vendredi 10 mai 2024

Pourquoi Staline a échoué à placer l’Arabie Saoudite sous influence soviétique

 

par Oleg Egorov.

L’URSS entretenait d’excellentes relations avec l’Arabie Saoudite au début des années 1930, mais cela n’a pas duré…

En mars 1938, le monde a changé lorsque les Américains ont découvert du pétrole en Arabie Saoudite. Les représentants de la California Arabian Standard Oil Company (Aramco) ont mis au jour un puits assez important pour lancer de la production commerciale.

Ce n’était pas une mince affaire : la découverte n’a eu lieu qu’après plusieurs années de forages qui semblaient totalement infructueux. À ce moment-là, « la question commençait à inquiéter les dirigeants à San Francisco : la société devait-elle se retirer complètement d’Arabie saoudite ? Elle avait déjà déboursé des millions de dollars pour faire des trous dans le désert », lit-on dans les pages d’une édition de Saudi Aramco World datée de 1963. Mais ils ont persisté et leur ténacité a fini par payer.

Les pétroliers américains ne foraient pas seuls dans le désert : ils avaient signé un accord de concession pétrolière avec le gouvernement du roi Abdulaziz Al-Saoud (connu à l’ouest sous le nom d’Ibn Saoud). Cela a eu des effets à long terme : l’Arabie saoudite est devenue l’un des principaux producteurs de pétrole au monde (La « Mecque » de la production d’or noir) et le pays reste un allié proche des États-Unis au Moyen-Orient. Mais que serait-il arrivé si un autre État, en l’occurrence l’Union soviétique, avait mis en valeur les champs pétrolifères de l’Arabie Saoudite ?

Fondation de l’État saoudien

Abdulaziz Al-Saoud

Dans les années 1930, l’Arabie Saoudite était un pays du tiers monde situé dans une région très périphérique du globe, la péninsule arabique. Ibn Saoud, à la tête d’ une armée de bédouins, a conquis l’État de Hijaz (qui abritait les villes sacrées islamiques de La Mecque et de Médine) et proclamé son autorité en 1926.

Et surprise, l’URSS a été le premier État à reconnaître le nouveau royaume (le nom d’Arabie Saoudite arriverait plus tard, au début des années 1930).

« Le gouvernement soviétique, respectueux du peuple hijazi, vous reconnaît comme le roi de Hijaz et l’émir de Nejd »indiquait la note remise par l’envoyé soviétique à Ibn Saoud, qui a à son tour remercié l’URSS : « Nous sommes prêts à avoir avec le gouvernement soviétique les relations que les puissances amies entretiennent… ».

Karim Khakimov

Un tel succès diplomatique est devenu possible grâce au consul général Karim Khakimov, diplomate soviétique qui s’était lié d’amitié avec Ibn Saoud et l’a totalement subjugué. Musulman d’origine bachkire, Khakimov travaillait en Iran et connaissait bien la culture et la langue arabes. Les Arabes l’appelaient même le « pacha rouge », utilisant un titre honorifique symbolique.

Bons débuts

Ibn Saoud et ses sujets étaient wahhabites, des adeptes d’une mouvance extrémiste au sein de l’islam. Comment se fait-il qu’ils ont été en bons termes avec les Soviétiques, qui ne vénéraient que Karl Marx et Vladimir Lénine, et défendaient la révolution internationale athée ? Tout était une question de politique : pour les Soviétiques, il importait de soutenir les États arabes indépendants qui s’opposaient aux Britanniques dans la région. Ils ont donc préféré passer sous silence l’athéisme et la révolution.

« Il n’existait pas de “ligne du Komintern” (politique soviétique de soutien aux révolutionnaires communistes) en Arabie Saoudite, ce qui s’expliquait par le fait que la société saoudienne n’était pas prête à accueillir de telles idées, et la Russie soviétique conférait plus d’importance au potentiel antibritannique du pays »écrit Vitali Naoumkine, directeur de l’Institut des études orientales de l’Académie des sciences de Russie. Le pragmatisme règne décidément sur le monde !

Nazir Tiouriakoulov

Ironiquement, au début des années 1930, l’URSS aidait l’Arabie Saoudite à se procurer de l’énergie : le successeur de Khakimov, Nazir Tiouriakoulov (un autre diplomate soviétique musulman) et Ibn Saoud se sont mis d’accord sur la livraison de gaz et de kérosène. À l’époque, les Saoudiens ne savaient pas qu’ils marchaient sur du pétrole. En 1932, le prince Faisal bin Abdulaziz (roi de 1964 à 1975) s’est même rendu à Moscou.

Visite princière

La visite de Faisal n’a cependant pas été couronnée de succès : il souhaitait que Moscou prête des sommes considérables à Riyad, et le gouvernement soviétique a poliment rappelé que les Saoudiens n’avaient pas encore payé pour l’essence et le kérosène. L’autre problème était que le gouvernement soviétique ne permettrait jamais à ses citoyens musulmans de faire le pèlerinage à La Mecque et à Médine (contrôlés par l’Arabie Saoudite). C’était inacceptable pour un pays communiste.

Néanmoins, les deux parties ont salué la visite. Le journal soviétique Ogoniok a écrit :

« L’importance de la péninsule arabique augmente d’année en année. Il est évident que l’existence d’un État national indépendant y est très importante… ».

Néanmoins, les relations se sont brusquement détériorées cinq ans plus tard…

Fin amère

Karim Khakimov après son arrestation

Karim Khakimov et Nazir Tiouriakoulov, diplomates soviétiques ayant noué des liens étroits avec Riyad et entretenant d’excellentes relations avec les dirigeants saoudiens, ont été rappelés à Moscou en 1937-1938, à l’époque de la Grande Terreur, lors de laquelle environ 600 000 personnes (selon les estimations les plus prudentes) ont été exécutées en URSS. Khakimov et Tiouriakoulov ont été reconnus coupables d’espionnage et exécutés. Tous deux ont été réhabilités à titre posthume dans les années 1950.

Le roi saoudien, très mécontent d’apprendre que ses amis avaient été exécutés à Moscou, a refusé d’accueillir d’autres diplomates soviétiques sur le sol saoudien. À partir de 1938, les relations entre l’Union Soviétique et l’Arabie Saoudite ont pratiquement cessé. La même année, les Américains prennent l’initiative dans le royaume et y trouvent du pétrole. À partir de ce moment-là, le royaume, autrefois perdu au milieu de nulle part et dirigé par des nomades du désert, obtient une importance stratégique.

Plus tard, en 1985, la décision de l’Arabie Saoudite d’augmenter sa production de pétrole a gravement porté atteinte à l’URSS (un autre important exportateur de pétrole). « Les prix du pétrole ont quasiment quadruplé, ce qui a coûté 20 milliards de dollars à l’URSS », écrivait Egor Gaïdar, premier ministre par intérim de la Russie en 1992, dans son livre sur les causes de l’effondrement économique de l’URSS.

Gaïdar a estimé que c’est le « dumping » saoudien sur le marché pétrolier qui a précipité l’effondrement de l’URSS – et bien que cette version puisse être considérée comme trop simpliste, la politique saoudienne a effectivement aggravé l’état d’une économie soviétique déjà en difficulté. Si Joseph Staline avait soupçonné un tel résultat, il aurait probablement traité ses diplomates avec beaucoup moins de cruauté.

source : https://fr.rbth.com/histoire/83557-relations-urss-arabie-saoudite

https://reseauinternational.net/pourquoi-staline-a-echoue-a-placer-larabie-saoudite-sous-influence-sovietique/

Qu’est-ce qu’un président de la République?

