Iris Bridier. Récemment, des membres du GODF et du CESE (Conseil économique, social et environnemental) ont déjeuné ensemble. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Serge Abad-Gallardo. Le CESE est particulièrement infiltré par la franc-maçonnerie. Ce déjeuner ne me surprend nullement. En effet, selon L’Obs, « le CESE est sous l’influence des francs-maçons ». D’autant plus que François Hollande y avait nommé deux « personnalités compétentes » : Daniel Keller et Philippe Guglielmi, tous deux anciens grands maîtres du Grand Orient de France. Par ailleurs, un autre hebdomadaire relevait le poids déterminant de la franc-maçonnerie au sein du CESE : « Dans ce lieu où se mêlent partenaires sociaux, associations, environnementalistes, "personnalités qualifiées" nommées par Matignon, les alliances surprennent. Sans compter le poids de la franc-maçonnerie. » Il semble que 2015 ait été l’année d’une véritable prise en main du CESE par la franc-maçonnerie : « Une page s'est tournée, mardi après-midi, au Conseil économique, social et environnemental (CESE)… surtout avec l'entrée en force des francs-maçons dans les instances. » La franc-maçonnerie est coutumière du fait : elle intègre de nombreuses instances consultatives (ou parfois même décisionnaires) afin de peser politiquement dans le sens d’une mise en œuvre de son idéologie. C’est ce qu’avouait Fred Zeller, ancien grand maître du Grand Orient : « L’influence de la franc-maçonnerie est peut-être plus importante encore que sous la IIIe République. Elle se place à un autre niveau… Il n’y a pas, aujourd’hui, d’association, de groupement, de syndicat dans lesquels les francs-maçons ne se trouvent, aux postes de responsabilité les plus éminents. »
I. B. Vous avez fréquenté une loge de gauche et vous êtes pourtant un fervent lecteur de BV ! Est-ce compatible ?
S. A.-G. À l’époque, j’ignorais totalement la dimension politique de la franc-maçonnerie. J'ai intégré une loge en faisant confiance à un ami qui en faisait partie. Je pensais que la franc-maçonnerie était constituée de personnes cherchant des réponses aux questions existentielles de l’humanité. J’explique dans mon livre comment j’ai découvert progressivement que, si cette dimension ésotérique est déterminante, la franc-maçonnerie est, en réalité, bel et bien orientée vers une action politique secrète. Je dois toutefois préciser que j’utilise le terme générique de "franc-maçonnerie" pour la commodité de l’exposé. En effet, il existe de nombreuses obédiences que l’on peut classer en deux catégories : déistes ou laïques d’une part (le « dieu » de la franc-maçonnerie - le grand architecte de l’Univers - n’est en rien le Dieu des catholiques), et politiques ou apolitiques d’autre part. Mais seule la Grande Loge nationale française (scindée, aujourd’hui, en Grande Loge de l’Alliance maçonnique française et Grande Loge nationale française) et la Grande Loge traditionnelle et symbolique Opéra (qui en est une émanation) sont bien moins politisées et se disent spiritualistes. À l’exception de ces trois obédiences, toutes les autres ont investi le champ politique. Toutefois, même les membres des trois obédiences citées sont impliquées dans certaines actions politiques.
I. B. La franc-maçonnerie est-elle de gauche ou de droite ?
S. A.-G. Elle est constituée d’obédiences de gauche et de droite. Je ne considère ici que les obédiences ayant plus de 5.000 membres. Les autres sont plutôt anecdotiques. Par exemple, peuvent être classées à gauche ou au centre gauche le Grand Orient, le Droit humain, la Grande Loge féminine de France. Peuvent être classées à « droite » la Grande Loge de France, la Grande Loge nationale française, la Grande Loge de l’Alliance maçonnique française. Je note « droite » avec des guillemets car, en réalité, qu’elles se placent à gauche ou à « droite », les options politiques de la franc-maçonnerie s’inscrivent dans une conception progressiste, fondamentalement réformiste. En fait, il s’agit d’une « droite » plus proche des idéaux de Valery Giscard d’Estaing ou de Jacques Chirac que d’Éric Zemmour. En quelque sorte, une « droite » qui veut s’affirmer comme telle mais qui agit au centre ou au centre gauche.
