mercredi 29 août 2012

Vérités sur 1914-1918

Après la mort des derniers combattants de la Grande Guerre, l'historiographie entre dans une nouvelle phase qui, renonçant à désacraliser un "mythe" patriotique, concilie respect dû à l'héroïsme et vérité.
Le titre de l'essai du lieutenant-colonel Rémy Porte, Chronologie commentée de la Première Guerre mondiale, est réducteur, comme le souligne son préfacier, André Martel, dans un avant-propos remarquable. Car enfin, une chronologie, par définition, n'est pas ouvrage dont on fait un livre de chevet et que l'on prend plaisir à lire, sinon par nécessité. Or, Rémy Porte, emporté par son sujet, n'a pu s'en tenir à une stricte énumération de dates et de faits décharnés et c'est une chronique, voire des annales, de juin 1914 à 1919, qu'il propose ici avec assez de détails et de plume pour en faire une lecture suivie.
Un panorama saisissant
Véritable précis, son ouvrage, fruit d'un travail dont l'immensité et le sérieux sont évidents, ne se borne pas à traiter des questions militaires mais englobe les aspects politiques et sociaux du conflit, s'arrête à la mort de Péguy, Alain Fournier, Apollinaire, insignifiantes comparées à l'immense tuerie en cours et si lourdes de conséquences s'agissant du rayonnement de la France, s'intéresse à la presse, aux empires coloniaux, entraîne le lecteur d'un front à l'autre, de l'état-major allemand au russe, de l'italien au britannique, de sorte que s'étend devant lui un panorama saisissant et que l'outil de travail, indispensable, devient livre d'histoire à part entière.
Cette vue d'ensemble, et le recul, permettent de comprendre combien cette guerre demeurait évitable  et à quel point son déclenchement reposa sur une erreur de jugement de l'ensemble des belligérants qui n'en anticipèrent pas l'ampleur, la violence, le coût, l'horreur, les conséquences. Peut-être eussent-ils, sinon, réfléchi avant de déchaîner un cataclysme dont ils perdirent presque aussitôt le contrôle... Vers la guerre totale, le tournant de 1914-1915, publié sous la direction de John Horne, réunissant des spécialistes français, britanniques, allemands, américains, belges, permet de disséquer le phénomène.
Dans l'hypothèse d'un conflit franco-allemand sous-jacent depuis 1871, l'Europe s'était préparée à une guerre "moderne", comparable aux récents affrontements de Mandchourie ou des Balkans et s'attendait à une déflagration brutale, mais classique, circonscrite et surtout brève, en quoi l'optimisme des mobilisés, de part et d'autre du Rhin, s'appuyait sur des analyses sérieuses... Or rien ne se passa comme prévu parce que personne n'avait mesuré, à très grande échelle, ce que signifiait la mise en oeuvre d'une guerre "moderne", autrement dit industrielle. L'effroyable déferlement des "orages d'acier", inédit, les pertes, invraisemblables au point que ni la Somme, ni Verdun, ni le Chemin des Dames, de sinistre mémoire, n'égaleront l'hécatombe des premiers mois, firent, en quelques jours, basculer les hommes dans un monde nouveau, terrifiant, impitoyable, en rupture totale et définitive avec une conception chevaleresque et traditionnelle du combat. Tous les repaires intellectuels, moraux, voire religieux, furent bousculés, parfois emportés dans ce maelström. La haine s'en mêla, jusqu'à ne laisser subsister que la volonté de gagner à tout prix par n'importe quel moyen. La "guerre totale" n'a pas uniquement une dimension géographique, elle a d'abord une dimension morale ou plutôt d'absence de morale.
Cruauté inédite
Anne Duménil met ainsi en évidence la stupeur des Allemands, privés de la guerre de mouvement qu'ils attendaient, se heurtant à une résistance française imprévue, qui se solda par un débordement de cruautés, les fameuses "atrocités teutonnes", plus fondées qu'il n'a été de bon ton de le dire. De leur côté, les Français ne firent pas toujours mieux et l'on comprend que le témoignage de Genevoix, qui fit scandale parce qu'il avouait avoir abattu un Allemand dans le dos, ne constituait pas une exception. Blessés, prisonniers, quand on en faisait encore, populations civiles furent victimes de cette cruauté nouvelle sur le front, tandis qu'à l'arrière, tombait un tabou avec le recours aux armes chimiques. Dans ce contexte, le génocide arménien est emblématique de l'entrée de l'humanité dans un XXe siècle parvenu d'emblée au paroxysme de l'inhumanité...
Dessin beau et brutal
Cette dimension, Stéphane Antoni et Olivier Ormière l'ont remarquablement saisie et rendue dans Gallipoli, premier volume d'une bande dessinée, Le temps du rêve, consacrée aux Anzacs, contingent australien et néo-zélandais engagé sur le front oriental, à travers le destin douloureux d'un volontaire aborigène déjà victime de la politique d'éradication de son peuple. Face à ce garçon qui cherche refuge dans les traditions ancestrales, un officier, parfait produit de Standhurst, conscient que la guerre est en train de détruire son âme, mais persuadé que l'enjeu mérite ce sacrifice... Peu de textes mais un dessin beau et brutal qui rend la réalité du combat sans concessions artistiques.
Maurice Genevoix, réformé après avoir été grièvement blessé aux Éparges en avril 1915, s'était, presque aussitôt, livré à une catharsis littéraire en publiant les cinq volumes de Ceux de 14, souvent considérés comme le témoignage le plus valable sur la réalité des premiers mois de guerre. OEuvre de jeunesse, elle lui laissait, un demi-siècle après, un sentiment d'inachevé qui l'obligea à revenir sur le sujet, rétréci à un seul thème : la confrontation du lieutenant de vingt-quatre ans qu'il était alors à la probabilité de sa mort. Le vieil académicien comblé d'honneurs y trouva du réconfort. Il me semble, pour ma part, que La Mort de près, mince volume magnifiquement écrit, possède une force d'émotion et une violence qui se diluaient dans l'ampleur des premiers souvenirs. Ces quelques chapitres, plus travaillés, plus construits, aux bouleversants accents de chant funèbre pour une génération massacrée, culminant, paradoxe habituel chez ce chantre de la vie animale, non dans l'agonie d'un homme, qui garde tout son sens, mais dans celle d'un cheval incapable de comprendre la raison de sa souffrance, font toucher le fond de l'abîme et de l'absurde, mais pour les éclairer : chef d'oeuvre n'est pas un mot trop fort.
L'originalité de Verdun 1916 de Malcolm Brown, journaliste à la BBC, est de poser un regard neutre, les Anglais n'ayant pas été engagés, sur la bataille la plus terrifiante de l'histoire militaire. Or, même sans dimension sentimentale, car il est peu de Français ou d'Allemands dont les grands-pères n'aient combattu à Verdun et qui n'en demeurent marqués, sa glorieuse abomination garde sa sombre fascination devant le mortel héroïsme déployé pour une place qui, aberration absolue, avait été démilitarisée, ou peu s'en fallait, depuis des mois et n'aurait pas dû constituer un objectif stratégique. En faisant de la prise de Douaumont, qui n'était pas défendu, une victoire majeure, Falkenhayn mit les Français dans l'obligation d'avouer leur erreur, ou de reprendre à tout prix ce symbole de la défense nationale. Certes, Brown, qui cite Genevoix parmi les combattants de Verdun, n'est pas toujours d'un sérieux irréprochable, mais son livre est intéressant, vivant, et équitable, chose rare, envers le maréchal Pétain.
Traumatismes
Comment s'étonner que, dans cet enfer, des hommes aient craqué ? Longtemps, il fut impossible d'aborder la question des traumatismes psychologiques, états de choc engendrés par une forme de combat à laquelle même des professionnels de la guerre n'étaient pas préparés. Pourquoi une minorité a-t-elle flanché ? Simulateurs, lâches, faibles, déshonorant leur patrie ? Ce diagnostic a été longtemps le seul posé par les médecins et psychiatres militaires, toutes nationalités confondues. On sait aujourd'hui qu'ils se trompaient et que de grands blessés sans blessures apparentes firent les frais de cette erreur. Jean-Yves Le Naour a eu raison de s'intéresser à ces Soldats de la honte. Cependant, au-delà de l'aspect antimilitariste de l'ouvrage, lassant, c'est l'absence de dimension humaine qui nuit au travail. Les querelles de médicastres et parlementaires, qui occupent l'essentiel du livre, d'un terrible ennui, occultent le sort d'hommes dont la souffrance, le malheur méritaient enfin meilleur hommage. Il faut le chercher dans l'ambitieux album en bandes dessinées de Jean-David Morvan, Yann Le Gal et Hubert Bieser, Vies tranchées, évoquant les destinées de quatorze soldats "fous" internés près de Paris. Certains, alcooliques, imbéciles ou malades mentaux avant guerre, n'auraient jamais dû être enrôlés ; d'autres ont incontestablement perdu la raison confrontés à un univers devenu dément. On ne leur a pas témoigné la compassion qu'ils méritaient. Les jeunes dessinateurs qui racontent leurs histoires, dans des planches hallucinées et hallucinantes, remplissent ce devoir de mémoire.
Anne Bernet L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 17 au 30 novembre 2011
✓ Rémy Porte, Chronologie commentée de la Première Guerre mondiale, Perrin, 650 p., 26 € ; sous la direction de John Horne, Vers la guerre totale, Tallandier, 350 p., 21,50 € ; Antoni et Ormière, Le Temps du rêve, tome I, Gallipoli, Delcourt, 48 p., 13,50 € ; Maurice Genevoix, La Mort de près, La Table ronde, 135 p., 7 s ; Malcolm Brown, Verdun 1916, Perrin Tempus, 265 p., 8,50 € ; Jean-Yves Le Naour, Les Soldats de la honte, Perrin, 270 p., 19 € ; Jean-David Morvan, Yann Le Gal, Hubert Bieser, Vies tranchées, Delcourt, 102 p., 19,90 €.

mardi 28 août 2012

In Memoriam : éxécution du Colonel Bastien-Thiry

Le 11 mars 1963 était fusillé au Fort d’Ivry le lieutenant-colonel Jean-Marie Bastien-Thiry, 36 ans et père de trois enfants.
Polytechnicien, il avait inventé deux missiles anti-chars.
Il avait organisé l’attentat manqué du Petit-Clamart, pour en finir avec De Gaulle qui avait trahi le peuple, livré l’Algérie française aux mains des égorgeurs et liquidé le camp nationaliste en France.
Fervent catholique, il justifiait cette action par la légitimité du tyrannicide (théorisée par Saint Thomas d’Aquin).
Il marcha vers le peloton chapelet à la main, laissant derrière lui une forte impression, et l’image d’un héros français et chrétien, qui avait porté jusqu’au bout l’idéal du sacrifice.