 

La France n’a plus de chef de l’Etat depuis belle lurette. C’est une erreur d’appeler président de la République ou chef de l’Etat le personnage qui, de quinquennat en quinquennat, surtout les derniers, occupe la place à l’Elysée. Son rôle, implicitement confié par la puissance médiatique qui l’a mis en avant pour le placer à l’Elysée, est d’occuper les esprits à n’importe quel prix, d’attirer l’attention sur sa personne au prix de mille contorsions et délires verbaux, manipulation des peurs, de l’indignation ou de la quête d’une idole qui caractérise la médiocrité ambiante. Tel est sa mission implicite: capter quotidiennement les regards voir plusieurs fois par jour pour les détourner d’un processus d’effondrement de l’intelligence, de la culture, des paysages (cf billet précédent), de la solidarité, des équilibres financiers, de l’Etat, de l’indépendance nationale, des frontières, de l’esprit d’unité, de la puissance technologique et du rayonnement international…

C’est à cela que sert, avant tout, aujourd’hui un (e) occupant (e) de l’Elysée, quel(le) qu’il (elle) soit dans la pratique actuelle, à force de coups de menton vaniteux, avec la collaboration active d’une floppée de petits courtisans crétins et serviles placés dans tous les cercles d’influence. Or, un chef de l’Etat, c’est tout autre chose dans la tradition française, monarchique ou républicaine. Il est une autorité intellectuelle et morale, au-dessus de la mêlée, au service du pays, lui proposant un cap, incarnant la continuité et l’unité de la France. Sadi Carnot, Loubet, Fallières, Raymond Poincaré, Gaston Doumergue, Vincent Auriol, René Coty puis dans un autre style Charles de Gaulle, Georges Pompidou, furent des chefs de l’Etat dignes de ce nom. Un président doit être intelligent (au sens de visionnaire, pas de manipulateur), cultivé, connaître son histoire à la perfection (puisqu’il l’incarne), d’une parfaite éducation, relativement discret pour préserver l’autorité de sa parole. Il doit connaître et aimer passionnément le peuple dans son ensemble, le lui faire sentir et lui inspirer la confiance et l’esprit d’unité, le rassurer plutôt que le manipuler par la peur ou le mépris, la quête de boucs émissaires, d’une parfaite exemplarité et réunir sur son nom l’estime, la confiance, d’au moins les quatre cinquièmes de la nation. Un président clivant ou impopulaire est une anomalie: il n’est plus en mesure d’accomplir sa mission d’autorité morale et intellectuelle au-dessus de la mêlée. Un président doit savoir choisir son entourage et laisser au Premier ministre et au gouvernement le soin de gouverner sur la base du choix politique d’un projet de société fait uniquement lors de l’élection législative. Dans le maëlstrom que nous vivons en ce moment, l’ouragan de crétinerie qui souffle, l’avalanche diarrhéique qui nous submerge d’absolument partout (pardon pour la crudité de la formule), il manque cruellement au pays ce pilier, cette boussole, ce capitaine dans la tempête – qui serait le dernier à quitter le navire – cette autorité morale et intellectuelle, visionnaire et impartiale, dont la mission est avant tout d’inspirer la confiance que serait un authentique chef de l’Etat. Je dis cela parce que je le pense!

MT

https://maximetandonnet.wordpress.com/2024/05/07/quest-ce-quun-president-de-la-republique-2/

jeudi 9 mai 2024

Notre faux ami l’Amérique : face à la doxa atlantiste, européiste et russophobe du Système

 

Notre faux ami l’Amérique : face à la doxa atlantiste, européiste et russophobe du Système

Marc Rousset[1] ne sera certainement pas invité par les médias mainstream pour présenter son dernier essai, Notre faux ami l’Amérique[2], sous-titré Pour une alliance avec la Russie. Si l’on ajoute que son livre est préfacé par Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma de la fédération de Russie, on comprend que Marc Rousset est définitivement passé du côté obscur de la force pour les tenants de la ligne atlantiste et russophobe qui peuplent les médias du Système. En 370 pages, l’auteur prend en effet le total contre-pied de la doxa qui nous est imposée depuis le début de « l’opération militaire spéciale » russe en Ukraine. C’est donc bienvenu.

À l’assaut de la bien-pensance russophobe

Non, nous ne sommes pas les alliés des États-Unis mais ses vassaux. Non, l’Amérique ne représente pas le camp du bien car elle « ment comme elle respire[3] ». Non, la domination nord-américaine n’a rien de pacifique ni de profitable pour nous. C’est bien l’OTAN qui n’a pas respecté la promesse faite à Gorbatchev et à Eltsine de ne pas s’étendre vers l’est. C’est l’Amérique qui est la seule responsable de la guerre qu’elle livre par procuration en Ukraine, pays au demeurant historiquement russe pour l’essentiel. Non, la Russie ne va pas perdre en Ukraine car son armée domine en tout l’OTAN.

Non, la Russie ne va pas nous envahir : elle souhaite seulement garantir sa sécurité (car « les Russes n’admettent pas que Washington fasse à leurs frontières ce que les États-Unis n’ont jamais accepté aux leurs[4] ») et ne pas se couper de la civilisation européenne à laquelle elle appartient pour une part. La Russie, en effet, a historiquement vocation à nous protéger de la poussée de l’Asie à l’est de notre continent ; c’est pourquoi les Européens commettent une erreur mortelle en la jetant dans les bras de la Chine, par leur folle politique de sanctions, qui ruine en outre leur économie (mais pas celle des États-Unis…).

Non, l’avenir de l’Europe n’est pas dans une union fédéraliste qui gonfle démesurément jusqu’à l’éclatement, mais dans une confédération européenne des nations qui coopère avec la Russie. Oui, l’Europe doit rompre avec l’Occident, l’ennemi des peuples : l’Europe ne va pas de Washington à Bruxelles, mais de Brest à Vladivostok.

Au fil des pages, Marc Rousset s’attaque sans faiblesse, on le voit, à tous les poncifs de la bien-pensance, aux mensonges et au double standard permanent de l’Occident.

Un essai pour nous réveiller

Pour l’auteur, la Russie n’est donc pas l’ennemi de l’Europe : l’ennemi, c’est « elle-même avec sa haine de soi, l’invasion migratoire extra-européenne, l’islamisme conquérant et l’impérialisme américain[5] ». La France devrait d’ailleurs se souvenir de tout ce qu’elle a dû à la Russie durant les deux guerres mondiales.

La situation est grave parce que la guerre est à nos portes, et Marc Rousset n’entend manifestement pas s’encombrer de prudence stylistique.
Il frappe fort pour nous réveiller, en particulier nous, Français, assommés par la répression et la propagande européiste et atlantiste de la macronie.

On n’est bien sûr pas forcé de suivre toutes les affirmations décapantes de l’auteur, comme, par exemple, lorsqu’il préconise l’usage de l’espéranto pour sortir de la domination de l’anglais globish en Europe…
Mais son essai ne laissera pas indifférent car il invite à une lecture alternative des enjeux de notre temps. C’est pourquoi il faut le lire.

L’avenir de l’Europe, pour Marc Rousset, se résume à une alternative : rester Européen en adoptant une politique continentale alliée à la Russie et en faisant une Europe des nations, ou devenir des Yankees de seconde zone en tant que vassaux, corvéables et jetables, de l’Amérique.
Alors, quel avenir choisissons-nous ?
C’est bien la question que Marc Rousset nous invite à nous poser dans son essai Notre faux ami l’Amérique.

Michel Geoffroy 07/05/2024

[1] HEC, docteur ès sciences économiques, diplômé des universités Colombia et Harvard, ancien dirigeant d’entreprise, chroniqueur et essayiste.
[2] Rousset (Marc), Notre faux ami l’Amérique, éditions Librinova, 2023, 24,90 euros.
[3] Ibid., p. 164.
[4] Ibid., p. 165.
[5] Ibid., p. 184.

https://www.polemia.com/notre-faux-ami-lamerique-face-a-la-doxa-atlantiste-europeiste-et-russophobe-du-systeme/

Une sépulture gauloise de 2300 ans mise au jour dans la Marne (art de 2015)

 

Une partie de l’histoire locale a refait surface, il y a peu de temps du côté de Gizaucourt. En se promenant dans les champs autour de la commune, un homme aperçoit des os. Interpellé par cette découverte pour le moins surprenante, il contacte la gendarmerie qui se rend sur place. Une procédure habituelle dès lors que des restes sont découverts. Il en avait été de même lorsque les squelettes de cinq soldats allemands datant de la Première Guerre mondiale avaient été mis au jour près du site de La Main de Massiges en août 2014.
« Des gendarmes ont constaté la présence d’os humains dans une fosse, raconte Yves Desfossés, conservateur régional de l’archéologie. Ils m’ont téléphoné pour que je vienne voir sur place. Il voulait savoir si ces ossements avaient moins de trente ans. » Le spécialiste les a rassurés immédiatement. « Ces ossements datent de la période gauloise, affirme Yves Desfossés. Ils remontent à trois cents ans avant Jésus Christ. » Une datation rendue possible grâce aux vases qui se trouvaient à côté des ossements.

