samedi 29 septembre 2012

VIIIe siècle avant JC Homère dans le texte

L’œuvre d’Homère est immense, non seulement en quantité, mais par la place qu’elle occupe dans la littérature mondiale.
Ces 27.000 vers de L’Iliade et L’Odyssée sont disposés dans les deux textes en 24 parties ou «chants» qui devaient former des histoires indépendantes pouvant être racontées en une seule fois.
L’Iliade en quelques mots
Achille boude. Agamemnon, chef des armées grecques, lui a reprit son esclave préférée, Briséis. Il refuse donc obstinément de retourner combattre sous les murs de Troie. Depuis près de 10 ans, les armées des Grecs (ou Achéens) en font le siège pour rependre la belle Hélène, enlevée par Pâris, prince troyen. S’il ne se décide pas vite à repartir au combat, c’est la défaite assurée !
Pour sauver la Grèce, son meilleur ami, Patrocle, se fait passer pour le héros et parvient à faire reculer les Troyens. Mais c’est sans compter sur Hector, leur meilleur guerrier, qui parvient à tuer Patrocle.
Fou de douleur, Achille jure de se venger. Hector succombe sous ses coups, et son corps est traîné derrière le char de son vainqueur. Priam, roi de Troie, vient supplier Achille de lui rendre le corps de son fils : des funérailles solennelles vont pouvoir avoir lieu.
Franz Matsch, Le Triomphe d’Achille, 1882, palais de l’Achilleion (Corfou)
« Chante, Déesse, la colère d’Achille… »
La mort de Patrocle (chant XVI)
Et dès que Hector eut vu le magnanime Patrocle se retirer, blessé par l'airain aigu, il se jeta sur lui et le frappa dans le côté d'un coup de lance qui le traversa. Et le fils de Menoetios tomba avec bruit, et la douleur saisit le peuple des Achéens. De même un lion dompte dans le combat un robuste sanglier, car ils combattaient ardemment sur le faîte des montagnes, pour un peu d'eau qu'ils voulaient boire tous deux; mais le lion dompte avec violence le sanglier haletant. Ainsi Hector, le fils de Priam, arracha l'âme du brave fils de Menoetios, et, plein d'orgueil, il l'insulta par ces paroles ailées :
- Patrocle, tu espérais sans doute saccager notre ville et emmener, captives sur tes nefs, nos femmes, dans ta chère terre natale ? Ô insensé ! c'est pour les protéger que les rapides chevaux d’Hector l'ont mené au combat, car je l'emporte par ma lance sur tous les Troyens belliqueux, et j'éloigne leur dernier jour. Mais toi, les oiseaux carnassiers te mangeront. Ah ! malheureux ! le brave Achille ne t'a point sauvé » […].
Et le cavalier Patrocle, respirant à peine, lui répondit :
- Hector, maintenant tu te glorifies, car Zeus, le fils de Chronos, et Apollon t'ont donné la victoire. Ils m'ont aisément dompté, en m'enlevant mes armes des épaules […] Je te le dis, garde mes paroles dans ton esprit : Tu ne vivras point longtemps, et ta mort est proche. La Moire [le Destin] violente va te dompter par les mains d’Achille […] ». Il parla ainsi et mourut, et son âme abandonna son corps et descendit chez Hadès, en pleurant sa destinée, sa force et sa jeunesse.
Le bouclier d’Achille (chant XVIII)
Et il [Héphaïstos] jeta dans le feu le dur airain et l'étain, et l'or précieux et l'argent. Il posa sur un tronc une vaste enclume, et il saisit d'une main le lourd marteau et de l'autre la tenaille. Et il fit d'abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d'argent. Et il mit cinq plaques au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d'images. Il y représenta la terre et l'Ouranos [le Ciel], et la mer […].
Et il fit deux belles cités des hommes. Dans l'une on voyait des noces et des festins solennels.
[…] Puis, deux armées, éclatantes d'airain, entouraient l'autre cité. Et les ennemis offraient aux citoyens ou de détruire la ville, ou de la partager, elle et tout ce qu'elle renfermait. Et ceux-ci n'y consentaient pas, et ils s'armaient secrètement pour une embuscade, et, sur les murailles, veillaient les femmes, les enfants et les vieillards. Mais les hommes marchaient, conduits par Arès et par Athéna, tous deux en or, vêtus d'or, beaux et grands sous leurs armes, comme il était convenable pour des dieux; car les hommes étaient plus petits. Et, parvenus au lieu commode pour l'embuscade, sur les bords du fleuve où boivent les troupeaux, ils s'y cachaient, couverts de l'airain brillant.
