Il y a vingt-cinq ans, René Joffroy, qui était alors professeur au collège de Châtillon-sur-Seine, poursuivait, aidé par Maurice Moisson et René Paris, des fouilles sur le mont Lassois. Il découvrit une tombe ancienne qui allait donner à la France un splendide trésor. Guy Rachet, qui a écrit les Mondes disparus (Hachette), montre l'importance de la fouille et la façon dont elle se relie à l'épopée des Celtes.
Si vous vous promenez dans la campagne par une froide et grise journée d'hiver, vous n'aurez guère de chances de rencontrer des archéologues grattant et creusant le sol avec l'acharnement des taupes. Ce n'est pas la saison. Il fallut des circonstances fortuites pour qu'en cette fin d'après-midi de janvier 1953, un homme travaillât au pied de la haute butte boisée qui domine le village de Vix, en Côte-d'Or.
Ce village bourguignon est situé près de Châtillon-sur-Seine, vieille bourgade qui dormait dans une région particulièrement fertile en sites archéologiques, le plus célèbre restant celui d'Alésia, situé à une quarantaine de kilomètres.
La colline qui domine Vix et la Seine s'appelle le mont Lassais. Très vite, les hommes s'y sont établis, cherchant un refuge contre les ennemis qui menaçaient leur territoire et leurs récoltes. Il y a maintenant plus de quarante ans, les archéologues ont porté là leurs recherches, retrouvant les traces laissées par les lointains ancêtres des enfants de la Bourgogne.
L'homme qui travaille ce jour-là la terre de Vix est un paysan de la région. Il retourne le sol avec un secret espoir : découvrir les traces de notre passé. Et il faut voir comment cet homme manie sa pioche ! Dans ses mains expertes, le lourd instrument se fait léger, il effleure le sol, râcle la terre compacte et s'arrête toujours avec une précision merveilleuse pour éviter de toucher l'objet qui soudain apparaît entre deux mottes.
Cet homme, qui est l'honneur de l'archéologie, s'appelle Moisson. S'il travaille sur le chantier malgré la venue de l'hiver, c'est parce que René Joffroy, l'archéologue qui le dirige, dispose encore d'une petite somme sur la subvention qui lui a été accordée pour l'année 1952.
L'endroit où Moisson a porté sa pioche a été repéré depuis un certain temps, grâce à des pierres rapportées des labours. Or ces pierres ne se trouvent pas normalement dans ces limons ; elles n'ont pu qu'être apportées par l'homme. Moisson veut satisfaire une légitime curiosité et son « patron » lui donne tout loisir d'entreprendre une brève exploration.
On peut difficilement imaginer l'émotion du fouilleur lorsque sa pioche, après quelques coups, dégage soudain un objet de grande dimension, qui semble être en bronze, Moisson a compris qu'il a découvert quelque chose d'exceptionnel. Avec sagesse, il cesse alors son travail pour ne pas être surpris par la nuit. Le lendemain, il revient sur le chantier avec Joffroy qui s'interroge, Il pense qu'il s'agit des restes d'un tertre funéraire arasé dès l'Antiquité, les pierres apportées là pour consolider l'architecture souterraine ayant été retirées pour être utilisées, ainsi qu'il arrive souvent, à la construction d'habitations.
☞ une étrange découverte
René Joffroy entreprend la fouille, Il faut agir avec minutie et dans des conditions particulièrement difficiles, car les pluies ont transformé le chantier en bourbier. Ici on doit procéder stratigraphiquement, c'est-à-dire retirer la terre par couches fines en l'examinant avec soin couche après couche. Mais la terre est de la boue si imbibée d'eau qu'il faut se résoudre à employer une pompe. Malgré la pluie et le froid, piquant en cette région, les archéologues s'acharnent à la tâche : et voici que l'objet de bronze apparaît peu à peu.
Ce n'est pas une chose ordinaire ! Apparaît d'abord une grosse anse en volute, et ensuite, c'est tout un vase qui surgit, d'une taille exceptionnelle. Quel encouragement pour les fouilleurs ! Une telle trouvaille laisse prévoir d'autres trésors. Et, en effet, après cent soixante-dix heures d'un travail pénible, la tombe - ca c'est bien une tombe - est vidée de la terre et de son précieux contenu. On en retire des bassins et une cruche en bronze, une coupe en argent, des bijoux en or, les éléments de bronze d'un char et une belle coupe grecque.
