mercredi 30 novembre 2011

25 novembre 1177, la victoire du Roi lépreux :


C’était un vendredi 25 novembre de l’année 1177 vers 13h, à Montgisard
 « C’est pourquoi nous ne faiblissons pas, tout au contraire : si chez nous, l’homme extérieur s’en va en ruine, l’homme intérieur se rénove de jour en jour. Nous regardons non ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas. Ce qui se voit n’a qu’un temps, ce qui ne se voit pas est éternel » ( Baudouin IV de Jérusalem de Laurence Walbrou Mercier)
Nous vivons une époque de république bananière, noyée dans des scandales interminables dominés par un monde de ripoux, préparant le nouvel ordre mondial des robots. La pensée unique, le laisser aller, la misère morale, les jeunes sans but s’enfermant, comme échappatoire dans des musiques abrutissantes, ignorant leur famille et voisin. Une société droguée sous calmants, avec des taux de suicides alarmants et dont les jeunes en sont les premières victimes.
La République avait promis mais elle est déjà bien vieille et elle tue nos traditions, nos langues, nos provinces, notre vie citoyenne, nos spécificités, enfin nos libertés. Lors du découragement, relisez la vie de Baudouin, vous verrez alors, que finalement, point de raison de se plaindre. Cet enfant Roi, debout, sachant qu’il allait mourir, suppléant à ses défaillances physiques par sa volonté, quelle image. Notre geste familier, c’est l’index accusateur, dénonçant toujours le mal chez l’autre, restons humble, leur geste à eux consistait à se frapper la poitrine « pour nos pêchés Dieu nous châtie »…
Évènement oublié  de nos livres d’histoire restant l’un des plus hauts faits d’armes du Moyen-âge, victoire d’un roi de 17 ans, rongé par la maladie, menant à cheval ses preux que tout condamnait et seul à avoir put vaincre Saladin, à 1 contre 20. La lèpre terrassa Baudouin à 24 ans et il fut enterré au Golgotha sur la colline où le Christ avait été crucifié. « …stoïque et douloureuse figure, la plus noble peut être de l’histoire des Croisades, figure où l’héroïsme, sous les pustules et les écailles qui le couvrent, confine à la sainteté, pure effigie du roi français…» ( René Grousset)
Nous avons acceptés la destruction du Liban, terre d’accueil et pays frère. L’oppression fut installé là ou pendant des siècles, depuis les croisades précisément avait régné pacifiquement chrétiens et musulmans. Les croisades, présentées officiellement comme une ruée de barbares sanguinaires fut d’abord un réflexe d’aide fraternelle motivée par :
La destruction du Saint Sépulcre et les ravages en Asie Mineure par les Turcs Seldjoukides
L’oppression des chrétiens de Syrie
Les massacres d’Arméniens, vieux frères Chrétiens, qui seront génocidés plus tard dans l’indifférence générale…
Baudouin IV « figure de légende, dévorée de souffrance et vivant d’héroïsme quotidien » (Régine Pernoud), dit aux chevaliers qu’il ne regarderait pas son royaume partir en fumée sans réagir, montrant son sens du devoir et des responsabilités à son entourage, véritable roi biblique portant les pêchés de son peuple. Malgré les souffrances de son corps meurtris par la lèpre, qu’il sait fatal, il fait face aux priorités dans les heures douloureuses, afin de mettre fin à la terreur des mameluks de Salâh ad-Din aux environs de la cité de David. Une poignée de chevaliers intégrés au monde oriental, défend la Terre Sainte , protégeant chrétiens et musulmans préférant vivre sous la justice franque plutôt qu’auprès des lois coraniques. Il décréta la levée de toute la chevalerie franque d’Ascalon et envoya l’ordre d’abandonner GAZA à Odon de St Amand afin de rallier l’ost du roi.