Deux sentinelles, placées plus loin, guettaient les brebis et les bœufs aux cornes recourbées. Et les animaux s'avançaient, suivis de deux bergers qui se charmaient en jouant de la flûte, sans se douter de l'embûche.
Et les hommes cachés accouraient; et ils tuaient les bœufs et les beaux troupeaux de blanches brebis, et les bergers eux-mêmes. Puis, ceux qui veillaient devant les tentes, entendant ce tumulte parmi les bœufs, et montant sur leurs chars rapides, arrivaient aussitôt et combattaient sur les bords du fleuve. Et ils se frappaient avec les lances d'airain. La Discorde et le Tumulte et la Ker [la Mort] fatale s’y mêlaient. Et celle-ci blessait un guerrier, ou saisissait cet autre sans blessure, ou traînait celui-là par les pieds, à travers le carnage, et ses vêtements dégouttaient de sang. Et ces divinités semblaient des hommes vivants qui combattaient et qui entraînaient de part et d'autre les cadavres.
Achille tue Hector (chant XXIII)
Et Achille, emplissant son cœur d'une rage féroce, se rua aussi sur le fils de Priam. Et il portait son beau bouclier devant sa poitrine, et il secouait son casque éclatant aux quatre cônes et aux splendides crinières d'or mouvantes qu’Héphaïstos avait fixées au sommet. Comme Hespéros, la plus belle des étoiles qui se tiennent dans le ciel, se lève au milieu des astres de la nuit, ainsi resplendissait l'éclair de la pointe d'airain que le fils de Pélée brandissait, pour la perte d’Hector, cherchant sur son beau corps la place où il frapperait. Les belles armes d'airain que le fils de Priam avait arrachées au cadavre de Patrocle le couvraient en entier, sauf à la jointure du cou et de l'épaule, là où la fuite de l'âme est la plus prompte. C'est là que le divin Achille enfonça sa lance, dont la pointe traversa le cou d’Hector; mais la lourde lance d'airain ne trancha point le gosier, et il pouvait encore parler. Il tomba dans la poussière, et le divin Achille se glorifia ainsi :
- Hector, tu pensais peut-être, après avoir tué Patrocle, n'avoir plus rien à craindre ? Tu ne songeais point à moi qui étais absent. Insensé ! […] Va ! les chiens et les oiseaux te déchireront honteusement, et les Achéens enseveliront Patrocle ! »
Et Hector au casque mouvant lui répondit en s’exprimant avec difficulté :
- Je te supplie par ton âme, par tes genoux, par tes parents, ne laisse pas les chiens me déchirer auprès des nefs achéennes. Accepte l'or et l'airain que te donneront mon père et ma mère vénérables. Renvoie mon corps dans mes demeures, afin que les Troyens et les Troyennes me déposent avec honneur sur le bûcher.
Et Achille, aux pieds rapides, le regardant d'un œil sombre, lui dit :
- Chien ! Ne me supplie ni par mes genoux, ni par mes parents. Plût aux Dieux que j'eusse la force de manger ta chair crue, pour le mal que tu m'as fait ! Rien ne sauvera ta tête des chiens, même si on m'apporterait dix et vingt fois ton prix, et nuls autres présents; même si Priam, le fils de Dardanos, voulait te racheter ton poids d'or ! Jamais la mère vénérable qui t'a enfanté ne te pleurera couché sur un lit funèbre. Les chiens et les oiseaux te déchireront tout entier. »
Mort d'Hector, Histoire ancienne jusqu'à César, XVIe siècle, BnF, Manuscrit
Priam supplie Achille de lui rendre le corps de son fils (chant XXIV)
- Souviens-toi de ton père, ô Achille égal aux Dieux ! Il est de mon âge et sur le seuil fatal de la vieillesse. Ses voisins l'oppriment peut-être en ton absence, et il n'a personne qui écarte loin de lui l'outrage et le malheur; mais, au moins, il sait que tu es vivant, et il s'en réjouit dans son cœur, et il espère tous les jours qu'il verra son fils bien-aimé de retour d'Ilios. Mais, moi, malheureux ! qui ai engendré des fils irréprochables dans la grande Troie, je ne sais s'il m'en reste un seul. J'en avais cinquante quand les Achéens arrivèrent […]. Un seul défendait ma ville et mes peuples, Hector, que tu viens de tuer tandis qu'il combattait pour sa patrie. Et c'est pour lui que je viens aux nefs des Achéens; et je t'apporte, afin de le racheter, des présents infinis. Respecte les dieux, Achille, et, te souvenant de ton père, aie pitié de moi car je suis plus malheureux que lui, car j'ai pu, ce qu'aucun homme n'a encore fait sur la terre, approcher de ma bouche les mains de celui qui a tué mes enfants ! »
Il parla ainsi, et il remplit Achille du regret de son père. Et le fils de Pélée, prenant le vieillard par la main, le repoussa doucement. Et ils se souvenaient tous deux; et Priam, prosterné aux pieds d'Achille, pleurait de toutes ses larmes Hector, le tueur d'hommes; et Achille pleurait son père et Patrocle, et leurs gémissements retentissaient sous la tente. Puis, le divin Achille, s'étant rassasié de larmes, sentit sa douleur s'apaiser dans sa poitrine, et il se leva de son siège; et plein de pitié pour cette tête et cette barbe blanche, il releva le vieillard de sa main.
