence de le poursuivre et une perte de temps. Vercingétorix perdit quelques semaines à assiéger une ville des Boiens, clients des Hédues, Gortona (Sancerre), qui présentait une certaine importance stratégique et que César, pensait-il, convoiterait.
Mais César ne se souciait pas de Gortona ; il laissa les Arvernes guerroyer quelque temps contre les Boiens, jusqu'au jour où, Vercingétorix, appelé par des tâches plus urgentes, finit par abandonner Gortona. De mauvaises nouvelles arrivaient, en effet, du pays des Carnutes où des événements graves se déroulaient.
Les Carnutes avaient été le premier peuple gaulois à donner le signal de la révolte. C'était de chez eux que la guerre sainte était partie ; c'était eux qui avaient accompli le massacre général des Romains de Genabum, César avait donc un compte à régler avec eux. Il quitta Agedincum (Sens) et se dirigea sur Genabum. En route il se heurta à Vellaudunum (près de Montargis), qui ne fit qu'une courte résistance. Il s'empara de Genabum, la pilla et l'incendia, força le passage de la Loire, que personne ne défendait plus dans cette confusion. Il s'enfonça alors en Sologne en direction du pays des Bituriges.
une lutte de vitesse
La situation est critique, car Vercingétorix a eu, peu de semaines auparavant, assez de peine à convaincre les Bituriges de s'allier à lui. Ils l'ont fait sans enthousiasme, pressés par la nécessité et sous la poussée de l'intimidation. Si les Romains les soumettent, maintenant, à une intimidation plus forte, les Bituriges vont lâcher pied.
Vercingétorix n'a plus l'initiative des événements ; c'est César qui le conduit où il veut. Il est contraint à une lutte de vitesse qui, en principe, ne lui est pas défavorable, car la cavalerie gauloise est égale, sinon supérieure, à la cavalerie germanique qui sert d'auxiliaire aux légions romaines. Mais les mouvements imprévus de César le condamnent à des itinéraires déconcertants, en apparence. incohérents, dont le développement est imprévisible, et qui l'empêchent d'organiser lui-même une campagne offensive.
Avant de pouvoir obliger César à accepter la bataille sur un terrain choisi par lui, il est donc contraint à des manœuvres qui lui font perdre du temps, qui désorganisent ses plans. César savait ce qu'il faisait en soumettant ainsi à cette pénible subordination un adversaire jeune, bouillant, plus riche de courage que d'expérience, mais cette jeunesse même sauve Vercingétorix.
Avec une admirable souplesse, Vercingétorix entre dans le jeu de son adversaire ; il accourt chez les Bituriges, mais arrive trop tard pour sauver Noviodunum (Neung-sur-Beuvron), dont l'oppidum vient juste d'être emporté. La lutte en rase campagne avec les armées romaines était donc par trop inégale. Vercingétorix venait de perdre successivement Vellaudunum, Genabum et Noviodunum. Il décida de se dérober à l'ennemi et de brûler le pays, afin de réduire l'adversaire par la famine.
De nombreuses localités du Berry furent ainsi sacrifiées et Vercingétorix réservait un sort semblable à la capitale du pays. Avaricum (Bourges), la plus belle ville des Gaules. Mais les Bituriges implorèrent avec tant d'insistance pour que l'on épargnât leur capitale que, malgré lui, Vercingétorix fut contraint de céder et d'ordonner qu'on défendît la place.
Le siège dura plus d'un mois et fut atroce. Les Gaulois déployèrent des prodiges d'héroïsme qui firent l'admiration de César. mais ils ne purent empêcher la prise de la ville dont la population fut massacrée. L'armée romaine trouva là de riches approvisionnements et ce succès releva le prestige de César.
Marcel Brion, de l'Académie française Historia janvier 1978 ( à suivre)
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Mon Blog(fermaton.over-blog.com),No-4, THÉORÈME DE LA STATUE. - EINSTEIN LA GLOIRE DU BIEN.
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