Michel Festivi
En cette période de commémoration de l’hécatombe française et européenne, il est important de célébrer nos morts. Il est aussi important de rappeler aux jeunes générations, le passé glorieux de nos aînés qui sont tombés pour la Patrie, mot qui aujourd’hui est bien passé de mode, et qui ne représente plus grand-chose pour beaucoup de ceux qui vivent sur notre territoire. Comme vient de le déclarer le nouveau ministre délégué aux Armées et aux Anciens combattants, Jean-Louis Thiériot, « Prenons garde à ne pas dilapider l’héritage laissés par les poilus de 1914 » (Le Figaro du 11 novembre 2024). Prenons garde aussi, à réfléchir et à tirer les conséquences de ces folies meurtrières. Ils sont tombés aussi pour la préservation de nos frontières, ouvertes aujourd’hui à tout va, que penserait le soldat inconnu, s’il revoyait notre pays en 2024 ?
L’Europe a commencé son suicide en 1914/1918, et elle a fini le travail entre 1939 et 1945. Ne cherchons pas beaucoup plus loin l’immense déclin français et européen et l’ensemble des servitudes qui nous submergent aujourd’hui. Si nos pays européens sont en décadence complète, s’ils sont engloutis par l’immigration massive et illégale, si nos gouvernements sont en dessous de tout, nous le devons en grande partie aux terribles décimations et mutilations des deux guerres civiles européennes, comme le titrera l’historien allemand Ernst Nolte, La guerre civile européenne, sous-titré, National-socialisme et bolchévisme 1917-1945 et publié aux éditions des Syrtes, avec une préface de Stéphane Courtois. Entre 1914 et 1918, l’Europe perdra 9,7 millions de militaires, 8,9 millions de civils, sans compter les millions de blessés et les traumatismes considérables qui s’en suivirent, la dénatalité forcée par cette perte humaine si abondante nous handicapera définitivement. Quant à la seconde guerre mondiale, les chiffres s’affolent. Près de 22 millions de morts militaires et 31 millions de civils.
D’abord, il est constant aujourd’hui d’affirmer, que de lancer, en août 1914, dans la grande conflagration européenne des millions de soldats, fut une décision inouïe des Chancelleries, incapables et incompétentes, et qui n’avaient aucune vision, ni de leurs nations, ni de leurs peuples, ni des conséquences de leurs décisions les plus stupides qui soient. Car des guerres balkaniques avaient déjà eu lieu peu d’années auparavant, entre 1912 et 1913, elles s’étaient réglées au mieux, sans la nécessité d’un embrasement général.
Quant à la France, depuis la fin de l’épopée Napoléonienne, elle a toujours été en retard d’une guerre. En 1870, nos généraux incompétents ont fait combattre de manière improvisée nos soldats, comme s’il s’agissait d’une bataille d’ancien régime, comme si la guerre était encore en dentelles, alors que les Prussiens, autrement plus disciplinés, organisés et armés, n’ont fait qu’une bouchée de nos troupes, pourtant vaillantes. En 1914, l’Etat major, tout aussi incompétent, avait habillé le soldat français de pantalons garance et le faisait débouler, baïonnettes au fusil, et en casquette, devant les mitrailleuses ennemies qui faisaient des cartons, c’était l’offensive toute, sans préoccupation aucune du sang français. Sans la nécessité pour l’Allemagne de retenir à l’Est quelques divisions, pour contrer et écraser l’armée Russe, Paris aurait été occupé et la guerre perdue comme en 1870. Comme l’avait perçu Jacques Bainville, dont je reparlerai « sans la diversion Russe, il est probable que la digue de l’Ouest eût été emportée. »
Rebelote en mars, avril et mai 1918, le front Ouest fut enfoncé, les armées du Kaiser arrivèrent à moins de 50 km de Paris, et nous dûmes notre survie, essentiellement grâce aux soldats américains, notamment de la 1ere et 2ème division, ainsi que l’emploi de 225 chars qui seront décisifs, comme l’a décrit Anne Duménil, dans un article publié dans Chemin de Mémoire. C’est pourquoi, lorsque les armées des Empires centraux ont demandé l’armistice en novembre 1918, alors que le front à l’Ouest se situait toujours sur les sols belges et français, et qu’elles vont regagner leur pays en bon ordre, il fallait organiser une paix de réconciliation et non pas comme l’a fait Georges Clémenceau, une paix d’humiliation, ce qui a conduit inévitablement à un nouveau conflit mondial à peine 20 ans plus tard. En 1939, notre Grand état-major avait conçu une stratégie purement défensive, stratégie que Gamelin, ne respecta pas, puisqu’il envoya dès le 10 mai 1940, nos meilleures armées en Belgique et en Hollande, très loin sur la Dyle, dégarnissant les Ardennes que la Wehrmacht transpercera, le 13 mai 1940.
En faisant disparaître de la carte européenne, l’Empire Austro-Hongrois, Clémenceau avait joué un rôle particulièrement néfaste et mortifère. En humiliant l’Allemagne, déclarée seule responsable de tous les maux, en lui faisant payer des réparations considérables et hors de ses possibilités, on avait créé les germes de la revanche, et le fameux « coup de poignard dans le dos », fera le lit d’un certain Adolf Hitler, qui n’en demandait pas tant.