Giambattista Tiepolo, Le Cheval de Troie, 1770, The National Gallery, Londres
L’Odyssée en quelques mots
Les Dieux ont enfin décidé de laisser Ulysse rentrer chez lui. Retenu chez Calypso, le héros grec a hâte de revoir son île Itaque, où l’attend sa femme Pénélope. Mais le chemin du retour ne peut qu’être pavé d’épreuves : pendant que son fils Télémaque, parti à sa recherche, écoute ses anciens compagnons d’armes lui expliquer la chute de Troie, Ulysse doit lutter contre la tempête qui le fait naufrager sur les terres du roi Alkinoos.
C’est l’occasion pour lui de raconter à son hôte une partie de ses aventures : sa confrontation avec le Cyclope Polyphème, sa rencontre avec la redoutable magicienne Circé, sa descente au Royaume des morts. Puis voici les cruelles Sirènes, les pièges tendus par Charybde et Scylla et enfin l’arrivée chez la douce Calypso.
Finalement, Uysse quitte Alkinoos et retrouve Itaque où les prétendants tentent de s’emparer du pouvoir. Déguisé en mendiant, il réussit à vaincre ses adversaires à l’épreuve de l’arc avant de les massacrer, avec l’aide de Télémaque.
« Je suis Ulysse, le fils de Laërte… »
Ulysse et le Cyclope (chant IX)
Ulysse raconte à Alkinoos ses aventures chez le Cyclope Polyphème qui le retient prisonnier avec ses marins. Il lui a fait croire qu’il s’appelait « Personne »
Mes gens se tenaient près de moi ; le ciel décuplait notre audace. Soulevant le pieu d’olivier à la pointe acérée, ils l’enfoncèrent dans son œil ; moi, je pesais d’en haut et je tournais. […] Ainsi, tenant dans l’œil le pieu affûté à la flamme, nous tournions, et le sang coulait autour du bois brûlant. Partout, sur la paupière et le sourcil, grillait l’ardeur de la prunelle en feu, et ses racines grésillaient. […] Il poussa d’affreux hurlements ; la roche en retentit ; mais nous, pris de frayeur, nous nous étions déjà sauvés. Alors il s’arracha de l’œil le pieu souillé de sang et le rejeta loin de lui d’une main forcenée. Puis d’appeler à grands cris les Cyclopes qui vivaient dans les grottes des environs, sur les sommets venteux. En entendant ses cris, ils accoururent de partout ; plantés devant la grotte, ils voulaient connaître ses peines :
« Polyphème, pourquoi jeter ces cris d’accablement ? Pourquoi nous réveiller au milieu de la nuit divine ? Serait-ce qu’un mortel emmène malgré toi tes bêtes ? Serait-ce toi qu’on veut tuer, ou par ruse ou par force ? »
Le puissant Polyphème leur cria du fond de l’antre :
« Par ruse, et non par force ! et qui me tue, amis ? Personne ! »
Et les Cyclopes de répondre par ces mots ailés :
« Personne ! aucune violence ? et seul comme tu l’es ? Ton mal doit venir du grand Zeus, et nous n’y pouvons rien. Invoque plutôt Poséidon, notre roi, notre père ! »
Ils s’éloignèrent sur ces mots, et je ris en moi-même : mon nom et mon habile tour les avaient abusés !
