mardi 30 octobre 2012

1er novembre 82 av. J.-C. Sylla seul maître à Rome

Le 1er novembre de l'an 82 av. J.-C., deux armées romaines s'affrontent sous les murs de Rome, près de la porte Colline.
Le vainqueur est un général de 56 ans, Lucius Cornelius Sulla, plus connu sous le nom de Sylla. Sa victoire met un terme à la première guerre civile qui déchire la république romaine à son agonie. Lui-même va porter un coup fatal à cette république en croyant la restaurer. Ses réformes vont ouvrir la voie à Jules César et à l'empire.

Un dilettante de génie

 Sylla est l'un des personnages les plus méconnus et les plus fascinants de l'Histoire romaine. Issu d'une famille pauvre de l'aristocratie, il dissipe sa jeunesse dans l'étude et la fréquentation des prostituées et des gens de mauvaise vie.
À 31 ans, en 107 av. J.-C., il est néanmoins élu questeur et rejoint l'armée du consul Marius en Afrique. Son habileté lui permet de mettre la main sur Jugurtha, l'ennemi juré de Rome. Il participe ensuite aux côtés de Marius à la guerre contre les Cimbres et les Teutons, des Germains qui ont envahi la Gaule et menacent Rome.
Indifférent à sa popularité naissante, il retourne à sa vie de débauche et ne revient qu'en 93 avant JC à la vie publique avec les fonctions de préteur puis propréteur en Cilicie.
Il conclut un premier traité avec les Parthes et s'enrichit au passage. À son retour à Rome, il divorce de sa troisième femme et se remarie avec Caecilia Metella, fille du chef du Sénat. Cette union lui vaut d'être désormais regardé par les sénateurs et l'aristocratie comme une possible alternative face au parti populaire qu'anime... Marius..
La guerre sociale amène Sylla à reprendre du service dans l'armée... toujours sous les ordres de Marius. Son talent tactique et son habileté font une nouvelle fois leurs preuves. Sylla s'empare de Stabies et réduit les derniers îlots de résistance du Samnium en 89 av. J.C..
Ce nouveau succès lui vaut d'être nommé consul l'année suivante et de recevoir du Sénat le soin de mener la guerre contre le roi du Pont, Mithridate VI, coupable d'avoir repris les hostilités et massacré des milliers de Romains et d'Italiens en Orient. Cette décision contrarie Marius (69 ans), représentant du parti populaire, qui comptait sur cette guerre pour redresser son prestige.

Première guerre civile

Marius manigance avec un tribun de la plèbe, P. Sulpicius Rufus, un arrangement qui lui confie le commandement de la campagne du Pont.
Sylla, qui s'était déjà mis en route pour l'Asie, ne l'entend pas de cette oreille. Avec son armée, il revient à Rome en violation de toutes les règles et fait mettre Marius, Rufus et leurs partisans hors la loi. Il fait exposer la tête du tribun félon sur les rostres (une galerie qui domine les Forums romains et est décorée avec des figures de proue - les rostres - de navires ennemis). Marius préfère s'enfuir en Afrique.
Là-dessus, Sylla s'en va combattre Mithridate qui a profité des troubles pour occuper la Grèce. Le général romain occupe Athènes après un long siège avant de poursuivre Mithridate sur ses terres. Mithridate VI est bientôt battu. Sylla, pressé d'en finir, lui accorde un traité favorable, qui lui conserve son royaume en échange d'un tribut de 2000 talents... et de 80 navires pour le retour de l'armée romaine en Italie. Avant de s'en retourner, il tire encore 20.000 talents de la province d'Asie.
Mais à Rome, pendant ce temps, un consul, Cinna, se révolte contre le Sénat. Marius en profite et revient prestement d'Afrique où il s'était réfugié. Il fait mettre à mort de nombreux sénateurs et se fait réélire consul une septième fois. Il meurt l'année suivante, en 86 avant JC, mais ses partisans, les marianistes, restent au pouvoir sous l'autorité de Cinna.
Quand Sylla débarque à Brindes (aujourd'hui Brindisi, à la pointe de la péninsule italienne), avec une armée aguerrie, c'est pour en finir avec ses opposants du parti de Marius et Cinna. Pour lui faire face, les marianistes lèvent pas moins de six armées, essentiellement composées d'alliés italiens. Sylla les bat l'une après l'autre. La dernière armée, composée de Samnites, est écrasée à la porte Colline. Impitoyable, Sylla ordonne le massacre des prisonniers (7.000, y compris treize généraux marianistes).
Il se fait élire par les comices «dictateur chargé de faire les lois et d'organiser la république» pour une durée indéfinie ! C'est la lex Valeria de 82 av. J.-C., qui consacre de fait la ruine de la république sénatoriale.
Comme ses soldats commencent à tuer sans discrimination tous ceux qu'ils suspectent d'être des opposants, Sylla fait publier (autrement dit proscrire en latin) la liste de ceux qui peuvent être tués par quiconque. Les délateurs et les tueurs s'en donnent à coeur joie car une prime récompense leur geste. On évalue à 5.000 le nombre de leurs victimes.
Beaucoup de partisans de Sylla - comme le futur triumvir Marcus Licianus Crassus - s'enrichissent inconsidérément en s'appropriant la fortune des proscrits. Le jeune Caius Julius Caesar, né en 100 et neveu par alliance de Marius, figure parmi les proscrits et doit s'enfuir de Rome.

Une dictature de caractère monarchique

Assuré de son pouvoir, Sylla, qui se soucie peu d'ambition personnelle, tente aussitôt de restaurer le Sénat dans son ancienne puissance.
– Il porte de 300 à 600 le nombre de sénateurs et leur restitue le droit exclusif de siéger dans les jurys criminels.
– Il enlève aux tribuns de la plèbe le droit de proposer une loi aux comices et de briguer un deuxième mandat, réservant aux sénateurs l'initiative des lois.
– Il abolit la censure et confère aux magistrats sortant de charge la dignité de sénateur, limite les droits des consuls et des préteurs à des fonctions civiles en Italie et leur permet en sortie de charge de devenir proconsul ou propréteur en province sur désignation du Sénat...
– Il distribue des terres à 100.000 vétérans et supprime les distributions gratuites de blé aux citoyens pauvres dans l'espoir de mettre fin à l'exode rural !
Honoré du surnom de «Felix» (heureux) et jugeant son travail accompli, Sylla démissionne de toutes ses fonctions en 79 av. J.-C.. Il se retire dans sa maison de Cumes où il file le parfait amour avec une jeune femme de 25 ans, Valeria, dont il fait sa cinquième épouse. Sa félicité sera de courte durée... Il meurt l'année suivante ! Les Romains confèrent à sa dépouille le privilège d'une inhumation sur le Champ de Mars, lieu de sépulture des anciens rois.
Cependant, contrairement à ce que Sylla a pu croire, ses réformes n'ont en rien réglé les tensions au sein de Rome... elles ont seulement inspiré à nombre d'ambitieux le désir d'exercer à leur tour la dictature.

Bibliographie

Sur la République romaine et plus précisément Sylla, nous recommandons la lecture des historiens romains eux-mêmes, tels Tite-Live et Salluste, réunis dans un beau livre de La Pléiade (Gallimard).
Jean-François Zilberman http://www.herodote.net

Lénine & l'intelligentsia (1922) Communisme & Guerre Froide


lundi 29 octobre 2012

L’Histoire de France de Jacques Bainville

L’Action française avait son maître à penser, Charles Maurras, son orateur, Léon Daudet, mais également son historien, Jacques Bainville. Ce dernier, élu à l’Académie française le 25 mars 1935, était le défenseur d’une France pré-révolutionnaire, autoritaire et spirituelle.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Bainville n’est pas un apologète de la République. Dans son Histoire de France, il montre en quoi l’avènement de la République correspond au déclin de la nation française mais aussi à la mort de la spiritualité. En bon historien réactionnaire, Bainville décrit la grandeur d’une France monarchiste et catholique, d’une France unit par l’autorité et la foi. Pour le penseur contre-révolutionnaire, l’histoire de France ne commence pas en 1789. L’esprit français prend sa source dans les premières monarchies : mérovingienne, carolingienne et capétienne. Aux yeux de Bainville, ce qui a fait la France, ce sont ses rois, les guerres européennes et le christianisme. La France est issue d’un processus historique long et complexe et non de la pensée révolutionnaire.
Chez Bainville, la critique de la Révolution française est décisive. Il est important pour lui de montrer que 1789 ne procède pas du succès d’un mouvement populaire mais bien plutôt d’une faiblesse ponctuelle de l’autorité monarchique. A ses yeux, la Révolution française est synonyme d’anarchie, de décadence et d’illusion. C’est un accident historique et non une aspiration universellement partagée. L’objectif de Bainville est de souligner les difficultés rencontrées pendant près d’un siècle par le modèle républicain. Loin de s’être imposée naturellement, loin d’avoir gagné en 1789, la République s’est définitivement constituée à la suite d’un grand nombre de bouleversements : le Consulat et l’Empire, la Restauration, la Monarchie de juillet, la deuxième République et le second Empire. Pour Bainville, l’avènement de la République, et de la démocratie qui l’accompagne, coïncide avec le déclin de l’esprit français et explique également la défaite de 1870 contre Bismarck. La conviction de l’historien est la suivante : le peuple français aime la monarchie car il a besoin d’autorité. Cette autorité, la République n’est pas en mesure de lui apporter.
Ce qui fait l’originalité de cette Histoire de France, c’est le talent de narrateur de Bainville. L’ouvrage se parcourt comme un roman. Les portraits psychologiques des différents dirigeants invitent le lecteur à s’attacher à eux comme à des héros romanesques. De plus, au lieu de simplement présenter l’Histoire comme une succession d’événements, Bainville s’applique à rendre compte des causes et des conséquences. Géopolitologue avant la lettre, il décrit brillamment les différents systèmes d’alliance en Europe. L’Histoire de France est un ouvrage englobant duquel se dégage une cohérence implacable. Face à l’histoire de son pays, Bainville est animé d’un double sentiment, un mélange d’admiration et d’amertume : « Les Rois ont fait la France. Elle se défait sans Roi. »
Philitt   via http://www.actionfrancaise.net

