Le
conformisme, l’inculture et l’absence de tout regard critique ne
cessent de progresser dans les médias. A partir du moment où une
affirmation est politiquement ou historiquement correcte les
journalistes se croient tout permis : à-peu-près et invraisemblances
s’accumulent. Les faits n’interviennent plus, seule compte l’idéologie.
Voici un décryptage d’un article du Monde. Le très rigoureux Pierre
Milloz y compare ce qu’il a connu de l’Algérie et ce qu’en dit Le Monde.
Polémia.
Polémia.
Traitant
d'une récente exposition sur l'Algérie, Le Monde évoque dans son numéro
du 20 septembre dernier, sous la signature de Catherine Simon, « les
tombereaux de morts “indigènes” que 130 années de colonisation ont
laissés derrière elles ».
Des
tombereaux… J'ai couru au dictionnaire Larousse : « Caisse montée sur
deux roues, servant au transport des matériaux et se déchargeant par
basculement ». Mme Catherine Simon ne dit pas où se faisait le
basculement, mais son lecteur est invité à le deviner : la mer, sans
doute, ou pis encore les charniers, bien sûr.
Et
moi qui ai passé les trente premières années de ma vie en Algérie, et
qui n'étais pas au courant ! Et mes grands-parents ne m'en ont jamais
parlé ! Bien que leur ancienneté remontât aux années 1880, ils ne
devaient pas être au courant non plus. Et pas davantage mes parents. Il
est vrai qu'ils n'ont guère quitté Alger et que les services secrets
massacraient sans doute plus facilement ailleurs que dans les grandes
villes.
Pourtant
l'expérience de mes beaux-parents plaide en sens contraire : ils ont
vécu la plus grande partie de leur vie dans des petites villes « de
l'intérieur », comme on disait, et il semble que durant toutes ces
années ils n'aient pas davantage remarqué les hécatombes méthodiques d' «
indigènes ». Les tombereaux étaient assurément nombreux et chargés et
pourtant malgré les carnages la population augmentait rapidement de
3.750.000 en 1886 à 9.730.000 en 1954.
Si
l'on interrogeait Mme Simon elle expliquerait sans doute que les
tueries et les tombereaux qui en évacuaient les résultats constituaient
un phénomène propre au bled. Mais là j'ai un exemple qui ferait hésiter.
Mon oncle et ma tante ont été instituteurs de 1920 à 1946 dans le bled.
Ils étaient affectés non dans une ville mais dans un douar de Kabylie :
celui de Sidi Naaman, dans la vallée de l'Oued Chélif. Jusque dans les
années trente (de ce que l'on m'a maintes fois raconté, je crois me
souvenir que le pont fut construit en 1934), l'école et le douar étaient
l'hiver coupés de la route d'Alger à Tizi-Ouzou par les crues de l'Oued
Chélif. J'y ai passé plusieurs mois lorsque, après le débarquement
américain du 8 novembre 1942 et les bombardements allemands qui ont
suivi, mes parents ont jugé préférable de mettre leurs enfants à l'abri à
Sidi Naaman. J'ai ainsi fait avec plaisir la connaissance des enfants
du lieu scolarisés et des notables du douar avec qui mon oncle et ma
tante avaient noué des relations amicales et conviviales.
Lorsque
survinrent les événements de Sétif en 1945, on sut qu'après ce début de
guerre civile, les auteurs de la sédition se repliaient vers l'ouest en
Kabylie et pouvaient menacer l'école. Alors les hommes du douar de Sidi
Naaman se sont constitués en groupes armés pour, jour et nuit, défendre
celle-ci et les instituteurs.
Je n'ai jamais de ce côté non plus, entendu parler de tombereaux.
Il
me vient à l'esprit que je me suis donné beaucoup de mal pour contester
non pas une pensée mûrie sur une réalité complexe mais un réflexe
conditionné. Celui-ci en vaut-il la peine ? Peut-être en ce qu'il est
représentatif de certains médias, mais sûrement pas en lui-même car il
exprime la plus attristante des imbécillités : l'imbécillité mécanique
du robot.
Pierre Milloz, 25/09/2012 http://www.polemia.com
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