lundi 27 août 2012

François René de Chateaubriand et l’origine de l’amitié franco-russe

On n’aime pas relire les Classiques et on a tort. Relisez par exemple le début immortel de "Guerre et Paix" et vous verrez qu’il est (en partie) écrit en français. Je dirais même qu’il commence par ces lignes inspirées de Virgile : « On a décidé que Buonaparte a brûlé ses vaisseaux, et je crois que nous sommes en train de brûler les nôtres. » Le comte Tolstoï s’explique dans une français limpide, dont feraient bien de prendre exemple les romanciers contemporains. Il explique son parti-pris linguistique, qui détonne dans un roman si national :
« Le prince s’exprimait en français, ce français recherché dont nos grands-pères avaient l’habitude jusque dans leurs pensées, et sa voix avait ces inflexions mesurées et protectrices d’un homme de cour influent et vieilli dans ce milieu. »
Dans le chef d’oeuvre cinématographique de Bondartchuk, réalisé au milieu des années 60 et qui est un de plus beaux films oniriques et historiques du cinéma, on entend souvent - et sans sous-titres - les personnages si charmants et élégants de Tolstoï parler en français.
La langue commune de l’aristocratie et de la classe cultivée est bien la source de l’amitié franco-russe. Cette amitié s’est créée par la culture. Le grand acteur Sacha Guitry, qui fut aussi un immense cinéaste et un grand auteur de théâtre et de bons mots, avait pour parrain le tsar Alexandre III qui adorait voir son père sur la scène ! On sait aussi que les expressions et les mots en français abondent dans l’oeuvre de Dostoïevski, pour ne pas parler de celle de Nabokov, le seul génial romancier trilingue du XXe siècle, auteur de la meilleure prose anglaise aussi avec l’irlandais et latiniste Joyce.
Mais j’ai promis de parler de Chateaubriand (1768-1848) notre Pouchkine français, l’homme qui sauva la littérature français du néant laissé par les Lumières (sur la forme et le fond), et qui fut aussi ambassadeur et grand historien. Chateaubriand était un ami de la Russie comme le tsar Alexandre 1er fut un ami de la France, même celle de Napoléon, et rédigea une émouvante lettre au peuple de Paris (il y en avait encore un) avant d’occuper la ville. Il produit alors ce discours magique et généreux écrit dans un français d’exception :
« Les Français sont mes amis, et je veux leur prouver que je viens leur rendre le bien pour le mal. Napoléon est mon seul ennemi. Je promets ma protection spéciale à la ville de Paris ; je protégerai, je conserverai tous les établissements publics ; je n’y ferai séjourner que des troupes d’élite ; je conserverai votre garde nationale, qui est composée de l’élite de vos citoyens. C’est à vous d’assurer votre bonheur à venir ; il faut vous donner un gouvernement qui vous procure le repos et qui le procure à l’Europe. C’est à vous à émettre votre voeu : vous me trouverez toujours prêt à seconder vos efforts. »
Paris est donc occupée. Concernant l’occupation de Paris par les troupes russes en 1814, après l’abdication de Napoléon, voici ce qu’écrit Chateaubriand :
« Toutefois cette première invasion des alliés est demeurée sans exemple dans les annales du monde : l’ordre, la paix et la modération régnèrent partout ; les boutiques se rouvrirent ; des soldats russes de la garde, hauts de six pieds, étaient pilotés à travers les rues par de petits polissons français qui se moquaient d’eux, comme des pantins et des masques du carnaval. Les vaincus pouvaient être pris pour les vainqueurs ; ceux-ci, tremblant de leurs succès, avaient l’air d’en demander excuse. »
("Mémoires d’Outre-tombe", tome II, livre XXII, chapitre XIII)
C’est tout de même autre chose que le tourisme contemporain !
Chateaubriand devient un excellent ministre des Affaires étrangères de Charles X après la guerre ; puis il entre dans l’opposition et demeure le témoin lucide de son temps, après la prise du pouvoir de Louis-Philippe qui annonce la décadence française (de nombreux témoins concordent) et la politique anglophile et erratique de Napoléon III.
C’est là, dans une lettre très riche qu’il joint à ses "Mémoires" (tome III, livre XXIX, chapitre XIII), qu’il commence à soutenir l’idée d’une alliance franco-russe contre les intérêts de l’Autriche et de l’Angleterre. A cette époque le tsar est bien sûr Nicolas, qui veut reprendre Constantinople et défendre (comme toujours !) les chrétiens d’Orient. Chateaubriand souligne déjà l’hypocrisie antirusse et la trahison occidentale en faveur de l’islam :
« Une attaque de l’Autriche et de l’Angleterre contre la Croix en faveur du Croissant augmenterait en Russie la popularité d’une guerre déjà nationale et religieuse. »
Sur l’Angleterre, alors qu’il a été réfugié (pendant la Terreur) puis ambassadeur en Angleterre, Chateaubriand remarque ce qui suit :
« L’Angleterre, d’ailleurs, a toujours fait bon marché des rois et de la liberté des peuples ; elle est toujours prête à sacrifier sans remords monarchie ou république à ses intérêts particuliers. Naguère encore, elle proclamait l’indépendance des colonies espagnoles, en même temps qu’elle refusait de reconnaître celle de la Grèce... L’Angleterre est vouée tour à tour au despotisme ou à la démocratie selon le vent qui amenait dans ses ports les vaisseaux des marchands de la cité. »
Alors Chateaubriand se prend à rêver de l’Alliance franco-russe qui sera réalisée au début des années 1890 entre le cabinet français et le tsar Alexandre III, le parrain de Sacha Guitry. Il en trouve tout de suite les causes si naturelles et culturelles, à la fois donc littéraires, historiques et géographiques :
« Il y a sympathie entre la Russie et la France ; la dernière a presque civilisé la première dans les classes élevées de la société ; elle lui a donné sa langue et ses moeurs. Placées aux deux extrémités de l’Europe, la France et la Russie ne se touchent point par leurs frontières, elles n’ont point de champ de bataille où elles puissent se rencontrer ; elles n’ont aucune rivalité de commerce, et les ennemis naturels de la Russie (les Anglais et les Autrichiens) sont aussi les ennemis naturels de la France. »
Il voit tout de suite que la France et la Russie peuvent contrôler l’Europe, comme Napoléon l’avait compris à Tilsitt en 1807, lorsqu’il rêvait d’un « partage du monde » franco-russe :
« En temps de paix, que le cabinet des Tuileries reste l’allié du cabinet de Saint-Pétersbourg, et rien ne peut bouger en Europe. En temps de guerre, l’union des deux cabinets dictera des lois au monde. »
Enfin Chateaubriand propose à la diplomatie française, qui bien sûr ne le fera pas, de soutenir la Russie dans l’affaire orientale et de s’adresser ainsi au tsar :
« Nous pouvons tenir ce langage à Nicolas : Vos ennemis nous sollicitent ; nous préférons la paix à la guerre, nous désirons garder la neutralité. Mais enfin si vous ne pouvez vider vos différends avec la Porte (Istanbul) que par les armes, si vous voulez aller à Constantinople, entrez avec les puissances chrétiennes dans un partage équitable de la Turquie européenne. »
Cela pourrait sembler dépassé. Mais l’OTAN ne s’est-il pas partagé récemment les dépouilles de la Serbie et de la Yougoslavie, et ne veut-on pas partager aujourd’hui les dépouilles de la Syrie entre les Turcs, les commandos d’Al Qaeda et les seigneurs des hydrocarbures ? On peut voir en tout cas que les luttes géopolitiques ne bougent pas avec les siècles.
Pour en finir avec Chateaubriand, nous ne pouvons que souhaiter que l’Alliance franco-russe revienne au goût du jour et que la culture française redevienne la culture de l’élite russe, au lieu de la londonienne. Il est vrai que de son côté la France doit redevenir digne de Chateaubriand et du Général de Gaulle.

JEAN SÉVILLIA Un historien incorrect

Historien, rédacteur en chef adjoint du Figaro Magazine, Jean Sévillia publie un ouvrage érudit, argumenté et très accessible contre les falsifications de l'Histoire depuis le rôle de l'immigration dans la construction de la France jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale en passant par les relations entre l'Église et la science.
o L'Action Française 2000 – Depuis Le Terrorisme intellectuel (Perrin, 2000), vous poursuivez une oeuvre de démystification du politiquement, de l'historiquement et du moralement correct. Comment expliquez-vous leur emprise sur notre société ?
o Jean Sévillia – La manipulation des esprits par l'idéologie officielle ne date pas d'aujourd'hui. L'école de Jules Ferry, derrière sa neutralité apparente, développait un projet éminemment politique : former des citoyens républicains échappant à l'influence de l'Église. Mais le politiquement correct a pris tant d'importance, aujourd'hui, parce qu'il se situe à un carrefour. Évolution de l'idéologie dominante en premier lieu. Les années d'après-guerre ont été dominées, dans le milieu intellectuel, par le communisme version soviétique. Après le choc de 1956 – le rapport Khrouchtchev, la révolte de Budapest écrasée dans le sang –, de nombreux intellectuels rompent avec le PC tout en restant marxistes. Le tiers monde, dans les années 1960, sert d'exutoire à leur espoir : c'est de Chine ou de Cuba que viendra la révolution.
Suit Mai 68, qui est, en dépit des apparences, une révolte individualiste contre les deux puissances de l'époque : l'État gaulliste et le Parti communiste. Les idées de Mai touchent toute la société. À droite, le giscardisme en sera l'héritier, avec ses réformes sociétales directement issues de 68. À gauche, le PC entame son déclin, qui mettra quinze ans à s'accomplir. À la patrie, paradigme gaulliste, la droite préfère le libéralisme. À la révolution, paradigme marxiste, la gauche préfère désormais les droits de l'homme, la liberté de l'individu. À la fin des années 1980, quand le système soviétique s'effondre, la gauche est déjà ralliée aux lois du marché, et la droite a adopté la révolution des moeurs venue de la gauche.
D'où une convergence entre droite et gauche, dans les années 1990, qu'on a appelée le libéralisme libertaire, nourrissant une vision commune de l'homme et de la société. La planète est un marché, le monde est une sphère de libre-échange humain, matériel, financier et culturel, où les frontières doivent tomber parce que les concepts de nation ou de civilisation sont caducs. Toutes les cultures se valent, l'individu est libre de choisir ses idées et ses valeurs, débarrassé des références dogmatiques et religieuses. Tel est le fond de sauce du politiquement correct qui peut accommoder tous les plats, mais avec des variantes et des nuances dans le dosage selon le lieu et le moment.
L'emprise de ces idées sur la société s'explique par le fait qu'elles rencontrent une sorte de consensus chez les élites médiatiques et culturelles qui les assènent au nom du magistère moral qu'elles croient détenir. Les élites politiques partagent cette idéologie dans leur majorité ; si ce n'est pas le cas, leur outillage intellectuel, doctrinal, moral et spirituel est si faible, dans l'ensemble, qu'elles ne voient rien à y opposer et qu'elles cèdent devant, par ignorance ou par lâcheté.
Une torsion du réel
o Par quels processus intellectuels la très anglo-saxonne correctness se manifeste-t-elle ?
o Le politiquement correct est une torsion du réel, une manipulation des faits, pratiquée dans le but de faire concorder l'idéologie dominante et l'apparence de la réalité. Dans le cas de l'Histoire, qui est l'objet d'étude de mon livre Historiquement incorrect après l'avoir été d'Historiquement correct, le politiquement correct ne cherche pas à approcher le passé, à l'expliquer, mais à lui faire dire quelque chose pour aujourd'hui. L'historiquement correct, au fond, est l'expression d'un message destiné à nos contemporains : ce n'est pas une démarche scientifique de compréhension du passé, c'est une démarche idéologique d'instrumentalisation du passé. Concrètement, sur le plan de la méthode, le phénomène se traduit par trois procédés majeurs. En premier lieu l'anachronisme : on juge le passé en lui appliquant les critères politiques, moraux, mentaux et culturels d'aujourd'hui. En deuxième lieu le manichéisme : l'histoire est ainsi interprétée comme la lutte du bien et du mal, mais un bien et un mal qui sont définis selon les normes actuellement dominantes. En troisième lieu l'esprit réducteur : alors que l'histoire est toujours le lieu de la complexité, où les causes et conséquences s'enchevêtrent dans un écheveau qu'il faut démêler avec prudence et sans a priori, le politiquement correct gomme cette complexité au profit d'une lecture monocausale des événements, toujours conduite selon le fil rouge de deux ou trois idées extraites du corpus idéologique contemporain, comme l'intolérance ou le racisme, qui finissent par occuper tout l'espace, faussant à l'évidence l'interprétation de la réalité.
o Pourquoi le christianisme et, singulièrement, le catholicisme font-ils directement ou indirectement l'objet des principales attaques des nouveaux cagots ?
o Plusieurs strates idéologiques se superposent ici. Un fond d'antichristianisme qui est latent ou explicite, dans les milieux intellectuels occidentaux, depuis le XVIIIe siècle et la Révolution française. Un fond d'anticléricalisme à l'ancienne qui persiste, singulièrement en France, en dépit de ce qu'on a pu nommer le compromis laïque qui a été conclu entre l'Église et la société civile, après le choc de 1905, dans l'entre-deux guerres et surtout après 1945. Bouffer du curé, à gauche, est un réflexe conditionné que n'ont pas effacé les années où les chrétiens progressistes ou même marxistes avaient le vent en poupe. Cet anticléricalisme s'est réveillé sous Jean-Paul II, et se poursuit sous Benoît XVI, mais sur d'autres bases. Alors que l'assiette chrétienne ne fait que se réduire en Europe occidentale et en France en particulier, du fait de la déchristianisation et de la sécularisation de notre société, et alors que nous traversons une époque de relativisme total, l'Église reste la seule institution qui défend l'idée selon laquelle il existe une objectivité du bien et du mal. Par ailleurs, alors que nous sommes dans un univers de dérégulation, l'Église dispense également un enseignement social qui rappelle que l'argent est un moyen et non une fin, et que le bien commun ne peut naître du seul respect des lois du marché.
Anticléricalisme
Ainsi donc, en ce début du XXIe siècle, un nouvel anti-christianisme ou un nouvel anticléricalisme se lève parce que le catholicisme constitue un obstacle au libéralisme libertaire, idéologie dominante du moment. Il est donc logique qu'il devienne la cible du politiquement correct. Il faut être conscient que cela ne va pas s'arrêter, d'autant moins que le catholicisme – ce n'est pas contradictoire avec ce que je viens d'énoncer quant à son recul sociologique – est en même temps reparti de l'avant, avec de nouvelles générations qui n'ont pas les mêmes réflexes que leurs aînées, et qui n'ont pas peur de s'affirmer catholiques.
o Les questions religieuses sont d'une manière ou d'une autre présentes dans chacun des dix chapitres qui composent votre ouvrage. Leur accordez-vous une valeur décisive, et pourquoi ?
o Je leur accorde en effet une valeur décisive. Je pense que la crise de notre société est en profondeur une crise spirituelle, ou du moins une crise du vide spirituel. Sans faire d'angélisme et sans considérer que les questions financières et monétaires sont secondaires, il est quand même frappant de constater à quel point la spirale dans laquelle nous sommes engagés depuis quelques années, notamment depuis 2008, révèle la place occupée par l'argent dans l'esprit contemporain. Je ne dis pas que si le scénario le pire se produit, une crise systémique entraînant l'effondrement de notre économie, ce sera sans importance. Aujourd'hui, toutefois, tout se passe comme si perdre de l'argent, c'était tout perdre. En creux, cela révèle tout ce à quoi nos contemporains ne croient plus.
Retour du religieux
Ce vide, cependant, n'est pas naturel, car l'homme est naturellement un être religieux. Les divinités du temps sont l'argent et le sexe, mais cela ne pourra pas durer, tout simplement pour des raisons anthropologiques. Les reconstructions de demain, a contrario, s'opéreront dans un contexte où le religieux comptera. Ne fût-ce qu'à cause de la place grandissante de l'islam dont l'espace européen. Être chrétien, ce n'est pas une identité : c'est une grâce personnelle conférée par le baptême et fécondée par la foi. Mais les civilisations et les nations, réalités collectives, possèdent une identité. Or historiquement, la civilisation occidentale et la nation française sont liées au christianisme.
o Quelles réformes – morales, politiques, spirituelles – vous sembleraient impératives pour stopper la propagation de... la propagande ?
o Défions-nous de l'illusion selon laquelle un coup de baguette magique résoudra la question. Vous le dites vous-même : le problème se situe à la charnière du politique, du moral et du spirituel. Dans cette mesure, il s'agit d'un combat de longue haleine, dont on ne voit pas forcément l'issue à vue humaine. Ce n'est pas une raison pour se décourager, moins encore pour capituler. D'autant que des victoires peuvent être remportées. Songez combien la vérité sur les guerres de Vendée, occultée depuis l'origine, a avancé en vingt-cinq ans, grâce aux travaux de Reynald Secher et d'autres historiens comme Alain Gérard. Considérez comme la vérité sur Katyn a fini par s'imposer, même s'il faut lutter pour la faire connaître. Il n'existe donc pas de fatalité. Pour mener le combat contre le politiquement correct, il faut de la détermination, du courage, de la volonté, mais aussi de l'intelligence, de la patience et du travail. Beaucoup de travail.
Propos recueillis par Louis Montarnal L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 décembre 2011
 ✓Jean Sévillia, Historiquement incorrect, éditions Fayard, 360 pages, 20 euros.