Tannenberg-Grunwald, aux sources de l'identité polonaise

En 1410, à Tannenberg, Grunwald pour les Polonais, l'armée du roi de Pologne Ladislas II Jagellon écrasa les chevaliers teutoniques. Sylvain Gougenheim consacre un livre à cette bataille, devenue un symbole de la nation polonaise.
Premier septembre 1914, Tannenberg. La 8e armée du général Hindenburg vient d'écraser la 2e armée russe du général Samsonov. L'histoire est connue : la bataille offrait la Prusse orientale aux Allemands... La guerre commençait bien pour eux. Le lendemain, Hindenburg reçoit la Eisernen Kreuzes, la Croix du Mérite. Puis, après la bataille des Lacs Mazures, le voilà commandant des armées du front oriental...
La réalité était belle, il fallait l'entourer d'une part de mythe. Le colonel Hoffmann, aide de camp du futur général en chef, Luddendorf, suggéra à ce dernier d'appeler le premier des grands combats de l'armée allemande « Tannenberg » L'intention d'Hoffman était claire : il s'agissait d'effacer une autre bataille de Tannenberg, celle du 15 juillet 1410 qui opposa dans la région les troupes lituano-polonaises et l'Ordre teutonique. Luddendorf, qui s'attribua la paternité du nom, lança à l'occasion : « Sur ma proposition, la bataille fut appelée "la bataille de Tannenberg ", en souvenir de ce combat devant l'alliance des armées lituanienne et polonaise. L’Allemand permettra-t-il encore à nouveau que le Lituanien, et surtout le Polonais, profitent de notre impuissance pour nous bafouer ? La séculaire culture allemande doit-elle disparaître ? » Cela s'appelle au moins une vengeance, sinon un parti pris idéologique visant à effacer une humiliation inscrite dans les mémoires.
Une bataille inscrite dans l'art et la mémoire
Pourtant, il est assez difficile d'établir un lien entre les chevaliers teutoniques, ordre militaire au service de la papauté, et l'armée prussienne des débuts du XXe siècle... « L'idéologie, écrit Sylvain Gougenheim, n'est pas l'histoire : la bataille de 1410 ne fut pas une avant première de celle de 1914 ; elle vaut, par son importance, d'être connue pour elle-même. » De fait, les passionnés d'histoire militaire et d'histoire médiévale prendront un plaisir certain à lire ce nouvel opus de l'excellente collection L'Histoire en bataille, publiée aux éditions Tallandier.
Comme souvent dans l'histoire militaire, les noms des défaites ou des victoires changent d'un camp à l'autre. Pour les Polonais, Tannenberg s'appelle la bataille de Grunwald. Celle-ci présida à la fondation de la nation polonaise avec, à sa tête, le fameux roi Ladislas II Jagellon, dont le nom fut donné à une des plus vieilles universités d'Europe. Grunwald est à l'histoire de la Pologne, ce que Poitiers est à la nôtre. Elle renvoie à la résistance du pays aux invasions extérieures et fait figure de référence dans l'histoire romantique du XIXe siècle, alors que la Pologne était écartelée entre la Prusse, l'Autriche et la Russie.
Spécialiste de l'histoire militaire, auteur notamment d'une monographie consacrée aux chevaliers teutoniques, Gougenheim a aussi été la victime du politiquement correct en remettant en cause les canons de l'influence de l'Islam dans l'Occident médiévale. S'ensuivit une cabale universitaire absolument ignoble et totalement inédite contre son œuvre. Or, comme le prouve encore l'ouvrage qu'il vient de consacrer à Tannenberg, son travail est toujours documenté, très bien écrit et concis. L'auteur offre une vision complète des rapports de forces à la veille du conflit, des tentatives de pacification entre les parties et de l'affrontement final. Il décrit le champ de bataille, mais aussi la guerre secrète que se livrent les espions des deux camps, l'armement des combattants, les techniques et les stratégies de combat...
L'affirmation de son identité
Ce livre nous plonge littéralement dans la réalité médiévale guerrière.
Mais comme tous les grands faits militaires, la bataille s'est ensuite inscrite dans la littérature, l'art et les mémoires. Et ce n'est pas la moindre des qualités de cet ouvrage que de nous décrire cette évolution jusqu'au XXe siècle. Le lecteur se trouve ainsi mêlé à cette nation souffrante mais courageuse qui, au fil des âges, n'a cherché qu'une chose : l'affirmation de son identité.
Christophe Mahieu monde & vie 20 octobre 2012
Sylvain Gougenheim.Tonnenberg, 15 juillet 1410, Tallandier, coll. L'histoire en batailles, 263 pages, 18,90 €.

dimanche 28 octobre 2012

Lénine & le coup d'État bolchevique (1917-1918)