L’Union

https://www.fdesouche.com/2015/09/13/une-sepulture-gauloise-de-2300-ans-mise-au-jour-dans-la-marne/

mercredi 8 mai 2024

Aux origines des troupes coloniales françaises [1/3], avec Julie d'Andurain

Paul Deschanel : un fou à l’Élysée !

 

PAUL DESCHANEL
S’il est une chose que l’on peut retenir de la IIIe République, c’est le nombre important de Présidents qui l’ont dirigé : 14 en 69 ans. Parmi ceux-ci, des noms bien connus comme Sadi Carnot, Félix Faure, Raymond Poincaré ou encore Paul Doumer. Cependant, il en est un autre dont l’état de santé inquiétant a marqué l’Histoire : Paul Deschanel. Sa disparition, le 28 avril 1922, est une occasion de se rappeler cet épisode burlesque de la vie politique de notre pays.

L’un des plus grands orateurs de la IIIe République

Paul Deschanel naît en Belgique, le 13 février 1855, dans une famille qui s'était exilée après l’avènement de Napoléon III. Très jeune, il entre en politique, devient le collaborateur d'un ministre, puis sous-préfet, et, à 30 ans, il est élu une première fois député, entamant ainsi une longue carrière parlementaire, puisqu'il sera élu neuf fois, de 1885 à 1920, député d'Eure-et-Loir. Deschanel est alors considéré comme l’un des plus grands orateurs de la gauche modérée de la IIIe République. À l'issue de la Première Guerre mondiale, fort de son succès et de sa longue carrière, il n’hésite pas à se présenter à l'élection présidentielle. À l'époque, rappelons-le, le chef de l'État était élu par les parlementaires des deux assemblées, Chambre des députés et Sénat. Deschanel remporte cette nouvelle bataille politique face au Père la Victoire : Georges Clemenceau. La seule chose qui semble désormais pouvoir arrêter Paul Deschanel, c’est peut-être lui-même.

Un Président ou un fou ?

L’arrivée du nouveau locataire du palais de l’Élysée rime avec le début de ses ennuis de santé. Ces événements vont alors susciter la curiosité mais aussi la stupéfaction du grand public et des médias. Ainsi, les collaborateurs du Président ne tardent pas à observer chez lui un comportement des plus insolites. Comble de l’ironie pour le fils d’un ancien opposant à Napoléon III, Paul Deschanel signe parfois ses décrets officiels avec le nom de Napoléon. Au cours d’un week-end au château de Rambouillet, on l’aurait aussi retrouvé, de bon matin, en train de pêcher des carpes dans l’un des bassins du domaine. Une autre fois encore, lors de la visite de quelques-uns de ses amis, le président de la République les aurait abandonnés lors d’une promenade pour grimper à un arbre en imitant le cri d’un oiseau. Pire : on raconte même l’avoir vu se promener avec comme seul vêtement le cordon de la Légion d’honneur. C’est à se demander si la République est présidée par un homme sain d’esprit.

Le voyage vers Montbrison

Le coup final de la carrière politique de Paul Deschanel arrive le 23 mai 1920. Lors d’un voyage en train de nuit vers Montbrison, le Président tombe sans raison valable de son wagon en marche. Heureusement pour lui, il ne se blesse que très légèrement mais se retrouve désormais seul et n’a pour seul habit que son pyjama. Marchant pendant plusieurs heures, il finit par trouver un ouvrier travaillant le long du chemin de fer. Ce dernier, stupéfié de se retrouver face au Président, le conduit jusqu’à la maison d’un garde-barrière qui soigne et couche l’auguste blessé. Quelques heures plus tard, le sous-préfet de Montargis arrive en voiture afin de conduire Deschanel à sa sous-préfecture. Malgré les tentatives d’étouffer l’affaire, les journaux font les choux gras de cet accident qui ridiculise Paul Deschanel. Ce dernier finit par démissionner, le 21 septembre 1920. Son mandat n’aura seulement duré que sept mois et trois jours. Annonçant sa décision, il adresse avec dignité ces quelques mots à la Chambre des députés : « Mon état de santé ne me permet plus d’assumer les hautes fonctions dont votre confiance m’avait investi […] L’obligation absolue qui m’est imposée de prendre un repos complet me fait un devoir de ne pas tarder plus longtemps à vous annoncer la décision à laquelle j’ai dû me résoudre. Elle m’est infiniment douloureuse et c’est avec un déchirement profond que je renonce à la noble tâche dont vous m’aviez jugé digne. La charge de président de la République implique en tout temps des devoirs graves : elle réclame une activité et une énergie au-dessus de toute défaillance. […] Ce sera le rôle et l’enviable privilège de mon successeur de glorifier […] devant le monde l’œuvre de la république qui, après avoir, il y a cinquante ans, sauvé l’honneur, a ramené sous nos drapeaux l’Alsace et la Lorraine. »

Malgré une tentative de retour en politique comme sénateur, Paul Deschanel décède deux ans plus tard, le 28 avril 1922, à l’âge de 67 ans. La folie de ce dernier est alors expliquée a posteriori par les médecins. On diagnostiqua au Président un trop grand surmenage et une forte anxiété en raison de sa charge politique ayant entraîné ces moments de confusion. Ainsi, même l’un des esprits les plus brillants de sa génération politique n’a pas résisté au poids du pouvoir qu’impose la charge de chef de l’État. Cette maladie a ainsi transformé l’une des grandes personnalités politiques de la France en une risible figure rocambolesque du début de notre XXe siècle.

Eric de Mascureau

https://www.bvoltaire.fr/histoire-paul-deschanel-un-fou-a-lelysee/

mardi 7 mai 2024

1959/1960, les débuts de la guerre civile au Laos

 

La guerre civile laotienne allait durer de 1959 à 1975, année de la prise du pouvoir par les Communistes du Phatet-Lao. Mais comment a-t-elle commencé? Voici ce qu’en dit l’universitaire André Fontaine (1921-2013) dans son livre qui fait référence, “L’histoire de la guerre froide” (L’extrait est tiré page 429-430 du tome 2 de l’édition poche du livre):

“Comme s’il ne suffisait pas d’avoir ajouté aux échéances berlinoise et congolaise qui l’attendaient à la Maison-Blanche un rendez-vous cubain, les interventions intempestives de la C.I.A. venaient encore de ranimer au Laos un nouveau théâtre de guerre froide, et même tiède. L’armistice de 1954 avait prévu que les deux bataillons des forces communistes – le Phatet-Lao – qui occupaient les provinces contiguës au Viêt-Nam seraient intégrés dans l’armée royale. Après d’interminables discutions un accord avait fini par intervenir en 1959 sur les modalités de cette intégration. Mais le Phatet-Lao réclama à la dernière minute davantage que ce qui lui était promis: les forces royales tentèrent de désarmer ses troupes; celles-ci réussirent à prendre le large, rejointes un peu plus tard par deux cents officiers et soldats de l’armée régulière. Des combats sporadiques s’engagèrent et la presse américaine se remplit des informations les plus fantaisistes sur la participation massive du Viêt-Nam du Nord à des opérations qui pourtant n’engagèrent jamais que des effectifs extrêmement limités. Le 31 décembre 1959, au milieu de la confusion générale, le général Phoumi Nosavan prit le pouvoir à Vientiane, la capitale, avec la bénédiction et les dollars de la C.I.A., instaurant un régime ouvertement pro-occidental et organisant des élections truquées, au cours desquelles pas un opposant ne put passer.

Phatet-Lao

Le 9 aout 1960, grâce à un autre coup d’Etat, un capitaine de 26 ans, Kong-Lé, s’emparait de Vientiane. Il annonçait son intention de «consolider la nation, la religion, le trône et la constitution», de maintenir la neutralité du Laos et faisait appel au prince Souvanna Phouma, ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale.

Souvanna Phouma

Le tandem Kong-Lé-Souvanna Phouma était probablement ce qui convenait le mieux à ce pays, si pacifique que ses soldats, parait-il, ont l’habitude de tirer trop haut, de manière à ne pas risquer d’atteindre l’ennemi. Winthrop Brown, l’ambassadeur des Etats-Unis, était bien de cet avis. Mais la C.I.A. tenait Kong-Lé pour un crypto-communiste, et persuada Phoumi Nosavan de repousser ses propositions de collaboration ce qui eut pour effet de rejeter davantage Souvanna Phouma vers le Phatet-Lao. Le 9 décembre 1960, Phoumi Nosavan déclencha une offensive contre les neutralistes, amenant Souvanna Phouma à s’adresser aux Russes. Ceux-ci, trop heureux de s’immiscer dans un pays qui jusqu’alors était la chasse gardée des Américains et des Chinois, mirent sur pied à toute allure un pont aérien. Il n’empêcha pas la chute de Vientiane, le 18, mais permit à Kong-Lé et au Phatet-Lao, qu’il était allé rejoindre, de s’emparer de plusieurs positions importantes, et notamment de l’essentielle plaine des Jarres. Pour masquer ses difficultés, le gouvernement mis en place par Phoumi Nosavan affirma le 31 décembre que le pays était l’objet d’une agression de la part de «sept bataillons nord-vietnamiens».

Lorsque le 19 janvier 1961, Eisenhower exposa a son successeur la situation au Laos, il s’excusa de lui laisser une telle «pagaille». Le mot aurait pu s’appliquer à l’ensemble des problèmes auxquels allait devoir s’attaquer sans perdre de temps le nouveau président des Etats-Unis.”

André Fontaine

source:http://lagazetteducitoyen.over-blog.com/2019/09/1959/1960-les-debuts-de-la-guerre-civile-au-laos.html

https://reseauinternational.net/1959-1960-les-debuts-de-la-guerre-civile-au-laos/

Lettre d’un résistant fusillé : Le Parisien caviarde les références catholiques et à la « France éternelle »

 

Henri Fertet est né le 27 octobre 1926 à Seloncourt, dans le Doubs, et est baptisé à Verdun le 15 mai 1927 à l’église Saint-Victor. Mort fusillé le dimanche 26 septembre 1943 à Besançon, il fut un résistant français.
Membre du Groupe Guy Mocquet, il est arrêté par les Allemands le 2 juillet à 3 heures 30 et fusillé le dimanche 26 septembre 1943 à 7 heures 36 à la Citadelle de Besançon, à l’âge de 16 ans, avec 15 de ses camarades.
Il fut compagnon de la Libération à titre posthume (décret du 7 juillet 1945) mais aussi Chevalier de la Légion d’honneur. Il reçut également la croix de guerre 1939-1945, la Médaille de la Résistance, la Croix du Combattant Volontaire 1939-1945 ainsi que la Médaille des Déportés et Internés Résistants. Cette lettre est un témoignage bouleversant
 


La Lettre publiée dans Le Parisien

« Chers parents, ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vus si pleins de courage que, je n’en doute pas, vous voudrez bien encore le garder, par amour pour moi.
Vous ne pouvez savoir ce que moralement j’ai souffert dans ma cellule, [ce] que j’ai souffert de ne plus vous voir [.
..] pendant ces quatre-vingt-sept jours de cellule, votre amour m’a manqué plus que vos colis et, souvent, je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait […] Avant, je vous aimais par routine plutôt mais, maintenant, je comprends tout ce que vous avez fait pour moi. Je crois être arrivé au vrai amour filial […] Je meurs pour ma patrie, je veux une France libre et des Français heureux, non pas une France orgueilleuse et première Nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête. […] Pour moi, ne vous faites pas de soucis, je garde mon courage et ma belle humeur jusqu’au bout et je chanterai “Sambre et Meuse” parce que c’est toi, ma chère petite maman, qui me l’a appris […] Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée, mais c’est parce que j’ai un petit crayon. Je n’ai pas peur de la mort, j’ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t’en supplie, prie, songe que si je meurs, c’est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable ? Je meurs volontairement pour ma patrie. Nous nous retrouverons bientôt tous les 4 au ciel. Qu’est-ce que cent ans ? […] Adieu, la mort m’appelle, je ne veux ni bandeau ni être attaché. Je vous embrasse tous. C’est dur quand même de mourir. Mille baisers.
Vive la France.
Un condamné à mort de 16 ans. »
Le Parisien


La Lettre dans son intégralité

Besançon, prison de la Butte (Doubs)
26 septembre 1943
Chers parents,
Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vu si pleins de courage que, je n’en doute pas, vous voudrez bien encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.
Vous ne pouvez savoir ce que moralement j’ai souffert dans ma cellule, [ce] que j’ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir sur moi votre tendre sollicitude que de loin, pendant ces quatre-vingt-sept jours de cellule, votre amour m’a manqué plus que vos colis et, souvent, je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait. Vous ne pouvez douter de ce que je vous aime aujourd’hui, car avant, je vous aimais par routine plutôt mais, maintenant, je comprends tout ce que vous avez fait pour moi. Je crois être arrivé à l’amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être, après la guerre, un camarade parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué ; j’espère qu’il ne faillira point à cette mission désormais sacrée.
Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement mes plus proches parents et amis, dites-leur toute ma confiance en la France éternelle. Embrassez très fort mes grands-parents, mes oncles, mes tantes et cousins, Henriette. Dites à M. le Curé que je pense aussi particulièrement à lui et aux siens. Je remercie Monseigneur du grand honneur qu’il m’a fait, honneur dont, je crois, je me suis montré digne. Je salue aussi en tombant mes camarades du lycée. À ce propos, Hennemay me doit un paquet de cigarettes, Jacquin, mon livre sur les hommes préhistoriques. Rendez le “Comte de Monte-Cristo” à Emeurgeon, 3, chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice Andrey de La Maltournée, 40 grammes de tabac que je lui dois.
Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon cher Papa, mes collections à ma chère maman, mais qu’elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d’épée gaulois.
Je meurs pour ma patrie, je veux une France libre et des Français heureux, non pas une France orgueilleuse et première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête.
Que les Français soient heureux, voilà l’essentiel. Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur.
Pour moi, ne vous faites pas de soucis, je garde mon courage et ma belle humeur jusqu’au bout et je chanterai “Sambre et Meuse” parce que c’est toi, ma chère petite maman, qui me l’a appris.
Avec Pierre, soyez sévères et tendres. Vérifiez son travail et forcez-le à travailler. N’admettez pas de négligence. Il doit se montrer digne de moi. Sur les “trois petits nègres”, il en reste un. Il doit réussir.
Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée, mais c’est parce que j’ai un petit crayon. Je n’ai pas peur de la mort, j’ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t’en supplie, prie, songe que si je meurs, c’est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable pour moi ? Je meurs volontairement pour ma Patrie. Nous nous retrouverons bientôt tous les quatre, bientôt au ciel. Qu’est-ce que cent ans ?
Maman rappelle-toi :
“Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs Qui, après leur mort, auront des successeurs.”
Adieu, la mort m’appelle, je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse tous. C’est dur quand même de mourir.
Mille baisers. Vive la France.
Un condamné à mort de 16 ans.
H. Fertet.
Excusez les fautes d’orthographe, pas le temps de relire.
Expéditeur : Monsieur Henri Fertet, Au ciel, près de Dieu.
(Merci à Maximus)

https://www.fdesouche.com/2015/05/09/le-parisien-publie-la-lettre-dun-jeune-resistant-fusille-les-references-au-cure-leveque-et-la-france-eternelle-sont-caviardees/

lundi 6 mai 2024

Les discours du Prince Nicolas Machiavel (1469-1527)

 

Machiavel

À la fin du XVe siècle, l'Italie, le berceau de la Renaissance et du capitalisme commerçant, était divisée en une multitude de principautés qui se querellaient sans cesse, malgré qu'elles fussent trop faibles pour s'opposer aux visées expansionnistes des royaumes de France et d'Espagne et du Saint Empire. L'instabilité caractérisait la vie politique, car les gouvernements de ces petits États changeaient au gré des insurrections populaires ou des intrigues ourdies par les grandes familles, les retournements d'alliance entre principautés étaient fréquents, enfin les vaincus ou les plus faibles faisaient souvent appel aux puissances étrangères qui convoitaient les territoires italiens.

La carrière diplomatique

C'est dans ce pays riche mais déchiré que naquit Nicolas Machiavel, en 1469. En ce temps, Laurent de Médicis, dit le Magnifique, un monarque esthète et protecteur des arts, régnait sur Florence. Son falot successeur, Pierre II, fut chassé de la ville en 1494, parce qu'il avait négocié avec le roi Charles VIII au détriment des libertés de la ville. L'instigateur de la révolte, le moine fanatique Savonarole, instaura une théocratie, mais il fut à son tour renversé et exécuté en 1498. Les insurgés rétablirent l'ancienne république et, la même année, Machiavel entrait à son service.

Il prit d'abord la fonction de secrétaire à la Seconde Chancellerie qui traitait des affaires intérieures. Très vite, les autorités reconnurent son érudition et sa vivacité d'esprit et il passa au Conseil des Dix qui lui se chargeait des affaires étrangères et des questions militaires. Au cours des quatorze années suivantes, le gouvernement lui confiera de nombreuses missions diplomatiques, il rencontra ainsi la plupart des personnalités politiques de son temps, comme César Borgia, Louis XII ou l'empereur Maximilien Ier (le grand père de Charles Quint).

Dans les mêmes fonctions, il tâta des arts militaires. À l'époque, la plupart des États ne possédaient pas d'armée permanente, ils louaient les services de mercenaires, les Condottieri qui commandaient leurs troupes privées. Les Condottieri s'avéraient souvent peu fiables, ils agissaient en fonction de leurs intérêts personnels, ils changeaient parfois de camps ou ils cessaient une campagne lorsque la solde ne suivait pas. Pour remédier à ce problème, Machiavel proposait de constituer une armée nationale. Suivant ses conseils, le gouvernement leva une milice dont Machiavel devint le secrétaire en 1506. Pendant trois ans, il arpenta le territoire de Florence pour recruter et organiser la nouvelle armée. En 1509, il assista au long siège de Pise que l'armée florentine avait investi.

Mais les événements allaient bientôt mettre un terme à la carrière de Machiavel. Le pape Jules II s'allia avec l'empereur Maximilien et le roi d'Espagne contre Louis XII afin de bouter les Français hors d'Italie. Or Florence soutenait le roi de France et le sort des armes ne lui fut pas favorable. La victoire de la Sainte Ligue entraîna le retour des Médicis au pouvoir à Florence et, malgré les efforts qu'il déploya pour les séduire, Machiavel entra en disgrâce. Pire, il fut impliqué dans un complot et jeté en prison, mais en il sortit à la faveur d'une amnistie décrétée pour fêter l'accession au pontificat de Jean de Médicis sous le nom de Léon X en 1513.

L'œuvre littéraire

Exilé, il se retira dans sa petite propriété de San Casciano. À maintes reprises, mais en vain, il sollicita un poste à la Seigneurie des Médicis. Jusqu'alors, il avait surtout écrit des rapports diplomatiques dont la clarté et la pénétration étaient appréciées en haut lieu. il avait également versé avec bonheur dans l'art épistolaire. Ses lettres de jeunesse nous font découvrir un personnage jouisseur et farceur que l'écrivain Somerset Maugham a mis en scène, avec un humour très britannique, dans son joyeux roman La Mandragore.

Dans sa retraite, il entreprit la rédaction de ses Discours sur la première décade de Tite Live, un commentaire des dix premiers livres de son histoire de Rome de l'auteur antique qui couvre la période allant de la fondation de Rome à l'an 9 av. JC et comprenait 142 livres dont 35 seulement nous sont parvenus.

En 1513, il interrompit son travail d'exégèse pour rédiger d'un jet la première version de son œuvre la plus célèbre, Le Prince, qu'il dédicaça à Laurent II de Médicis dans l'espoir de rentrer en grâce. Il acheva ensuite les Discours, puis repris et peaufina "Le Prince" en 1519. De son vivant, les deux œuvres ne circuleront que sous la forme de manuscrits et elles ne furent imprimées qu'après sa mort. Le Prince fut inscrit à l'index des livres proscrits par l’Église en 1559 et le Concile de Trente, qui relança la Sainte Inquisition, ordonna de brûler les livres sulfureux de Machiavel.

De 1520 à 1526, il rédigea une monumentale Histoire de Florence que Jules de Médicis, le futur pape Clément VII, lui avait commandée. Dans le métier d'historien, il innova par son approche rationnelle et critique qui refusait tout recours aux explications miraculeuses ou magiques des événements. Par ailleurs, il écrivit des poésies et du théâtre, dont La Mandragore, sa meilleure pièce, qui inspirera le "Malade imaginaire" de Molière.

Deux livres à mettre en regard

Le Prince et Les Discours doivent se lire en parallèle, l'un ne se comprend pas sans référence à l'autre, bien qu'il s'agisse d'ouvrages de facture fort différentes. Il importe de lire de concert Le Prince qui est une sorte de manuel pour l'homme d’État et "Les Discours" qui présentent la politique du point de vue du peuple. Le Prince, auquel Machiavel doit sa notoriété, séduit parce qu'il est d'une lecture aisée, le style en est concis et limpide, l'auteur enchaîne les hypothèses et raisonnements en les illustrant d'exemples tirés de l'histoire antique et de son expérience personnelle. Ce petit livre est subdivisé en vingt six chapitres aux intitulés clairs. Dans un premier temps, l'auteur présente les différentes manières d'acquérir et de conserver une principauté. Ensuite, il analyse les principes fondamentaux de la politique intérieure et extérieure. Puis, il décrit la figure du Prince, l'homme d’État idéal. Enfin, dans le dernier chapitre, il appelle à la venue d'un Prince qui réunisse les Italiens l'Italie sous son autorité. Au contraire, Les Discours constituent un ouvrage nettement plus long et touffu, il semble au premier abord difficile de suivre le cours sinueux des subtiles pensées de Machiavel. Souvent aussi, la lecture de cette somme rebute l'homme contemporain par ses références récurrentes à la culture classique. La plupart des chapitres se terminent, à l'instar des fables, par une sorte de leçon politique. Machiavel ne nous livre pas une simple apologie des institutions romaines, il recourt sans cesse à des comparaisons avec de événements contemporains et il établit que la grandeur de Rome résulta du constant conflit entre les patriciens et la plèbe.

Aperçu de la pensée machiavélienne

Selon Machiavel, la politique consiste avant tout à fonder un ordre nouveau et ensuite à conserver le nouvel État, de sorte qu'elle se réduit au pouvoir et à son exercice. En cela, Machiavel innove radicalement et il rompt avec l'école qui s'inspirait des théories d'Aristote dont on avait redécouvert l'œuvre aux alentours de 1300. Dans l'esprit des aristotéliciens, la vie s'interprète en termes de "fins" et de biens" hiérarchisés. Autrement dit, la politique est un moyen de réaliser un idéal. L'homme, cet "animal rationnel", s'épanouit au sein de la cité en pratiquant des vertus qui sont à la fois civiques et morales. Toute l'activité politique tend vers un bien supérieur, qu'il soit naturel ou révélé. "La Cité" de Platon ou "L'Utopie" de Thomas Moore offrent deux beaux exemples de cette conception du politique, dans les deux cas, un philosophe rêve un univers dont la perfection fait par contraste ressortir les défauts de la société réelle. Par ce truchement, ils critiquaient leur monde respectif, le premier la démocratie athénienne décadente, le second l'Angleterre de son temps. De son côté, l’Église se servait du discours aristotélicien pour justifier ses prétentions sur la souveraineté terrestre. En effet, dans un monde christianisé, la fin supérieure ne pouvait être que l'accomplissement du message divin.

En décrétant que la politique est avant tout un ensemble de pratiques, Machiavel déplace la question morale. Autrement dit, il affirme que le bien ou la fin ne peut naître que du mal appliqué avec raison, discernement et pondération. En effet, il ne s'agit plus de réaliser un idéal, mais bien de fonder un nouvel État. Pour ce faire, le Prince a besoin d'autres qualités que l'homme vertueux. Il utilise selon les circonstances la loi ou la force, la crainte ou la séduction, la vérité ou le mensonge. D'où la fameuse citation tronquée "La fin justifie les moyens" signifiant que pour parvenir à créer un bien (le nouvel État), le Prince devra souvent user de méthodes réprouvées par la morale.

Pour autant, Machiavel n'est ni amoral ou immoral, il refoule la question en dehors de l'action et la situe au niveau des objectifs, car ce qui motive l'action du Prince est la fondation d'un État et l'institution de lois bonnes pour la multitude, lui-même est au-delà de la morale et on ne peut le juger que sur le résultat de son action. « Quand l'acte accuse, le résultat excuse » affirme-t-il dans Les Discours !

Le Prince veut soulager le peuple en le délivrant de l'oppression. La fondation d'un ordre nouveau, entreprise ô combien périlleuse, car l'homme craint et résiste au changement, passe par l'alliance du Prince et du Peuple contre les Grands et l’Étranger. Dans cette lutte, le Prince incarne le principe actif, il apporte et suscite le changement, alors que le rôle du peuple est de maintenir et conserver le nouvel ordre établi. Ici aussi, Machiavel introduit une nouveauté en faisant du peuple un acteur de la politique, alors qu'auparavant il n'en était que le spectateur et la victime.

Contrairement à ce que pourrait faire croire une lecture unilatérale du Prince, Machiavel opte pour la république, qu'il a d'ailleurs servie pendant toute sa carrière. L'avantage de la république sur la monarchie réside dans le fait que, une fois bien établies, les lois, permettent à l’État de se maintenir, même s'il n'a plus d'homme exceptionnel à sa tête. Au contraire, les monarchies déclinent ou s'éteignent quand leurs dirigeants manquent de caractère.

De la vertu et de la fortune du Prince

Le Prince possède deux qualités essentielles : la vertu et la fortune. La vertu renvoie à l'initiative et au discernement dont il doit faire preuve dans l'action. Elle reste équivoque car elle oscille sans cesse entre la justice et la force. Elle se manifeste à la fois comme puissance et légitimité. Mais les modèles de vertu ne sont jamais parfaits et chaque héros est différent, car les événements et les situations historiques étant dissemblables, les princes se distinguent parce qu'ils ne vivent pas les mêmes circonstances et n'affrontent pas les mêmes situations. Seul demeure la figure de l'homme d’État qui regarde la réalité en face et s'y adapte pour vaincre, quitte au sacrifice de ses propres convictions. (Quand Henri IV abjure le protestantisme pour devenir roi, il fait acte de machiavélisme). Quant à la fortune, elle ne signifie pas seulement la chance, mais plutôt la situation historique qui favorise plus ou moins les projets du Prince. L'homme d’État évalue les forces en présence, juge du moment opportun de l'action, il combat la nécessité. Lorsqu'il agit, il exploite par sa vertu la marge de liberté que lui offre la fortune. Machiavel a donc une vision volontariste de l'histoire, mais il ne nie pas pour autant les contraintes matérielles, estimant que le Prince maîtrise environ la moitié des faits et de leurs causes.

Bien que Machiavel consacre de nombreuses pages à la force militaire, la ruse n'en demeure pas moins l'arme principale du Prince qui « doit savoir bien user de la bête, il en doit choisir le renard et le lion ; car le lion ne se peut défendre des rets, le renard des loups ; il faut donc être renard pour connaître les filets, et lion pour faire peur aux loups. Ceux qui veulent simplement faire les lions, ils n'y entendent rien ». Machiavel aspirait à la venue d'un héros rédempteur qui unifiât l'Italie. Cette union devait reposer sur l'alliance du Prince au peuple contre les Grands, c'est-à-dire les seigneurs féodaux. Avec Machiavel, nous assistons à la naissance de l’État moderne. En effet, le Prince n'incarne plus la souveraineté divine comme les rois du Moyen Âge, il exerce une fonction en tant qu'égal du peuple, sans le toiser ni le dédaigner.

La postérité rouge et noire de Machiavel

On sait que Le Prince fut souvent commenté et encore plus souvent décrié. Un des cas les plus célèbres est L'antimachiavel écrit par le jeune roi Frédéric II qui pourtant appliqua durant son règne une politique des plus machiavéliques. En ce sens, il suivait les préceptes du Prince qui doit paraître bon, malgré ses actes. Comme nous ne pouvons passer en revue le flot d'écrits suscités par l’œuvre de Machiavel, nous nous intéresserons ici à la lecture qu'en ont faite les penseurs communistes et fascistes.

Les socialistes citent peu souvent Machiavel et leurs jugements sur ses écrits sont divergents. Un Proudhon dans sa Philosophie de la misère traite Machiavel de "théoricien du despotisme" et considère que le florentin n'avait envisagé la société que sous l'angle de "l'inégalité et de l'antagonisme". En revanche, dans L'idéologie allemande, Marx le place aux côtés d'auteurs anciens, tels que Hobbes et Spinoza, qui présentaient la force comme fondement du droit. De cette manière, la politique devenait une sphère autonome qui devait être analysée en dehors des considérations morales. Quant à Lénine, curieusement, il ne s'intéressait pas à Machiavel.

Sans doute, Antonio Gramsci, le fondateur du parti communiste italien, fut le marxiste qui étudia le plus l'œuvre du florentin. Il faut dire qu'il avait du temps libre, puisqu'il rédigea ses Notes sur Machiavel, la politique et l’État modernes dans les prisons de Mussolini. Gramsci considère non sans raison que Le Prince n'est pas un traité théorique mais un manuel pour l'homme d'action. Machiavel a souvent été détesté parce qu'il dévoile le secret du pouvoir, met à nu ses mécanismes, enlève le masque des politiciens qui cachent leurs actions sous le couvert de mobiles moraux ou religieux. Et les leçons de Machiavel peuvent servir tant aux gouvernants qu'au prolétariat, car le Prince nouveau auquel Machiavel aspire n'est pas un quelconque tyran, mais bien le peuple qui devra se choisir un chef. Ainsi agiront les masses jacobines puis bolcheviques qui sacrifieront les intérêts individuels au bien commun de la révolution populaire. Sous sa plume, Machiavel devient le "premier penseur à formuler l'idée de la nation italienne, le théoricien de la classe dominée, qui lui enseigne les conditions de son émancipation, et le fondateur du réalisme scientifique jugé en son essence révolutionnaire" !

Celui qui avait jeté Gramsci en prison admirait aussi Machiavel, mais ne l'interprétait pas de la même manière… Dans sa jeunesse, Mussolini avait soutenu une thèse sur Machiavel et, en 1924, préfaçant une réédition de ses œuvres, il le transforma en écrivain préfasciste. Comme le florentin, le Duce croyait les hommes versatiles et méchants, mais il voyait dans le Prince une figure de l’État qui seul représente l'intérêt général et l'ordre harmonieux. Le peuple, cette masse d'égoïstes indisciplinés, ne possédait pas la souveraineté et la volonté populaire n'était qu'une farce. Dans l'esprit de Mussolini, le Prince nouveau incarne l’État et l’État, c'est le Duce.

