![ALBERT DE MUN – LIBRE DE DROITS Albert de Mun, père, avec René de la Tour du Pin, des catholiques sociaux, inspirateurs de la sécurité sociale. Par [Isidore Alphonse] Chalot, Paris — Cette image provient de la bibliothèque numérique de la New York Public Library, sous l’identifiant 1158451: digitalgallery.nypl.org → digitalcollections.nypl.org, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=12740255](https://media.bvoltaire.fr/file/Bvoltaire/2025/10/IL20251003184129-albert-de-mun-scaled-929x522.png)
Des fondations chrétiennes
Longtemps avant qu’on ne parle de « sécurité sociale », des chrétiens en Europe et en France réfléchissaient déjà aux conditions d’une société plus juste, fondée sur le partage, la dignité et la solidarité. Ce mouvement, qu’on appelle doctrine sociale de l’Église, puise alors ses racines dans l’Évangile mais prend forme au XIXe siècle, notamment avec l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII, en 1891. Ce texte fondateur défend ainsi la dignité des travailleurs et appelle à un équilibre entre capital et travail et instaure des principes clés comme la dignité humaine, le bien commun et la solidarité.
En France, le catholicisme social s’incarne dans des figures comme Albert de Mun ou René de La Tour du Pin. De Mun, ancien officier devenu député, fonde ainsi en 1871 les Cercles catholiques d’ouvriers pour rapprocher l’Église des milieux prolétaires et y promouvoir les idées d’un changement de la société par la justice plutôt que par la révolution. Il propose également l’idée de caisses d’assurance, financées conjointement par patrons et ouvriers, afin de prévenir les catastrophes de la misère et de créer une société organisée autour du bien commun.
Ces idées dépassent alors vite les cercles catholiques et rejoignent celles de certains républicains ou socialistes. La doctrine sociale devient ainsi un argument moral dans les débats sur l’assistance et la prévoyance. Elle affirme que la solidarité n’est pas un simple geste philanthropique mais une exigence que chaque génération doit aux plus fragiles. Ce terreau intellectuel nourrira alors, au fil du XXe siècle, quelques actions mineures concernant certaines catégories socioprofessionnelles, jusqu’à l’après-guerre.
La France en 1945
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France est ruinée et divisée. Le gouvernement provisoire de la République française, présidé par le général de Gaulle, doit alors reconstruire le pays et restaurer la République.
Le Conseil national de la Résistance avait, dès mars 1944, tracé une feuille de route ambitieuse pour l’après-guerre. Son programme prévoyait ainsi un « plan complet de sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ». Ce texte, rédigé par des sensibilités allant du PCF aux chrétiens socialistes, servira alors de guide moral et politique pour la Libération.
Dans ce contexte, les grandes forces politiques jouent un rôle décisif. Le PCF est alors à son apogée, la SFIO retrouve une place centrale, tandis que le Mouvement républicain populaire, héritier du catholicisme social, incarne une force démocrate-chrétienne. De Gaulle, attaché à préserver l’autorité de l’exécutif, accepte un compromis avec tous dans le cadre du gouvernement provisoire et ne s’oppose pas à leur projet. Ainsi, très vite, des réformes sont engagées pour redresser le pays et aider les Français : nationalisations, revalorisation des salaires, mais la mesure la plus emblématique reste les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, qui créent le cadre légal de la Sécurité sociale. Elles établissent ainsi un régime unifié, obligatoire, financé par des cotisations, couvrant les maladies, la maternité, la vieillesse ou les accidents du travail. Ce qui est véritablement remarquable, dans cet événement, c’est l’affirmation d’un droit national qui concerne l’ensemble des Français sans distinction.
80 ans de défis
Au fil des décennies, la Sécurité sociale est ainsi devenue la pierre angulaire de l’État-providence français. L’assurance maladie résume ce legs par sa devise du 80e anniversaire : « Citoyenne et solidaire depuis 80 ans », soulignant qu’elle demeure un bien collectif qu’il faut préserver et transmettre. En effet, pour survivre, cette institution n’a cessé d’évoluer et de susciter des débats. Chaque génération a dû ainsi la défendre ou la réformer face aux défis du vieillissement, de la dépendance, des déficits et de l’innovation médicale.
Cependant, en 2025, le constat est préoccupant. Les dépenses de la Sécurité sociale atteignent plus de 666 milliards d’euros, toutes branches confondues, avec un déficit annoncé de 22,1 milliards - un taux jamais atteint, hors période de crise. Ce déséquilibre fragilise la pérennité du système, au point que l’on peut légitimement s’interroger sur sa capacité à traverser un nouveau siècle.
Ainsi, à l’heure de son 80e anniversaire, la Sécurité sociale incarne à la fois l’une des plus belles conquêtes sociales de la France mais aussi l’un des défis majeurs de la République : continuer à garantir la solidarité nationale sans que son modèle ne s’effondre sous son propre poids.
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