La France des origines jusqu’à l’An Mil

La France d'avant la France a été appelée Gaule ou plutôt Gaules par les Romains, qui l'ont soumise pendant un demi-millénaire. Ensuite, elle a été connue comme le royaume des Francs, du nom de ses plus prestigieux envahisseurs.
À l'approche de l'An Mil, on l'appelait pour simplifier Francie, ou plutôt Francie occidentale pour la distinguer de la Francie orientale (l'actuelle Allemagne).
«La France est une personne»
«La France est une personne», a dit Jules Michelet, mais une personne qui cache bien sa date de naissance. La présence d'êtres humains sur le sol métropolitain est attestée depuis 1,8 million d'années.
De l'Âge de pierre, ou Paléolithique, nous conservons les très belles fresques rupestres de Lascaux (16000 ans avant JC) et de rares et remarquables statuettes en ivoire comme la Vénus de Brassempouy (ci-contre).
Vers 6000 avant JC, les habitants de notre pays commencent à se regrouper dans des villages permanents. Ils pratiquent l'agriculture autour de leurs habitations en complément de la cueillette et de la chasse. En matière d'outillage, la pierre polie se substitue à la pierre taillée. C'est le Néolithique. Les pratiques religieuses se développent comme l'attestent les alignements mégalithiques de Carnac, vers 4500 avant JC : il s'agit de pierres dressées («menhirs» en breton) dont la signification nous échappe encore aujourd'hui.
Quelques siècles plus tard se développent de nouvelles formes de civilisation dont le souvenir se conserve jusqu'à nous sous la forme de tumulus funéraires : il s'agit de galeries de pierres plates destinées à l'inhumation des défunts et recouvertes de terre. Beaucoup de ces tumulus apparaissent aujourd'hui dépourvus de terre, sous la forme de tables de pierre géantes («dolmens» en breton).
Nos ancêtres les Celtes
Vers 750 avant JC, des intrus en provenance du bassin danubien et d'Asie mineure s'installent dans les clairières : les Celtes. Bien plus tard, Jules César les baptisera Gaulois. C'est sous ce nom que nous les connaissons aujourd'hui.
Ces Celtes pratiquent les sacrifices humains et aiment la guerre, qu'ils pratiquent souvent nus ! Mais ils développent aussi une civilisation relativement avancée pour l'époque. Ils amènent avec eux la métallurgie du fer (civilisation de Hallstatt). Ils défrichent à grande échelle le pays, cultivent le blé et la vigne, exploitent des gisements d'or et d'argent... Par la vallée du Rhône et de la Saône, ils commercent aussi avec les Grecs comme le montrent les beaux objets découverts dans la tombe de Vix, en Côte d'Or.
Les Grecs sont eux-mêmes très présents sur le littoral méditerranéen, où ils implantent des colonies comme Marseille (vers 600 avant JC) et Nice. À la faveur des guerres puniques qui voient s'affronter deux orgueilleuses cités, Rome et Carthage, la première de celles-ci occupe le littoral méditerranéen de la Gaule qui devient une province romaine (d'où le nom actuel de Provence). Sa capitale Narbonne (Narbo Martius) est fondée en 118 avant JC.
Baptisée Narbonnaise, la province s'organise autour d'une importante route qui court des Alpes aux Pyrénées, la via Domitia (ou Domitienne). À Narbonne comme à Aquae Sextiae (Aix-en-Provence) et Tolosa (Toulouse), des garnisons maintiennent la paix, laquelle est gravement compromise par une brutale irruption de guerriers germaniques, les Cimbres et les Teutons. Ces derniers sont battus par Marius en 101 avant JC à Verceil, au pied des Alpes.
La conquête romaine
De 58 à 52 avant JC, Jules César, un général romain ambitieux, neveu par alliance de Marius, mène plusieurs campagnes en vue de soumettre l'ensemble du territoire entre le Rhin et les Pyrénées (la «Gaule chevelue»). À peine croit-il y avoir réussi qu'une révolte générale éclate, à l'instigation d'un jeune noble Gaulois : Vercingétorix. Ce dernier vainc les Romains à Gergovie, en Auvergne, mais il est peu après défait à Alésia, en Bourgogne.
La Gaule se soumet à Rome au prix d'un effroyable tribut : un million de Gaulois auraient été réduits en esclavage par les légions de César sans parler des destructions massives (villes et récoltes incendiées).
Le 9 octobre de l'an 43 avant JC, un légat romain fonde la ville de Lugdunum, aujourd'hui Lyon, au confluent du Rhône et de la Saône. En 27 avant JC, elle devient sur décision d'Auguste la capitale commune aux trois provinces de la Gaule chevelue : l'Aquitaine (au sud de la Garonne), la Celtique ou Lyonnaise (entre la Garonne et la Seine) et la Belgique (entre la Seine et le Rhin). Tibère aménage en 17 de notre ère deux provinces complémentaires sur le Rhin : la Germanie supérieure (autour de Cologne) et la Germanie inférieure (autour de Mayence).
La paix romaine
Les débuts de l'occupation romaine ne sont pas de tout repos. Aux tourments de la conquête s'ajoutent au 1er siècle de notre ère des révoltes locales, réprimées avec brutalité. Mais les notables gaulois finissent par se rallier massivement, grâce à l'empereur Claude qui leur ouvre en grand les portes du Sénat.
L'agriculture progresse grâce au génie inventif de la population (exploitation intensive des céréales, viticulture...), faisant des Gaules l'un des greniers de l'empire. Les villes se multiplient dans le pays, construites sur le modèle de Rome, avec temples, amphithéâtre, forum...
Au IIe siècle, le Siècle d'or des Antonins, une religion nouvelle se diffuse dans les villes : le christianisme. Certains empereurs y voient un obstacle à l'unité de l'empire. Sous le règne de Marc-Aurèle, à Lyon, plusieurs chrétiens sont livrés aux bêtes fauves. Parmi eux l'évêque Pothin et Blandine.
La Gaule face aux Barbares
Au IIIe siècle, les légions ont de plus en plus de mal à contenir la poussée des Germains (les Barbares). En 260, Postumus, un général gaulois, se proclame empereur et établit son autorité sur la Gaule. La sécession va perdurer une quinzaine d'années cependant que de violentes révoltes paysannes, les Bagaudes, secouent la Gaule.
Au siècle suivant, les incursions de Barbares se multiplient. À l'instigation de Saint Martin, soldat romain originaire du Danube devenu évêque de Tours, de plus en plus de Gallo-Romains cherchent un réconfort dans le christianisme... De nombreuses villes perpétuent aujourd'hui le nom du saint patron de la Gaule, inhumé en grande pompe à Tours le 11 novembre 397.
Le 31 décembre 406, un grand nombre de Germains profitent de ce que le Rhin est gelé pour le traverser. Les Vandales s'installent en Espagne, les Wisigoths en Aquitaine puis au-delà des Pyrénées, les Francs au nord de la Seine, les Burgondes le long du Rhône et de la Saône... Au même moment, des Celtes chassés de Grande-Bretagne par les invasions germaniques se replient à la pointe de l'Armorique qui prendra leur nom : Bretagne.
Dans les années qui suivent, en Gaule comme dans le reste de l'empire romain d'Occident, les rois barbares s'approprient ce qui reste de l'autorité étatique. Les seules personnes en mesure de leur résister sont les évêques catholiques qui détiennent l'autorité spirituelle.
La première dynastie : les Mérovingiens
Le 25 décembre 498 (ou 496), le roi des Francs, Clovis, renonce au paganisme et se fait baptiser à Reims avec 3000 guerriers dans la religion catholique.
Le royaume des Francs s'étend bientôt des Pyrénées à l'Allemagne occidentale. Mais, après la mort de Clovis, il est partagé entre ses quatre fils. Leurs descendants vont régner cahin-caha pendant trois siècles sous l'appellation de Mérovingiens (d'après Mérovée, un aïeul légendaire).
Au fil des partages successoraux et des guerres, le royaume des Francs se subdivise en plusieurs entités dont les principales sont la Neustrie (à l'ouest), l'Austrasie (à l'est) et l'Aquitaine (au sud-ouest). Il refait brièvement son unité sous le règne de Dagobert 1er, roi d'Austrasie en 622, assisté du «bon saint Éloi».
Dagobert est le premier roi inhumé à Saint-Denis, nécropole des rois de France. Ses successeurs, moins actifs, laissent leur majordome, ou «maire du palais», gouverner à leur place. Cela leur vaudra plus tard la réputation de «rois fainéants».
En 732, le maire du palais d'Austrasie, un certain Charles Martel (ainsi surnommé parce qu'il «frappe comme un marteau»), arrête une incursion arabe entre Poitiers et Tours. Les musulmans, qui avaient débarqué en Espagne vingt-et-un ans plus tôt, se replient au sud des Pyrénées.
La deuxième dynastie : les Carolingiens
Pépin le Bref, fils et successeur de Charles Martel, se voit reconnaître par les grands seigneurs la qualité de roi en lieu et place de l'héritier légitime des Mérovingiens. Il est confirmé dans son titre par le pape Étienne II. Celui-ci traverse les Alpes et sacre le roi et sa famille à Saint-Denis, en 754. C'est une première. Le rituel du sacre, autrement dit l'onction du front par de l'huile sainte, sera repris plus tard par les rois capétiens.
En 771, Pépin le Bref lègue son royaume à ses fils Carloman et Charles 1er, futur Charlemagne. Trois ans plus tard, Charles devient seul roi des Francs et va dès lors porter le royaume à sa plus grande extension. Jusqu'à sa mort, quarante ans plus tard, il ne se passera pas une année qu'il n'aille à la guerre, tantôt contre les musulmans d'Espagne, qu'il repousse au-delà de l'Ebre, tantôt contre les Saxons qu'il christianise par la contrainte...
Naissance d'une épopée
Le 15 août 778, au retour d'une campagne contre les musulmans, l'arrière-garde de Charlemagne est défaite au col de Roncevaux, dans les Pyrénées, par des montagnards basques... Bien plus tard, des troubadours tireront de cet événement la Chanson de Roland, l'un des plus grands poèmes épiques du Moyen Âge.
En 800, le roi Charles accompagne à Rome le pape Léon III. Ne pouvant plus compter sur la protection de l'empereur romain d'Orient, qui, à Byzance, est victime de séditions, le pape décide de s'en remettre aux Francs. Dans la basilique Saint-Pierre, il dépose un diadème sur la tête de Charles, le fait acclamer par la foule puis se prosterne à ses pieds. Le roi des Francs devient ainsi «Empereur des Romains». Il a l'illusion de relever l'empire romain d'Occident, disparu quatre siècles plus tôt.
En marge de la guerre, Charles, ou Charlemagne (du latin Carolus Magnus, Charles le Grand), mène de grandes réformes. Avec le moine anglais Alcuin, il réhabilite le latin comme langue de culture. Il restaure un semblant d'administration en s'appuyant sur les seigneurs locaux, embryon de la future noblesse féodale. Certains historiens voient dans son règne une première Renaissance après les ténèbres de l'époque mérovingienne.
L'empire carolingien après Charlemagne
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Cette carte montre l'empire carolingien à la mort de Charlemagne et les grands ensembles territoriaux qui vont naître de son partage entre les trois petits-fils du grand empereur : France, Allemagne...
Le fils de Charlemagne, Louis 1er le Pieux, hérite de l'empire mais ne peut empêcher ses propres fils de se disputer son héritage dès avant sa mort.
Le 14 février 842, Charles le Chauve et Louis le Germanique échangent à Strasbourg un serment d'assistance mutuelle en vue du partage de l'empire au détriment de leur frère Lothaire.
Louis le Germanique prononce son serment en langue romane (l'ancêtre du français), pour être compris des soldats de son associé. Charles le Chauve fait de même en langue tudesque (l'ancêtre de l'allemand). Les serments de Strasbourg sont ainsi les plus anciens témoignages que nous possédions du français et de l'allemand.
L'année suivante, en août 843, les trois frères concluent un compromis à Verdun par lequel ils se partagent enfin l'empire. Lothaire hérite du titre d'empereur et de la partie centrale, de l'Escaut à la plaine du Pô, la Lotharingie (l'actuelle Lorraine rappelle son nom). Charles le Chauve reçoit la Francie occidentale (la future France) et Louis le Germanique la Francie orientale (future Allemagne).
En moins d'un siècle, l'héritage de Charlemagne va se désintégrer sous les coups extérieurs. Des pirates venus en bateau de Scandinavie, les Normands ou Vikings, remontent les fleuves, semant partout la désolation. Installés dans des nids d'aigle sur la côte méditerranéenne, des Sarrasins musulmans lancent de leur côté des razzias jusque dans les Vosges. Enfin, à l'est, surgissent de redoutables nomades, les Hongrois ou Magyars. Ils effectuent des chevauchées jusqu'à Nîmes.
Naissance de la féodalité
Les souverains carolingiens délèguent la défense de l'empire à leurs compagnons de combat (en latin comites, dont nous avons fait comtes). Ils leur octroient des terres à titre héréditaire, à charge pour eux de les défendre.
Retranchés dans leurs châteaux (les premiers sont en bois), les seigneurs se font la guerre sans trêve et ne consentent à obéir qu'à celui dont ils tiennent leur terre (leur fief) : leur suzerain, dont ils se considèrent le vassal. Ainsi se met en place une noblesse terrienne héréditaire simplement fondée sur des liens d'allégeance d'homme à homme. C'est la «société féodale».
Les successeurs de Charles le Chauve ont le plus grand mal à contenir les Normands. Aussi, le 29 février 888, les barons de Francie occidentale élisent-ils roi l'un des leurs : Eudes, comte de Paris, qui s'est bien battu face aux Normands.
Mais lorsqu'il meurt, dix ans plus tard, un Carolingien, Charles III le Simple, fils de Louis le Bègue, reprend le titre royal. En 911, il donne à un chef normand, Rollon, l'embouchure de la Seine, la future Normandie. En échange, le pirate reçoit le baptême et jure fidélité au roi.
Timide renouveau
Dans cette atmosphère de fin du monde émergent les premiers signes d'un renouveau. Il va sans dire que les contemporains n'en ont aucune conscience. Le 11 septembre 910, en Bourgogne, en un lieu inculte appelé Cluny, une poignée de moines obtiennent du duc d'Aquitaine le droit d'installer une abbaye qui, chose nouvelle, n'aura de comptes à rendre qu'au pape. Très vite, l'ordre clunisien essaime dans tout l'Occident. Ses abbés acquièrent une autorité morale très forte et en usent pour adoucir les moeurs des guerriers et des rois.
Les derniers Carolingiens doivent s'accommoder de la tutelle des énergiques comtes de Paris, Robert 1er et Hugues le Grand, frère et neveu du roi Eudes. Finalement, le 1er juillet 987, les barons de Francie occidentale élisent à la dignité de roi des Francs le comte de Paris Hugues, qui n'est autre que le petit-neveu du roi Eudes. Il se fera connaître sous le nom d'Hugues 1er, dit Capet... Les héritiers directs de Charlemagne passent à la trappe. Une page se tourne.
André Larané. http://www.herodote.net

