lundi 8 février 2016

Six février : souvenons-nous de 1934

Jamais la république ne montre son vrai visage autant que lorsqu'elle noie une manifestation de rue dans un bain de sang. Se défendre est le souci primordial de ce régime d'arrivistes. En huit cents ans aucun de nos rois ne fit tirer sur le peuple ; l'État républicain, ce monstre anonyme et froid, se prévalant de la souveraineté populaire, n'a plus aucun scrupule.
La caverne de brigands
Le sacrifice de dix-neuf Français morts et de quelque deux cents autres blessés il y a quatre-vingt-deux ans, place de la « Concorde ! » en criant « À bas les voleurs ! », ne doit pas rester vain. Il nous invite à réfléchir aux conditions dans lesquelles un sursaut national peut aboutir.
À la fin de l'année 1933, la France était en crise : crise économique venue d'outre-Atlantique et qui rongeait le tissu social du pays ; crise politique, conséquence d'un système parlementaire facteur d'instabilité ministérielle ; crise morale révélée par les multiples scandales qui éclaboussaient régulièrement la classe politique de la république ; crise de civilisation enfin, à l'heure où les démocraties et les régimes forts se faisaient concurrence et où technique et consommation installaient de plus en plus le règne de l'Argent au détriment des cultures et des personnes...
C'est dans ce contexte que le 24 décembre 1933 un article publié dans L'Action Française évoquait une affaire d'escroquerie découverte à Bayonne et l'arrestation du directeur du Crédit municipal de cette même ville, coupable d'avoir émis de faux bons pour des sommes importantes. En quelques jours le scandale de Bayonne allait prendre des proportions inquiétantes pour le monde parlementaire. Chaque jour amenait son lot de révélations et la liste des escrocs et des corrompus s'allongeait. Ainsi L'AF reproduisit-elle les lettres du radical Albert Dalimier (1875-1936), ancien ministre de la Justice» conseillant de se procurer les fameux bons du Crédit municipal de Bayonne et mettait-elle en cause le magistrat Pressard, beau-frère du président du Conseil, Camille Chautemps... En janvier, les colonnes des journaux fourmillaient d'accusations et d'explications sur la vaste escroquerie mise en place par un certain Alexandre Stavisky (1886-1934), juif polonais en fuite depuis Noël...
D'une banale affaire d'escroquerie, l'« Affaire Stavisky » devenait un scandale politico-financier qui touchait tous les milieux de la république établie, en particulier le parti radical et la franc-maçonnerie, l'inspiratrice du régime. Léon Daudet "exécutait" les "voleurs" de sa plume trempée dans le vitriol. Il évoquait « une bande de traîtres, de voleurs, d'assassins » qu'il s'agissait de poursuivre jusque dans « la caverne des brigands », c'est-à-dire le Palais-Bourbon.
La magistrature et la police complices
C'est justement ce qu'allaient faire les Camelots du roi et les militants d'Action française à partir du 9 janvier, jour de la rentrée parlementaire mais aussi de l'annonce de la mort assez très étrange de Stavisky, retrouvé par la police de Chamonix "suicidé" avec deux balles dans la tête... Dès le 9 janvier, jour de la rentrée parlementaire et de l'annonce de l'étrange disparition de Stavisky, ils prirent l'habitude de descendre dans la rue avec des objectifs très précis, dont celui de déclencher « une réaction nationale ». Maurice Pujo publia le 7 janvier un appel aux Parisiens dans les colonnes de L'Action Française : « Un scandale éclate montrant que la pauvre épargne publique dont le régime prétendait assurer la protection à si grands frais, est livrée par les pouvoirs mêmes qui en avaient la garde aux rafles colossales d'un métèque escroc. Il n'y a plus, pour les honnêtes gens dépouillés, de recours auprès d'une magistrature et d'une police complices de malfaiteurs. Il faut que pour défendre leurs biens avec la propreté du pays, ces honnêtes gens se dressent pour faire eux-mêmes la tâche. »
À la suite de quoi les Camelots du roi manifestèrent boulevard Saint-Germain le 9 janvier, alors que d'autres manifestations avaient lieu place de la Concorde et au carrefour Richelieu-Drouot. Les jours suivants, les manifestations furent de plus en plus nombreuses et de plus en plus motivées. La chambre des députés était particulièrement visée, et l'antiparlementarisme revigoré par le scandale qui touchait de nombreux élus et d'anciens ministres, ou pire, des ministres en exercice. Le président de Conseil lui-même, Camille Chautemps (1885-1963), était éclaboussé : il crut pouvoir s'en tirer en concoctant un projet de loi sur la diffamation ; L'AF lui répondit en le traitant d"'étrangleur" de la liberté d'expression et de "camoufleur" de la vérité.