1er septembre 338 avant JC Athènes perd la liberté à Chéronée

Le 1er septembre de l'an 338 avant JC, Athènes et Thèbes se heurtent à l'armée macédonienne. La bataille a lieu à Chéronée, au nord de la Grèce, en Béotie, non loin du célèbre défilé des Thermopyles.
C'en est fini à tout jamais de l'indépendance des cités grecques et de la plus prestigieuse d'entre elles, Athènes.
Jean-François Zilberman

Démosthène contre Philippe
Un siècle plus tôt, Athènes dominait le monde grec sous le gouvernement du grand Périclès. Ses penseurs et ses artistes créaient des oeuvres vouées à l'immortalité. Mais les guerres intestines ont affaibli les cités et le petit royaume semi-barbare de Macédoine en a profité pour se renforcer sous la poigne énergique du roi Philippe II
À Athènes, Démosthène s'évertue à ouvrir les yeux de ses concitoyens sur le danger macédonien. Souffrant de bégaiement dans sa jeunesse, il a réussi à le surmonter à force de volonté et d'énergie et est devenu l'orateur le plus célèbre de la Grèce antique, consacrant toute sa vie à la lutte contre Philippe II et Alexandre le Grand.
Ses harangues dénommées Philippiques et Olynthiennes (du nom d'Olynthe, une cité portuaire conquise par Philippe II), restent de remarquables témoignages de l'art oratoire. Mais elles ne suffisent pas à arrêter les phalanges macédoniennes. La langue française conserve leur souvenir sous la forme d'un nom commun, philippique, qui désigne encore aujourd'hui une harangue violente.
Fin de l'indépendance grecque
À Chéronée, le roi Philippe II de Macédoine et son fils Alexandre remportent une victoire complète grâce à leur infanterie, organisée en redoutables phalanges, et à leur cavalerie, que commande Alexandre, à peine âgé de 18 ans.
Le jeune prince emporte la décision en taillant en pièces le bataillon des Thébains. Son père, lui-même remarquable homme d'État et conquérant, lui aurait lancé, admiratif : «Mon fils, cherche-toi un autre royaume car celui que je te laisse est trop petit pour toi ! »
Désormais, Athènes doit se soumettre comme le reste de la Grèce à un roi à demi-barbare (ou considéré comme tel).
Après la défaite de Chéronée et l'échec d'un ultime soulèvement, Athènes entre dans l'alliance macédonienne et participe avec Alexandre le Grand à la conquête de l'empire perse.
Démosthène se suicide par le poison quinze ans plus tard, à 62 ans, après avoir tenté de soulever une nouvelle fois sa cité contre Antipater, le général macédonien qui a succédé à Alexandre à la tête de la Grèce.
Réconciliation sur le dos des Perses
Ayant soumis la Grèce, Philippe II prend le titre d'hégémon (guide ou protecteur des Grecs). Il s'apprête à se retourner contre les Perses de la dynastie achéménide, ceux-là même qui attaquèrent la Grèce deux siècles plus tôt, à l'époque des guerres dites médiques.
Cette expédition est destinée à libérer les cités grecques d'Asie, que les Perses ont à nouveau occupées, ainsi qu'à rapprocher Grecs et Macédoniens en vue de mettre fin à leurs querelles fratricides.
Mais Philippe II est assassiné en 336 avant JC par l'un de ses hommes, qui craint à juste titre la perspective d'une guerre dans la lointaine et mystérieuse Asie. C'est donc son fils Alexandre III (20 ans) qui reprend à son compte ce projet.
Avant de partir à la conquête de l'Asie, le nouveau roi de Macédoine Alexandre III établit la sécurité sur les frontières nord du royaume, en Illyrie et le long du Danube.
Les cités grecques veulent en profiter pour s'émanciper mais Alexandre réagit avec célérité. Il détruit Thèbes au son des flûtes... À l'exception de la maison du poète Pindare et des temples. Par contre, il respecte Athènes, par amour de son passé prestigieux et par souci de se rallier ses élites.
La route de la gloire
Le nouveau généralissime des Grecs prépare avec soin l'expédition d'Asie. Fort d'une autorité charismatique sur ses hommes et entouré d'excellents généraux (Parménion, Séleucos, Ptolémée, Antigone...), il veille aussi à bien organiser ses lignes de ravitaillement et ses liaisons avec l'arrière.
Il franchit le détroit du Bosphore avec environ 40.000 soldats macédoniens et grecs, dont 5.000 cavaliers qui lui seront très utiles au plus fort des combats, et se lance aussitôt à la poursuite de Darius III, le roi des Perses.
Au départ, il ne s'agit dans son esprit que d'une expédition punitive contre les Perses mais au fil des combats, elle va déboucher sur la plus fabuleuse épopée de tous les temps. -