samedi 27 octobre 2012

Diên Biên Phu : 57 jours d'héroïsme

Le Figaro Magazine - 09/04/2004
Il y a cinquante ans, dans une cuvette du Tonkin, 15 000 hommes du corps expéditionnaire français d'Indochine résistaient à l'assaut du Vietminh. Menée contre un adversaire courageux, cette bataille s'est soldée par une défaite, mais une défaite glorieuse.

Infirmière à l'époque, elle était convoyeuse de l'air. Après que son Dakota eut été détruit par l'ennemi, elle s'était retrouvée prisonnière de la bataille. Vingt ans et seule Européenne au milieu de 10 000 hommes : un ange en enfer. Son livre, Une femme à Diên Biên Phu, a été un succès de l'automne 2003. Quand Geneviève de Galard prononce une conférence, les jeunes se pressent pour l'écouter. Cinquante ans après Diên Biên Phu, certes, nous avons changé de monde et de société : « l'Indo » , c'est loin. Le récit de ce désastre, cependant, ne cesse de déchirer le coeur et l'âme.

Le drame se noue en 1953. Hô Chi Minh a beau être communiste, il a compris la force du nationalisme. Depuis 1945, il mène contre la puissance coloniale française une guerre qui est aussi une guerre des Vietnamiens du Nord (le Tonkin et l'Annam) contre ceux du Sud (la Cochinchine). Côté français, les chefs militaires successifs - Leclerc, de Lattre ou Salan - n'ont pu venir à bout de la rébellion. En 1949, le Vietnam a accédé à l'indépendance, mais le pays, membre de l'Union française, comme le Laos et le Cambodge, est précipité dans le vaste affrontement Est-Ouest. La Chine de Mao et l'URSS soutiennent le Vietminh, tandis que les Etats-Unis, engagés en Corée, aident financièrement la France en Indochine.

En métropole, le conflit est impopulaire. Les communistes, bien sûr, se montrent les plus virulents dans la stigmatisation de la « sale guerre » . Mais l'opinion, dans son ensemble, ne voit pas l'intérêt d'expédier à grands frais tous ces régiments professionnels à l'autre bout de la planète. A Paris, le gouvernement cherche une porte de sortie.

En mai 1953, le général Navarre est nommé commandant en chef en Indochine. Sa mission ? Créer les conditions militaires qui favoriseront un règlement politique. En gros, avant de donner l'assaut pour forcer Hô Chi Minh à négocier, il prévoit de reconstituer ses forces. D'où, au nord, une stratégie défensive. Le Vietminh, toutefois, lance une offensive vers le Laos qui vient de signer un accord de défense avec la France. A l'automne 1953, afin de barrer la route du Laos, le commandement décide donc d'établir un camp retranché dans les zones montagneuses du nord du Tonkin. Lieu choisi : le village de Diên Biên Phu.

Le 20 novembre 1953, six bataillons parachutistes sont largués au-dessus de cette vallée reculée. Afin d'acheminer hommes et matériels, un aérodrome est construit dans la cuvette. Le camp est organisé comme une couronne de points d'appui ; baptisés de prénoms féminins (Gabrielle, Isabelle ou Dominique) ils ont pour fonction de protéger l'aérodrome, centre et poumon du camp. Selon le 2e Bureau, le Vietminh ne peut pas engager plus de deux divisions dans la région, et les communications sont si difficiles que les Viets seront incapables d'y amener des canons de plus de 75 mm. Fatale erreur.

Hô Chi Minh, lui, est bien informé. Ce Lénine asiatique mesure l'effet qu'exercerait une défaite française sur l'opinion occidentale. Autour de Diên Biên Phu, il masse quatre divisions d'infanterie et sa division d'artillerie lourde : 24 pièces de 105 mm. Une noria de 700 camions Molotova (cadeau des Soviétiques) et 75 000 coolies transportent des tonnes de munitions. Ces mouvements n'échappent pas à l'état-major français, mais Navarre reste persuadé que Diên Biên Phu ne sera pas le théâtre d'un affrontement majeur. A Noël 1953, 60000 Viets cernent 12 000 Français, Marocains, Algériens et Thaïs, qui ne se doutent pas de ce qui les attend.

Au sommet de Berlin, le 18 février 1954, le gouvernement de Joseph Laniel (président du Conseil depuis juin 1953) accepte le principe d'une conférence qui s'ouvrira à Genève, au mois d'avril, afin d'examiner le problème du rétablissement de la paix en Indochine. Le général Navarre n'a pas été tenu au courant. Hô Chi Minh, en revanche, voit le parti qu'il peut en tirer : il faut qu'il gagne avant la fin de cette conférence.

Le 13 mars 1954, le général Giap déclenche sur Diên Biên Phu un terrifiant pilonnage d'artillerie, auquel les défenseurs du camp ne s'attendaient pas et auquel ils ne possèdent pas les moyens de répondre. Les tirs alternent avec les assauts d'infanterie, à dix contre un. En cinq jours, les points d'appui Béatrice, Gabrielle et Anne-Marie tombent aux mains de l'ennemi.

Le colonel de Castries (il sera nommé général le 14 avril) commande le camp. « Sa réaction est faible » , considère le général Gras, un historien militaire. Le chef d'état-major, le colonel Keller, est dépressif (on l'évacue par avion) et le colonel Piroth, commandant l'artillerie, se suicide. Heureusement, la position centrale est dirigée par le lieutenant-colonel Langlais, un parachutiste, tandis que la position sud est tenue par le lieutenant-colonel Lalande, un officier de la Légion. Et le 16 mars, le commandant Bigeard (il recevra ses galons de lieutenant-colonel pendant la bataille) est largué sur la cuvette à la tête de son 6e BPC (bataillon de parachutistes coloniaux). « A partir du jour où il est arrivé à Diên Biên Phu, note son biographe, Erwan Bergot, c'est l'esprit même du camp retranché qui a changé. » Avec son autorité naturelle, mais sans bousculer la hiérarchie, Bigeard impose son style : ne pas subir. Ses contre-attaques, qui décimeront les rangs du Vietminh, lui vaudront l'admiration de Giap.