Antiparlementarisme
Les autres ligues nationalistes participaient amplement à la montée en puissance de la contestation, notamment les Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger, conseiller municipal de Paris, et un mouvement d'anciens combattants, les Croix de Feu, dirigé par le colonel de La Rocque, lequel cherchait à récupérer le mécontentement des classes moyennes dans le respect de la légalité républicaine. C'est dire que tous les manifestants de janvier 1934 ne partageaient pas la foi royaliste des Camelots du roi : leur diversité aurait pu être une richesse, mais elle entraîna alors trop de concurrence et de rivalités, voire de jalousies, et il ne fut guère facile de les faire marcher pour des objectifs communs, dont l'essentiel eût été la mise à bas de la république. Avec cela, L’A.F, dont le tirage avait augmenté sensiblement en janvier, était handicapée par la condamnation vaticane de 1926 qui n'allait être levée qu'en 1939 - ce qui la privait du soutien effectif de beaucoup de ceux qui auraient pu aider au changement de régime. Quant à la province, s'il y avait eu quelque agitation à Lille, Nantes, Marseille, Bordeaux, elle ne semblait guère vouloir bouger, les instituteurs de l'école laïque ayant accompli leur misérable besogne, tout au long des décennies précédentes...
Les dirigeants de l'AF ne se découragèrent pas pour autant. Le 27 janvier, une grande manifestation, fortement encadrée par les Camelots du roi, bouscula le service d'ordre policier en de multiples lieux de Paris, malgré l'arrestation préventive de deux cents militants près des différents locaux du journal et du mouvement. Le lendemain 28 janvier L’Action Française pouvait chanter victoire et titrait : « Paris soulevé a chassé le ministère Chautemps ». Chautemps hors-jeu fut remplacé par Edouard Daladier (1884-1970), le « taureau du Vaucluse », surgi lui aussi de ce parti radical lourdement compromis et assisté d'un faux nouveau venu dans le jeu politique, l'énigmatique Eugène Frot (1893-1983), lequel devenait ministre de l'Intérieur. Les manœuvres de couloir indiquaient le désarroi des parlementaires, effrayés d'être ainsi assiégés dans Paris.
Les royalistes cherchaient toujours qui pourrait être un "Monk »(1) susceptible de faire basculer la France de république en monarchie. Ils avaient fondé quelques espoirs en Jean Chiappe (1878-1940), le si populaire préfet de police de Paris, lequel entretenait avec Maurice Pujo des relations très cordiales. Mais Chiappe fut révoqué par Daladier le 3 février. Cela n'empêcha pas l'Action française de maintenir la pression comme s'il s'agissait d'une répétition grandeur nature de ce qui pourrait arriver le jour où un nouveau "Monk" se présenterait et assumerait son rôle historique...
Morts sous les balles de la république 
Une grande manifestation était annoncée pour le mardi 6 février « contre le régime abject », comme titrait L'AF. Les dirigeants royalistes savaient bien que, malheureusement, cette démonstration, faute d'union des patriotes autour d'une même idée, ne ramènerait pas la monarchie, mais il n'était pas question pour eux de renoncer à montrer la malfaisance du régime.
Les cortèges partant de l'Hôtel de Ville,du Châtelet, du Grand Palais ou du Quartier latin devaient tous converger vers la chambre des députés. Les barrages des forces de « l'ordre » étaient donc en place tout autour du Palais-Bourbon bien décidés à ne pas laisser approcher la foule. Avaient été mobilisés la police parisienne, la garde républicaine à cheval, les pompiers avec leurs lances, aux ordres du tout nouveau préfet de police, le franc-maçon Adrien Bonnefoy-Sibour (1881-1966). Tout était en place pour qu'une manifestation de masse dégénérât en drame.
