Si la « Libération » de la France fut, du point de vue de celui que René Béhaine appelait « le général d’Andouille », un coup d’état réussi, il ne faut pas non plus oublier qu’elle fut aussi pour les Bolchéviks une tentative de revanche de leur défaite de la guerre d’Espagne ; grâces à Dieu, deux grandes nations évitèrent de peu - mais à quel prix ! -, à quelques années d’intervalle, d’être transformées en goulags.
Voici ce que l’on peut lire dans une circulaire adressée le 15 octobre 1943 sous le timbre « Insurrection » par le « Secrétariat général des Mouvements unis de Résistance », directement rattaché au Secrétariat à l’Intérieur, alors occupé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, qui fut après la guerre député para-communiste d’Ille-et-Vilaine. « Le jour J sera la crise décisive qui doit amener, non seulement la libération du territoire, mais encore et surtout la disparition et le châtiment de Vichy et de ses complices. L’insurrection a pour but... de garantir l’élimination en quelques heures de tous les fonctionnaires d’autorité, la répression révolutionnaire en quelques heures de la trahison, conforme aux aspirations des militants de la Résistance... » Il est dommage de ne pouvoir citer plus longuement ce texte révolutionnaire, digne d’un Danton ou d’un Lénine ; il portait en exergue cette phrase du général De Gaulle : « La libération nationale est inséparable de l’insurrection nationale ».
L'Epuration fut préparée de longue main, d’abord à Londres, puis à Alger où furent promulguées les ordonnances des 27 juin et 26 août 1944. La première créait les commissions d’épuration ; la seconde institua rétroactivement un crime contraventionnel inédit, l’indignité nationale, et une sanction nouvelle : la dégradation nationale. L’une et l’autre sont explicitement basées sur le concept de « justice politique » [entendez, au choix, vengeance politique ou justice révolutionnaire] « où le législateur retrouve son entière liberté et plus particulièrement celle de tirer à tout moment les conséquences de droit que comporte un état de fait ».
Une nouvelle série d’ordonnances suspendit tous les journaux qui avaient continué à paraître 15 jours après le 25 juin 1940 en zone Nord, 15 jours après le 11 novembre 1942 en zone Sud ; leurs titres mêmes sont interdits. En réalité les entreprises de presse faisant partie de la « presse pourrie » furent occupées manu militari par des groupes de résistants au fur et à mesure de la libération du territoire. A Paris, le Président de la Fédération de la Presse clandestine, Francisque Gay réclamait, avec Albert Bayet, « la protection des droits acquis les armes à la main ». Ainsi réussit, selon Francisque Gay lui-même (Assemblée Nationale, séance du 7 mars 1945) « la plus grande entreprise [de spoliation] de l’histoire de la presse mondiale. Les régimes totalitaires, eux-mêmes, ont reculé devant l’immensité de l’effort, et nous, nous avons réussi cette œuvre ».
L’Epuration fut, pour la France, sur le plan humain, un désastre. M. Pierre-Henri Teitgen, devenu Ministre de la justice, dressant, à la tribune de l’Assemblé nationale, le 6 août 1946, le bilan des quelque cent mille condamnations prononcées jusqu'à cette date par les Cours de justice et les chambres civiques répondait à ceux qui souriaient en constatant que « c’était bien peu » : « Vous jugez sans doute que, par rapport à Robespierre, Danton et d’autres, le Garde des Sceaux qui est devant vous est un enfant. Eh bien ! ce sont eux, Messieurs, qui sont des enfants si l’on en juge par les chiffres ».
Les Comités départementaux de libération ont fait procéder, au cours des années 1944 et 1945 à « un million d’arrestations et de détentions arbitraires, soit le dixième de la population active » (Le Figaro, 6 avril 1946) - arrestations et détentions le plus souvent accompagnées de crimes et de délits contre les personnes et contre les biens.