En tout cas, trois jours après le début de l'offensive, l'assaillant a atteint son premier objectif : le 17 mars, le pont aérien est interrompu. Bombardé, l'aérodrome sera bientôt impraticable. Dès lors, la base ne pourra être ravitaillée que par parachutage. Giap suspend le feu de son artillerie, tandis que ses hommes effectuent un travail de termites : autour du camp, ils creusent un lacis de boyaux et de tranchées, se rapprochant chaque jour un peu plus des lignes françaises.

Le 30 mars au soir, la deuxième phase de l'offensive est lancée : l'artillerie et l'infanterie du Vietminh reprennent leurs assauts meurtriers. Les verrous Eliane et Dominique doivent être abandonnés, puis Huguette tombe à son tour. Légionnaires et parachutistes manifestent une énergie surhumaine : Giap, dont les pertes sont considérables, doit mobiliser 25 000 bo doi supplémentaires. A Hanoi, le commandement français réclame des volontaires pour sauter sur le camp : pour 750 soldats, ce sera leur baptême de parachutisme.

Fin avril, dans le camp retranché, il reste 3 000 combattants valides, plus 1 200 qui sont isolés au sud, dans la position Isabelle. Sous un déluge de feu ininterrompu, dans la boue, manquant d'eau, de vivres et de munitions, képis blancs et bérets rouges repoussent les limites de l'héroïsme. Diên Biên Phu, dira Castries, c'est Verdun, mais Verdun sans la Voie sacrée. Hô Chi Minh a refusé l'intervention de la Croix-Rouge qui demandait l'évacuation des blessés. Ceux qui tiennent sur leurs jambes se servent de leur fusil. Dans l'hôpital souterrain où passe le sourire de Geneviève de Galard, l'équipe médicale opère jour et nuit dans des conditions sanitaires effroyables.

La disproportion des forces est écrasante. Peu à peu, les Viets s'emparent des derniers points d'appui. Le 7 mai, à 16 heures, après cinquante-sept jours de combat, c'est la fin. Quand la nouvelle parvient à Paris, l'Assemblée nationale est en séance : les seuls qui refusent de se lever pour rendre hommage aux hommes de Diên Biên Phu sont les députés communistes.
Officiers et soldats, 16 000 hommes ont fait partie de la garnison : on comptera 1 600 morts, 1 600 disparus, 4 800 blessés et 8 000 prisonniers, dont à peine 3 900 reviendront vivants. Côté Vietminh, le bilan sera d'environ 10 000 tués et 20 000 blessés.

Pierre Mendès France, devenu président du Conseil le 18 juin, hâte les négociations de Genève. Le 21 juillet, l'armistice est signé. Les dernières troupes françaises quitteront en 1956 un pays coupé en deux. Pour les Vietnamiens du Sud, la guerre continuera aux côtés des Américains et se terminera, en 1975, par la chute de Saigon.

Depuis, officiellement, le Vietnam est communiste. Dans la pratique, les années de plomb ont passé. Il y a maintenant plus de dix ans que Pierre Schoendoerffer a tourné sur place son Diên Biên Phu avec le concours de l'Armée populaire... Belle leçon : les peuples de vieille mémoire, quand ils ont vécu ensemble, finissent par se retrouver. Tenaillés par le « mal jaune », les anciens du corps expéditionnaire français voyagent au Vietnam. Il se murmure que certains d'entre eux, lorsqu'ils disparaîtront, veulent être incinérés afin que leurs cendres soient dispersées là-bas, sur ces lieux où ils ont tant aimé et tant souffert. Ce sera aussi une façon de rejoindre leurs camarades restés sur le terrain. Mort, où est ta victoire ?
http://www.jeansevillia.com

Les crimes de Staline (1917-1953)


mercredi 24 octobre 2012

L'apogée du totalitarisme communiste (1934-1953) Communisme & Guerre Froide


Les logiques du totalitarisme communiste (1789-1941) Communisme & Guerre Froide


OTTO DE HABSBOURG Un grand prince d'Occident

Un figure historique vient de s'éteindre. Retour sur la vie de l'archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine, de l'exil au Parlement européen, où ses positions, quoique controversées, semblaient inspirées par la doctrine sociale de l'Église.
L'archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine est décédé à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans ce lundi 4 juillet à son domicile de Pöcking en Bavière. Nous n'évoquerons pas ici son ancêtre l'empereur Charles-Quint, auquel il a consacré un ouvrage très éclairant (éd. Hachette, 1967) et qui fut au XVIe siècle l'adversaire impitoyable du roi de France, François 1er, dont il voulait enserrer le royaume dans la tenaille austro-espagnole. Les temps ont, depuis lors, bien changé. Nous ne nous permettrons pas non plus de reprocher à ce prince d'avoir, au moment de la mort de sa mère l'impératrice Zita en 1989, laissé échapper l'occasion de recueillir la couronne de Hongrie, souhaitant, comme certains l'ont dit, un destin plus largement européen...
Un immense héritage
N'allons pas chercher post mortem de mauvaises querelles à ce grand prince d'Occident, dont le père, Charles 1er, le dernier empereur d'Autriche, roi apostolique de Hongrie et roi de Bohème, a été solennellement béatifié en 2004 par le pape Jean-Paul II. Otto, né le 20 novembre 1912, avait connu les derniers fastes de Vienne au temps de l'empereur François-Joseph, il était ainsi le lien entre l'Europe d'hier et celle d'aujourd'hui, et l'un de ces hommes dont l'expérience était la plus extraordinairement bénéfique pour le continent. Il unissait en lui le sang des Habsbourg, donc celui de notre reine martyre Marie-Antoinette, et celui des Bourbons car sa mère née Zita de Bourbon Parme, décédée en 1989, dix-septième enfant de Robert, duc de Parme destitué par l'unité italienne, descendait du roi de France Charles X et, par sa grand-mère Louise de France, était la nièce d'Henri V comte de Chambord.
Charles et Zita constituaient un couple heureux et effacé, jusqu'à ce que l'assassinat de l'oncle de Charles, l'archiduc François-Ferdinand, à Sarajevo, le 28 juin 1914, mît le feu à toute l'Europe et fît d'eux les héritiers directs de François-Joseph. Puis la mort de François-Joseph lui-même, en novembre 1916, les porta sur le trône impérial en pleine guerre, et l'on se souvint longtemps du petit Otto marchant entre ses parents le jour des obsèques impériales (30 novembre 1916). L'avenir de cet enfant ne promettait pas d'être facile...
On sait combien le nouvel empereur, tout pénétré de foi, de charité et de paix chrétienne, s'activa avec ses beaux-frères Sixte et Xavier de Bourbon Parme, pour trouver dès 1916 les conditions d'une paix séparée entre l'Autriche et la France, qui eût épargné deux années de sauvage hécatombe, mais dont la classe politique française, maçonnique et qui avait juré la mort de l'empire chrétien, ne voulut pas.
Une famille errante
La fin de la guerre devait voir l'éclatement de cet empire. Malgré des tentatives de reprendre le pouvoir au moins en Hongrie, Charles et Zita furent déchus de leurs prérogatives et durent avec leurs sept enfants, dont Otto âgé de neuf ans, s'exiler dans l'île de Madère. Mais l'empereur, alors âgé de trente-quatre ans et épuisé par toutes ces tensions, mourut entouré des siens le 1er avril 1922. Sa veuve âgée de vingt-neuf ans et enceinte de son huitième enfant fit face à l'adversité avec un courage admirable. Puis la famille s'installa en Espagne et en Belgique où Otto, jeune prince parlant toutes les langues européennes, put suivre des cours de sciences sociales et politiques et obtenir un diplôme à l'université catholique de Louvain. La Deuxième Guerre mondiale et son opposition farouche au nazisme le contraignirent à s'exiler de nouveau, aux États-Unis cette fois. Puis il revint vivre tantôt en France, tantôt en Bavière, jusqu'à son mariage le 10 mai 1951 avec la princesse Regina de Saxe-Meiningen, dans la belle ville de Nancy, capitale des ducs de Lorraine dont il portait le titre, descendant de François de Lorraine, époux de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche. De son mariage avec la princesse Regina, Otto devait avoir sept enfants.
Politique sociale
Ayant renoncé en 1961 au trône impérial d'Autriche il prit la nationalité allemande et fut élu au Parlement européen en tant que député allemand (Bavière) du parti de la CDU-CSU démocrate chrétienne ; en tant que doyen d'âge, il eut à présider entre 1979 et 1999 plusieurs séances du parlement de Strasbourg. Ses activités européennes l'accaparèrent un certain temps et l'on peut ne pas le suivre en tout ce qu'il dit ou entreprit alors en faveur de la construction européenne à laquelle, en tant que membre de la Ligue anticommuniste mondiale et président de l'Union paneuropéenne Internationale, il croyait ferme, sans toutefois en dresser un plan idéologique et tout prêt. Son information à caractère universel et son réalisme lui permettaient de dresser une image juste et précise de l'Europe et de ses besoins et de replacer les problèmes du continent dans la perspective de l'évolution du monde entier. Il se dressait contre l'idée que l'Europe serait définitivement condamnée, qu'elle n'aurait rien à apporter aux temps nouveaux. Il ne croyait pas (et il avait raison) que l'Europe subsisterait dans sa forme injuste, héritée de Yalta, et divisée en deux par l'idéologie ; il voulait des réformes sociales audacieuses qui permissent d'arracher au communisme le masque d'une révolution bienfaisante.
Esprit chrétien
Dans un beau livre consacré en 1959 au prince Otto, Marie-Madeleine Martin citait des propos de lui qui ne sont en rien démodés : « Ce qu'il nous faut c'est une réforme de la mentalité sociale, c'est une attitude nouvelle de toute la population. Et celle-ci ne peut être obtenue que par un renouveau de l'esprit chrétien, par une compréhension véritable des droits et des devoirs de chacun. Le droit au travail, le droit à un domicile, le droit de fonder une famille, le droit d'éduquer librement et adéquatement les enfants sont des droits imprescriptibles qui doivent être le fondement de l'ordre social et du programme économique de l'Europe. » On devine dans ces propos des résonances de la doctrine sociale chrétienne dont son père était imprégné et qui inspira au prince des tournées de conférences, notamment en France.
Cousin des Capétiens
Otto s'est gardé de tout désir de nivellement des nations. Au contraire, il connaissait trop l'histoire européenne pour faire table rase des identités nationales qui, toutes, doivent avoir leur place. Il n'oubliait jamais qu'il était lui aussi un fils de saint Louis et se montrait fier de ses multiples parentés capétiennes. C'est sans doute ce qui le poussa à fonder un groupe au sein du Parlement européen pour la promotion du français comme langue de référence de l'Europe. Quant au rôle de la France, il lui paraissait primordial comme il ressort d'un appel qu'il lança le 11 janvier 1952 à Paris, que cite Marie-Madeleine Martin : « Votre pays, votre France est une terre à la tradition glorieuse, pays essentiellement occidental, essentiellement chrétien, patrie d'hommes vraiment libres, qui aujourd'hui croient aux vertus et aux forces de l'homme et ne se soumettent jamais à l'arbitraire... Visez plus haut : regardez au-delà de vos petites difficultés de l'heure, au delà de vos querelles. Voyez : il y a tout un continent qui attend de vous des paroles, des initiatives dignes de votre sens de la grandeur. » Et d'évoquer sainte Jeanne d'Arc et son admirable épopée... « Amis Français, entendrez- vous aujourd'hui l'appel de l'Histoire ? L'Europe vous attend et Dieu le veut ! »
L'Europe en berne
Un deuil de treize jours a été observé à partir du 5 juillet dans plusieurs pays de l'ancien empire d'Autriche-Hongrie. Le cercueil de l'archiduc Otto a été recouvert du drapeau des Habsbourg décoré avec les manteaux impériaux et royaux de l'Autriche et de la Hongrie. Cinq messes de requiem se sont succédé en Bavière jusqu'au 16 juillet et en Autriche. Dans la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, ont eu lieu les obsèques solennelles en présence de multiples personnalités européennes et des représentants des familles royales. La princesse Philoména, duchesse de Vendôme, accompagnée du prince Gaston, représentait la maison de France. Puis un cortège funèbre se déroula à travers la vieille ville de Vienne avant la mise au tombeau de l'archiduc et de son épouse Regina décédée le 3 février 2010, dans la crypte de Capucins. Le lendemain une messe a été célébrée à la basilique Saint-Étienne de Budapest suivie de l'inhumation du coeur de l'archiduc, à l'abbaye bénédictine de Pannonhalma, en Hongrie.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 21 juillet au 3 août 2011