☞ qui était cette dame ?
Le vase lui-même, écrasé par la chute d'un toit du caveau, s'est révélé être, une fois remis en état, un cratère de fabrication grecque d'une taille prodigieuse, puisqu'il mesure 1,64 m de hauteur, 1,27 m de diamètre à la hauteur de la panse, qu'il pèse 208 kg et que sa capacité est de 1100 litres. Les vases en bronze de ce type sont déjà très rares, mais une urne de cette taille et de cette beauté est un exemplaire unique au monde.
Ce vase ainsi que les autres objets ont permis aux archéologues de dater la tombe ; elle doit avoir près de vingt-cinq siècles.
Quant à l'origine de certaines pièces, elle fait rêver : un beau collier en or vient sans doute de quelque colonie grecque des côtes de la mer Noire, de l'une de ces cités élevées sur les rives de l'actuelle Russie, alors peuplée de cavaliers nomades, les Scythes, la cruche a été fabriquée en Italie septentrionale : où brillait à cette époque la civilisation des Étrusques.
On peut admirer aujourd'hui les pièces du trésor de Vix dans les salles du musée de Châtillon. Et ce qui devient passionnant, c'est de résoudre les questions que pose une telle découverte :
De qui était la tombe ? Quel était le peuple qui occupait l'oppidum ? Pourquoi ces trésors de l'art grec et étrusque ont-ils été réunis dans celte tombe perdue au cœur de ce qui va devenir la Gaule ?
Le corps ? On en a recueilli les ossements et le crâne serti d'un diadème.
Le tout avait été déposé dans la caisse d'un char, les roues démontées et placées contre la paroi de la tombe. C'est celui d'une femme qui avait environ trente ans. La plupart des « sépultures à char » qu'on a retrouvées ailleurs - une quinzaine - étaient des tombes de guerriers, certainement des chefs ; mais on connaît une tombe de femme.
Qui donc était la Dame de Vix ? De quelle ethnie, sur cet oppidum du VIe siècle ? Reportons-nous aux témoignages des historiens grecs et latins. Marseille a été fondée, il y a vingt-cinq siècles, près de l'embouchure du Rhône par des Grecs venus de l'actuelle Turquie : cette riche colonie était établie à proximité du territoire occupé par les Ligures, installés en Provence depuis des siècles. Leurs voisins étaient les Celtes, ancêtres immédiats des Gaulois. Selon les traditions des druides, ces Celtes étaient venus de régions situées par-delà le Rhin, chassés de leurs foyers par la guerre ou par des inondations catastrophiques. Il est vraisemblable que leurs descendants s'étaient fixés sur le mont Lassois.
La Dame de Vix serait donc une Celte. Mais était-ce une prêtresse ? On a peu de raisons de le croire. Rien dans ses ornements ne peut étayer une semblable hypothèse. Si elle était l'épouse d'un roi, il resterait à trouver la tombe de son époux. Il semblerait plutôt qu'elle ait été la reine de ce petit peuple : quelques siècles plus tard, au moment de la conquête romaine, des tribus celtiques établies en Angleterre obéissaient également à des reines.
Il restait aux archéologues un problèmes à résoudre. Comment, dans cette vallée perdue, sur ces terres barbares, se sont trouvés réunis ces chefs-d'œuvre de l'art des Grecs et des Étrusques ? Car nulle part en Grèce ou en Étrurie on n'a découvert d'objets celtes qui auraient servi de monnaie d'échange ! Eh bien, cette monnaie d'échange, c'est l'étain, ce précieux métal qui servait aux fondeurs des rives de la Méditerranée à fabriquer le bronze dont ils avaient tant besoin dans leur industrie.
Le bronze est un mélange de cuivre (90 %) et d'étain (10 %). L'approvisionnement en cuivre ne posait pas de problèmes car on le trouvait en abondance dans le Proche-Orient et dans l'île de Chypre. En revanche, l'étain était très rare dans ces régions, et nous savons par les auteurs anciens que les Grecs le faisaient venir de l'extrême Occident, des îles Cassitérides.
