dimanche 4 juillet 2010

Le grand réveil des mafias

Aujourd'hui, les mafias reviennent en force. Comment les reconnaître ? Quelles sont les règles, les spécificités, du « management criminel » ? Comment ces mafias ont-elles acquis, et conservent-elles, un tel pouvoir ? Fondé sur des recherches conduites sur les cinq continents, du narco-trafic au marché du porno, des ramifications de Cosa Nostra à l'Outfit de Chicago, des Triades chinoises aux Yakuza japonais, « Le grand réveil des mafias » est un livre documenté qui s'adresse à tous ceux qui veulent savoir.
Interview de son auteur, Xavier RAUFER, directeur des études du Département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines et chargé de cours à l'Institut de Criminologie de Paris (Université Paris II).
- Pourquoi affirmer qu'aujourd'hui les mafias sont le premier danger planétaire, alors qu'au contraire, le terrorisme semble la menace la plus évidente ?
Xavier Raufer : Il n'y a pas de danger absolu, immuable et perpétuel. Relativement aujourd'hui, et au moins à moyen terme, les mafias sont le danger essentiel pour la lumineuse raison que dans une société où domine la communication, l'information, ce qui est vraiment dangereux, c'est ce qu'on n'a pas vu, ce qu'on n'a pas voulu voir, ce qu'on a négligé ; ce à quoi on n'a pas cru.
Or depuis le 11 septembre 2001, les grands médias des Etats-Unis (télévisions, agences, journaux de référence, etc.), quasi-hégémoniques dans le paysage médiatique mondial, s'obnubilent sur Ben Laden. Le reste passe au rancart. De plus, dans le monde développé, médiasphère et classes politiques vivent désormais en une symbiose un peu malsaine. Quand la nocivité du crime organisé, quand les très réels dégâts provoqués par les grands trafics mafieux mondialisés quittent les feux de la rampe médiatique, ils cessent ipso facto d'être une priorité politique. Quiconque a vu travailler un ministre sait qu'il tend à négliger tout événement ne figurant pas au moins trois fois dans sa revue de presse.
- Les mafias sont-elles vraiment plus fortes aujourd'hui qu'hier ?
Xavier Raufer : Une mafia est un système criminel continu, permanent et à ce titre, comme toute entreprise humaine, il connaît bien sûr des fluctuations, durant lesquelles le système lui-même perdure. Menace permanente dans laquelle le système est tout et l'individu, rien, les mafias doivent donc subir une répression continue, ininterrompue, au long cours. Triompher quand on arrête un parrain, ou qu'on démantèle une bande est idiot. Quand un joueur est blessé lors d'un match, il est remplacé sur le champ. On n'interrompt pas la partie et l'équipe ne disparaît naturellement pas. L'équipe de France de rugby est permanente. Une mafia aussi. Voilà l'essentiel ; fort ou pas fort n'a pas grand sens dans ce contexte. Ce qui dope aujourd'hui les mafias, c'est qu'elles ont la bride sur le cou. Soit on a cessé de les traquer, soit - pire encore - on simule la répression, pour sembler quand même faire son boulot. Mais un simulacre de répression ne gêne pas une mafia, sans doute la forme d'association humaine la plus opportuniste, réagissant à tout stimulus, positif ou négatif, à la vitesse de la lumière. Vous trouverez vingt exemples de cette réactivité dans le livre.
Suite...
- Les médias ont-ils une part de responsabilité dans ce "réveil" des mafias ?
Xavier Raufer : Depuis « 9/11 », les médias négligent indéniablement les mafias - mais même auparavant, le traitement de l'information sur les grandes sociétés criminelles n'était pas souvent sérieux. Car la presse a une idée fixe - une sorte de tic médiatique durable, puisqu'il remonte à pas loin d'un siècle : annoncer à tout propos la mort de la mafia. Elle ne fait en réalité qu'un seul et sempiternel article : la mafia se meurt, elle est mourante. Or à ce jour, ces annonces ont toutes et toujours été démenties dans les faits. Yakuza, Triades, Cosa Nostra de Sicile, Camorra napolitaine, mafia italo-américaine, albanaise ou turque, les grandes mafias historiques ont résisté aux assauts les plus