Ils avancent à un rythme effréné parallèlement à  Saladin plus à l’est. ASHDOD, KHIBERT SUKRIER, halte à IBELIN ou YEBNA, tout était désolé…Puis ils arrivent vers l’est, au sud de RAMLA, puis :  EL MONGHAR, AQUER et NIANE. Odon de St Amand et 80 templiers rejoignent l’ost du roi  près des montagnes judéennes, portant l’effectif à 500 chevaliers et quelques hommes à pieds…
Salâh ad-Din  s’avançait vers Jérusalem, balayant tout sur son passage. Sans pitié, comme le révèle le chroniqueur du « Livre des deux jardins » lorsqu’il fait trancher les têtes des nombreux prisonniers. Il voulait détruire les deux forteresses franques près de RAMLA, dont IBN AL-ATHIR et divisait ses forces de tous côtés pour ravager le pays, puis arriva au pied du TELL EL-GEZER que les francs nomment Montgisard, élévation près de NIANE et aperçut l’ost des francs.
Baudouin « descendit de sa monture, se prosterna la face contre terre devant la croix et pria avec des larmes. A cette vue le cœur de tous ses soldats fut ému. Ils étendirent tous la main sur la croix et jurèrent de ne jamais fuir et, en cas de défaite, de regarder comme traître et apostat quiconque fuirait au lieu de mourir. Ils remontèrent à cheval et s’avancèrent contre les Turcs qui se réjouissaient pensant avoir raison d’eux. En voyant les Turcs dont les forces étaient comme une mer, les Francs se donnèrent mutuellement la paix et se demandèrent les uns aux autres un mutuel pardon… » ( Michel le Syrien ).
« Soudain se montrèrent les bataillons des Francs. Ils surgirent, agiles comme des loups, aboyant comme des chiens, et ils attaquèrent en masse, ardents comme la flamme… ». (le chroniqueur arabe Abou Shâma ). Le seigneur de Ramla et son frère le preux Balian d’Ibelin : « choisirent la plus forte bataille que les sarrasins avaient et fondirent sur eux…Jamais Roland et Olivier ne firent tant d’armes en Roncevaux comme les deux frères firent en la bataille ». ( Ernoul).
Le roi Baudouin arriva et la bataille prit des allures apocalyptiques, les preux « commencèrent avec leurs épées à se frayer un passage…qu’ils n’avaient plus ni peur ni doute… » ( l’Histoire d’Eracles).
La joie des Turcs se transforma en panique et Saladin ne survécut que grâce a la fuite, assistant à la fin de son rêve. Apres 15 jours de désert, il entra au Caire, prostré entouré de quelques guerriers loqueteux comme sortie de l’enfer.Baudouin IV fit une entrée triomphale dans Jérusalem à la tête d’une poignée de preux chevaliers ayant sauvés la terre Sainte. La foule en liesse les accueillirent et fit de son roi des ovations, oubliant un instant ce corps couvert de pustules et de plaies qui le rongeaient. On se bousculait pour regarder son heaume étincelant qui cachait la souffrance pendant qu’il se dirigeait à la basilique du St Sépulcre pour rendre grâce à Dieu. … « Une figure de Christ, ce jeune roi lépreux, souffrant dans son corps, par avance, la décomposition de son royaume »   
Aujourd'hui plus que jamais, Baudouin IV, par son courage et son épreuve de la lèpre, doit demeurer aux yeux des adolescents d'aujourd'hui comme le plus grand exemple d'une jeunesse qui n'abandonne jamais dans l'adversité et la foi.                
Frédéric WINKLER   http://www.actionroyaliste.com/