samedi 25 août 2012

L'EXEMPLE DU HÉROS

Dans la quatorzième livraison de la revue bimensuelle des Diipetes (Athènes, Grèce), un article de Thomas Mastakouri puise inspiration dans la figure du Héros de nos sociétés européennes antiques. Les idées développées par l'auteur, tout en étant discutables de par un certain romantisme de la révolte, ont cependant le mérite de nous interpeler et nous invitent à une réflexion critique sur ce que peut vouloir encore dire héroïcité. Ce que nous avons à réaliser est aussi d'une certaine façon ce que nous avons à transmettre, c'est bien là la seule source de grandeur et c'est pourquoi Boileau rappelait à juste titre qu'« on peut être héros sans ravager la terre ».
Nous vivons à une époque de grande aliénation morale et il va de soi que de puissants intérêts économiques nous dirigent. Pour que ceux-ci puissent continuer à croître, ils n'ont besoin que d'une chose : transformer la masse des individus en troupeau, le citoyen devenant une unité docile, ne réagissant qu'en fonction de la volonté et des avantages des bergers. L'avilissement, la destruction de la personnalité sont à l'ordre du jour et la passivité a gagné la plupart des hommes. Qu'en est-il des réactions éventuelles ? Qu'entend-t-on le plus souvent ? “Laisse tomber”, “c'est un mauvais moment à passer”, “c'est nous qui allons sau­ver le monde ?”, “il y a pire”, “on est bien comme ça”, etc... Et ceux qui tentent de réagir ? Des mots creux, quelques insultes de­vant l'image du politicien qui apparaît sur le petit écran en attendant le jeu télévisé habituel avec ses cadeaux et ses starlettes.
La voie suivie aujourd'hui par l'humanité est celle du martyr ; celui qui baisse la tête, parce qu'il a été ainsi éduqué par sa reli­gion, ses gouvernants, son école, et ses parents. Mais est-ce que cela a toujours été ainsi et plus particulièrement dans nos contrées ? Celui qui a quelques connaissances historiques et un peu d'esprit critique connaît la réponse. La civilisation qui, à une époque, a régné sur cette terre hellène ne se fondait pas sur l'exemple du martyr et de l'esclave mais sur celle du Héros qui, comme une flamme, se cache dans chacun d'entre nous et ne se transforme que rarement de nos jours en feu pour réchauf­fer, éclairer, brûler et se consumer.
L'hellénisme et la civilisation européenne en général ne se sont pas fondés sur la notion de masse comme d'autres civilisa­tions antiques pour bâtir le monde contemporain mais au contraire sur celle de la personne.
Le culte du héros dans la cité hellène
Nos ancêtres adoraient les Héros comme des Dieux. Pour eux, il n'y avait pas de gouffre entre l'Homme et le Dieu et chaque Cité hellène honorait certains de ses morts comme des Déités. Ainsi, Athènes honorait Thésée et Cecrops, Sparte Castor et Pollux, les frères jumeaux d'Hélène et Clytemnestre, Thèbes Kadmos, la Théssalie Jason, l'Étolie Méléagre, la Crête Minos, Corinthe Belléphoron. Les Héros, mythiques ou historiques représentaient des exemples moraux et chaque Cité-État avait les siens exactement comme les saints patrons par la suite. Les Héros se réveillaient de leur profond sommeil et apparaissaient dans des circonstances de crise pour sauver leur cité chérie d'un danger qui les menaçait. Ainsi, Thésée apparut aux Athéniens avant la bataille de Marathon et la légende dit que les Galates furent mis en déroute à Delphes par le fantôme de Néoptolème, le fils d'Achille. Cet article n'a pas pour but de dresser la liste de tous les Héros du passé mais de mettre en valeur les caractéristiques essentielles de leur comportement qui servait de modèle à nos aïeux et a profondément transformé et re­levé la civilisation hellène. Vivant, comme nous l'avons dit, à une époque de relachement et de dégénérescence des cons­ciences, la mise en relief de ces particularités pourra sûrement nous fournir des armes qui nous permettraient de lutter contre l'aliénation qui menace de toutes parts.
Ainsi, le premier caractère du Héros est son individualité absolue. Il n'est jamais intégré dans la masse et ne suit ni ses réac­tions ni ses désirs. Sa volonté est exclusivement la sienne et, s'il devait être influencé par une quelconque obligation morale, il le fait sciemment, conscient des limites qu'il s'impose. L'héroïsme ne peut se développer au sein d'une société despotique que celle-ci soit théocratique ou absolutiste.
L'héroïsme s'oppose aux acquis
En second lieu, le Héros aime le changement. Sans évolution, quelque chose dort en nous et ne se réveille que rarement. Bien qu'il contribue à l'instauration de l'ordre au sein d'une société chaotique, lui-même préfère le désordre et l'incertitude. L'héroisme tel un aiguillon s'oppose aux acquis, refuse le compromis, secoue les fondements pourris d'une collectivité. Tout est en perpé­tuel mouvement, disait le grand philosophe Héraclite, et toute société figée, sans Héros pour la sortir de son marasme est, à plus ou moins long terme, vouée à disparaître. C'est ce qui est arrivé aux anciens Égyptiens. Pendant des millénaires, ils ont bâti une civilisation dont les vestiges sont encore visibles aujourd'hui. Cependant, leur système despotique et théocratique étouffait toute individualité. Qui peut nous citer un grand Héros égyptien ? Quelqu'un — à l'exception des pharaons — qui, dans un éclat d'individualité ait fait évoluer l'Histoire ?... Qu'en est-il advenu de cette brillante civilisation ? Elle est enterrée sous les sables de l'Histoire, faute de Héros.
Les religions étrangères se sont abattues sur un empire romain décadent dont l'absolutisme démentiel s'était attelé à supprimer toute forme d'individualité et à niveler les membres de la société. Dès le début, le modèle du Héros fut remplacé par celui du martyr. Celui de l'individu qui se donne à une collectivité souveraine, un Dieu, un Gouvernement, un Empereur. L'exemple de celui qui vit et meurt sans se poser de questions, ne remet pas en cause les Dogmes qui lui sont imposés, croyant aveuglé­ment et se remettant à d'autres pour son salut, sa protection et sa sécurité.
Certains confondent à tort Héros et martyr. Comme nous l'avons déjà dit, le Héros se bat jusqu'à son dernier souffle, ne rend ja­mais les armes, ne subit pas passivement son destin. Son principal souci consiste à valoriser l'immortalité de son âme, à la perfectionner au fil des luttes afin de gagner sa place parmi les Dieux et ce, sans l'aide de personne.
Il n'ignore pas que le combat est inhérent à la nature humaine, qu'il ne peut y avoir de progrès sans les contraires. Il ne s'avoue jamais vaincu même s'il sait que tout est perdu d'avance. Il place sa dignité et son honneur au-dessus des problèmes quoti­diens. Ainsi, Achille était conscient de son destin funeste s'il devait venger la mort de Patrocle mais cela ne l'a pas empêché de le faire. Cucchulainn, le plus grand des Héros irlandais n'a pas hésité à prendre les armes alors même que son druide-ins­tructeur lui avait prédit qu'il allait connaître la gloire et la grandeur mais qu'il allait en mourir avant que ne lui pousse un seul cheveu blanc sur la tête. Lorsque le dragon Fafnir, agonisant, menace Siegfried de sa malédiction, ce dernier lui répondit que bien que chacun voulut garder ses trésors pour toujours, l'heure de la mort arrivait pour tous. Ils sont tous Héros, c'est-à-dire des Hommes capables de défier leur destin et mêmes les Dieux s'ils pensent avoir raison où si une obligation morale le leur com­mande.
Chaque instant est unique
Il vient en aide aux faibles et aux veillards mais ne supporte ni les fainéants, ni les profiteurs et les voleurs. Il les considère comme des “fardeaux de la terre”, un poids pour la Terre-Mère. Il sait être courageux face au danger et patient devant les difflcul­tés de la vie quotidienne sans pour autant rechercher l'affliction et l'adversité. Il sait profiter des joies de la vie là où il les trouve, en écoutant une chanson, après un baiser, devant un endroit idyllique ou l'hilarité d'un enfant par ce qu'il sait que chaque instant est unique et qu'il ne se reproduira peut-être jamais. De plus, il n'est pas stupide. Il sait utiliser son intelligence chaque fois qu'il en a besoin. Il représente la supériorité de l'Homme face à l'animal. Il sait rire avec ses propres malheurs, car le rire est comme le vent qui chasse les nuages de la misère et du défaitisme. Il essaie de résoudre seul ses problèmes tout en respectant la Nature qu'il considère comme vivante et sacrée.
Les lectrices seront sans doute lasses d'entendre parler exclusivement de Héros masculins. En effet, les traditions euro­péennes ne sont pas exemptes d'Héroïnes. Ainsi, la Béotienne Atalante tua les 2 centaures qui avaient tenté de la violer, participa à l'expédition des Argonautes et fut la première à toucher le sanglier de Calydon au cours d'une chasse. La reine Kathe initia Cuchulainn à l'art de la guerre. La reine des Iceni de Grande-Bretagne, Boudicca (Bodicée), “la victorieuse” condui­sit son armée contre l'envahisseur romain, mettant hors de combat de nombreuses légions. Tacite racontait que les femmes germaniques combattaient aux côtés de leurs hommes. Les Déesses étaient, dans l'antiquité, aussi nombreuses que les Dieux et étaient honorées et adorées avec la même ferveur. Cependant, le fait de tenir.une épée et de combattre comme un homme ne suffisait pas pour faire d'une femme une Héroïne. Antigone représente le modèle le plus significatif de l'Héroine qui ne renonça ni à son dévouement ni à sa grandeur d'âme pour lutter contre le pouvoir en place tout en sachant qu'elle allait connaître une fin atroce. Mais avec l'avènement d'un système patriarcal étranger à l'Europe, la femme allait bientôt être transformée en simple ob­jet sexuel et de procréation.
Et aujourd'hui qui pourrait être considéré comme Héros ? Citons quelques exemples : l'employé qui refuse de contribuer à s'enrichir sur le dos des autres tout en sachant qu'il risque de perdre son emploi, la mère qui élève seule son enfant et affronte avec fierté les ragots du voisinage, celui qui éteint sa télévision pour lire un livre ou écouter de la musique, la femme qui dé­cide d'entreprendre des études dans une école qui n'admettait auparavant que des hommes. L'héroïsme se reconnaît à des mil­liers de petites et grandes choses de la vie quotidienne.
Les modèles de références de nos ancêtres étaient leurs propres Dieux. Les Olympiens, les Dieux des Celtes et ceux des Scandinaves étaient eux-mêmes des Héros, c'est-à-dire des êtres qui luttaient contre leur propre destinée, se battant comme les Hommes, avec leurs défauts et leurs qualités, à la recherche de leur propre éveil.
De l'inégalité des dieux à l'égalité devant l'État
Les anciens Dieux n'étaient pas invincibles ni savants ni des modèles de bonté et cela les rapprochait des humains par rapport au Démiurge souverain, sans visage et inapprochable. Que cela n'en déplaise à certains, les anciens Dieux ne prodiguaient pas que des faveurs, ils ne considéraient pas tous les individus de la même façon. Ce n'est que grâce à son propre degré d'éveil que l'Homme pouvait atteindre l'Olympe, le Valhalla ou les Iles des Bienheureux. Les autres entamaient la descente dans le monde d'en bas dans l'attente de leur prochaine réincarnation et tenter à nouveau de se détacher de ce cycle infernal en accédant à la divination. Avec l'avènement de la nouvelle religion, le serviteur fut mis au même pied d'égalité que le maître et, pire encore, le Héros fut considéré comme un Homme ordinaire. Le régime totalitaire de l'ancienne et de la nouvelle Rome ne pouvait fonctionner autrement. Tous devaient être égaux sous la férule du Régime, de l'Empereur et de Dieu. Les conséquences ne se sont pas faites attendre. Chaque science ou philosophie contraires au dogmes ambiants étaient éradiquées. Toute re­cherche de la Beauté était considérée comme un tabou. Toute liberté de pensée et de choix fut condamnée. Ceux qui s'exprimaient différemment des normes établies étaient considérés comme hérétiques, jetés dans des geôles et brûlés vifs.
Les guerres des anciens fondées sur les mises en valeur individuelles et qui pouvaient être comparées à des scènes théâ­trales ont cédé la place aux guerres d'intérêts ou de religions, inconnues jusqu'alors et qui ont tant fait couler de sang sur notre vieux continent. Le Héros guerrier a cédé la place au combattant sans volonté, simple pion au service d'un stratège qui, autre­fois, dirigeait les combats sur le terrain, aujourd'hui, du fond d'une salle, entouré de spécialistes en guerres de tous genres, dé­cide des batailles en se fondant sur des chiffres, des statistiques et des comparaisons. Le citoyen inconscient a, depuis fort longtemps, perdu son identité à l'exception d'un pseudo-droit ou obligation de voter de temps en temps pour ceux qui le domi­nent, sans pour autant qu'il puisse réellement s'exprimer sur la manière dont il est gouverné. L'agriculteur, l'artisan, le philo­sophe se sont mués en unités de consommation, qui doivent acheter de plus en plus en suivant les prescriptions de la publi­cité et du marché, indifférents à la catastrophe écologique qui se produit autour d'eux.
L'amour, ce cadeau des Dieux, cette communion des corps et des esprits, tel un feu ardent, a été transformé en péché, déprava­tion alors qu'au même moment il est utilisé de la façon la plus vile qui soit pour placer toutes sortes de produits auprès de ré­cepteurs décérébrés jusqu'à leur dicter des modes de comportements. L'Homme sain qui était en contact permanent avec ses Dieux a, aujourd'hui, besoin d'intermédiaires, de “représentants de Dieu” sur Terre auto-proclamés, sous la menace permanente d'une damnation éternelle s'il lui venait à l'idée de douter ou de contester les dogmes en place. L'acception même de la notion de Héros a été déformée de la façon la plus ignoble qui soit, lorsqu'elle est utilisée de nos jours pour décrire des individus qui ne savent pas placer correctement trois mots mais se contentent simplement de planter quelques ballons dans des filets ou des paniers, vêtus comme des publicités ambulantes aux couleurs des généreux sponsors qui les financent. Les anciens Olympiens concouraient pour la gloire et un rameau d'olivier, les “héros” d'aujourd'hui pour la belle voiture que leur offrira le Président ainsi que les nouveaux et juteux contrats qui les attendent.
Un Homme sensé ne peut qu'être affligé devant une telle situation. La voie du martyr, de l'individu aveuglé et passif qui confie son destin entre les mains de tierces personnes a conduit la société au bord du précipice. Que peut faire celui qui veut résis­ter ? Qui a la volonté de réagir différemment du bétail ? La réponse est simple ; il doit avoir du courage et continuer à être lui-même. S'il rencontre des compagnons qui partagent des points de vue identiques, entrer en contact avec eux sans pour autant abandonner son individualité. Le Héros n'a point besoin de maître ou de gourou car personne ne pourra le sauver à part lui-même.
Aussi, si vous ne craignez pas de vous promener dans des endroits sombres et affirmer que vous êtes dans le vrai ; si vous croisez un enfant et que vous avez envie de jouer avec lui, de même que si vous rencontrez un vieillard et que vous voulez partager ses connaissances ; si pour vous l'amour est un cadeau irremplaçable et non quelque chose dont vous avez honte ; si chaque défi n'est pas pour vous ni trop difficile pour l'affronter ni trop facile pour l'ignorer ; si vous permettez à chacun d'exprimer son opinion sans pour autant vous faire influencer ; si vous voulez vider le verre de la vie jusqu'à la dernière goutte sans craindre les conséquences ; si vous vous sentez ainsi, alors vous êtes sûrement sur le chemin du Héros. Et ceux qui regardent des cieux la destinée des Hommes doivent sûrement êtres fiers de vous.
► Thomas MASTAKOURI, Nouvelles de Synergies Européennes n°30-31, 1997. (tr. fr. Nikiforos Periklis)

vendredi 24 août 2012

Enseignement de l’histoire : La fin du «roman national» ?