Ainsi, grâce aux textes anciens, le mystère de Vix s'éclaire. Les habitants de l'Angleterre du Sud, région particulièrement riche en mines d'étain, déposaient leur réserve de métal dans ces îles Cassitérides qui ne sont autres que les actuelles îles Scilly, au large de la Cornouailles. Là se tenait un marché où des armateurs venaient enlever dans leurs vaisseaux les précieux lingots qu'ils transportaient jusqu'à l'embouchure de la Seine, ils étaient ensuite chargés sur de lourdes barques à fond plat. Les tribus celtes riveraines du fleuve halaient les barques au fil de l'eau, jusqu'à la hauteur de Vix. À l'époque romaine, les nautoniers gaulois constituaient encore de riches corporations parmi lesquelles les nautes « parisiens » étaient réputés.
Il est alors aisé d'imaginer comment les choses ont pu se passer. Marseille est déjà une des portes de la Méditerranée. Les marchands grecs de la cité, dès le printemps, s'embarquent sur le Rhône à bord de leurs lourds chalands. Pendant de longues semaines, ils remontent le fleuve, jusqu'au confluent de la Saône, et ils empruntent ce cours d'eau ; de là, ils passent dans la Tille. Enfin, ils abandonnent leurs bateaux sur les berges de la rivière, et les bêtes ayant servi au halage sont chargées de présents destinés à être échangés contre l'étain. De là jusqu'au mont Lassais il n'y a que peu de chemin il parcourir.
Ce n'est pas la première fois qu'ils viennent dans cette contrée et ils n'ignorent pas qu'une femme règne sur le peuple avec lequel ils traitent leurs affaires. Pour elle, ils ont apporté le grand cratère démonté, des bijoux d'or, de belles coupes peintes et aussi sans doute des amphores remplies de ce vin grec dont les Celtes sont amateurs. On les imagine volontiers. vêtus de leur tunique et de leurs manteaux clairs, parvenant au pied du mont Lassais, alors couronné par un épais rempart derrière lequel se pressent les maisons de bois et de terre glaise. Les guerriers celtes, vêtus de leurs larges braies (pantalons), les épaules couvertes de manteaux épais, le court glaive de fer au côté, une longue lance à la main, viennent au-devant d'eux et reçoivent les précieuses marchandises destinées à leur reine et à eux-mêmes, contre les lourds lingots de métal.
Les Grecs ne s'attardent guère dans ces régions qui, comparées à leur pays ensoleillé, leur paraissent bien froides. Ils chargent lourdement leurs bêtes et reviennent bien vite vers leurs bateaux. Le retour sera rapide car ils n'auront plus qu'à se laisser aller au fil du courant, jusqu'à Marseille, où ils vendront cher leur marchandise à des négociants venus de tous les ports de la Méditerranée.
☞ l'épopée des Celtes à travers l'Europe
À peu près à l'époque où l'on inhumait la « Dame de Vix », les Celtes se répandaient à travers l'Europe en vagues conquérantes. On les trouve d'abord installés sur des hauteurs fortifiées semblables à celle de Vix : ce sont là des sites de choix pour les archéologues. Et ces petites cités s'enrichissent en commerçant avec les Grecs. Il est bien possible que les routes de l'étain soient aussi passées par l'Europe centrale : en Autriche, où à Magdalensberg on a trouvé une belle statue grecque en bronze, en Allemagne, où la place forte de la Heuneburg, située sur le haut Danube, commandait un axe commercial d'une grande importance.
Puis des chefs aventureux ont entraîné des bandes de guerriers en Italie, jusqu'à Rome, qu'ils ont essayé de prendre par surprise, en Grèce, où ils pillent le trésor de Delphes - selon une légende, l'or qu'ils y ont recueilli fut emporté jusqu'à Toulouse - et où ils tuent le roi de Macédoine dont ils coupent la tête ; enfin leur course folle aboutit à l'actuelle Turquie, où ils fondent un État : la Galatie. Ils n'iront pas plus loin.
Mais ces guerriers impétueux, qui souvent combattaient vêtus seulement de leurs braies ou même entièrement nus, ont trouvé leurs maîtres en Italie. Les Romains leur opposèrent la discipline de fer de leurs légions et leur ténacité. C'est ainsi que, trois siècles après la prise de Rome par les Gaulois, les Romains entreprennent de conquérir la Gaule, et il faut quelques années à Jules César pour y parvenir. L'épopée celtique se termine par la capitulation de Vercingétorix à Alésia, en 52 avant notre ère.
Guy Rachet Historia octobre 1978
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire