Il a toujours existé
des bourreaux mais, pendant des siècles, ils n’étaient pas les seuls à
exécuter les condamnés à mort (cas de la Grèce antique et de Rome).
Durant une bonne partie du Moyen Age, on trouve bien des bourreaux mais
ils sont loin d’avoir le monopole des exécutions car celles-ci sont
également du ressort de certains magistrats et de leurs sergents ou
peuvent être imposées par les seigneurs à leurs vassaux à titre de
corvée. Par ailleurs, il subsiste jusqu’à la fin du Moyen Age une
tradition de justice privée équivalant selon les cas au droit de tuer au
nom de la légitime défense (une tradition de bon sens évident…) ou à se
venger sous certaines conditions. Les « hors-la-loi » peuvent
également, à cette époque, être tués par n’importe qui. Contrairement à
une idée fort répandue, les exécutions au Moyen Age n’étaient pas si
nombreuses que ça et la justice avait souvent recours au bannissement et
aux amendes.
Tout cela change à la
fin du Moyen Age : l’Etat moderne commence à prendre racine. La justice
est particulièrement visée et la royauté compte bien renforcer son
contrôle sur celle-ci. Le roi Charles VII réorganise la justice et fait
du bourreau le seul exécuteur des sentences criminelles. Toutes les
juridictions de haute justice doivent se pourvoir d’un bourreau. Ce
dernier est désormais un officier de justice de l’Etat, un fonctionnaire
œuvrant dans une circonscription donnée. Il prête serment de loyauté à
l’autorité et se contente d’exécuter les ordres. La première crapule
venue ne risque pas d’être engagée car on veille à ne donner la charge
d’exécuteur qu’à des gens de bonne moralité et réputés bons chrétiens…
Cette bonne réputation
avalisée par les autorités ne fait cependant pas le poids face au
ressenti populaire : le bourreau est un paria et il est méprisé. Mis à
l’écart de la communauté, sa vie sociale est très difficile et autant
lui que sa famille sont victimes de nombre de préjugés. Il est impur
et on ne veut pas avoir affaire à lui ni vivre dans son voisinage. Par
tradition, il vit donc en dehors des murs de la ville et il a un banc
séparé à l’église. Marginalisé, le bourreau a de grandes difficultés
pour scolariser ses enfants et pour ensuite les marier. Cela explique
deux faits fondamentaux. Le premier est que les enfants du bourreau
deviennent ses aides très jeunes et finissent la plupart du temps par
succéder à leur père, ce sont donc dès la fin du Moyen Age de vraies
dynasties de bourreaux qui se mettent en place dans de nombreuses villes
de France. Par ailleurs, ses enfants n’ont souvent d’autre choix que
celui de se marier avec ceux d’un collègue, c’est donc une endogamie
sociale (ainsi qu’une relative consanguinité) que la société impose à
ses exécuteurs.
Quant aux tâches plus
officielles du bourreau, elles sont diverses : amputations, marquage au
fer rouge, torture, exécutions, disposition des cadavres. Les peines
sont très variées sous l’Ancien Régime et le bourreau se doit d’être un
grand professionnel et de savoir utiliser les différentes méthodes de
mise à mort dont la plus ardue est certainement la décapitation
(réservée aux nobles en général). Les peines les plus en vogue sont la
pendaison, le bûcher, la chaudière, la décapitation ainsi que la roue,
peine dans laquelle le condamné se fait rompre les articulations à coups
de barre de fer avant d’être « replié » sur une roue qui sera ensuite
hissée sur un poteau où il agonisera lentement… Les bourreaux sont
également garants d’une tradition en vogue depuis l’antiquité et
considérée comme pire que la mort : l’interdiction de sépulture. Selon
les cas, les corps sont abandonnés ou exposés en public car de nombreux
endroits sont destinés à cette exhibition morbide : les fourches
patibulaires à la sortie des villes, les gibets des seigneurs, les
arbres sur certaines routes... Le lieu le plus notable était l’énorme
gibet de Montfaucon, « grande justice de Paris » de son surnom, où
plusieurs dizaines de corps pouvaient être exposées, parfois pendant des
mois…
L’ « âge classique » des bourreaux pour reprendre les mots de l’auteur prend fin au 18ème
siècle où, les mentalités évoluant, on remet en cause la justice, ses
inégalités et la cruauté des supplices. Sur ce dernier point, il faut
bien dire que certaines exécutions avaient largement dégoûté l’opinion
de l’époque telle celle de Damiens, coupable d’un attentat contre Louis
XV en 1757. Après avoir été torturé, entre autres à la tenaille et au
plomb fondu, il avait fallu plus de deux heures pour réussir à
l’écarteler et les 16 ( !) bourreaux présents avaient dû lui sectionner
les tendons pour faciliter le travail des chevaux… A cette époque, la
France suit l’air du temps qui souffle sur l’Europe : on remplace de
plus en plus la peine de mort par d’autres sanctions telles la galère ou
l’enfermement ; on cesse d’exposer les cadavres en public tant par
hygiène que par souci « humaniste » ; on devient plus indulgent sur
certains types de délits (mœurs par exemple) ; on abolit pratiquement la
torture sous Louis XVI etc.