Jean Sevillia, journaliste et écrivain, analyse la réforme de l’enseignement de l’histoire et ses conséquences. Il s’inquiète en particulier d’une version de l’histoire imposée pars des «réseaux».
On doit cependant y voir également, multiculturalisme oblige, l’effet d’un changement de valeurs. […] Non seulement le roman national a été abandonné, mais il est en passe d’être stigmatisé parce qu’il manifesterait – horresco referens – une «passion identitaire».
L’absence de l’histoire en terminale scientifique est la manifestation la plus éclatante de la dégradation de cette matière dans le cursus scolaire. Mais le problème de l’histoire à l’école ne tient pas seulement au nombre d’heures de cours : l’orientation des programmes est en cause.
Les programmes? Ceux qui sont en vigueur ont été élaborés par les services de la Rue de Grenelle entre 2006 et 2008.
À l’école primaire, l’élève est censé étudier les grandes périodes historiques et la géographie française. Au collège, il doit ensuite parcourir l’histoire de l’Occident, de l’Antiquité au XXe siècle, avec chaque année une initiation aux mondes extérieurs: la Chine des Han ou l’Inde des Guptas en sixième, un empire africain (Mali, Ghana, Songhaï ou Monomotapa) en cinquième, la traite négrière en quatrième. Au lycée, le cursus prévoit la reprise du programme du collège, mais sous l’angle d’éclairages thématiques tels que «L’invention de la citoyenneté dans le monde antique» ou «Croissance économique et mondialisation».
Pour les lycéens, un découpage de ce type suppose que les acquis de l’école primaire et du collège aient été réellement assimilés. À ce titre, le programme actuel a été d’emblée contesté, nombre d’enseignants lui reprochant son caractère théorique, pour ne pas dire utopique. […]
Ainsi, en dépit du discours officiel qui prétend le contraire, la chronologie, condamnée il y a plus de trente ans au nom d’une approche thématique et transversale de l’histoire, n’est-elle toujours pas rentrée en grâce. N’importe quel assistant de faculté peut raconter d’édifiantes anecdotes à ce sujet, beaucoup d’étudiants de première année hésitant à situer les Mérovingiens par rapport aux Carolingiens ou peinant à aligner correctement la liste des régimes politiques français du XIXe siècle, du Premier Empire à la IIIe République. Et encore s’agit-il de jeunes attirés par l’histoire! […]
Les diatribes contre «l’histoire officielle» ont ceci d’hypocrite, cependant, qu’elles ignorent – ou feignent d’ignorer – qu’il a toujours existé une histoire officielle, en France, des origines du pays à nos jours. Soit de manière active, quand l’Etat diffusait consciemment une certaine vision du passé dans le but de légitimer son pouvoir, ce qui s’est vu sous la monarchie comme sous la République. Soit de manière passive, quand l’État laissait s’installer dans ses rouages des réseaux décidés à utiliser leur position institutionnelle pour imposer une certaine interprétation du passé, version devenue officielle à force d’être dominante. Or, c’est dans ce dernier cas de figure que nous nous trouvons.

jeudi 23 août 2012

1942-2012 : Le raid de Dieppe revisité 70 ans après (Opération "Jubilee")

Theatrum Belli était le 19 août à Dieppe pour le 70e anniversaire du raid. 7 vétérans canadiens avaient fait le déplacement dont un vénérable Ancien de 93 ans qui n'était pas revenu en France depuis cette époque. TB reproduit avec l'aimable autorisation du Service Historique de la Défense un texte particulièrement instructif de Béatrice RICHARD paru dans l'avant-dernier numéro de la Revue Historique des Armées

Le 19 août 1942, deux brigades de la 2e division canadienne se lançent à l’assaut des falaises de Dieppe, petit port situé sur la Manche, avec le soutien de trois commandos britanniques dont celui des Royal Marines. Plus de 6.000 hommes se trouvent ainsi engagés dans l’opération "Jubilee", l’un des plus grands raids amphibies de la Deuxième Guerre mondiale. L’aventure tourne rapidement au désastre. Après plusieurs heures de combats acharnés, les troupes se retirent sans avoir atteint leurs objectifs, abandonnant derrière elles plus de la moitié de leurs effectifs. L’épisode fait couler beaucoup d’encre, à commencer par celle du Quartier général des opérations combinées (QGOC), commanditaire du coup de main. 
Au lendemain du raid, en effet, ses responsables soutiennent que les leçons tirées de "Jubilee" pavent la voie à l’invasion du continent européen. Par la suite, les mêmes récupèreront le succès d’ "Overlord" pour renforcer leur thèse. Même si des dissidences s’exprimeront, il faudra attendre les années 1990 pour que de nouvelles études enterrent définitivement cette interprétation. À cet égard, le présent article ne prétend pas apporter de nouveaux éléments au dossier, mais propose plus modestement de revisiter "Jubilee" à la lumière des données historiographiques récentes. Ces dernières permettent de resituer le raid de Dieppe dans un contexte plus vaste, celui de la stratégie des "coups d’épingles", contre les côtes françaises, qu’adoptent les britanniques dès juin 1940. Vue sous cet angle, l’opération prend un sens tout autre que celui encore véhiculé dans les livres d’histoire : loin d’avoir constitué un sacrifice nécessaire à la victoire alliée, le fiasco de Dieppe s’apparente davantage à une vulgaire bavure.
L’incroyable armada 
19 août 1942, 3 heures du matin. Quelque part au milieu de la Manche un convoi imposant fend la mer toutes lumières éteintes. Répartis en treize groupes, ses 250 bâtiments comprennent neuf navires de transport d’infanterie, huit contre-torpilleurs et un sloop, le tout traînant dans son sillage un ensemble hétéroclite de péniches d’assaut et de débarquement, ainsi que de petites embarcations dépourvues de blindage pour la plupart. L’incroyable armada porte dans ses flancs 4.963 hommes de la 2e division canadienne, incluant les officiers, 1.005 commandos britanniques, 50 Rangers américains et 15 fusiliers des Forces françaises libres. Pendant ce temps, en Angleterre, 74 escadrilles aériennes alliées, dont huit de l’armée royale canadienne, se tiennent en état d’alerte, prêtes à intervenir au point du jour. Le major général J. H. Roberts, commandant de la 2e division canadienne, dirige les opérations terrestres, tandis que le commandant J. Hughes Hallett de la Royal Navy supervise les forces navales et T. L. Leigh Mallory, vice-maréchal de la Royal Air Force, l’aviation. L’opération "Jubilee" est en marche (1). Destination : le port français de Dieppe.
Dieppe Jubilée carte.jpg
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Un objectif solidement défendu 
Les chefs militaires ont assuré à leurs troupes que l’opération serait "du gâteau" ("a piece of cake"). La réalité qui les attend est cependant tout autre. Depuis plusieurs mois, l’ancienne station balnéaire a été transformée en un véritable oppidum. Le casino du bord de mer est devenu un poste de tir et les falaises qui surplombent la plage abritent une artillerie redoutable. Partout des casemates défendent un rivage hérissé de barbelés… Des mortiers, des canons de moyen et de gros calibres, des batteries côtières à longue portée défendent toute intrusion provenant du large tandis que des blocs de béton verrouillent la plage, interdisant l’accès à la ville (2). De toute évidence, l’organisation allemande "Todt", chargée de fortifier les côtes françaises, est passée par là. Par ailleurs, 2.500 soldats de la 302e division de la Wehrmacht défendent le secteur. À première vue, c’est peu, mais les Allemands peuvent compter sur l’intervention rapide de nombreux renforts et de l’aviation stationnée tout près. Comment expliquer le choix d’un objectif aussi solidement défendu ? Certes, la proximité des côtes anglaises fait de Dieppe une cible logique pour un raid : les allers-retours de la Royal Air Force sont facilités d’autant, de même que la sécurité des convois. Les responsables de "Jubilee" affirmeront par la suite avoir voulu tester ainsi les défenses ennemies, mais un examen attentif du plan d’attaque montre qu’il s’agit avant tout d’une opération de sabotage et de renseignement, dans le droit fil de la série de raids qui l’a précédée. 
De fait, "Jubilee" s’inscrit dans la stratégie qu’a adoptée Winston Churchill depuis l’évacuation rocambolesque des troupes britanniques à Dunkerque, en juin 1940 : le harcèlement systématique des défenses allemandes situées sur les côtes françaises par des commandos spécialement entraînés à cet effet. Il s’agit non seulement de maintenir l’ennemi en état d’alerte et de lui infliger des dommages stratégiques, mais aussi de maintenir le moral des Britanniques à flot dans un contexte désespérant pour les alliés. Le Japon tient les États-Unis en respect dans le Pacifique, tandis que l’Allemagne étend ses conquêtes de la France à la Volga et de la Norvège septentrionale aux déserts de l’Afrique du Nord. Sur le front oriental, la Wehrmacht tient les Soviétiques en haleine et Staline réclame à cor et à cri l’ouverture d’un second front à l’Ouest. À cet égard, on a souvent relié le déclenchement du raid sur Dieppe à la crainte de voir l’allié russe faire défection. Les Britanniques se sont certes engagés à maintenir la pression sur les côtes françaises tout au long de l’été 1942, à défaut d’envahir le continent. Un aide-mémoire confidentiel remis à Molotov, en juin, précise à cet effet que les opérations iront crescendo tant par leur taille que par leur portée, clouant ainsi une trentaine de divisions allemandes à l’Ouest (3). Il n’empêche que le déclenchement de "Jubilee" relève avant tout d’une logique complètement autonome, celle de la Direction des opérations combinées (DOC), Combined Operation Directorate, créature de Churchill et instrument de ses grandes orientations stratégiques.
L’organisme a pour mission de développer des opérations amphibies et de former des commandos d’élite pour mener des opérations de sabotage, de renseignement et d’exfiltration. Le Premier ministre britannique s’est également assuré de placer aux commandes un homme prêt à servir ses ambitions : lord Louis Mountbatten, directeur des opérations combinées depuis le 19 octobre 1941 (4) et chef d’orchestre de "Jubilee". En août 1942, l’impétueux vice-amiral de 37 ans compte au moins deux coups d’éclat à son actif, l’opération "Biting" et l’opération "Chariot". Dans le premier cas, un raid d’une centaine d’hommes lancé sur la station radar de Bruneval, dans la nuit du 27 au 28 février 1942, a permis aux alliés de s’emparer des pièces clés d’un radar allemand de haute précision. Autre nuit, autre raid, plus ambitieux encore, du 27 au 28 mars, plus de 600 hommes de la Royal Navy assistés de commandos dynamitent le port de Saint-Nazaire. Même si l’opération se solde par la perte de la moitié des effectifs (5), les dommages infligés aux installations sont tels que le port restera paralysé 18 mois durant. 
Ces méthodes peu orthodoxes ont beau faire sourciller une partie de l’état-major britannique, le coup de force n’en symbolise pas moins l’esprit d’audace qui anime alors la DOC et semble donner des ailes à son chef. "Jubilee" marque, en effet, un changement d’échelle et de nature dans les raids, puisque l’on passe d’interventions mobilisant quelques centaines de commandos à une opération qui engage des milliers de soldats réguliers. À cet égard, Mountbatten bénéficie d’un soutien inespéré, celui du commandant en chef de l’armée canadienne, Andrew G. L. McNaugton et du lieutenant-général Harry D. G. Crerar, commandant du 1er corps d’armée, lesquels disposent de troupes terrestres prêtes à en découdre : celles de la 2e division canadienne. 
Depuis l’envoi de leurs soldats en Angleterre, fin 1939, les autorités canadiennes répugnent à les engager sur les différents théâtres d’opération, et ce essentiellement pour des motifs politiques. C’est que la participation militaire du Canada au conflit ne fait pas l’unanimité outre-Atlantique : les Canadiens-Français notamment sont partisans d’un engagement limité reposant sur le volontariat. Pour ceux-ci, il n’est pas question de recourir à la conscription pour combler les vides et le Premier ministre Lyon Mackenzie King veut éviter le recours à une telle mesure (6). En retenant le plus longtemps possible les soldats canadiens, on a cherché jusqu’ici à minimiser les pertes éventuelles et à retarder d’autant l’envoi de conscrits outre-mer. 
Mais l’opinion publique canadienne-anglaise, partisane de l’effort de guerre total, s’impatiente : ses soldats devront-ils se contenter de garder les côtes britanniques tandis que les fils des autres dominions se battent sur tous les fronts ? Or, en dehors des raids et du bombardement stratégique, les alliés ne prévoient aucun engagement majeur avant un an minimum ; ce qui, dans le temps politique, représente une éternité. De son côté, le général McNaughton tient à ce que les Canadiens combattent ensemble, tant pour assurer une certaine autonomie de commandement que pour assurer une visibilité maximale aux activités de ses troupes. Considération plus terre à terre, désœuvrés, les Canadiens commencent à éprouver de sérieux problèmes disciplinaires et à voir leur réputation pâlir auprès de la population civile. Dans ce contexte, tenir un premier rôle dans une mission d’envergure permettrait de redorer leur blason tout en flattant la fierté nationale. McNaughton endosse le projet avec d’autant plus d’enthousiasme, qu’il s’est assuré d’avoir les mains libres. Jusqu’en mai 1942, il lui fallait obtenir le feu vert d’Ottawa pour déclencher toute intervention majeure. À force d’un lobbying intense auprès du cabinet canadien de la Guerre, il a néanmoins réussi à obtenir la latitude nécessaire pour décider des raids dans lesquels engager ses troupes ; ce qui en fait l’un des responsables clés de l’opération du 19 août (7). Ses troupes sont-elles prêtes pour autant à se lancer dans ce type d’opération ? Rien n’est moins sûr. 