Tout français se doit d’avoir lu, Les conséquences politiques de la paix, de Jacques Bainville (1879-1936). Cet ouvrage époustouflant a été publié en 1920 et les éditions Godefroy de Bouillon ont eu la riche idée de la republier en 1996, avec une préface de Georges-Henri Soutou, professeur à l’université de Paris-IV-Sorbonne. Lire ce livre c’est comme voir sur grand écran, tous les évènements tragiques qui vont se dérouler dans les années suivantes. Chaque lycéen français qui étudie cette période devrait le lire, mais leurs professeurs d’histoire le connaissent-ils ? Georges-Henri Soutou souligne à juste titre que le traité de Versailles, se voulait un traité « moral », d’où ses terribles failles et imperfections vénéneuses, il n’était pas comme « ces traités fondés sur la sagesse et l’expérience politiques progressivement amassées en Europe depuis le XVIIe siècle ». L’idéologie était passée par là, celle de la révolution française et de Woodrow Wilson, sur la guerre du droit.
Car en 1920, Bainville va tout prévoir et va tout anticiper. La montée en puissance de l’Allemagne qui va constituer une force d’attraction considérable, comme un aimant, envers tous ces petits pays qui vont éclore au moment de la disparition de l’Autriche-Hongrie, comme la Tchécoslovaquie, la minuscule Autriche, la picrocholine Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne etc.…Il pronostique l’Anschluss qui ne se réalisera pourtant qu’en mars 1938 ; l’annexion de la Tchécoslovaquie par les nazis, qui surviendra quelques mois plus tard. Le misérable traité de Versailles génèrera « une paix trop douce pour ce qu’elle a de dure et trop dure pour ce qu’elle a de douce ». Il pressent la remilitarisation de la rive gauche du Rhin qui n’aura lieu que le 7 mars 1936 ; la fin des États croupions que sont devenus la Tchécoslovaquie et la Pologne. Bainville nomme judicieusement tous ces petits états, « des états enfants » ou « des états avortons ». Ils se jetteront dans les bras de Hitler, contraints ou forcés dans les années qui suivront, et ne pourront en aucun cas être pour la France des alliés de revers.
Il est à juste titre impitoyable envers Clémenceau, « son romantisme de la guerre, après avoir si largement contribué à sauver la France, a fini par aider à sauver l’Empire Allemand », et ce dernier ayant écrit un justificatif pro domo sur son traité, - il se sentait sans doute obligé de le faire-, Bainville écrira « son livre sur l’Allemagne y respire un patriotisme sincère. On y cherche en vain quelque chose qui ressemble aux vues d’un homme d’État ». L’historien de l’Action française, qui tiendra pendant des années la page diplomatique du journal éponyme, et qui sera le conseiller officieux de biens des Chefs de gouvernement ou de ministres, déclarera à propos de ce traité « nous y avons gagné que 40 millions de français sont créanciers d’une masse de 60 millions d’Allemands, et pour une créance recouvrable en 30 ou 40 années. L’Histoire dira que la créance française, après les traités des années 1929/1932, ne serait payable entièrement qu’en 1987, pour au final disparaître totalement par l’arrivée de Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933, qui rayera tout cela d’un trait de plume.
Le traité de Versailles n’a fait que « donner rendez-vous une autre fois à l’Allemagne et à la France. Cette fois-là, il faudra que la politique française ne soit plus desservie par ses idées. » soupire Jacques Bainville. Il nous fournit les causes de cette future guerre qu’il prévoit dès 1920 « Un État Allemand, étant donné la place que l’Allemagne occupe au centre de l’Europe, sans frontières bien déterminées, avec des territoires contestés sur tout son pourtour.... Cet État- là exige et postule le militarisme. » Tout y est dit. Car « Les chirurgiens de Versailles ont recousu le ventre de l’Europe sans vider l’abcès. »
Même le déclenchement factuel de la seconde guerre mondiale est prévu en 1920 par Bainville « Loin de nous aider, ce sont eux qui auront besoin de notre assistance. La Pologne, prise entre deux feux, ne le montre que trop...Ces peuples sont faibles et le propre des faibles c’est l’égoïsme. » C’est exactement ce qui se passera les 1ers et 3 septembre 1939. Même le pacte Hitler/Staline du 23 août 1939, qui nous fut si funeste à bien des égards est prévu dès 1920 « Allemands et Russes ne s’aiment pas, mais ils sont pour ainsi dire complémentaires, ils ont besoin de se toucher, d’échanger des produits, des hommes, et ils ne peuvent se joindre que pardessus l’État polonais. Ils sont encore moins complices pour se garantir les uns aux autres leur morceau de Pologne que pour la détruire et la partager de nouveau. » Absolument génial, si cela n’avait été tragique !
Bainville décrit exactement ce qui va se produire en 1939 « C’est par l’Est que l’Allemagne commencera sa libération et sa revanche ». Au moment où il rédige son livre, en 1920, il précise, « il ne manquera à l’Allemagne, que l’occasion et l’homme qui mettra ce militarisme en mouvement ». Hitler se profile en miroir. Finalement, la France, de nouveau mal préparée, très mal commandée et gouvernée depuis des décennies par des politiciens lamentables et des militaires incompétents, dont le sinistre Gamelin, se jetteront dans la gueule du loup et la France sera envahie et occupée pendant 4 ans. Tout cela « parce que, homme de guerre, M. Clémenceau n’était pas préparé à la paix... sa haine n’était ni informée, ni clairvoyante ». On le sait la haine et l’idéologie sont mauvaises conseillères.
Alors oui, comme le dit notre ministre délégué aux Armées et aux Anciens combattants, honorons nos morts, ceux de 14/18 et ceux de 1939/1945 et des autres guerres, ceux qui sont « morts pour la France », ses libertés, ses mœurs, ses coutumes, pour la sauvegarde de son territoire, pour son intégrité. Mais n’oublions pas les leçons de l’Histoire, surtout pas, elles nous donnent les clefs du présent et nous permettent d’essayer de construire l’avenir.
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