Cinq lignes, des notes qui se suivent et des clefs pour les reconnaître. C’est aujourd’hui un langage universel et évident pour tous les pratiquants musicaux et l’observateur moyen pourrait presque en venir à se dire que son existence est naturelle, que les musiciens ont toujours eu cet outil pour créer et jouer de leur musique.
Or, l’histoire est tout autre. Le cheminement vers l’écriture musicale moderne n’eût rien d’évident, fût long, semé de petites et grandes innovations de visionnaires oubliés — génies de l’abstraction — et dont un, plus encore que les autres, fut celui sans qui ce langage sublime n’aurait pu exister. Cet outil c’est la partition et ce génie c’est Guido d’Arezzo.
Commençons notre histoire par un détour dans la Grèce antique. Pour se souvenir des mélodies qu’ils inventaient, nos ancêtres utilisaient un système d’écriture assez peu pratique, composé de certaines lettres de leur alphabet. Cette écriture musicale archaïque et peu intuitive ne permettait ni de créer des œuvres complexes ni d’associer efficacement une mélodie à ses paroles sur un même manuscrit. Cette technique primitive prouve toutefois que l’Européen a depuis longtemps trouvé un moyen d’extraire ses mélodies de leur éphémérité.
Entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge, non seulement la technique, mais la notion même d’écriture musicale semble avoir été perdue. On ne retrouve les premières traces post-antiquité de celle-ci qu’à partir de la Renaissance carolingienne, au début du IXe siècle. Près de quatre siècles de néant, sans aucune trace de cette précieuse notation musicale. Est-ce dû à un simple manque de découvertes archéologiques de notre part ou à une véritable perte d’un savoir qui aura mis quelques siècles à réémerger ? Difficile d’y répondre.
Un exemple de musique européenne médiévale avant Guido d’Arezzo.
Toujours est-il que cette nouvelle écriture musicale, que l’on voit apparaître à l’aube du IXe siècle dans des manuscrits localisés dans la région du Fossé rhénan (entre Strasbourg et Francfort), repose sur un système tout à fait différent.
Si autrefois les Grecs utilisaient certaines lettres de leur propre alphabet en leur donnant un sens musical, les moines de la Renaissance carolingienne eurent une idée radicalement différente, qui fut la base de la révolution technique à venir. Les « neumes ». C’est le terme désignant la nouvelle notation musicale qu’ils mirent au point. Il s’agissait d’un ensemble de signes inscrits au-dessus des textes liturgiques, aidant les chantres à se souvenir de leurs mélodies, qu’ils devaient avoir mémorisées auparavant. Impossible de découvrir la mélodie sur le vif. Par leur conception même, ces signes n’étaient que des aide-mémoire.
Alors, en quoi ces neumes furent-ils révolutionnaires s’ils étaient incapables de faire ce que même l’écriture des Grecs avant eux permettait ? C’est que, pour la première fois dans l’histoire de l’écriture musicale, cette technique était une notation abstraite, détachée des alphabets. C’est l’emprunt de ce chemin de l’abstraction qui permit ensuite une évolution toujours plus pratique, détaillée, précise, et, pour ainsi dire, complète de l’écriture musicale.
Un exemple de musique européenne médiévale après son intervention.
Depuis cette révolution conceptuelle de la Renaissance Carolingienne et jusqu’au début du XIe siècle se dérouleront deux cents ans d’utilisation et de diffusion des neumes. Il y aura au cours de ces deux siècles certes quelques apports mineurs à cette notation, mais le problème majeur subsistera. Cette absence d’indications précises des intervalles entre les notes durera, empêchant de lire correctement une mélodie sans l’avoir apprise primitivement.
C’est une trentaine d’années après le passage au second millénaire qu’un moine bénédictin originaire de Toscane — en constatant la difficulté croissante qu’avaient les chantres à garder en mémoire des vocalises toujours plus longues — eut l’idée la plus importante de notre histoire. Dans son ouvrage « Micrologus de disciplina artis musicæ » ce moine et théoricien de la musique, Guido d’Arezzo, développe le système révolutionnaire de la portée. Il s’agit d’ordonner la notation neumatique, de la spatialiser en hauteur et en longueur. Il dessine pour ce faire quatre droites sur et entre lesquelles il place nos fameux neumes. Il définit ainsi des intervalles constants entre ces nouvelles notes qu’il décide par ailleurs de nommer selon un hymne à Saint Jean-Baptiste très populaire à l’époque.
Il reprend assez simplement les lettres du début de chaque vers de cette chanson, donnant ainsi : Ut – Ré – Mi – Fa – Sol – La.
C’était une idée extrêmement ingénieuse permettant aux chantres — et surtout aux apprentis — de garder en mémoire le nom de ces notes qui allaient être un engrenage important du rouage complexe qu’est la portée.
Guido d’Arezzo souhaitait faire de l’écriture musicale un système autonome, indépendant des alphabets, des textes ou de la mémoire. Mais il réussit à accomplir bien davantage. Sa technique de la portée fut une véritable révolution à l’origine de tous les importants développements postérieurs dans l’histoire de la composition. Ne serait-ce qu’au cours de son propre siècle, les musiciens purent grâce à lui composer des polyphonies alors que la monodie était pour eux, jusqu’alors et depuis la plus ancienne antiquité, la seule et unique possibilité.
Guido d’Arezzo est de ces génies qui changèrent à jamais notre rapport à l’art et au monde. Tous les grands noms de notre histoire musicale, de Pérotin à Debussy en passant par Bach, Beethoven, Wagner, Josquin des Prez ou Vivaldi lui sont tributaires et nous — fils de cette Musique — lui rendons hommage.
Gary Ajzner – Promotion Richard Wagner
https://institut-iliade.com/guido-darezzo-le-moine-qui-revolutionna-la-musique/
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