Sous le charme de Circé, la magicienne (chant X)
Ulysse laisse ses compagnons aller visiter des rivages inconnus…
Ils découvrirent dans un val, en un lieu dégagé, la maison de Circé avec ses murs de pierres lisses. Autour se tenaient des lions et des loups de montagne, que la déesse avait charmés par ses drogues funestes. Mais loin de sauter sur mes gens, les fauves se levèrent et vinrent les flatter en agitant leurs longues queues. […]
Circé sortit en hâte, ouvrit la porte scintillante et les pria d’entrer ; et tous ces grands fous de la suivre ! […] Elle les conduisit vers les sièges et les fauteuils ; puis, leur ayant battu fromage, farine et miel vert dans du vin de Pramnos, elles versa dans ce mélange un philtre [potion magique] qui devait leur faire oublier la patrie, le leur servit à boire et, les frappant de sa baguette, alla les enfermer au fond de son étable à porcs. De ces porcs ils avaient la tête et les voix et les soies [poils du porc], et le corps, mais gardaient en eux leur esprit d’autrefois. Ainsi parqués, ils pleurnichaient, cependant que Circé leur jetait à tous à manger glands, faînes et cornouilles [fruits], qui sont la pâture ordinaire aux cochons qui se vautrent.
Pinturicchio, Le Retour d’Ulysse, 1509, National Gallery, Londres
Le retour d’Ulysse à Itaque : Argos, un compagnon fidèle (chant XVII)
Tandis qu'ils [Ulysse et son serviteur Eumée] se livraient à cet échange de propos, un chien affalé là dressa la tête et les oreilles : c'était Argos, le chien que de ses mains le brave Ulysse avait nourri, mais bien en vain, étant parti trop tôt pour la sainte Ilion [Troie]. Les jeunes l'avaient longtemps pris pour chasser le lièvre, le cerf et les chèvres sauvages. Mais depuis le départ du maître, il gisait là sans soins, sur du fumier de bœuf et de mulet qu’on entassait en avant du portail, afin que les valets d’Ulysse eussent toujours de quoi fumer son immense domaine. C’était là qu’était couché Argos, tout couvert de vermine. Or, à peine avait-il flairé l’approche de son maître, qu’il agita sa queue et replia ses deux oreilles ; mais il n’eut pas la force d’aller plus avant ; Ulysse, en le voyant, se détourna, essuyant une larme, vite, à l’insu d’Eumée ; après quoi il dit ces mots :
« Porcher, l’étrange chien couché ainsi sur le fumier ! De corps il est vraiment très beau, mais je ne puis savoir si sa vitesse à courre [à la poursuite du gibier] était égale à sa beauté, ou s’il n’était simplement qu’un de ces chiens de table, que les maîtres n’entourent de leurs soins que pour la montre [pour le plaisir de le montrer]. »
À ces mots, tu lui répondis ainsi, porcher Eumée :
« Celui-là c’est le chien d’un homme qui est mort au loin. S’il était resté tel, pour les prouesses et l’allure, qu’Ulysse le laissa au moment de partir pour Troie, sa forme et sa vitesse auraient tôt fait de t’étonner. Jamais les bêtes qu’il traquait dans les forêts profondes ne lui ont échappé ; il connaissait les pistes. Mais le voilà fort affaibli ; son maître a disparu loin de chez lui ; les femmes le délaissent, le négligent. Les serviteurs, dès qu’ils n’ont plus de maître à respecter, refusent d’accomplir le travail auquel ils se doivent. Zeus tonnant ôte à l’homme la moitié de sa valeur, dès l’instant que vient le saisir le jour de l’esclavage. »
À ces mots, il gagna la riche demeure et marcha droit vers la salle où se trouvaient les nobles prétendants. Mais Argos n’était plus : la sombre mort l’avait saisi, au moment de revoir Ulysse après vingt ans d’absence.
Sources bibliographiques du dossier et des textes
Les Collections de l’Histoire n°24 (La Méditerranée d’Homère. De la guerre de Troie au retour d’Ulysse), juillet-septembre 2004.
Alexandre Farnoux, Homère, le prince des poètes, éd. Gallimard (« Découvertes » n°555), 2010.
Paul Faure, La vie quotidienne en Grèce au temps de la Guerre de Troie - 1250 avant JC, Librairie Hachette, 1975.
Jacqueline de Romilly, Homère, Presses universitaires de France (« Que sais-je ? » n°2218), 1985.
Extraits de L’Iliade et l'Odyssée (édition Larousse, « Petits classiques »)
Isabelle Grégor http://www.herodote.net

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