Chef d'état-major de l'armée depuis 1935, le général Maurice Gamelin a bénéficié, tout au long de sa carrière, d'avoir été chef de cabinet de Joffre en 1914, au moment de la victoire de la Marne. Il a fini la guerre de 14-18 à la tête d'une division. En 1939, quand la France se précipite tête baissée dans une guerre où elle n'a rien à gagner et tout à perdre - et où, effectivement, elle va tout perdre - Gamelin commande l'ensemble des forces franco-britanniques. Des forces impressionnantes. En tout cas, sur le papier.
Face à un adversaire audacieux et pugnace, novateur, offensif, Gamelin subit l'événement. Il attend. Il attend quoi ? Nul ne le sait et lui moins que tout autre. L'attentisme érigé en doctrine : cela donne cette « drôle de guerre » où l'entraînement des troupes françaises a pour bases l'apéritif et la belote dans les popotes, bercées par les chansons rigolardes de Maurice Chevalier.
Atterrés, les proches collaborateurs de Gamelin le voient paralysé par « les brumeuses et irrépressibles somnolences qui figent le général, plusieurs heures par jour, sur le lit de camp dressé près de son bureau » (Pierre Accoce). Gamelin affecte un parfait dédain pour le matériel moderne. Sa phobie du téléphone le conduit à ordonner, pour les transmissions avec les premières lignes, l'utilisation d'estafettes... et de pigeons voyageurs. Il est pris par instants de « bouffées délirantes impressionnantes qui le plongent dans son passé et le portent à confondre, avec celle de 1914, la nouvelle guerre. »
Gamelin a vécu pendant des années sur sa réputation de tacticien émérite mais sans qu'aucun responsable militaire ou politique ne s'en émeuve, le vide de sa pensée s'est manifesté le 29 avril 1936. Ce jour-là, Gamelin a affirmé devant le conseil de guerre que la France ne devait en aucun cas se doter d'une puissante armée blindée, car, en cas de guerre avec l'Allemagne, les chars ne lui seraient d'aucune utilité. Les Allemands, imprudents jusqu'à l'inconscience, ne se briseraient-ils pas immanquablement sur la ligne Maginot, édifiée de 1927 à 1936 ?
Quatre ans plus tard, Gamelin n'a pas varié d'un pouce. Le généralissime a donc installé l'armée française en guerre dans une attente interminable. Cette attitude systématiquement défensive laisse à l'adversaire l'initiative. Sur une ligne de front étirée sur huit cents kilomètres - et qui n'est que partiellement couverte par la ligne Maginot Gamelin n'a aucune réserve stratégique, aucune masse de manœuvre. Souffrant des complications nerveuses d'une syphilis parvenue au stade tertiaire, que la médecine ne sait maîtriser à l'époque, Gamelin est la triste incarnation d'un système malade, miné, usé, fini.
Il serait évidemment injuste de lui faire porter la seule responsabilité de l'effondrement de la France en 1940. Celui-ci est le résultat de l'irresponsabilité chronique manifestée par les politiciens de droite et de gauche qui se sont succédé au pouvoir dans l'entre-deux-guerres. Impréparation matérielle et technique, irréalisme d'une politique étrangère à la remorque de l'Angleterre, poids de groupes de pression dont le dernier des soucis était l'intérêt de la France ... Le réveil ne pouvait être que tragique.
P V National Hebdo du 25 avril au 1er mai 1996
Face à un adversaire audacieux et pugnace, novateur, offensif, Gamelin subit l'événement. Il attend. Il attend quoi ? Nul ne le sait et lui moins que tout autre. L'attentisme érigé en doctrine : cela donne cette « drôle de guerre » où l'entraînement des troupes françaises a pour bases l'apéritif et la belote dans les popotes, bercées par les chansons rigolardes de Maurice Chevalier.
Atterrés, les proches collaborateurs de Gamelin le voient paralysé par « les brumeuses et irrépressibles somnolences qui figent le général, plusieurs heures par jour, sur le lit de camp dressé près de son bureau » (Pierre Accoce). Gamelin affecte un parfait dédain pour le matériel moderne. Sa phobie du téléphone le conduit à ordonner, pour les transmissions avec les premières lignes, l'utilisation d'estafettes... et de pigeons voyageurs. Il est pris par instants de « bouffées délirantes impressionnantes qui le plongent dans son passé et le portent à confondre, avec celle de 1914, la nouvelle guerre. »
Gamelin a vécu pendant des années sur sa réputation de tacticien émérite mais sans qu'aucun responsable militaire ou politique ne s'en émeuve, le vide de sa pensée s'est manifesté le 29 avril 1936. Ce jour-là, Gamelin a affirmé devant le conseil de guerre que la France ne devait en aucun cas se doter d'une puissante armée blindée, car, en cas de guerre avec l'Allemagne, les chars ne lui seraient d'aucune utilité. Les Allemands, imprudents jusqu'à l'inconscience, ne se briseraient-ils pas immanquablement sur la ligne Maginot, édifiée de 1927 à 1936 ?
Quatre ans plus tard, Gamelin n'a pas varié d'un pouce. Le généralissime a donc installé l'armée française en guerre dans une attente interminable. Cette attitude systématiquement défensive laisse à l'adversaire l'initiative. Sur une ligne de front étirée sur huit cents kilomètres - et qui n'est que partiellement couverte par la ligne Maginot Gamelin n'a aucune réserve stratégique, aucune masse de manœuvre. Souffrant des complications nerveuses d'une syphilis parvenue au stade tertiaire, que la médecine ne sait maîtriser à l'époque, Gamelin est la triste incarnation d'un système malade, miné, usé, fini.
Il serait évidemment injuste de lui faire porter la seule responsabilité de l'effondrement de la France en 1940. Celui-ci est le résultat de l'irresponsabilité chronique manifestée par les politiciens de droite et de gauche qui se sont succédé au pouvoir dans l'entre-deux-guerres. Impréparation matérielle et technique, irréalisme d'une politique étrangère à la remorque de l'Angleterre, poids de groupes de pression dont le dernier des soucis était l'intérêt de la France ... Le réveil ne pouvait être que tragique.
P V National Hebdo du 25 avril au 1er mai 1996
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