Guerre d'Indochine : La bataille de Na-San (1952)


mardi 23 octobre 2012

Des origines à nos jours Le paysan et ses outils

Au commencement, les hommes vivaient dans des abris sous roche et tiraient leur subsistance de la chasse, de la pêche et de la cueillette... Peu nombreux, ils se déplaçaient en petits groupes et jouissaient sans trop de mal des fruits de la Terre.
Tout change vers 12.500 ans av. J.-C.. Avec la fin des grandes glaciations, le Moyen-Orient se couvre de graminées (céréales). Les hommes de cette région n’ont plus besoin de se déplacer pour quérir leur nourriture. Ils se regroupent dans des villages pour des raisons sociales, culturelles, rituelles... et aussi parce qu'ils y trouvent plus de confort. C’est le cas en particulier des femmes enceintes ou en charge de nourrissons, des handicapés et des personnes âgées.
Mais avec le confort, les villages voient leur population s’accroître. Les habitants doivent chercher la nourriture de plus en plus loin. Pour s’épargner cette peine, les plus astucieux ensemencent eux-mêmes les abords de leur village.
C’est ainsi que naît l’agriculture, fille de la sédentarisation. Nous sommes les ultimes héritiers de cette «révolution néolithique». Nous allons vous raconter ici comment, grâce à l’ingéniosité humaine, elle a permis de multiplier par mille la population de la planète.
Isabelle Grégor

Que sont nos paysans devenus ?
 À l’occasion des Rendez-vous de l’Histoire (Blois, 2012), Jean-Marc Moriceau, historien de la ruralité, s’est entretenu avec notre confrère le magazine Pèlerin sur la famille paysanne et son évolution en France au cours des siècles.
Il nous met en garde contre les clichés et rappelle par exemple qu’il était assez rare de voir plusieurs générations sous un même toit, y compris et surtout au Moyen Âge. Il montre aussi l’évolution du statut de la femme et du rôle de l’enfant…

La «révolution néolithique»

Avec la naissance de l'agriculture, notre ancêtre va doucement bouleverser son rapport avec la nature, ne se contentant plus de collecter les richesses du monde environnant, par la chasse, la pêche et la cueillette, mais choisissant de le domestiquer. Il se met ainsi à sélectionner plantes et animaux autrefois sauvages pour mieux maîtriser son approvisionnement. Après le chien, animal de compagnie et compagnon de chasse, le premier animal domestique est la chèvre.
Le paysan met son adresse au service de l'élaboration d'outils lui permettant de travailler la terre et ses productions : bâtons à fouir ou à battre les épis mais aussi haches, dont la lame polie est moins cassante, et faucilles en silex dentelé fixées avec du bitume sur des manches en bois démontables. Il broie les grains dans des mortiers ou dans des meules qui lui font découvrir les vertus du polissage de la pierre. Il développe la vannerie, la céramique et la poterie en vue de trier et stocker les céréales.
Les hommes tirent-t-ils profit de cette révolution ? Certes, ils se multiplient grâce à une alimentation plus régulière et de meilleures conditions de vie induites par la sédentarité. Mais leur état physique se dégrade (taille, ossature, dentition…) du fait de travaux agricoles pénibles et répétitifs.

L'arrivée des métaux

C'est en Anatolie (Turquie actuelle) que le cuivre est d'abord utilisé pour la fabrication de petits objets ou bijoux. Mais rapidement, au Ve millénaire en Mésopotamie (Irak actuel), le travail du métal permet à l'humanité de faire un bond en avant : en perfectionnant les fours, les artisans parviennent à élaborer des instruments plus grands et solides. L'innovation conforte en particulier la menuiserie qui voit ses outils gagner en précision.
 Vers cette époque (4.000 av. J.-C.) naît l'araire, qui permet de creuser des sillons dans la terre pour y jeter les semences. On ne tarde pas à la compléter par un semoir : les semences sont versées non plus à la volée mais à travers un tube en roseau fixé au manche de l'araire. Cet outil-verseur va augmenter de moitié les rendements céréaliers par rapport au semis à la volée.
En Égypte, sur les sols rendus meubles par les inondations du Nil, les paysans utilisent bientôt une araire améliorée, avec un versoir qui rejette la terre sur le côté. C'est une ébauche de la charrue.
La découverte de la technique de l'alliage, il y a 5.000 ans, permet aux habitants de Mésopotamie de produire des outils en bronze, mélange de cuivre et d’étain, plus résistants et faciles à travailler. Avec l'arrivée du fer, mis au point par les Hittites vers 1.500 av. J.-C., les moyens de traction et de défrichement gagnent encore en solidité. Relativement répandu, le fer devient un composant essentiel du monde agricole auquel il fournit des outils robustes et finalement assez bon marché : houe, bêche, pioche... Le Croissant fertile, de la Mésopotamie à l'Égypte, en profitent largement.
La roue fait tourner le monde
Quand, vers 3.400 av. J.-C., un scribe mésopotamien a reproduit sur sa tablette un simple rond, il ne savait pas que cette première représentation de la roue, sous forme de pictographe, allait marquer une étape majeure dans le progrès technique. Cette création, issue probablement de l'utilisation de rondins de bois, va susciter l’apparition du tour du potier, de la charrette et du char de combat.
D'abord composée d'un seul bloc puis de trois éléments, la roue est progressivement allégée jusqu'à se constituer de rayons, avec un essieu indépendant, au XVIIIe siècle av. J.-C. en Mésopotamie.
Les Gaulois auront l'idée de renforcer la roue avec un cerclage en fer pour en éviter l'usure. Beaucoup plus tard, au XIXe s. nos aïeux ajouteront un revêtement de caoutchouc afin de minimiser les chocs et améliorer ainsi le confort des voyageurs.