Les affrontements furent rugueux vers le Quai d'Orsay, violents boulevard Saint Germain, mortels place de la Concorde. Le 7 février au matin, Paris comptait ses morts, ses blessés par centaines : treize manifestants avaient été tués ; deux autres allaient mourir des suites de leurs blessures ; quatre autres allaient s'éteindre dans les jours suivants : dix-neuf morts au total(2) tombés sous les balles de la république ! Les forces de l'ordre ne comptaient qu'un seul mort, un garde républicain tombé de son cheval. À la mi-journée, la foule applaudit à l'annonce de la démission de Daladier, alors que les curieux se pressaient sur les boulevards où deux autobus avaient été brûlés. Les casseurs et les voyous venus de banlieue brisaient les vitrines et dévalisaient les étalages. L'Action Française du 7 février pouvait titrer « Après les voleurs, les assassins ».
« Défense républicaine »
Alors la gauche, absente de la rue durant les semaines qui avaient précédé le 6 février, se mit à dénoncer le « coup de force fasciste » et à agiter le drapeau de la « défense républicaine », voyant dans les événements de quoi remobiliser ses troupes autour d'un thème "consensuel" pour ses partisans, d'ordinaire si divisés. Dans La Montagne, de Clermont-Ferrand, le député socialiste Alexandre Varenne éructait : « Le régime républicain traverse les heures les plus graves qu'il ait vécues en temps de paix depuis sa fondation. Le gouvernement légal [de Daladier] a été renversé hier par l'émeute. Le palais de la représentation nationale, assiégé par une masse énorme de manifestants furieux, a failli être envahi par l'insurrection [...] Ce sont les ennemis de la République, en particulier les royalistes, qui mènent l'opération. Le véritable chef des émeutiers en furie, c'est M. Charles Maurras, apôtre de la monarchie et théoricien de l'assassinat. » C'étaient les forces de police qui avaient tiré, mais ce furent les manifestants qui furent traités d'assassins !
Arrivé de Toulouse, le 8 février au matin, pour succéder à Daladier, l'ancien président de la République Gaston Doumergue (1863-1937) composa immédiatement son gouvernement. Y figuraient entre autres le maréchal Pétain, Pierre-Etienne Flandin, Pierre Laval, Louis Barthou, André Tardieu...
L'agitation ne se calma pas pour autant, mais elle fut d'une autre nature. La gauche se mobilisait contre la droite. Socialistes et communistes lançaient la campagne qui leur permettrait d'écarter la droite du pouvoir et d'envoyer en 1936 au Palais-Bourbon la chambre du Front populaire. Puis un incident lors des obsèques de Jacques Bainviile (13 février 1936) permit au gouvernement de signer la dissolution de toutes les ligues réputées de droite, puis d'emprisonner Charles Maurras quelques mois plus tard...
La république avait connu une grande frousse ; affolée, elle avait fait couler le sang français. Aujourd'hui, les "affaires" d'enrichissement personnel et de détournements de fonds publics appartiennent toujours à la vie politique et ce, malgré le financement des partis aux frais des contribuables. Elles sont inhérentes au système électif ! Elles ne font plus descendre les foules dans la rue, le terrorisme intellectuel ayant grandement émoussé dans le pays toute aptitude à la colère, mais les Français sont de plus en plus indifférents au sort d'hommes politiques déconsidérés. Un grand soulèvement national se produira-t-il un jour ? Il faudrait alors que les organisations nationalistes, renonçant aux illusions d'une « bonne république », s'unissent alors au service de la seule France.
Michel Fromentoux. Rivarol du 4 février 2016
1) George Monk, général anglais qui contribua, sous la dictature de Cromwell, en changeant de camp, à la restauration du roi catholique légitime Charles II.
2) Pierre Pellissier : 6février 1934. Perrin, 2000.

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