brutaux, et sont hélas, dans l'état actuel du droit international, quasi-indestructibles en tant que familles. En France, les médias n'évoquent le « milieu » que dans le registre du faire-part de décès : dès qu'un « parrain » tombe, c'est le « dernier ». Les Guérini ? « Les derniers juges du milieu ». Les Zemmour ? « Les derniers seigneurs de la pègre ». Le Belge ? « Le dernier empereur du milieu ». Pour amuser mes étudiants, j'ai constitué sur cet éternel crépuscule des parrains une jolie collection de coupures de presse. La réalité maintenant, sur « l'agonie de la mafia ». Pour la direction antimafia de la justice italienne, la Sicile comptait en 1985 181 familles mafieuses et 5 487 « hommes d'honneur ». Dix ans de répression féroce suivent les assassinats des juges Falcone et Borsellino, durant lesquels, la presse ne parle que d'effondrement de la mafia. Bilan à la fin 2002 (tiré des mêmes sources judiciaires) : il y a 190 « familles » mafieuses en Sicile (5 200 membres), dont 89 dans la province de Palerme (3 200 membres). Joli effondrement. Tout cela ne facilite pas la prise de conscience de l'extrême et durable danger mondial - intimidation, corruption, violence, trafics immenses - présenté par les mafias.
- Le plus souvent, on use du mot « mafia » à tort et à travers. Pour un criminologue qu'est-ce qu'une vraie mafia ?
Xavier Raufer : « Mafia » est une catégorie à part, la plus sophistiquée, la plus redoutable, de l'ensemble « crime organisé ». Une mafia est une société secrète permanente, cloisonnée, hiérarchisée, dotée de règles dont on ne dévie qu'au péril de sa vie. Voici plus de trois siècles (Chine) ou moins de deux décennies (Albanie), les mafias apparaissent dans des communautés pré-modernes (campagne, bourgades), sur la base de réseaux denses de relations familiales ou de voisinage direct ; de liens d'interdépendance touchant à tous les aspects de la vie. Ainsi, rejoint-on un gang par copinage - mais une mafia, par cooptation familiale ou clanique, après initiation.
Vous trouverez par exemple dans le livre l'ensemble des conditions, vraiment draconiennes, dont dépend l'initiation dans la mafia sicilienne - à côté desquelles entrer au Jockey Club est un jeu d'enfant...
- Historiquement, les grandes sociétés criminelles subviennent aux besoins illicites des populations (alcool, stupéfiants, prostituées, etc.). À chaque époque, les mafias ont ainsi eu un « marché [criminel] porteur » : quel est-il aujourd'hui ?
Xavier Raufer : c'est sans conteste le marché du sexe, notamment du porno. Prenons le cas des Etats-Unis. Où s'exerce le pouvoir mafieux principal au cours du 20ème siècle ? Sur le trafic d'alcool (Prohibition) dans les années 20 et 30. Dans les années 40 à 80, sur des pans entiers de l'économie américaine légitime, par le biais de syndicats « ripoux ». À l'époque, le trafic de stupéfiants contribue aussi à enrichir les mafieux.
Aujourd'hui, le « coeur de métier » mafieux est le marché du sexe. Je fournis là-dessus tout un luxe de détails et de preuves. Car aux Etats-Unis, l'industrie du cinéma porno n'est pas infiltrée par la mafia, ni même « en odeur de mafia ». Le porno-business est, d'origine, une pure et simple création de la mafia italo-américaine. Un exemple. Deep Throat est le premier film-culte du porno américain. La société de production du film appartient aux frères Anthony « Big Tony » et Joseph « Joey The Whale » Peraino, deux fils de Giuseppe Peraino, « soldat » de la « famille » Profaci (devenue Colombo), tué dans la guerre mafieuse de 1930-31. Anthony et Joseph sont mafieux eux-mêmes, petit-fils, fils, frères et neveux de mafieux. Et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui, avec l'immense aventure du porno-on-line, aujourd'hui seule source de profit réelle de la net-economy... Là aussi, le livre regorge de faits et de révélations.
© MCC 17/09/2003 http://www.polemia.com
« Le grand réveil des mafias » de Xavier Raufer, éditions J. C. Lattès, septembre 2003, 320 pages, 19 Euros.

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