Louis XVI et les "Insurgents"

En ces jours où se déroule aux États-Unis un scrutin dont les résultats seront connus quand paraîtront ces lignes, mais qui de toute façon sera déterminant pour l'avenir du monde, il est tentant, pour nous Français, de nous souvenir que ce pays aujourd'hui si puissant a été en quelque sorte porté sur les fonts baptismaux par le roi Louis XVI.
Un très intéressant dossier de la revue Historia est consacré aux “origines bien françaises” de ces terres que l'on désigne le plus souvent comme “l'Amérique”. Le professeur Bernard Vincent montre que le jeune roi Louis, dès qu'il eut appris, un an après son accession au trône, le début de la guerre déclenchée par les colons d'outre-Atlantique en révolte contre l'Angleterre, se passionna pour cette aventure et la suivit sans relâche jusqu'à la défaite anglaise en 1781. Il encouragea nos meilleurs amiraux (Charles d'Estaing, De Grasse…) et nos meilleurs soldats (La Fayette, Rochambeau…) à partir au secours des révoltés, fit redoubler les efforts de construction navale française, dépensa sans compter pour aider les Insurgents dont les envoyés en France (Benjamin Franklin, Thomas Jefferson…) étaient devenus la coqueluche de Paris…
Tout cela bien sûr parce que Louis XVI avait une revanche à prendre sur l'Angleterre qui nous avait infligé le désastreux traité de Paris, mais aussi parce qu'il partageait avec la jeunesse de son temps l'enthousiasme - et les illusions - pour les idées nouvelles de liberté. En refermant ce dossier qui fait vivre quelque temps dans Philadelphie, ville des Lumières, et qui rappelle qu'au XVIe siècle New York s'appelait Angoulême, on est obligé de se poser la question de savoir si le jeune roi a été bien inspiré. Car soutenir une insoumission et aider à mettre en place une république, tout en jetant la jeune noblesse française dans ce vivier d'idées révolutionnaires, n'était pas le meilleur moyen de renforcer la monarchie française aux prises avec des parlements tout prêts à exploiter le gouffre financier dans lequel cette guerre allait plonger le royaume. Il en sortit la banqueroute, les États Généraux, le renversement du trône… D'un autre côté, grâce à Louis XVI, l'Angleterre avait perdu sa toute puissante maritime et coloniale et la France avait repris le premier rang parmi les anciennes puissances.
Même Bainville ne tranche pas, tout en constatant qu'en se lançant dans la guerre d'Amérique le roi évitait un effacement irréparable de la France, mais que cette même guerre d'Amérique donna le choc par lequel la Révolution fut lancée… Plus que dans les faits, cherchons les causes de 89 dans la force de perversion des idées désincarnées…
M.F. L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 6 au 19 novembre 2008