Inconvénient d’une main-d’œuvre servile

Au Ier millénaire av. J.-C., la montée en puissance des cités grecques puis de Rome ne débouche sur aucune avancée dans la vie des paysans. Les ingénieurs, tel Archimède, emploient leur talent dans les applications militaires ou les infrastructures urbaines. Pour les durs travaux de la terre, Grecs et Romains se satisfont de la main-d’œuvre servile procurée par les campagnes militaires. En matière de progrès agricoles, c'est du nord que vient l'innovation : les Celtes, autrement dit «nos ancêtres les Gaulois», conçoivent le tonneau en bois, plus pratique que les amphores en terre cuite, pour la conservation et le transport du vin. Ce peuple, très en avance en matière de charronnerie, met sa maîtrise des métaux au service du travail de la terre en inventant le soc de «l'araire gauloise» qui permet d'approfondir le sillon tracé et cultiver des sols plus difficiles.
Au 1er s. de notre ère, le vallus, une machine à moissonner, voit même le jour. Elle est décrite ici par Pline : « Dans les grands domaines des Gaules, de puissantes moissonneuses, pourvues de dents, sont poussées sur deux roues à travers la moisson par une bête de trait attelée en sens contraire : elles arrachent les épis qui tombent dans la moissonneuse » (Histoire naturelle, Ier s.)
La campagne dans l’Antiquité tardive
« Voici les objets dont on doit se pourvoir à la campagne : des charrues simples, ou, si le pays est plat, des charrues à oreilles qui, en élevant davantage les raies du labour, préservent les semences du séjour de l'eau pendant l'hiver ; des pioches, des houes, des serpes pour tailler les arbres et la vigne ; des faucilles pour la moisson, des faux pour la fenaison; des hoyaux, des loups, c'est-à-dire de petites scies à manche, dont les plus grandes n'aient qu'une coudée, qu'on peut facilement introduire au milieu des arbres ou des vignes pour les couper, ce qui est impraticable avec une scie commune; des plantoirs pour fixer les sarments dans les terres façonnées ; des faux en forme de croissant affilées par le dos ; des serpettes courbes pour détacher plus aisément des jeunes arbres les frousses sèches ou trop saillantes ; des faucilles dentelées pour couper la fougère ; de petites scies, des sarcloirs et des outils pour se débarrasser des ronces ; des haches simples ou à pic ; des pioches simples ou fourchues ; des haches dont le dos ressemble à une herse ; des cautères, des instruments pour la castration et pour la tonte, ou pour le pansement des animaux ; des tuniques de peau avec des capuchons, des guêtres et des gants de peau qui puissent servir dans les forêts ou dans les buissons, tant aux ouvrages rustiques qu'à l'exercice de la chasse». (Palladius, L'économie rurale, Ve s.)
À la chute de l'empire romain d’Occident, Byzance préserve vaille que vaille l’héritage scientifique de la Grèce hellénistique et va le transmettre aux puissances en devenir, l'Islam et l'Occident chrétien.
 Dans les terres conquises par les cavaliers musulmans, tout comme le sous-continent indien, les paysans bénéficient de progrès sensibles dans la gestion de l'eau comme dans l'utilisation des engrais et la diversification des espèces.
Passé maître dans de nouvelles cultures (la pistache en Syrie, le café au Yémen ou l'orange en Andalousie...), le monde arabo-persan ne s'arrête pas là et crée de nouvelles variétés de fleurs, comme la tulipe. Il s'intéresse également à leur classification pour pouvoir mieux en utiliser les vertus médicinales. L'Orient chinois n'est pas en reste en matière agricole avec l’invention au début de l'ère chrétienne de l'indispensable brouette puis, au VIe siècle, de la charrue à versoir avec soc métallique qui permet aux animaux de trait de moins se fatiguer.
Maîtriser les eaux
Née en Mésopotamie, dans le pays des grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate, l'agriculture a su très vite apprivoiser l’eau dont elle ne peut se passer.
Dès 5.000 av. J.-C., les habitants de la région créent canaux, vannes et rigoles pour irriguer leurs terres semi-arides en. Dans les régions isolées, ils s'aident d'engins élévatoires appelés chadoufs composés d'un levier, d'un contre-poids et d'un seau pour extraire de leurs puits le précieux liquide. Ces engins rustiques mais efficaces sont encore utilisés sur les bords du Nil.
En Perse, 1.000 ans av. J.-C., des équipes de puisatiers creusent des qanats (tunnels souterrains) à la recherche des nappes phréatiques. Les ingénieurs arabes, quant à eux, exploitent les techniques de l'Antiquité, de la Grèce à l'Égypte, pour mettre au point d'impressionnantes norias. N'y en avait-il pas, nous dit-on, près de 5.000 sur le Guadalquivir (Espagne) au XIIIe siècle ?
De la même façon, les Chinois tirent profit de la souplesse du bambou pour construire des roues à eau et alimenter leurs immenses rizières. Dans certaines régions, des systèmes d'engrenages (saqiya dans les pays arabes) améliorent encore les pompes en diminuant la force de traction nécessaire à leur fonctionnement.
En Amérique au contraire, ce sont les techniques de terrassement et de drainage qui s'avèrent à la pointe du progrès : les Aztèques asséchaient ainsi des zones entières de marais qu'ils protégeaient ensuite par des digues.

Un Moyen Âge inventif

 Le Moyen Âge européen entraîne un foisonnement d’innovations dans le domaine agricole dont l’une des plus importantes est la charrue.
Grâce à un long couteau en fer, le coutre, qui ouvre la terre avant le passage du soc et de son versoir, elle permet dès le VIIIe siècle la mise en culture des sols lourds et argileux de l’Europe du nord.
Pesante pour mieux éventrer les lourdes terres, souvent montée sur roues, elle nécessite des attelages d'au moins huit bœufs avant que prennent la relève des chevaux de races résistantes, introduits par les Barbares au VIIIe siècle.
Ces attelages sont permis grâce à des systèmes d’attelage innovants qui allègent la peine des animaux ; le harnais de trait et le collier d’épaule, venus de Chine et introduits en Europe dès avant l’An Mil. À la même époque se diffuse aussi le fer à cheval (ou à bœuf).
Correctement attelés grâce au nouveau collier d'épaule et disposés en file indienne pour additionner les efforts, les chevaux se révèlent efficaces dans des champs gras où ils dérapent moins que les bœufs. Ils allègent considérablement le travail du paysan et participent au bond en avant de l'agriculture médiévale.
Ils révolutionnent aussi le transport des charges lourdes. Avec le harnais, une paire de chevaux arrive à tirer jusqu'à six tonnes alors que, sous l'Antiquité, ils ne pouvaient tirer plus de 500 kilos sous peine d'étranglement  et un édit de l'empereur Théodose avait même fait de cette limite une obligation légale.
Nantis d'animaux, les paysans recueillent avec soin le fumier pour amender les champs. Les moutons sont particulièrement appréciés : leurs troupeaux sont conduits sur les jachères afin de les enrichir de leurs excréments et d'aérer le sol de leurs sabots qu'en bons connaisseurs, les paysans qualifient de «sabots d'or».
Un outil, la herse, qui ne servait jusqu'alors qu'à désherber, gagne de l'importance en permettant de recouvrir les semis. Grandes faux et faucilles - moins chères - demeurent les traditionnels outils de la moisson. Les épis, une fois coupés, sont battus au fléau de façon à en extraire les grains.
Les rendements sont honorables compte tenu des techniques disponibles. Dans les céréales, on arrive sur les bonnes terres à sept ou huit grains récoltés par grain semé (contre vingt pour un en moyenne aujourd'hui). 
Il s'ensuit une amélioration des conditions de vie avec une alimentation relativement riche et variée qui inclut le pain de froment et la viande dans les régions les plus avancées comme le Bassin Parisien. «Ces campagnes médiévales d'Occident nourrissent mieux leurs hommes que ne l'ont fait ou ne le font encore tant d'autres pays où la faim est un mal de chaque année», souligne l'historien Jacques Heers. 
Le moulin remplace le travailleur
Dès l’Antiquité, pour en finir avec la corvée de la meule qui écrase les grains, on a cherché à remplacer le travail humain par la force animale ou la force mécanique. Doté d'une roue verticale ou horizontale, le moulin utilise selon les régions la force du vent (VIIe siècle, en Afghanistan), des rivières (IIIe siècle, en Turquie), voire de la marée, dès le Xe à Bassora (Irak) et le XIIe siècle dans la région nantaise.
Gros demandeur en argent et savoir-faire, ce bâtiment en bois ou pierre est vite devenu symbole du pouvoir.
Son développement, freiné pendant l'Antiquité par la disponibilité de nombreux esclaves, a été relancé au XIIe siècle du fait de l'explosion démographique et des ordres religieux, en particulier les Cisterciens et le Chartreux, qui eurent plus que quiconque le souci d’économiser la peine des hommes et comprirent l'intérêt de cette machine pour d'autres secteurs que l’agriculture (textile, métallurgie puis papier).

