En Afrique du Sud, 500 000 Blancs portent des noms français. Ce sont les descendants de 200 Huguenots débarqués au Cap en 1688, il y a un peu plus de trois cents ans.
Ils sont nos cousins, tout comme les Québécois. Mais si ces derniers ont droit à notre sollicitude et à notre amour, nos parents d’Afrique australe sont, eux, des réprouvés. Et pourtant, lorsqu’ils s’installèrent en Afrique, ils n’en chassèrent pas les habitants puisque la région était vide d’hommes. Les Américains du Nord ne peuvent pas en dire autant.
Etrange renversement de l’histoire qui fait que les 49 000 Niel, les 48 000 Du Plessis, les 46 500 Fourié, les 39 000 Du Toit, les 31 000 Le Roux, les 30 000 Villon, les 27 000 Marais et Joubert, les 24 000 Pinard, les 17 250 de Villiers, les milliers de Bernard, de Lombard, de Cilliers, de Terreblanche, de Rousseau ou encore de Taillefer, dont les ancêtres ont fui la France de Louis XIV afin d’échapper aux persécutions religieuses, sont aujourd’hui considérés comme des oppresseurs…
D’une steppe sans hommes, d’un refuge inhospitalier, ils ont fait le seul pays moderne du continent africain. Mais au prix d’énormes sacrifices, d’efforts surhumains.
Ils avaient quitté le Dauphiné, la Provence, la Beauce, l’Artois ou la Touraine sans esprit de retour.
Après des mois de mer ils avaient mis le pied sur la terre d’Afrique où ils étaient condamnés à réussir ou à périr. S’ils y triomphèrent de tous les périls, c’est qu’ils étaient confiants dans leurs certitudes, soumis à la Parole divine, armés d’une foi sans concession et qu’ils étaient le Peuple élu. Tels les Hébreux au sortir d’Egypte, ils étaient en marche vers la Terre promise. Ils la trouvèrent dans les immensités sud-africaines.
Voulant y sauvegarder leur identité française, refusant d’abandonner leur langue, ils tentèrent d’y vivre “à part” des colons hollandais.
Cette “apartité”, d’où vient le mot “apartheid”, était une notion défensive destinée à assurer leur survie en tant que groupe français autonome. Trois fois plus nombreux qu’eux, les Hollandais les obligèrent à la fusion. Le peuple afrikaner en fut le produit et les Huguenots lui fournirent son armature spirituelle.
Ils n’avaient pas quitté la France à la recherche de la fortune ; ils n’étaient mus ni par l’esprit d’aventure, ni par l’attrait de l’exotisme. Leur seule et unique préoccupation était la conservation de leur foi. Ils imprégnèrent la culture afrikaner des idées d’intégrité morale, d’austérité, de sens du devoir, de dédain des richesses matérielles, qui la caractérisent aujourd’hui encore.
L’Afrique du Sud devint vite leur unique patrie. A la différence des colons hollandais, ils n’avaient plus de métropole. Les Huguenots firent donc la tribu blanche d’Afrique du Sud. Leurs descendants furent les acteurs de l’histoire de ce pays. Parmi eux, Piet Retief, le chef du “grand trek”, Piet Joubert, général des armées du Transvaal, J.H. de La Rey ou Pieter Cronje durant la guerre des Boers, le poète Jean Celliers, qui combattit pour la reconnaissance de l’Afrikaans, la langue des Afrikaners, ou bien le professeur Barnard, pionnier des greffes cardiaques.
Leur empreinte se retrouve dans les toponymes comme Mont Huguenot ou Pic du Chasseur. Autour de Fransche Hock, le Coin Français, les fermes ont pour noms la Brie, Versailles, Petite Paris, Dauphine Bourgogne, Rhône ou la Provence.
Elles maintiennent l’héritage et le souvenir d’hommes et de femmes venus de France pour faire souche à l’autre bout du monde, espérant y avoir gagné pour leurs descendants le droit d’y vivre libres. Pour l’éternité.
par Bernard Lugan Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 29 du 2 mars 1994
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