Jean Monneret,
historien, spécialiste reconnu de la guerre d’Algérie, a décidé, lui
aussi, d’apporter sa pierre à l’année Albert Camus en proposant un Camus
et le terrorisme qui fait le point sur la position mesurée du
philosophe-résistant sur le drame algérien, drame qui le touchait au
plus profond de lui-même, puisqu’il appartenait de toutes ces fibres à
cette terre qui l’avait vu naître, le 7 novembre 1913, dans le
Constantinois.
Albert Camus, penseur grec ? Oui, si on comprend que son refus de la
violence pour la violence, c’est-à-dire des « noces sanglantes du
terrorisme et de la répression » n’était pas le signe, chez lui, d’une
quelconque tiédeur, mais d’un rejet de ce que les Grecs nommaient
l’hybris, cette démesure dans la prétention ou, en l’occurrence, dans la
haine qui conduit l’homme à sa perte. Du coup, cet ancien membre
éphémère du Parti communiste et vrai résistant — contrairement à Sartre,
adepte de la « violence confortable » —, qui avait, très tôt, milité
pour une émancipation, sans indépendance, de la population algérienne
arabo-kabyle, fut, en raison de sa demande, qui échoua, en janvier 1956,
d’une trêve civile à Alger, un traître aux yeux d’une gauche
anticolonialiste par idéologie qui cautionnait, Sartre en tête, « le
plus grave mensonge de la rébellion : la prétendue unanimité du peuple
algérien à la soutenir ». Mais, traître, il le fut également aux yeux de
ceux des pieds-noirs qui n’avaient pas compris la nécessité d’une
évolution de leurs rapports avec la population musulmane.
Avec une mesure — toute grecque, elle aussi —, que nous avions déjà
signalée, notamment dans sa Tragédie dissimulée (sur le massacre d’Oran
du 5 juillet 1962), Jean Monneret, lui-même pied-noir, s’efforce de
restituer toutes ses nuances à la lutte d’un homme qui avait retenu d’un
père à peine connu cette leçon qu’on lui avait transmise : « Un homme
ça s’empêche », qui ne fait que traduire celle de Thucydide selon
laquelle il y a des choses qui ne se font pas. On connaît son refus du
refus de toute morale en politique. Le théâtre en porte la marque (Les
Justes). Et L’Homme révolté, publié en 1951, où Camus montre « qu’il
n’y a pas de violence émancipatrice », sous peine de voir la révolte
légitime sombrer dans l’autodestruction, annonce la rupture avec Sartre,
l’année suivante. L’Homme révolté où figure encore cette dénonciation
du meurtre de Louis XVI : « C’est un répugnant scandale d’avoir présenté
comme un grand moment de notre Histoire l’assassinat public d’un homme
faible et bon », Camus établissant une filiation de la terreur de 1793 à
celle du bolchevisme. Jean Monneret rétablit aussi la véritable portée
de cette phrase que Camus prononça à Stockholm en décembre 1957, où il
était venu recevoir le prix Nobel de littérature, et qui allait faire le
tour du monde, mais tronquée : « Je crois à la justice, mais je préfère
ma mère à la justice ». Il a dit « quelque chose de plus précis et de
plus fort : “A l’heure où nous parlons, on jette des bombes dans les
tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans l’un de ces tramways. Si
c’est cela la justice, je préfère ma mère” ». Ce qui n’a pas du tout le
même sens. En clair, contrairement à ce que proclamaient des
intellectuels complices, ceux que Boutang dans le Terreur en question
appellera l’année suivante « les moralistes de sac et de corde », loin
d’en avoir le monopole, le FLN, organisation terroriste, souillait toute
idée de justice.
C’est pourquoi il ne signera pas en 1960 le manifeste des 121
(intellectuels) soutenant la désertion (appelée « insoumission »), car
il refusait de cautionner la lutte du FLN, comme d’approuver
l’instrumentalisation du refus de la torture — qu’il dénonce
effectivement — au profit d’un camp qui la pratiquait lui-même
abondamment. Tout simplement, il refusait le simplisme d’une opposition
entre Européens chrétiens et Arabes musulmans qui n’était pas celle que
les militants armés de l’indépendance algérienne voulaient faire croire,
car « il ne savait que trop qu’un des plateaux de la balance contenait
les Pieds-Noirs et nombre de musulmans fidèles, immolés d’avance à
l’ordre nouveau. » D’où le terrorisme, à la fois contre ces musulmans
fidèles et contre les Français d’Algérie, ce « peuple de trop ».
Contre toutes les idéologies totalitaires, qui cherchent à instaurer
un homme nouveau pour un nouvel enfer terrestre, Camus rappelle dans
L’Homme révolté que « la révolte, elle, ne vise qu’au relatif et ne peut
promettre qu’une dignité assortie d’une justice relative. »
Axel Tisserand - L’AF 2871
Jean Monneret, Camus et le terrorisme, Michalon Editeur, 2013, 190 pages, 16 euros.
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Albert-Camus-et-le-refus-du
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