mardi 29 novembre 2011

La République a légalisé le génocide vendéen

Dans notre numéro 848, Reynald Sécher, spécialiste de l'histoire de la Vendée, annonçait de nouvelles découvertes montrant que le génocide vendéen fut voulu et planifié. Son nouveau livre est une bombe que ceux qui se bouchent les oreilles n'empêcheront pas d'éclater.
En nous annonçant, dans notre numéro 848 du 17 septembre dernier, sa découverte du dossier original du plan d'extermination de la Vendée, et la publication de son livre : Vendée, du génocide au mémoricide, Reynald Sécher notait, pour résumer : « Non seulement je ne m'étais pas trompé, dans mes précédents ouvrages, mais j'ai sous-estimé ce crime. En fait, la guerre de Vendée n'existe pas, ou plus exactement elle ne dure que 5 mois. Tout le reste n'est que génocide. Non seulement les Conventionnels ont voté ce crime, mais ils l'ont mis personnellement en œuvre. »
Vingt-cinq ans après sa thèse sur Le génocide franco-français, la Vendée-Vengé, le hasard, qui est « peut-être, comme l'a dit Georges Bernanos, la logique de Dieu », le met en présence de documents oubliés, de « petits papiers » dispersés dans des dossiers, des manuscrits portant la signature originale de Robespierre, Carnot, Barère, etc. qui prouvent que l'extermination des brigands - sans oublier les brigandes - n'est pas d'abord le fait de Bleus, de Colonnes infernales trop zélés, mais une volonté expresse, organisée, un « plan d'ensemble » visant à rayer de la carte les populations de Vendée ayant décidé de se battre « pour Dieu et le Roi », un génocide des adversaires de la Révolution : « La Convention nationale vous appelle à l'honneur d'exterminer les brigands fugitifs de la Vendée. »
Ce massacre voulu, ce génocide concerté de quelque 117 000 hommes, femmes et enfants a été légalement organisé par les têtes pensantes de la Révolution. Et lorsque Turreau, dans ses Mémoires ou devant le tribunal militaire rejette la responsabilité du massacre sur le Comité de Salut public, il dit vrai. Comme dit vrai Westermann, le « boucher de la Vendée », dans sa fameuse lettre triomphante. « Nous avons remis, écrivait par exemple le Comité le 22 brumaire, soit le 12 novembre 1793, hier au Ministre de la Guerre un plan de campagne arrêté par le Comité. Il est calculé sur des bases vastes : il est tel qu'il est présumable que d'ici à trois semaines tous les brigands seront exterminés jusqu'au dernier. »
En novembre 1793 toujours, au moment où Turreau est nommé général en chef de l'armée de l'Ouest, le Comité du département du Morbihan écrit : « Il faut que la France soit république ou qu'elle soit un vaste cimetière. »
Et tant pis, au passage, pour les Vendéens bleus. « La mort d'un patriote est peu de chose, commente le général Grignon, quand il s'agit du salut public. » La surenchère dans la violence, comme le souligne en postface Stéphane Courtois, peut, seule, assurer l'émergence de l'Homme Nouveau, dans un monde nouveau où les plus farouches commanditaires du génocide régneront en maîtres.
L'éradication de la mémoire
Reynald Sécher publie nombre de ces documents qui accusent les plus illustres (?) chefs républicains. La devise Liberté-Egalité-Fraternité est cimentée dans le sang impur. La République est peut-être fille de la Révolution, mais celle-ci est née d'un génocide.
Mais là ne s'arrête pas la recherche de notre auteur. Reynald Sécher s'interroge ensuite sur ce qu'il appelle le « mémoricide », cette non-mémoire du génocide, le silence, l'oubli et le déni, l'éradication pure et simple de la mémoire.
Qu'importe leur souvenir : les Bleus épargnés par les Blancs sont fautifs, et les blancs épargnés par les Bleus sont responsables. Pour la République, il ne s'est rien passé. Avant elle, il n'est rien ; et dans ce néant disparaissent victimes et bourreaux.
De quel droit, dès lors, donnons-nous des leçons aux autres ? s'interroge, en préface, Me Gilles-William Goldnadel, président de France-Israël et membre du comité directeur du CRIF Par quel étrange schizophrénie Nicolas Sarkozy a-t-il appelé, début octobre, la Turquie à la repentance sur l'Arménie?
En postface, la psychanalyste Hélène Piralian livre une clef de réponse, en soulignant qu'il n'y pas de descendance des victimes. L'oubli couvre tout, et leurs héritiers doivent être tenus dans l'ignorance d'une abomination dont Soljénitsyne, en Vendée justement, avait souligné qu'elle fut le modèle de tous les génocides qui suivirent.
C'est sans doute pour cette raison que le nouveau livre de Reynald Sécher est tu, ou dénoncé par toute une intelligentsia. Parce que son livre atteint aux fondements de la République, tout est bon pour en rejeter le travail. À commencer par l'affirmation qu'en le dédiant à ses « ancêtres génocides », non seulement il trahit un tabou, mais il perd toute distance avec son sujet. S'il convient désormais d'interdire d'expression tout héritier des victimes d'un génocide, c'est toute une littérature qui va être rayé de nos bibliothèques !
Sécher ose donc demander l'abrogation des loi génocidaires ; et l'effacement du nom des génocidaires de l'Arc de Triomphe. Des noms qu'éclaire indûment la flamme du soldat inconnu, devenu « fils de France, non par le sang reçu, mais par le sang versé ». Le sang versé, oui, mais le sien !
Olivier Figueras monde & vie  29 octobre 2011
Reynald Sécher, Vendée : Du génocide au mémoricide, éd. Le Cerf, 24 €.