Un entraînement irréaliste 
L’une des réussites de la Direction des opérations combinées a été sans conteste la formation de commandos aguerris aux coups de mains audacieux. Toutefois, coordonner un raid de quelques centaines d’hommes surentraînés est une chose. Tenter la même expérience avec des milliers de combattants réguliers appartenant à trois services différents représente un tout autre défi. Or, au printemps 1942, les Canadiens basés en Grande-Bretagne n’ont aucune expérience du feu, a fortiori des tactiques de commando. Les Canadiens ont certes participé avec succès à l’expédition du Spitzberg visant à détruire les houillères aux mains allemandes et à évacuer des Norvégiens vers le Royaume-Uni, mais l’opération engageait moins de 650 hommes et les assaillants ne s’étaient heurtés à aucune résistance (8). Pour le reste, leur formation s’avère pour le moins irréaliste. Par exemple, le régiment des fusiliers Mont-Royal a suivi un entraînement incluant la marche forcée et le maniement de la baïonnette, très tard, en juin 1942 (9). Il a fallu attendre le mois d’avril avant que l’on ne commence à initier les soldats aux méthodes des commandos : combat à mains nues, natation en tenue de combat, escalade de falaises, sabotage, tir au canon, pratiques d’embarquement débarquement des péniches, combats de rue, etc. Le 20 mai, les hommes suivent un entraînement intensif sur l’île de Wight, en vue du grand jour. Il est cependant trop tard pour transformer de simples soldats en troupes d’élite, comme en témoigne un rapport soumis à leurs supérieurs : “Although the condition of the men is reasonably good, the assault courses and the speed marches have shown that there is a great improvement to be made in this diretion. In the speeds marches units are able to do five miles in 45 minutes, but took from 11/2 hrs tp 2 hrs to do the remaining 6 miles. In the assault course tps [troops] were able to complete the course but were, in many cases, unable to fight or fire effectively when finished.(10) 
Lancés en juin, les exercices "Yukon I" et "Yukon II" censés préparer le raid ne sont guère plus encourageants. Dans le premier cas, la confusion règne à un point tel que l’opération est reportée. La reprise de l’exercice, le 23 juin, ne vaut guère mieux (11), ce qui inspire au lieutenant général Bernard Montgomery, alors responsable des opérations comme commandant du 5e corps britannique, un jugement moins que rassurant : "Je suis convaincu que l’opération est réalisable selon le plan prévu et qu’elle offre de bonnes chances de succès pourvu : a) que le temps soit favorable ; b) que la chance normale soit présente; c) que la marine nous [sic] débarque à peu près aux bons endroits et aux moments voulus…" (12) Cela ne l’empêchera pas d’autoriser, deux semaines plus tard, le lancement d’un premier raid impliquant les troupes canadiennes.

De "Rutter" à "Jubilee" 
Le 7 juillet, le QGOC déclenche l’opération sous le nom de code "Rutter", presque aussitôt annulée en raison des mauvaises conditions météorologiques. Le plan prévoyait des bombardements préliminaires intensifs et l’envoi de troupes aéroportées pour nettoyer le terrain. La mauvaise visibilité compromet irrémédiablement cette partie du plan et par conséquent, la fiabilité du reste de l’opération. Par la suite, le général sir Bernard Paget, commandant de l’armée britannique, et Montgomery décident d’un commun accord d’abandonner définitivement le projet pour des raisons de sécurité évidentes : à la mi-juillet, la presse canadienne et la presse britannique étalent à pleines pages des rapports sur l’entraînement des unités canadiennes en vue d’opérations combinées. Un des comptes rendus mentionne même le nom de plusieurs des unités d’infanterie qui participeront d’ailleurs par la suite au raid sur Dieppe (13). Quant aux participants de l’expédition avortée, croyant le projet enterré, ils ne manquent pas de colporter leur aventure. On retrouve néanmoins les mêmes en route vers Dieppe, six semaines plus tard. Comment l’expliquer ? 
Les circonstances qui entourent le lancement de "Jubilee" restent nébuleuses et leur interprétation continue de diviser les historiens (14). On sait toutefois que Mountbatten et Paget décident, dans le plus grand des secrets, de relancer l’opération le 17 juillet avec l’accord de Crerar et de McNaugton. Le nouveau plan comporte certes des modifications que d’aucuns critiqueront sévèrement par la suite : les appuis navals et aériens sont allégés et les troupes aéroportées chargées d’infiltrer les arrières ennemis, jugées trop tributaires de la météo, remplacées par des commandos (15). Sur papier, la mécanique semble irréprochable : les troupes amphibies doivent accoster sur 15 kilomètres de front, et ce en cinq secteurs différents. Sur les flancs, quatre débarquements simultanés sont prévus pour l’aube, à 4 heures 50, soit à peine quinze minutes après le lever du jour. Aux deux extrémités de la zone d’attaque, les commandos britanniques ont pour mission de détruire les batteries côtières de Berneval (commando n°3) et de Varengeville (commando no4), situées respectivement aux extrémités est et ouest de Dieppe. La manœuvre doit permettre aux navires d’approcher suffisamment des côtes pour couvrir efficacement la zone de débarquement 
Parallèlement, des unités canadiennes doivent s’engager dans les brèches de la falaise de part et d’autre de Dieppe. Ce sera la tâche du Royal Regiment of Canada à Puys et du South Saskatchewan Regiment à Pourville dont l’objectif consiste à neutraliser les batteries d’artillerie allemandes qui défendent la plage. Il est prévu qu’une demi-heure plus tard l’Essex Scottish et le Hamilton Light Infantry, deux bataillons de la 4e brigade d’infanterie canadienne, accosteront à cet endroit précis avec la couverture des chars d’assaut du 14e régiment blindé (Calgary Regiment). Ces derniers devant bénéficier du soutien du Royal Canadien Engineer responsable du déminage de la plage et chargés de pulvériser les blocs de béton qui bloquent l’accès à la ville. De là, les membres de l’Essex Scottish sont appelés à prendre le contrôle du port à et s’emparer de pièces d’armement avec le soutien des tanks et d’un détachement du Commando Royal Marine "A". Cette escouade de choc, fer de lance de l’opération, doit aussi détruire les installations portuaires, faire sauter les ponts et les voies de chemin de fer de façon à rendre le port inutilisable pour de longs mois, à l’instar de Saint-Nazaire (16)
Juste avant l’assaut terrestre, les escadrilles de la Royal Air Force ont pour mission de bombarder des bâtiments du bord de mer et les nids de mitrailleuses pointés vers la plage. Quatre destroyers et la canonnière Locust sont censés les relayer peu après depuis le large. L’aviation et la marine doivent également couvrir le débarquement des troupes, phase particulièrement délicate dans toute opération amphibie, en larguant les bombes fumigènes. Le rôle de l’aviation reste donc essentiellement tactique, l’idée d’un bombardement aérien massif ayant été abandonnée pour une série de motifs, dont son inefficacité présumée dans le contexte d’un raid (17). Au même moment, du côté de Pourville, le South Saskatchewan Regiment doit établir une tête de pont pour permettre au Cameron Highlanders of Canada de s’emparer de l’aérodrome de Saint-Aubin et du quartier général de la 110e division d’infanterie allemande, censé se situer à Arques-la-Bataille. Le troisième bataillon d’infanterie des fusiliers Mont-Royal constitue les forces de réserve, incluant une poignée de fusiliers marins. L’opération terminée, il a pour mission de couvrir l’évacuation des troupes à l’ouest du port tandis que l’Essex Scottish partage la même tâche à l’est, le but étant de ménager un périmètre de sécurité en eau profonde pour assurer le retrait des troupes. 
Le déroulement de l’opération 
Outre l’effet de surprise, le succès de l’opération repose par conséquent sur une coopération étroite entre les trois services et une synchronisation parfaite entre les débarquements, ce qui limite d’autant la marge d’erreur. Or, un premier incident survient à quinze kilomètres des côtes françaises. À 3 heures 47, un accrochage au large entre les péniches de débarquement du commando no3 – en direction de Berneval – et un petit convoi allemand compromet d’entrée de jeu la subtile mécanique du plan ; l’alerte est donnée à Berneval et à Puys où les attaquants sont rapidement dispersés ; une poignée d’hommes parvient toutefois à approcher suffisamment la batterie pour la neutraliser plus de deux heures durant. À Puys, les conséquences de l’alerte s’avèrent particulièrement désastreuses ; pris en souricière sur une plage très encaissée, les soldats du Royal Regiment et du Black Watch (Royal Highland Regiment) sont littéralement décimés, essuyant le feu nourri de soldats allemands embusqués au creux des falaises. Les attaquants deviennent des cibles faciles dans l’aube naissante, d’autant que les concepteurs de "Jubilee", misant sur l’obscurité pour assurer l’effet de surprise, n’ont pas requis le soutien l’artillerie navale pour couvrir le secteur. Dépêchée en catastrophe, la marine arrive trop tard pour leur porter secours. À lui seul, cet assaut fait plus de 200 morts, sans compter les blessés et les prisonniers. 
Pendant ce temps, les assaillants du secteur ouest ont davantage de chance, l’alerte ne s’étant pas encore propagée jusque-là. Le commando no4 débarque comme prévu, détruit la batterie de Varengeville et se retire sans encombre. À Pourville, les hommes du South Saskatchewan Regiment et du Queen’s Own Cameron Highlanders of Canada réussissent une percée jusqu’à la rivière Scie où ils sont cependant arrêtés, essuyant eux aussi de lourdes pertes. En voulant leur porter secours, leurs renforts, pris au piège eux aussi, finissent par se rendre. Au centre, l’attaque principale devant Dieppe tourne rapidement au désastre. Prévue une demi-heure après les débarquements sur les flancs, son succès reposait sur la destruction des batteries allemandes qui surplombent la plage, ce qui n’est évidemment pas le cas. Restés maîtres du promontoire de Puys, les Allemands déversent un déluge de feu sur les hommes à peine débarqués. Du côté de Pourville, le même phénomène se produit un peu plus tard. 
À l’est de la plage de Dieppe, les hommes de l’Essex Scottish Regiment sont bloqués au niveau de la digue. Seul un petit groupe parvient à s’infiltrer dans la ville. Mais ce succès isolé aura des conséquences catastrophiques : le navire de commandement reçoit un message radio tronqué suggérant que le régiment au complet a investi la ville alors qu’en réalité la majorité de l’unité est restée coincée sur la plage. Ordre est donc donné aux fusiliers Mont-Royal d’entrer en action. Ceux-ci sont décimés à leur tour. À l’extrémité ouest de la promenade, les hommes du Royal Hamilton Light Infantry prennent d’assaut le casino ainsi que les abris de mitrailleuses qui l’entourent ; quelques assaillants atteignent la ville et s’engagent dans des combats de rue, mais la virulence du feu ennemi les oblige à se replier. Les chars du Calgary Regiment sont rapidement paralysés. Certains voient leurs chenilles s’enrayer dans les galets, d’autres se retrouvent acculés à la digue et aux barrages de béton. Les tankistes qui le peuvent continuent de tirer pour couvrir la retraite d’un grand nombre de soldats, mais la plupart sont tués ou faits prisonniers. Pendant ce temps, le ciel est le théâtre d’un combat féroce au cours duquel l’Aviation royale du Canada perd une douzaine d’appareils et la Royal Air Force, noblesse oblige, une centaine. L’opération "Jubilee" s’achève dans une confusion indescriptible. 
Les derniers combattants qui n’ont pu être évacués se rendent. À 13 heures 58, les canons se taisent. Du côté allemand, on dénombre près de 600 pertes. Un bilan relativement léger si on le compare à celui, écrasant, des Canadiens. Sur 4.963 hommes engagés dans les opérations terrestres, seuls 2.210, dont bon nombre de blessés, parviennent à rejoindre l’Angleterre. Les pertes canadiennes s’élèvent à 3.367 hommes, dont 907 soldats morts au combat ou des suites de leurs blessures. De ce nombre, on décompte également 1 946 prisonniers. Au terme de dix heures de carnage, les fusiliers ont perdu 88,4% de leur effectif, le Royal Hamilton Light Infantry 82,7%, le Royal Regiment of Canada 87,3% et l’Essex Scottish Regiment 96,3% (18). Une hécatombe. 