Autant dire, qu'il n'a pas compris un élément fondamental des écrits de Machiavel : le Prince ne s'identifie pas à l’État, il exerce ses fonctions en son sein, au profit du peuple, tout en (re)connaissant et utilisant les défauts intrinsèques aux hommes. Certes, leur nature ne changera pas, mais l'organisation de la société (la Loi) peut en partie remédier à leur imperfection et favoriser le développement de leurs qualités. À son tour, une grande nation engendrera de nouveaux Princes ou un Prince collectif.

Frédéric Kisters, Devenir n°18, 2001.

http://www.archiveseroe.eu/recent/164

La culture, la France et l’universel

 

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Par Gérard Leclerc

Reconnaissons qu’à Droite – nouvelle ou ultra – on saoule les patriotes de la fameuse guerre culturelle d’Antonio Gramsci. Mais tous ces afficionados sont-ils réellement en capacité de comprendre ce qui se cache derrière la culture. Sont-ils capables de savoir si culture universelle et culture française sont compatibles ?

C’est le thème de la réflexion que notre ami Gérard Leclerc a menée, pour la revue bi-mensuelle Royaliste, parue le 17 janvier 2024. Il l’a intitulée « La culture, la France et l’universel ». On s’y retrouve en bonne compagnie avec Péguy, Corneille, Fourquet, Élias, Malraux, Ellul.

Le remplacement de Rima Abdul Malak par Rachida Dati au ministère de la rue de Valois relève de la pure manœuvre politique. Il est pour le moins problématique de lui trouver un sens culturel. On ne connaissait pas d’appétence particulière de la maire du VIIe arrondissement, ancienne garde des Sceaux, pour les questions relevant de ce domaine, au demeurant essentiel. L’ancienne titulaire de la fonction avait beaucoup plus de titres pour exercer une telle mission même si on peut être réservé sur son orientation idéologique. On ne relève pas sans inquiétude une telle désinvolture, alors même que le pouvoir prétend concentrer son attention sur l’avenir de l’école. Il y a une étroite correspondance entre l’objet de l’enseignement et celui de la culture qui relèvent l’un et l’autre du même souci philosophique. À ce propos, j’ai souvent cité le texte de Charles Péguy sur « la crise de l’enseignement » : « il n’y a jamais eu de crise de l’enseignement ; les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ; elles sont des crises de vie ; elles dénoncent, elles représentent des crises de vie et sont des crises de vie elles-mêmes ; elles sont des crises de vie partielles, éminentes, qui annoncent et accusent des crises de la vie générale ; ou si l’on veut les crises de vie générale, les crises de vie sociales s’aggravent, se ramassent, culminent en crises de l’enseignement, qui semblent particulières ou partielles, mais qui en réalité sont totales, parce qu’elles représentent le tout de la vie sociale… » (Pour la rentrée, 1904, Œuvres en prose complètes, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », pp. 1390-1392).

Que pourrait bien dire aujourd’hui le directeur des Cahiers de la Quinzaine ? Ayant été à l’école de la IIIe République, dont il avait tant reçu, il serait sans doute stupéfait du gouffre qui s’est créé en un siècle. Et j’ose à peine deviner sa colère devant un ministre, pourtant crédité d’une sérieuse volonté de réforme, proposant des cours d’empathie pour remédier aux mœurs sauvages des élèves. On est à mille lieues du commentaire du Polyeucte de Corneille et de ses délicatesses… Certes, on peut objecter à cela que ce sont les dures réalités de l’époque qui s’imposent à l’encontre d’un idéalisme hors de saison. Je me souviens de m’être heurté, il y a quelques années, à la presque totalité des directeurs d’établissements catholiques d’un département de l’Ouest, lorsque j’ai exprimé mon regret de l’abandon de la culture générale, dont j’avais bénéficié durant mes années de formation : « Vous n’y pensez pas ! C’est aujourd’hui impossible ! » C’est donc bien la preuve que Péguy avait raison : la crise de l’enseignement, plus généralement celle de la culture, est liée à une crise générale de société. Jérôme Fourquet, en se réclamant de Norbert Élias, parle de phénomène de décivilisation. Mais alors, comment s’opposer à une dérive d’une telle ampleur ? Ne retrouve-t-on pas le procès fait par Malraux à une civilisation « qui n’a su construire ni un temple, ni un tombeau » ?

Malraux, justement ! C’est lui qui, aux origines de la Ve République, avait été engagé par son fondateur à mener un combat qui consistait à « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, assurer la plus vaste audience au patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». Tel était du moins l’intitulé du décret de nomination qui instituait le nouveau ministère de la Culture, installé dans une aile du Palais royal. Le grand écrivain avait pris très au sérieux sa mission, expliquant qu’il fallait faire pour la culture ce que Jules Ferry avait fait pour l’école. A posteriori, cette référence au fondateur de l’école publique ne peut qu’interroger. L’évident déclin de celle-ci n’explique-t-il pas le destin erratique des maisons de la culture disséminées sur le territoire national et dont le bouillon de culture produirait l’esprit soixante-huitard ? On peut porter un jugement circonspect sur la gestion du ministère, tel Jean Lacouture, biographe de l’écrivain. Ses coups d’éclat sans lendemain, ses percées audacieuses suivies de brusques retraites s’apparentaient à la stratégie d’un hussard « dont le jeune Malraux porta quelques semaines l’uniforme à Strasbourg ».

Reste l’intention première, ne serait-ce qu’au travers du passage durable et effervescent de Jack Lang rue de Valois. Cette création unique d’une instance étatique vouée à la sauvegarde du patrimoine et à son extension n’était-elle pas digne de notre génie national ? Encore faut-il s’entendre sur son contenu. On peut craindre une rétraction dans le sens d’une étroitesse d’esprit, alors qu’il s’agit d’atteindre l’universel. Nul plus que Malraux n’en était persuadé : « Si la qualité du monde est la matière de toute culture, la qualité de l’homme en est le but : c’est elle qui la fait, non somme de connaissances, mais héritière de grandeur… » Nous devrions être les héritiers de la plus vieille noblesse du monde et ne pas oublier que « Rome accueillait dans son Panthéon les dieux des vaincus » (Les Voix du silence, André Malraux, Gallimard, 1951).

Culture universelle, culture française, les deux notions sont-elles compatibles ? On se souvient de la polémique soulevée par Emmanuel Macron lors de sa première campagne présidentielle : « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse ». Nul n’a jamais nié que notre culture soit diverse, cela n’empêche pas une unité qui se réfère d’abord à la langue qui, à travers les siècles, a donné naissance à de nouveaux surgeons littéraires, faisant preuve de fécondité et de renouveau dans la continuité d’un fleuve en mouvement. Et le même Emmanuel Macron s’est contredit sur le sujet, ne serait-ce qu’avec la restauration du château de Villers-Cotterêts devenant « Cité internationale de la langue française ». Une langue qu’il définissait lors de l’inauguration comme « fondatrice de notre rapport au monde ».

Il y a bel et bien une culture française comme il y a une culture russe et une culture chinoise. Par ailleurs la spécificité de l’Europe est d’être constituée de nations qui sont autant d’aires originales de civilisation. Seule une conception technocratique, voire saint-simonienne, considère notre continent comme susceptible d’une unification arbitraire, arasant toutes nos différences. Mais voilà qui nous renvoie à la question posée par Jacques Ellul avec tant d’instance : « Culture et technique sont-elles compatibles ou n’appartiennent-elles pas à des registres tout à fait hétérogènes ? » La réponse d’Ellul est sans équivoque : « La technique ne concerne en rien le sens de la vie et récuse toute relation aux valeurs (jamais une technique n’a pu tolérer un jugement de valeur, de bien et de mal, sur ses activités). Ses critères d’existence et de fonctionnement sont qualitativement autres. Elle ne peut donner un sens à la vie, elle ne peut ouvrir sur de nouvelles valeurs. » Accoupler les deux termes est un abus de sens et de non-sens.