lundi 28 novembre 2011

1515 : La jeunesse d'un royaume

François 1er est sacré à Reims le 25 janvier. Quelques mois avant la bataille de Marignan où s’illustre le “roi chevalier”.
Cette année-là, la première de son règne, François 1er, vingt ans, incarnait le rajeunissement du royaume, à tel point que “1515″ a toujours gardé, dit Bainville, « quelque chose de joyeux et de pimpant ». Son oncle et beau-père, le très aimé “père du peuple” Louis XII, s'était éteint le 1er janvier sans héritier direct. François de Valois-Angoulême, qui se préparait depuis sa jeunesse radieuse entre deux femmes dont il était le dieu, sa mère Louise de Savoie, et sa soeur Marguerite, future reine de Navarre, bondit aussitôt sur le trône.
Dès le sacre somptueux dans la basilique de Reims, le 25 janvier, ce jeune roi svelte et enjoué, savourant autant les ornements de l'esprit que ceux du corps, déjà réputé pour un humaniste assoiffé d'art et de littérature, donna la parfaite image d'un prince de la Renaissance qui ne rompait pas pour autant avec la foi vibrante et le goût du faste de la chevalerie médiévale. Après un périple triomphal, il effectua le 15 février, tout de blanc vêtu, son entrée solennelle dans Paris orné d'étendards, de banderoles, de riches soies et de superbes velours, au son des trompettes et des tambours. Sous les acclamations trépidantes de la jeunesse et le regard enamouré des belles dames, François lançait à poignées des pièces de monnaie… Sous des dehors d'enfant gâté, le jeune roi était un fin calculateur. Il savait que l'horizon européen n'avait rien de limpide et que survenait un monde où ne régnerait plus comme au Moyen-Âge l'harmonie des âmes, mais où la paix devrait plutôt reposer sur l'équilibre des forces.
Or, menaçaient la France Henri VIII d'Angleterre, Charles de Brabant, roi des Pays-Bas bourguignons, à peine âgé de quinze ans, petit-fils de l'empereur Maximilien 1er, et l'autre grand-père du même Charles, Ferdinand d'Aragon. La tenaille risquait de se fermer sur la France, or, c'était en Italie qu'il fallait la démonter, d'autant que la reine Claude, alors enceinte, héritait des droits de Louis XII sur le Milanais de son aïeule Visconti ! Aussi François méditait-il son plan. Quelques promesses pour tenir tranquilles l'Anglais et le Bourguignon, puis une alliance avec Venise, et voici, dès le mois d'avril, sans que nul ne l'eût vue arriver, une puissante armée concentrée dans le Lyonnais et le Dauphiné ! En route pour en prendre le commandement, traversant Amboise, François terrassa de son épée un sanglier furieux.
Marignan
À Lyon le 15 juillet, il confia la régence à Louise de Savoie, puis partit pour Embrun avec le connétable de Bourbon, les maréchaux de Lautrec, Trivulce et de La Palice, et quelques grands capitaines dont Bayard, entraînant douze mille cavaliers, 30 000 hommes de pied qui tiraient 72 pièces de grosse artillerie et 300 pièces légères. Bientôt s'ajoutèrent 22 000 lansquenets allemands. Les Suisses ayant refusé les offres d'entente, il fallut, avec tous ces engins, traverser les Alpes suisses sur des sentiers étroits et inexplorés comme suspendus sur le vide. L'exploit est resté dans les mémoires autant que jadis celui d'Annibal. L'irruption des Français surprit Prosper Colonna,officier du duc de Milan, alors qu'il était à table dans le Piémont à Villafranca.
François 1er toujours plein d'entrain voulut quand même négocier encore avec les Suisses qui eurent bien tort de refuser, car à Marignan près de Milan, la bataille dura du 13 au 15 septembre et fut extrêmement rude jusqu'à ce que l'artillerie française eût le dernier mot. Pendant toute une nuit « le cul en selle et la lance au poing », comme il devait écrire à sa mère, François fut héroïque et devint pour tous le « roi-chevalier » après qu'il eut fait à Bayard l'honneur de lui demander de l'adouber. Les Suisses jusqu'alors invincibles ne purent plus refuser les avances françaises et c'est ainsi que quelques mois plus tard était signée la paix de Fribourg (29 novembre 1516) les faisant entrer par un contingent régulier au service des rois de France. C'est la seule paix au monde qui ait jamais mérité d'être qualifiée de perpétuelle.
Autre heureuse conséquence de la victoire de Marignan : le pape Léon X (un Médicis) vit qu'il était temps de résoudre quelques différends entre l'Église et la monarchie capétienne ; il en sortit le concordat de 1516 qui allait rester en vigueur jusqu'à la Révolution. Cette première année de règne laissait présager bien des prouesses, car l'Europe n'allait pas laisser François en paix. Déjà sous le jeune Charles de Brabant perçait Charles-Quint, et, six ans plus tard (1521) Luther allait lancer son brûlot…
MICHEL FROMENTOUX  L’ACTION FRANÇAISE  2000 du 6 au 19 novembre 2008