Leçons nécessaires ou sacrifice inutile ? 
Sans surprise, l’étendue du désastre a fait couler beaucoup d’encre et suscité une controverse inextinguible. Source de leçons salutaires en vue du débarquement de 1944 pour les uns, sacrifice inutile pour les autres (19), rarement une opération militaire aura polarisé les opinions à ce point. Le débat ne s’est cependant véritablement cristallisé qu’à partir des années 1960, période à laquelle des études approfondies commencent à être publiées. Jusqu’alors prédomine la thèse des "leçons de Dieppe". Cela s’explique par le fait que la plupart des auteurs ont été les acteurs du raid à différents degrés, d’où un certain besoin de justification. 
C’est le cas des correspondants de guerre britanniques, Alexander Austin et Quentin Reynolds qui ont participé à l’opération funeste. Ceux-ci s’empressent de publier leurs comptes rendus à peine la poussière retombée sur « Jubilee » (20). La rhétorique des « leçons » semble d’ailleurs avoir préexisté au raid, puisque plusieurs des leçons alléguées existaient déjà dans le manuel des opérations combinées publié avant le débarquement de 1942 (21). Pour sa part, Timothy Balzer a montré récemment que le communiqué de l’échec de Dieppe avait été rédigé d’avance, offrant ainsi un canevas explicatif préétabli aux premiers narrateurs. En cas d’échec, la DOC avait prévu de présenter l’opération au public comme un "essai essentiel dans l’emploi de forces substantielles et d’équipement lourd", préparant ainsi le terrain à la rhétorique des "leçons" (22)
De fait, Austin et Reynolds épousent étroitement la ligne du QGOC voulant que d’importantes leçons aient été tirées de cette expérience et que, par conséquent, les pertes, quoique massives, ne furent pas vaines. Dès 1943, le ministère de l’Information publie un fascicule, à mi-chemin entre rapport et propagande, qui détaille les exploits du QGOC entre 1940 et 1942, la part du lion étant attribuée à Jubilee (23). Plusieurs des arguments que l’on y retrouve sont tirés du Combined Report sur Dieppe et des "leçons retenues" colligées par Hughes Hallet au lendemain du raid (24). Parmi ces leçons, figure en bonne place la nécessité de fournir un appui-feu aérien et naval massif lorsque l’effet de surprise ne peut être garanti – une condition forcément difficile à remplir dans le cadre d’une opération amphibie d’envergure. À cela s’ajoute l’importance de couvrir la première vague d’assaut avec une artillerie légère et mobile opérant à partir des péniches de débarquement et susceptible de progresser sur le terrain – un atout absent de "Jubilee". 
Les autres leçons à retenir révèlent en creux la somme de lacunes tactiques et opérationnelles que représente "Jubilee". Sont notamment recommandés : la formation de forces d’assaut navales mieux coordonnées ; davantage de flexibilité dans l’exécution du plan en attaquant sur un front aussi large que possible – c’est-à-dire sans compromettre l’efficacité de l’appui-feu naval et aérien – ; un ratio minimal de forces d’assaut pour un maximum de réserves : rétention des tanks aussi longtemps que les dispositifs antichars n’ont pas été détruits ; protection maximale des renseignements ; contournement des zones fortifiées et attaques sur les points faibles des côtes ; amélioration de la reconnaissance aérienne ; usage massif d’écrans de fumée aux points fortement défendus. À première vue, le post-mortem reconduit des principes admis dans les plans préliminaires, mais graduellement éliminés par la suite, dont le plus important selon Charles P. Stacey, le pilonnage aérien (25)
Premier historien à produire une étude objective sur le sujet, Stacey a par ailleurs sévèrement critiqué le plan pour son incohérence structurelle : "On a compté, dans cette opération, sur l’élément surprise plutôt que sur la puissance de choc, écrit-il ; et pourtant on ne pouvait espérer surprendre l’ennemi par l’attaque de front qui devait être lancée une demi-heure après les attaques de flanc." (26) Cette interprétation a toutefois eu peu d’impact à sa sortie, au début des années 1960. Il faut attendre les années 1980, après la mort de Mountbatten et l’ouverture des archives avant que des historiens ne s’engouffrent dans la brèche ouverte par Stacey. Le plus notable d’entre eux reste, sans conteste, Brian Loring Villa avec la publication de son étude phare : Unauthorized Action: Mountbatten and the Dieppe Raid, laquelle remet complètement en cause la thèse des leçons. Son analyse, qui se concentre sur le processus décisionnel ayant conduit au raid, peut se résumer ainsi : Mountbatten l’aurait lancé de son propre chef sans obtenir l’aval de la chaîne de commandement habituelle. Il aurait ainsi servi des ambitions personnelles sans égard aux hommes impliqués dans ce qui se révélait d’emblée une mission suicidaire. Par la suite, la thèse des "leçons" aurait servi à masquer ses déficiences et à protéger la réputation de ses concepteurs, à commencer par le chef des opérations combinées. Ce faisant, Villa s’attaquait à un mythe fortement enraciné. 
Lord Mountbatten en tête, les responsables du raid ont toujours soutenu que "la bataille du Jour J [avait] été remportée sur les plages de Dieppe" et que le sang versé avait épargné des vies à ce moment-là (27). Or, aucun élément de "Rutter", a fortiori de "Jubilee", ne permet d’affirmer qu’il s’agissait d’une "reconnaissance en force" ou encore d’un "test" en vue d’un débarquement futur. Dieppe représente davantage une nouvelle forme de raid, plus imposant en termes d’effectifs et de blindés certes, mais avec toujours les mêmes objectifs – destruction d’installations, de navires, capture de prisonniers, exfiltration, etc. Bref, un travail de commando à plus grande échelle. Pour autant, on ne s’appliqua pas à présenter les coups de main ayant précédé "Jubilee" comme autant de "répétitions" de l’invasion du continent européen (28). Si l’on en tira des enseignements – des opérations telles "Archery" et "Chariot" avaient déjà mis en évidence l’importance de bombardements préliminaires et d’un appui-feu mobile dans la phase initiale de débarquement (29) – apparemment, on n’en tint pas compte à Dieppe. 
La vague d’assaut anglo-canadienne du Jour J a bénéficié certes du soutien des chars amphibie qui, débarqués en même temps que l’infanterie, se sont attaqués aux défenses côtières pendant que les hommes ont traversé la plage, la phase sans doute la plus délicate d’une opération amphibie. Peut-on pour autant affirmer qu’il s’agissait là des leçons retenues de Dieppe ? Aucunement, si l’on tient compte des études les plus récentes. Nul doute que "Jubilee" a attiré l’attention sur ce problème, mais les débarquements subséquents en Afrique du Nord, en Sicile et en Italie ont montré que les alliés avaient encore beaucoup à apprendre en terme d’opérations amphibies. Par exemple, le débarquement d’Anzio (opération "Shingle") s’est enlisé dans une guerre d’attrition de plusieurs mois – Churchill lui-même affirma plus tard que l’opération avait été "son pire moment" (30). Autre grande "leçon" fréquemment invoquée : le raid de Dieppe aurait convaincu les alliés d’abandonner l’idée d’attaquer des ports et de débarquer plutôt sur des plages en utilisant des ports flottants Mulberry. Or, dès le 30 mai 1942, soit deux mois et demi avant le raid fatal, Churchill avait enjoint le chef des opérations combinées d’entamer la construction des ports flottants, signe que l’on n’a pas attendu les résultats de "Jubilee" pour envisager d’attaquer les maillons faibles du mur de l’Atlantique (31).
Conclusion 
Rétrospectivement, on peine à trouver la moindre justification au déclenchement de "Jubilee". Sur les plans tactique et opérationnel, les défaillances s’avèrent innombrables et la plupart des études récentes sur le sujet convergent vers un même diagnostic, implacable : un plan trop rigide et incohérent dans ses prémices mêmes – effet de surprise au centre compromis de facto par les attaques sur les flancs, exposant ainsi directement le gros des troupes débarquées aux tirs ennemis – ; appui-feu massif insuffisant dans le cadre d’un débarquement en force ; coordination déficiente – voire absente – des trois services, aspect pourtant prévisible compte tenu des résultats de "Yukon I" et "Yukon II". Sur le plan stratégique, l’opération ne se révèle guère plus défendable. On peut raisonnablement douter qu’un raid de diversion impliquant 6.000 hommes, un coup d’épingle, ait pu changer quoi que ce soit à l’équilibre des forces en Europe. La pénible conquête de l’Italie le démontrera amplement par la suite.
La principale raison de déclencher "Jubilee" serait davantage à rechercher dans une dynamique propre à la DOC, ou plutôt dans sa logique organisationnelle. Conçu pour développer une expertise dans les opérations amphibies, l’organisme est en quelque sorte "condamné" à passer de raids à petite échelle à des plans d’invasion majeurs. Or, en 1942, ce calendrier reste soumis à de multiples contraintes, notamment sur le plan opérationnel. Cela expliquerait en partie pourquoi la marine et l’aviation ont refusé de risquer des ressources encore limitées dans un projet aussi hasardeux. Dans ce contexte, l’attaque sur Dieppe ressort comme le "chaînon manquant" entre deux échelles d’intervention : trop importante pour être un raid, trop limitée pour un débarquement et surtout dépourvue d’objectif clair. Une chimère, au sens propre comme au sens figuré, mais qui confirme le caractère expérimental de l’entreprise. En ce sens, la thèse des "leçons" ne s’avère pas totalement fausse : les alliés, à commencer par Mountbatten et Hughes-Hallett, deux capitaines de destroyer, sans véritable expérience de la guerre amphibie, avaient encore beaucoup à apprendre en la matière. En même temps, la guerre amorçait un tournant décisif avec l’invasion du continent européen comme horizon d’attente. La DOC se trouvait ainsi confrontée à une obligation de résultats sans disposer pour autant des moyens nécessaires. Réponse à ce dilemme, "Jubilee" devenait un tragique échappatoire, irréductible aux seuls motifs rationnels. Un cas d’école où, de toute évidence, le brouillard de la guerre se situait en amont du champ de bataille.