I. B. Pourquoi avez-vous quitté votre loge, et est-ce simple d’en sortir ?
S. A.-G. Il est aisé, d’un point de vue administratif, de quitter la franc-maçonnerie. Une simple lettre de démission suffit, suivie d’une rencontre avec des membres de la loge (éventuellement appartenant aux hauts grades, comme ce fut mon cas, si l’on en fait partie) afin d’évaluer les motivations de la démission. Mais c’est sur le plan pratique que les choses sont plus compliquées. La plupart des francs-maçons et franc-maçonnes, y compris ceux avec qui j’avais des liens d’amitié profonde, ne me saluent plus dans la rue. Comme, durant des décennies, on finit par n’avoir que des amis francs-maçons, on perd quasiment tous ses amis. Par ailleurs, on perd, en cas de démission, toute possibilité d’intervention de « frères » ou « sœurs » dans la gestion de dossiers administratifs. Appartenir à la franc-maçonnerie permet aisément de faire placer un dossier « en haut de la pile » dans une administration où il se trouve toujours un « frère » ou une « sœur » permettant une aide bienveillante, voire un passe-droit. Cela se gâte quand, comme dans mon cas, l’ancien franc-maçon écrit ou donne des conférences et interviews. J’ai souvent reçu des menaces ou des insultes. La franc-maçonnerie n’aime pas que l’on parle d’elle. Sa tolérance est à géométrie variable car elle ne tolère que les idées qui s’expriment en proximité avec sa doxa progressiste. J’ai même été publiquement traité d’intégriste religieux par un franc-maçon narbonnais du Grand Orient qui ne s’apercevait pas de son propre intégrisme ni de son absence de tolérance.
I. B. On imagine la franc-maçonnerie comme une société secrète humaniste. Pourtant, à vous lire, on comprend que son champ d’action dépasse largement celui de la réflexion philosophique pour impacter de manière très concrète la politique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
S. A.-G. En réalité, la franc-maçonnerie est une organisation réellement politique sous couverture ésotérique. Dans mon livre, je démontre comment les idéaux politiques de la franc-maçonnerie sont issus de sa doctrine ésotérique. Ce qui n’est pas surprenant : nous savons depuis Aristote que la philosophie est le substrat de la politique. Autrement dit, que la politique n’est rien d’autre que la mise en œuvre d’idéaux, voire, ce qui est plus pernicieux dans le cas de la franc maçonnerie, d’une idéologie secrète. La franc-maçonnerie est persuadée que ses utopies doivent être réalisées au sein de la société. Je démontre cela dans le livre par divers textes authentiquement maçonniques ou des extraits de convents (assemblée générale nationale annuelle). Ce faisant, la franc-maçonnerie procède par une inversion totale des concepts, partant d’un contresens. Comme la plupart des progrès humains ont constitué des bouleversements, voire des ruptures, la franc-maçonnerie a tendance à considérer que toute rupture avec une situation établie est un progrès. Son erreur est d’autant plus fondamentale que la franc-maçonnerie ne s’appuie sur aucune morale transcendante et estime qu’elle détient seule la clé du bien et du mal, voire, puisqu’elle prône le relativisme, qu’il n’existe ni bien ni mal ! Je montre dans mon livre que le titulaire du 30e degré (tout comme le maître (3e degré) définit ontologiquement le bien et le mal. Cela est d’autant plus dangereux que la franc-maçonnerie est persuadée de faire partie du camp du bien et d'être la seule instance à pouvoir œuvrer au bonheur de l’humanité. Or, on s’aperçoit que ce « bonheur » est toujours fondé sur une transgression.
Suite de cet entretien demain...
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