vendredi 25 novembre 2011

Le miracle romain : l’armée

La période des origines de Rome est largement plongée dans la légende. Fondée, d'après la tradition, le 21 avril 753 avant J.-C., la ville passa vite sous la domination de voisins riches et puissants, les Étrusques, en sorte que sa première armée peut être appelée romano-étrusque. Toujours d'après la tradition, Rome se débarrassa de ses maîtres en 509.
La première armée proprement romaine reflétait de manière étroite une société et un État très aristocratiques. Les hommes étaient répartis en fonction de leurs revenus en 5 classes et 193 centuries. Au début, comme chacun devait payer son armement, les plus riches combattaient à cheval ou constituaient l'élite de l'infanterie ; les plus pauvres n'étaient même pas admis au service, puisqu'ils n'avaient pas les moyens de s'équiper. Les combattants adoptèrent d'abord un système proche de celui de la phalange grecque : épaule contre épaule, ils offraient à l'ennemi une ligne continue qu'on appelait la légion, mot qui signifie que les hommes ont été sélectionnés.
La tactique manipulaire, très moderne pour son époque, constitua une première révolution. Le corps de bataille éclata en une série de petites unités, les manipules, groupes de deux centuries, et chaque soldat occupa un petit espace qui lui permettait de pratiquer l'escrime sans gêner son voisin. Les manipules étaient répartis sur trois lignes : les soldats les plus riches occupaient le premier rang, les autres le second, mais au troisième on plaçait les plus expérimentés. Le gain en souplesse était évident.
Les débuts furent difficiles. À plusieurs reprises, Rome faillit disparaître, menacée tantôt par les Étrusques, tantôt par les Latins, tantôt par les Gaulois. Pour faire face à d'aussi nombreux adversaires, il fallut utiliser toutes les ressources humaines disponibles. La solde fut créée et, dans le même temps, le revenu minimum, ou cens, abaissé : des hommes de plus en plus pauvres purent entrer dans l'armée. La vraie révolution intervint à la fin de la guerre de 340-338 contre les Latins. Au lieu de réduire en esclavage ces voisins qu'ils venaient de vaincre, conformément au droit international de l'époque, les Romains non seulement leur laissèrent la liberté mais encore leur donnèrent leur propre citoyenneté. Cette mesure extraordinaire mit à la disposition du commandement de nombreuses légions. Alors que Rome avait eu besoin de deux siècles et demi pour simplement garantir sa survie (753-338), cinquante ans (338-272) lui suffirent pour prendre le contrôle de l'Italie.
Puis, hors de l'Italie, l'armée romaine s'attaqua à Carthage qui contrôlait un vaste domaine. La première guerre punique (264-241) fit passer les îles de la Méditerranée occidentale dans le domaine de Rome. La seconde guerre punique (218-201) brisa la force militaire de Carthage. La troisième (148-146) ne fut qu'une simple expédition contre une ville isolée, qui fut prise et rasée ; l'Afrique tombait à son tour dans l'empire de Rome.
La conquête de l'Espagne fut entreprise au cours de la deuxième guerre punique, à partir de 210 avant J.-C. Ce fut sans doute ce conflit qui apprit aux Romains l'utilité d'unités regroupant 3 manipules, les cohortes ; 10 cohortes formèrent une légion.