Béatrice RICHARD http://www.theatrum-belli.com
Revue Historique des Armées n° 266 "France-Canada"
Professeur agrégé et docteur en histoire, Béatrice RICHARD enseigne l’histoire militaire et stratégique au Collège militaire royal du Canada (Division des études permanentes) et au Collège militaire royal de Saint Jean, où elle occupe le poste de coordonnatrice des cours d’histoire du programme d’études militaires professionnelles pour les officiers et des programmes d’étude de premier cycle offerts à distance. Elle a notamment publié : La mémoire de Dieppe. Radioscopie d’un mythe (Montréal, VLB éditeur, 2002, 205 pages).
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NOTES : 
(1) Pour le déroulement de l’opération, nous nous appuyons principalement sur le récit de l’historien militaire C. P. Stacey, lequel s’appuie sur les rapports et témoignages de soldats et d’officiers rescapés de Dieppe que nous avons également consultés. Stacey (C. P.), L’Armée canadienne, 1939-1945, résumé officiel, Ottawa, Ministère de la Défense nationale, 1949, p. 51-87 ; Six années de Guerre. L’armée au Canada, en Grande-Bretagne et dans le Pacifique, Ottawa, Ministère de la Défense nationale, 1957, p. 322-429. Nous avons également utilisé l’étude de Brereton Greenhous, Dieppe, Dieppe, Montréal, Art global et Ministère de la Défense nationale, 1992 : une monographie plus récente et nettement plus critique.
(2)  L’historien en chef du Service historique, Charles P. Stacey a visité le site de Dieppe après sa libération par les troupes canadiennes, entre les 2 et 5 septembre 1944. Il a pu examiner le site et en déduire l’état des défenses au moment du raid.Canadian Military Headquarter (CMHQ). Report 128, 20 novembre 1944. The Operation at Dieppe, 19 August 1942,Some New Information, p. 6-9.
(3) Villa (Brian Loring), Unauthorized Action: Mountbatten and the Dieppe Raid, Toronto, Oxford University Press, 1994 ; 1989, p. 72.
(4) Foot (Michael R.-D.), Des Anglais dans la Résistance. Le Service Secret Britannique d’Action (SOE) en France, 1940-1944, Paris, Tallandier, Texto, 2011. Traduction française de SOE in France: An Account of the Work of the British Special Operations Executive in France, 1940-1944, London,Whitehall History Pub., in association with Frank Cass, 2004 (première éd., 1966).
(5) On compte 200 prisonniers et 169 morts sur un total de 611 commandos : Cherry(Niall), Striking back. Britain Airborne and Commando Raids, 1940-1942, Helion &Company, 2009, p. 234.
(6) Le 27 avril 1942, par voie de plébiscite, le gouvernement libéral de Mackenzie King a demandé à la population canadienne de délier le gouvernement de sa promesse de ne pas imposer la conscription en vue du service outre-mer. La campagne du plébiscite donne lieu à des débats féroces et le résultat du vote confirme la division du Canada au sujet de sa politique de défense : le Québec refuse massivement d’accorder au gouvernement le pouvoir de recourir à la conscription (71,2 % de « non ») alors que les autres provinces approuvent tout aussi clairement le projet (80 % de « oui »).
(7) Henshaw (Peter J.),  “The Dieppe Raid: A Product of Misplaced Canadian Nationalism ?”, The Canadian  Historical Review, 77, no 2, 1996, p. 250-266.
(8) Stacey (Charles P.), Six années de guerre…, op.cit., p. 313-319 ; Coutu (Éric), « Le quartier général des opérations combinées et l’expédition canado-britannique au Spitzberg (août 1941) », Guerres mondiales et conflits contemporains, 4, 220, 2005, p. 45-69.
(9) D’Amours (Caroline), Les fusiliers Mont-Royal au débarquement de Dieppe. Doctrine et entraînement au Canada et en Angleterre, mémoire de maîtrise, Université Laval, 2009, p. 109-117. Dans Brereton Greenhous, Dieppe, Dieppe,op.cit., p. 43, une photo de l’entraînement montre les fusiliers Mont-Royal sur une plage, visant un ennemi fictif au sommet d’une falaise, genou à terre comme pour le tir au pigeon. Ils sont munis de fusils à verrou Lee-Enfield, à peine différents de ceux qui armaient leurs pères pendant la Première Guerre mondiale.
(10) « Si la condition physique des hommes est raisonnablement bonne, les courses d’assaut et les marches rapides ont montré qu’il fallait que de grands progrès soient encore faits. En marche rapide, les unités sont capables de parcourir 5 miles en 45 min. mais il leur faut de 1h30 à 2h pour parcourir 6 miles. En course d’assaut, les troupes sont capables de réaliser une course complète mais, bien souvent, elles sont ensuite incapables de combattre ou de tirer avec précision. » Cité par Charles P. Stacey, CMHQ, Report 100. Operation “Jubilee”: The Raid on Dieppe, 19 Aug 42. Part I: The Preliminaries of theOperation, p. 16.
(11) À ce sujet, consulter Brereton Greenhous, op.cit., p. 33-57.
(12) Greenhous (Brereton), Ibid., p. 57.
(13) Le service de la censure mentionne à cet égard que Dieppe a servi de leçon à la censure et aux services de renseignement de l’armée. Dans leur rapport final, les censeurs admettent avoir été imprudents en laissant diffuser dans les journaux des informations relatives aux manœuvres de la 2e division canadienne avant le raid.Voir la traduction française expurgée de ce rapport : Comeau (Paul-André), Beauregard (Claude) et Munn (Edwidge), La Démocratie en veilleuse. Rapport des censeurs, 1939-1935, Montréal, Québec/Amérique, 1995, p. 44. Document original : Ministère de la Défense nationale (MDN), Service historique (SHist), 72/295, A Narrative on the Organization, Activities and Demobilization of Censorship During the War 1939-1945, 31 janvier 1946.
(14) Lire à ce sujet : Henshaw (Peter), “The Dieppe raid…”, op.cit. ; Villa (Brian Loring) et Henshaw (Peter), “The Dieppe Raid Debate ; Brian Villa Continues the Debate”, The Canadian Historical Rewiew, 79, no 2, juillet 1998, p. 304-315.
(15) Brian Loring Villa s’est montré particulièrement critique à ce sujet accusant les responsables de la marine et de l’aviation d’avoir fait preuve d’inhumanité dans leur refus d’accorder le soutien qui s’imposait aux troupes terrestres. Voir Unauthorized Action…, op.cit., p. 95-162.
(16) Canadian Military Headquarters(CMHQ), Report 100.Operation “Jubilee”: The Raid on Dieppe, 19 Aug 42. Part I: The Preliminaries of theOperation.
(17) Le Bomber Command avait déjà engagé ses appareils à Saint-Nazaire (opération « Chariot ») et à Vaagso (opération « Archery »), sans résultat significatif, semble-t-il. Lucas-Phillips (C. E.), The Greatest raid of All,London, Pan Books, 2000, p. 129 ; Fergusson (B.), The Watery Maze: The Story of Combined Operations, London, Collins, 1961, p. 133-138. Par la suite, Brian Loring Villa reprochera au Bomber Command d’avoir refusé d’impliquer ses appareils dans l’opération, un manque de soutien qu’il estime avoir été fatal aux troupes déployées au sol. Brian Loring Villa, Unauthorized Action…, op.cit., p. 150-153 ; p. 160-162.
(18) Pour un bilan des pertes complet, consulter le tableau de Charles P. Stacey, Six années de guerre... op.cit., p. 80.
(19) C’est en particulier la thèse que développe l’historien Brian Loring Villa dans son ouvrage, Unauthorized Action…, op.cit.
(20) Austin (Alexander), We Landed at Dawn, London, Holder and Stoughton, 1942 ; Reynolds (Quentin), Dress Rehearsal: the Story of Dieppe, London, Angus & Robertson, 1943.
(21) Hught (Henry), A Reappraisal of the Dieppe Raid, 19 August 1942 : Planning, Intelligence and Execution, Ph.D. Cambridge University, 1966, p.187-188.
(22) Tim Balzer.
(23) Anonyme, Combined Operations ; 1940-1942, London, HMSO, 1943.
(24) Mahoney (Ross W.), The Royal Air Force,Combined Operations Doctrine and the Raid on Dieppe, 19 August 1942,Master of Arts, University of Birmingham, August 2009, p. 25.
(25) Stacey (Charles P.), Six années de guerre…, op.cit., p. 348-349.
(26) Stacey (Charles P.), Six années de guerre…, op.cit., 414. Voir aussi :CMHQ,Report 109. Operation “Jubilee”: The Raid on Dieppe, 19 Aug 42. Part III : Some Special Aspects, 17 December 1943.
(27) Mountbatten, cité par Robin Neillands,The Dieppe Raid: The Story of the disastrous 1942 Expedition, Bloomington, Indiana University Press, 2005, p.267. Voir également la déclaration du général Crerar citée dans dans CMHQ. Report128,op.cit.,Appendix B.
(28) Neillands (Robin), op.cit., p. 265.
(29) Neillands (Robin), op.cit., p. 44-54.
(30) Anzio was my worst moment.” Cité par Jablonsky (David), Churchill, the Great Game and Total War, London, Routledge, 1991, p. 86. Voir aussi : Zaloga (Steven J.), Dennis (Peter), Anzio 1944: The Beleagued Beachhead, Oxford, Osprey Publishing, 2005, p. 24. ; Tomblin (Barbara), With Utmost Spirit: Allied Naval Operations in the Medditerranean, 1942-1945, Lexington, University Press of Kentucky, 2004, p. 315-358.
(31) Reproduit dans Winston Churchill, The Second World War: Closing the Ring, New York, The riverside Press, 1951, p. 73.