Plus de cent mille Français ont été assassinés et beaucoup d’entre eux ont été horriblement torturés. Dès l’automne de 1944, les Services des Affaires civiles des armées anglaise et américaine fixaient à quatre-vingt-dix mille le nombre des victimes, dont cinquante mille dans la moitié sud du pays. En février 1945, le socialiste Jean Tixier, alors ministre de l’Intérieur dans le gouvernement De Gaulle, déclarait au colonel Dewavrin, dit « Colonel Passy », alors chef de la police politique du régime, que, d’après les rapports des préfets, il avait été commis, de juin 1944 à février 1945, cent-cinq mille exécutions sommaires ; ce chiffre, donné par le Ministre de l’Intérieur au chef de la Police politique n’a jamais été contesté (1). Le pire est que les criminels ont bénéficié d’une sorte d’auto-amnistie ; en effet, la loi Minjoz du 5 janvier 1951 absout les crimes commis jusqu’au 1er janvier 1946 « dans l’intention de servir la cause de la libération définitive du territoire » , « de quoi il faut conclure, écrivait Jean Pleyber, en 1957, qu’il y a eu deux libérations : une provisoire lorsque la Wehrmacht a quitté la France, et une définitive qui a consisté dans la chasse aux traîtres et aux collaborateurs et qui a légitimement duré jusqu’au 1er janvier 1946 ».
L’épuration administrative est un aspect de l’épuration généralement mal connu, mais qui a fait un grand nombre de victimes et qui a apporté, dans des années particulièrement dures, la gène, la souffrance et la misère dans un très grand nombre de foyers. Elle fut réalisée par des commissions d’épuration composées, comme les Cours de justice, de fonctionnaires sectaires et, la plupart du temps, dominées par les communistes. Le nombre de personnes frappées est très difficile à établir. Une étude publiée en 1951 dans le numéro spécial de la revue Défense de l’Occident consacré à l’Epuration indique que « si l’on fait entrer dans le calcul les personnes qui ont été frappées au titre de l’Epuration professionnelle, qui ont perdu leur situation, soit sous la pression des syndicats, soit par diverses causes tenant à l’application de la législation de l’épuration, le chiffre des Français ayant perdu leur situation ou leur gagne-pain par la suite de l’Epuration, a dépassé largement 1 million ».
Brutale ou larvée, l’épuration sévit aussi dans l’armée où elle frappa un nombre immense d’officiers. Sur les 30.000 officiers que comptait l’armée française avant la guerre, les 2/3 furent épurés ou dégagés des cadres, alors qu’au même moment l’armée recevait 10.000 officiers en provenance des F.F.I. Notons que cet appauvrissement tragique, en quantité et plus encore en qualité, a eu lieu en pleine guerre d’Indochine, au moment où, selon l’affirmation de M. Vincent Auriol, nous perdions chaque année l’effectif d’une promotion de Saint-Cyr.
(1) Il a été, par contre, longuement discuté par les historiens, notamment par Robert Aron dans sa volumineuse Histoire de l’Epuration, et par Henri Amouroux dans le 9e volume de son Histoire des Français sous et après l’occupation.
http://xaviersoleil.free.fr
Voici ce que l’on peut lire dans une circulaire adressée le 15 octobre 1943 sous le timbre « Insurrection » par le « Secrétariat général des Mouvements unis de Résistance », directement rattaché au Secrétariat à l’Intérieur, alors occupé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, qui fut après la guerre député para-communiste d’Ille-et-Vilaine. « Le jour J sera la crise décisive qui doit amener, non seulement la libération du territoire, mais encore et surtout la disparition et le châtiment de Vichy et de ses complices. L’insurrection a pour but... de garantir l’élimination en quelques heures de tous les fonctionnaires d’autorité, la répression révolutionnaire en quelques heures de la trahison, conforme aux aspirations des militants de la Résistance... » Il est dommage de ne pouvoir citer plus longuement ce texte révolutionnaire, digne d’un Danton ou d’un Lénine ; il portait en exergue cette phrase du général De Gaulle : « La libération nationale est inséparable de l’insurrection nationale ».
L'Epuration fut préparée de longue main, d’abord à Londres, puis à Alger où furent promulguées les ordonnances des 27 juin et 26 août 1944. La première créait les commissions d’épuration ; la seconde institua rétroactivement un crime contraventionnel inédit, l’indignité nationale, et une sanction nouvelle : la dégradation nationale. L’une et l’autre sont explicitement basées sur le concept de « justice politique » [entendez, au choix, vengeance politique ou justice révolutionnaire] « où le législateur retrouve son entière liberté et plus particulièrement celle de tirer à tout moment les conséquences de droit que comporte un état de fait ».
Une nouvelle série d’ordonnances suspendit tous les journaux qui avaient continué à paraître 15 jours après le 25 juin 1940 en zone Nord, 15 jours après le 11 novembre 1942 en zone Sud ; leurs titres mêmes sont interdits. En réalité les entreprises de presse faisant partie de la « presse pourrie » furent occupées manu militari par des groupes de résistants au fur et à mesure de la libération du territoire. A Paris, le Président de la Fédération de la Presse clandestine, Francisque Gay réclamait, avec Albert Bayet, « la protection des droits acquis les armes à la main ». Ainsi réussit, selon Francisque Gay lui-même (Assemblée Nationale, séance du 7 mars 1945) « la plus grande entreprise [de spoliation] de l’histoire de la presse mondiale. Les régimes totalitaires, eux-mêmes, ont reculé devant l’immensité de l’effort, et nous, nous avons réussi cette œuvre ».