De la mécanisation à la fin des paysans

Riche en exploits scientifiques, la Renaissance a peu profité aux paysans. L'époque ne manque pourtant pas de visionnaires, comme Olivier de Serres, devenu le père de l'agronomie moderne avec la publication du Théâtre d'Agriculture et Mesnage des Champs (1599). Dans cet essai inspiré par ses propres expérimentations et les agronomes romains tel Columelle, il préconise en particulier la suppression de la jachère (on laisse reposer le sol pendant une année après avoir récolté les céréales) et son remplacement par un semis de légumineuses comme la luzerne, des plantes riches en azote qui vont restaurer le sol et servir à l'alimentation du bétail.
Mais le progrès n'est pas linéaire : «La situation alimentaire était, pour les paysans, bien meilleure au temps de Charles VII et de Louis XI que deux siècles plus tard», note cruellement Jacques Heers. Jusqu'à l’aube du XVIIIe siècle, les innovations techniques sont maigres comme s'en plaignent les Encyclopédistes : «Que l'on compare une charrue à une chaise de poste ! On verra que l'une est une machine grossière ; l'autre, au contraire, est un chef-d’œuvre auquel tous les arts ont concouru. Notre charrue n'est pas meilleure que celle des Grecs et des Romains. […] L'art de la culture des terres a été négligé, parce qu'il n'a été exercé que par les gens de la campagne. Les objets de luxe ont prévalu, même en agriculture. […] Nous connaissons l'architecture des jardins, tandis que la mécanique du laboureur n'a presque fait aucun progrès» (article «Botanique» de L'Encyclopédie, 1751).
Il faut attendre le Siècle des Lumières pour que le souci de faciliter les travaux des champs et développer les rendements s'impose aux ingénieurs.
La mécanisation s’accélère avec la révolution industrielle au siècle suivant et l’arrivée de la machine à vapeur.
«L'introduction d'un matériel perfectionné dans une ferme […] est véritablement une œuvre de progrès et d'humanité et c'est ce but que le Gouvernement de la République s'attache à poursuivre». Cette circulaire adressée aux préfets par le ministère de l'Agriculture en 1876 résume bien l'esprit de ce siècle : il est temps de faire profiter la paysannerie des avancées techniques considérables qui marquent l'époque.
Paradoxalement, cela ne va pas sans réticences : n'est-ce pas enlever sa subsistance au paysan qui, à l'image du laboureur (du latin laborare : travail), se définit par sa capacité à effectuer une activité manuelle ? Adam n'a-t-il pas été condamné à vivre à la sueur de son front ?
Par ailleurs le monde agricole, replié sur lui-même, voit encore d'un mauvais œil ces techniques nouvelles qui s'adaptent mal aux parcelles morcelées. Et pourquoi s'endetter lourdement si la main-d'oeuvre abonde ? Enfin, nombre de paysans ne sont toujours pas propriétaires de leurs terres : métayers ou salariés, il restent au service de grands propriétaires qui leur confient des surfaces réduites. La marche du progrès entraînée par la révolution industrielle ne s'arrête pas à ces considérations.
Superstitions paysannes
Outil de travail dont dépend le sort de la famille, le matériel agricole est l'objet de toutes les attentions de la part de son propriétaire qui n'hésite pas à faire intervenir l'irrationnel pour le protéger.
C'est ainsi que le laboureur, avant de tracer les premiers sillons avec une nouvelle charrue, va tracer une croix de cire sur ses manchons. Il se place ainsi dans la tradition antique : Romulus n'a-t-il pas tracé les contours de Rome à l'aide du charrue comme, avant lui, avait symboliquement fondé la ville d'Éryx (Sicile) en délimitant un espace sacré ?
De leur côté, les moissonneurs appellent la protection de saint Jean sur leurs faux et faucilles en les brandissant au-dessus des traditionnels feux de joie de la Saint Jean-Baptiste (24 juin). Fixer un de ces instruments sur le pignon nord de sa cheminée permet par ailleurs de protéger du mauvais sort, tandis que verser sur la lame l'eau de sa toilette repousse les maladies. Mais attention à ne pas brûler un timon de votre charrue, vous risqueriez une agonie longue et douloureuse !
 La fin du XIXe siècle voit le triomphe de la motorisation dans les campagnes, encouragée par les sociétés d'agriculteurs, très actives et enthousiastes, et par les grandes exploitations confrontées au départ de la main-d’œuvre pour les villes.
Des fabricants de machines inondent les campagnes de leurs catalogues. C'est le cas de l'Américain Mc Cormick qui introduit sa moissonneuse en France en 1851 : de conception assez simple, tirée par un unique cheval, elle met fin à la corvée du fauchage manuel des champs et se répand très rapidement dans les fermes.
 En 1875, apparaissent aux États-Unis les premiers tracteurs à moteur à explosion. Mais, chers, complexes et peu pratiques, ces monstres d'acier peinent à prendre la place des premières locomobiles. Les faucheuses (1822), batteuses (1818) et faneuses (1816) rencontrent plus de succès. Elles permettent aux campagnes d'accéder à l'autosuffisance alimentaire tout en les affranchissant de la pénurie de main-d'oeuvre, attirée en ville par la révolution industrielle.
Après la création en 1881 du ministère de l'Agriculture, les travailleurs de la terre trouve une nouvelle aide précieuse dans l'apparition des syndicats agricoles, en 1884, qui les soutiennent pour les achats en commun. L'État reprendra l'initiative après 1918 pour relever le monde agricole, saigné par la Grande Guerre, en facilitant le remembrement tout en multipliant la production de tracteurs.
 En 1939, la moissonneuse-batteuse fait son apparition mais, comme l'ensemble du matériel agricole moderne, il lui faudra attendre les «Trente Glorieuses» de la seconde moitié du XXe siècle pour s'imposer. 
Après la Seconde guerre mondiale, en effet, «L'agriculture française sera moderne ou ne sera pas», pour reprendre l'expression de l'agronome René Dumont.
La mécanisation devient une des priorités du plan Monnet qui ambitionne de doter les campagnes de 200 000 tracteurs et d'y répandre l'utilisation des engrais. Les forgerons et inventeurs d'antan laissent alors la place aux groupes internationaux qui approvisionnent les nouvelles coopératives, soutenues par les banques.
Les tracteurs se font alors plus petits pour permettre à un homme seul de les utiliser tandis que des engins géants mettent en valeur les plus grandes propriétés. La mécanisation s'impose aujourd'hui dans la plupart des activités agricoles, en Europe et dans les pays émergents.
Pour répondre au principe de «toujours plus, plus vite», l'informatique et les hautes technologies sont entrées dans les fermes transformées en petites entreprises : services de météorologie, logiciels de déclarations et cadastres sont désormais accessibles en un clic.
Les rendements à l'hectare explosent mais c'est trop souvent au prix d'une dégradation des sols et de la biodiversité ainsi que d'une consommation massive de ressources fossiles (hydrocarbures). Les conditions de vie des derniers paysans s'améliorent et se rapprochent de celles des citadins mais parfois au prix de leur asservissement au secteur agro-industriel et à la grande distribution.

Sources bibliographiques

- «L'Homme et la machine» (Les Cahiers Science et vie, n°132, octobre 2012).
- Jacques Heers, Le travail au Moyen Âge, (Que sais-je? PUF, 1965).
- Marie-Claire Amouretti et Georges Comet, Hommes et techniques de l'Antiquité à la Renaissance, éd. Armand Colin, 1993.
- Georges Duby, L'Économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval, Flammarion,  1962.
- Jacquetta Hawkes, Atlas culturel de la préhistoire et de l'antiquité, Elsevier, 1978.
- Rosine Lagier, Il y a un siècle... la France paysanne, Ouest-France, 2003.
- Christophe Lefébure et Alain Baraton, Les Outils et travaux de la ferme, Flammarion («La Maison rustique»), 2006.