On a pu accuser l’auteur du Bluff technologique (1988) d’exagération et d’archaïsme. Mais il faut bien convenir que le défi posé par l’existence d’une Silicon Valley exige une réponse de la part de la culture avec ses ressources inépuisables. Il s’agit alors de placer ses espoirs du côté de la renaissance des humanités !

https://www.actionfrancaise.net/2024/05/05/la-culture-la-france-et-luniversel/

Devant la justice pour avoir découvert près de 2000 pièces gauloises près d’Alésia (art de 2015)

 

pièces gauloises

La chasse au trésor en valait-elle la peine ? En octobre 2012, six archéologues amateurs ont découvert près de 2 000 pièces gauloises datant probablement du Ier siècle avant Jésus-Christ à Laignes (Côte-d’Or), près de Dijon. Ils souhaitaient garder le silence sur leur trouvaille mais ont été trahis par les réseaux sociaux. Ces fouilleurs doivent être jugés, vendredi 19 juin, devant le tribunal correctionnel de Dijon pour « vol de mobilier archéologique » et « fouilles clandestines ». Ils risquent jusqu’à 100 000 euros d’amende et sept ans d’emprisonnement.

Tout avait pourtant bien commencé pour ces Indiana Jones en herbe. Le site 20 minutes rapporte qu’en octobre 2012, cette petite bande s’est rendue, de nuit, dans un champ non loin du site du siège d’Alésia. […] Ils déterrent ainsi près de 2 000 pièces d’or gauloises, un butin estimé à environ 200 000 euros. […]

Pour les archéologues, la perte scientifique est inestimable : « L’archéologie est une science. Quand ils ont retiré les pièces de la terre, ces amateurs n’ont pas pris les précautions nécessaires. Nous ne saurons donc jamais exactement à quoi correspond ce trésor. On ne peut désormais qu’émettre des hypothèses », commente Franck Faucher interrogé par 20 minutes.

France Inter relaie pourtant une explication avancée par plusieurs archéologues. Cette monnaie aurait été émise par Jules César pour « récompenser les mercenaires gaulois qui l’ont aidé durant le siège d’Alésia ». Un de ces hommes aurait donc pu enterrer ses deniers à l’endroit où les accusés les ont déterrés, à une journée de marche d’Alésia, dans l’espoir de les récupérer plus tard. Mais l’hypothèse ne pourra probablement jamais être vérifiée. […]

Le Monde

https://www.fdesouche.com/2015/06/19/devant-la-justice-pour-avoir-decouvert-pres-de-2000-pieces-gauloises-pres-dalesia/

dimanche 5 mai 2024

La guerre et le facteur humain

 

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Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/il-fattore-umano/

Des sources généralement considérées comme faisant autorité (Bloomberg et autres) rapportent qu'en Ukraine, l'application de l'IA aux stratégies de guerre s'est révélée être un échec total.

En effet, les ingénieurs et stratèges du Pentagone pensaient qu'avec l'utilisation de l'Intelligence Artificielle, fournie par les Etats-Unis, les forces de Kiev l'emporteraient facilement sur celles de Moscou.

Parce que leurs stratégies auraient été guidées par des données objectives, filtrées par un système transversal de détection informatique. Et organisées par l'IA. Évitant les limites de l'erreur humaine.

Mais ce n'est pas le cas. Pour ne citer qu'un exemple, la précision de tir des Russes, qui s'appuie encore sur l'homme, est plusieurs fois supérieure à celle des Ukrainiens. Tirs télécommandés, pour ainsi dire, par des systèmes informatiques sophistiqués.

Je ne suis pas un technicien et je ne prétends pas avoir d'expertise en la matière. Je me réfère cependant aux données des agences en question.

Ce qui m'amène à réfléchir.

Sur la guerre et... le facteur humain.

Car, dans l'Art de la guerre, ce qui s'est peu à peu perdu, c'est précisément cela. Le "facteur humain". C'est-à-dire l'importance de l'homme qui se bat. Avec ses mérites et ses défauts. Son héroïsme et sa peur.

Et c'est une grave perte. Surtout dans ce que l'on appelle l'Occident. Qui a cru remplacer cela par la "technique". En fait, il a déshumanisé la guerre. Celle-ci, que nous l'aimions ou non (et je comprends que nous ne l'aimions pas), est un élément fondamental de notre histoire. Et de notre vie.

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Notre civilisation commence avec l'Iliade. Achille contre Hector. Et ce que nous sommes, ce que nous avons été pendant des siècles, des millénaires, vient de là.

Homme contre homme. L'épreuve des armes. De la vaillance. L'aristia. Une image qui a perduré presque jusqu'à aujourd'hui. Elle s'est transformée en stratégie. Qui est, en effet, l'art. Sanglant. Mais de l'art. Et donc dépendant de la vaillance, de l'habileté et de l'intelligence des hommes.

Car il ne s'agit plus seulement de force physique et de courage. César n'était pas particulièrement apte au combat. Mais c'était un génie de la stratégie. Il en va de même pour Napoléon, qui semble avoir eu peur de la confrontation physique. Mais il a dominé la bataille grâce à son intelligence. Par son génie stratégique. Qui dépassait de loin les limites de la force physique. Ou de la brute, selon les cas.

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Ainsi, jusqu'à la Grande Guerre. Qui était une guerre de masses. Et de matériaux. Où la puissance technique a commencé à compter plus que l'intelligence stratégique. Et la vaillance sur le champ de bataille.

Ernst Jünger l'a compris avec lucidité. Dans "Les orages d'acier", il raconte l'affrontement entre l'homme et la machine. Il s'agit toujours de l'Iliade, mais l'un des deux adversaires n'est plus humain. C'est le pouvoir de la technologie. Qui vient de la richesse. De l'argent.

C'est pourquoi Ezra Pound a écrit qu'il est impossible pour un poète moderne d'ignorer l'économie. Tout comme il était impossible pour Homère de ne pas parler de la guerre.

L'économie, l'intérêt et le pouvoir économique ne font pas que déclencher des guerres. Elles en déterminent l'issue. La victoire dépend des moyens dont on dispose. En fin de compte, de la richesse et de la technologie. Qui ne sont pas... humaines.

L'Amérique a incarné et incarne cette vision différente de la guerre. Qui caractérise désormais l'ensemble de ce qu'il est convenu d'appeler l'Occident collectif.

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Une vision qui s'est affirmée lors de la guerre de Sécession. La vaillance des Cavaliers gris de Lee a été vaincue par la supériorité matérielle des Vestes bleues de Grant.

Bloody Shiloh en est la preuve.

Mais ce nouveau paradigme, cette conception de la guerre comme puissance matérielle et non comme valeur humaine, a commencé à montrer des failles après la Seconde Guerre mondiale.

Au Viêt Nam, le rapport de force matériel était tout à fait en faveur des Américains. Pourtant, ils ont perdu.

Incapacité à comprendre l'environnement. Et les hommes, les Vietcongs, qui vivaient et combattaient dans cet environnement.

Le général David Petreus l'explique lucidement dans son essai historique.

Et l'histoire s'est répétée. Avec les talibans, par exemple.

Attention. Aucune sympathie idéologique pour les Viets ou les Talibans. Juste le constat que l'idée que les guerres ne se gagnent que par la supériorité des moyens et de la technologie, sans l'homme, s'avère progressivement en faillite.

De plus en plus faillible, à mesure que le facteur humain perd de son importance. Moins pris en compte. Jusqu'à cette tentative de remplacer les décisions humaines par celles d'une Intelligence Artificielle aseptisée. Comme dans un cauchemar issu de l'imagination de Philip K. Dick.

Je ne sais pas comment se terminera la guerre en Ukraine. Et ce n'est d'ailleurs pas ce qui m'intéresse aujourd'hui.

Mais, si les informations de Bloomberg sont vraies, nous pourrions avoir la preuve que le facteur humain ne peut pas être remplacé par quelque chose d'artificiel. Dans la guerre, comme dans toutes les autres activités fondamentales de la vie.

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/05/02/la-guerre-et-le-facteur-humain.html