L’Epuration fut, pour la France, sur le plan humain, un désastre. M. Pierre-Henri Teitgen, devenu Ministre de la justice, dressant, à la tribune de l’Assemblé nationale, le 6 août 1946, le bilan des quelque cent mille condamnations prononcées jusqu'à cette date par les Cours de justice et les chambres civiques répondait à ceux qui souriaient en constatant que « c’était bien peu » : « Vous jugez sans doute que, par rapport à Robespierre, Danton et d’autres, le Garde des Sceaux qui est devant vous est un enfant. Eh bien ! ce sont eux, Messieurs, qui sont des enfants si l’on en juge par les chiffres ».
Les Comités départementaux de libération ont fait procéder, au cours des années 1944 et 1945 à « un million d’arrestations et de détentions arbitraires, soit le dixième de la population active » (Le Figaro, 6 avril 1946) - arrestations et détentions le plus souvent accompagnées de crimes et de délits contre les personnes et contre les biens.
Plus de cent mille Français ont été assassinés et beaucoup d’entre eux ont été horriblement torturés. Dès l’automne de 1944, les Services des Affaires civiles des armées anglaise et américaine fixaient à quatre-vingt-dix mille le nombre des victimes, dont cinquante mille dans la moitié sud du pays. En février 1945, le socialiste Jean Tixier, alors ministre de l’Intérieur dans le gouvernement De Gaulle, déclarait au colonel Dewavrin, dit « Colonel Passy », alors chef de la police politique du régime, que, d’après les rapports des préfets, il avait été commis, de juin 1944 à février 1945, cent-cinq mille exécutions sommaires ; ce chiffre, donné par le Ministre de l’Intérieur au chef de la Police politique n’a jamais été contesté (1). Le pire est que les criminels ont bénéficié d’une sorte d’auto-amnistie ; en effet, la loi Minjoz du 5 janvier 1951 absout les crimes commis jusqu’au 1er janvier 1946 « dans l’intention de servir la cause de la libération définitive du territoire » , « de quoi il faut conclure, écrivait Jean Pleyber, en 1957, qu’il y a eu deux libérations : une provisoire lorsque la Wehrmacht a quitté la France, et une définitive qui a consisté dans la chasse aux traîtres et aux collaborateurs et qui a légitimement duré jusqu’au 1er janvier 1946 ».
L’épuration administrative est un aspect de l’épuration généralement mal connu, mais qui a fait un grand nombre de victimes et qui a apporté, dans des années particulièrement dures, la gène, la souffrance et la misère dans un très grand nombre de foyers. Elle fut réalisée par des commissions d’épuration composées, comme les Cours de justice, de fonctionnaires sectaires et, la plupart du temps, dominées par les communistes. Le nombre de personnes frappées est très difficile à établir. Une étude publiée en 1951 dans le numéro spécial de la revue Défense de l’Occident consacré à l’Epuration indique que « si l’on fait entrer dans le calcul les personnes qui ont été frappées au titre de l’Epuration professionnelle, qui ont perdu leur situation, soit sous la pression des syndicats, soit par diverses causes tenant à l’application de la législation de l’épuration, le chiffre des Français ayant perdu leur situation ou leur gagne-pain par la suite de l’Epuration, a dépassé largement 1 million ».
Brutale ou larvée, l’épuration sévit aussi dans l’armée où elle frappa un nombre immense d’officiers. Sur les 30.000 officiers que comptait l’armée française avant la guerre, les 2/3 furent épurés ou dégagés des cadres, alors qu’au même moment l’armée recevait 10.000 officiers en provenance des F.F.I. Notons que cet appauvrissement tragique, en quantité et plus encore en qualité, a eu lieu en pleine guerre d’Indochine, au moment où, selon l’affirmation de M. Vincent Auriol, nous perdions chaque année l’effectif d’une promotion de Saint-Cyr.
(1) Il a été, par contre, longuement discuté par les historiens, notamment par Robert Aron dans sa volumineuse Histoire de l’Epuration, et par Henri Amouroux dans le 9e volume de son Histoire des Français sous et après l’occupation.
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