A partir du 19ème
siècle commence peu à peu le réel déclin de la profession. Le mouvement
de substitution à la peine de mort de sanctions différentes, amorcé dès
le siècle précédent, continue de plus belle. Le mouvement favorable à
l’abolition totale se renforce et la société française s’interroge
durablement sur la peine de mort, entre autres sous l’impulsion de
Victor Hugo et de son Dernier jour d’un condamné.
Les autorités sont de plus en plus embarrassées par la guillotine et
les exécutions publiques. Elles cherchent à les rendre plus discrètes
car elles sont de moins en moins bien vues par l’opinion publique malgré
le fait qu’elles attirent encore, comme les siècles précédents, les
foules. Ce sera en 1939, à la suite d’un scandale, que le caractère
public des exécutions sera supprimé. Le corps des bourreaux fait, en
parallèle, face à de grandes difficultés car on exécute de moins en
moins de condamnés au fur et à mesure du temps. Cette baisse du travail
se répercute dans les postes disponibles, de moins en moins nombreux :
un bourreau par département à la Révolution puis un par cour d’appel
(donc 27 en France métropolitaine) en 1849 sur décision de
Louis-Napoléon Bonaparte et enfin un seul pour la France entière sous
l’impulsion de Crémieux en 1870 (l’Algérie gardera un bourreau propre).
Nombre de bourreaux se retrouvent au chômage et doivent être aidés par
l’Etat, ne parvenant pas à se reconvertir et ne pouvant se satisfaire
des quelques places d’adjoints allouées à la charge de l’unique bourreau
métropolitain… La France ne compte plus qu’un exécuteur qui, de 1870 à
1981, va voir sa charge de travail diminuer continuellement (en 25 ans,
de 1951 à 1976, seuls 51 condamnés sont guillotinés), tant et si bien
qu’il exerce souvent un métier parallèle à son emploi premier ; Marcel
Chevalier, dernier bourreau français étant par exemple imprimeur
typographe.
A l’aube de années
1970, alors que la publicité autour des exécutions est inexistante (au
contraire du Guatemala où elles sont retransmises à la télévision !!),
Valéry Giscard d’Estaing se prononce contre l’abolition, non pas à titre
personnel mais parce que 69% des Français restent favorables à la peine
capitale. Inscrit dans le programme de Mitterrand pour les élections
présidentielles de 1981, l’abolition sera effectuée par le sinistre
Robert Badinter par la loi du 9 octobre 1981, mettant ainsi fin en
France à une tradition judiciaire immémoriale qui avait su évoluer
« avec son temps »…
Frédéric Armand a
réussi à écrire une étude très détaillée, faisant appel à de nombreux
documents d’archive, mais néanmoins claire et fort plaisante à lire. Il
montre bien comment les bourreaux ont fondé de réelles dynasties autour
de leur activité (et ce jusqu’au 20ème siècle, ce sont
souvent les mêmes grandes familles que l’on retrouve chez les bourreaux
ou leurs adjoints) et surtout comment ceux-ci n’ont toujours été qu’un
simple rouage de la justice. Ils exécutent et n’ont aucun pouvoir
décisionnel, ce qui explique pourquoi les mêmes bourreaux sont restés en
place malgré les changements politiques et ont parfois œuvré à exécuter
leurs maîtres de la veille ! Hommes de leur époque, ils ont dû s’y
soumettre docilement et laisser, de temps à autres, leurs opinions de
côté car « la pitié fait trembler la main ».
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