En Orient, la Grèce fut la première victime de cet impérialisme. Elle fut réduite en provinces après une révolte durement réprimée, en 148 et 146. C'est surtout Pompée le Grand qui augmenta le domaine de sa patrie dans cette région : il s'empara d'une partie de l'Anatolie, de la Syrie et de la Judée. Octave-Auguste, enfin, en remportant sur Antoine et Cléopâtre la victoire d'Actium (31 avant J.-C.), ajouta l'Égypte à l'Empire. Dans le même temps, et en deux étapes (125-118 et 58-51), la Gaule, était à son tour conquise.
L'armée de la “paix romaine”
Auguste créa une nouvelle armée. Deux caractères principaux la définissent, professionnelle et défensive. La conscription subsistait, mais les jeunes gens sélectionnés restaient au service de 25 à 30 ans. Une petite partie de l'armée, quelque 10.000 hommes, forma la garnison de Rome – prétoriens, urbaniciani et vigiles. La flotte, d'environ 40.000 marins, reçut deux grandes bases à Misène et Ravenne. L'essentiel du corps de bataille, les 25 légions et les nombreux corps auxiliaires, soit à peu près 250.000 hommes, fut installé sur la frontière.
L'armée offrait encore un reflet de la société, mais d'une société qui aurait été vue à travers un miroir déformant. Les cadres venaient du Sénat ou de l'ordre équestre. Les soldats furent d'abord recrutés dans les provinces romanisées, puis de plus en plus près des camps. On exigeait d'eux qu'ils connaissent au moins le latin. Tous les hommes libres pouvaient être appelés, les Italiens dans la garnison de Rome, les citoyens romains dans les légions et les pérégrins – hommes libres non citoyens – dans les unités auxiliaires. Seuls les esclaves et les affranchis, jugés indignes, étaient exclus.
Outre ce recrutement de qualité, plusieurs facteurs expliquent la valeur de cet instrument de guerre. Contrairement à la légende, les officiers étaient compétents et courageux. Les soldats, disciplinés, pratiquaient un entraînement dur et régulier, et ils avaient un excellent armement, défensif et offensif. Et la guerre était devenue une science. Les officiers savaient comment diriger l'exercice, comment organiser l'ordre de marche, la bataille en rase campagne et le siège, comment construire un camp. Enfin, l'État avait une stratégie qui s'élabora peu à peu, certes de manière empirique, mais non sans efficacité. L'Empire avait atteint des dimensions telles qu'il finit par paraître impossible de l'accroître encore. On recourut à la défensive en l'entourant d'une ceinture de routes, de murs, de fleuves, de camps et de tours; c'est ce que les modernes appellent le limes.
Pendant deux siècles, le monde connut une heureuse situation, la “paix romaine”. Tout se gâta à partir de 235 après J.-C., quand les Germains au nord et les Perses à l'est attaquèrent simultanément. Pour des raisons d'effectifs, l'armée eut du mal à se défendre sur deux fronts à la fois. Vint le temps des défaites, des empereurs morts au combat, des unités en déroute. Pourtant, dès le milieu du IIIe siècle, alors que l'Empire touchait le fond, des officiers énergiques entreprirent de réagir. S'il se révéla impossible de faire cesser les tentatives d'usurpation, le pouvoir sut repousser les ennemis, réduire les dissidences – Gaule, Palmyre –, préparer l'avenir. De nouvelles unités furent créées, avec davantage de cavalerie et une meilleure protection, et une réserve fut installée à Milan par Gallien.
Quand Dioclétien arriva au pouvoir, en 284, date traditionnelle pour la naissance du Bas-Empire, la situation allait en s'améliorant. Cet empereur installa deux petites légions dans chaque province frontalière. Il créa quatre commandements généraux et, dans ces conditions, il lui fallut multiplier les effectifs. Ce faisant, il privilégiait la quantité au détriment de la qualité. En effet, pour trouver de nouveaux effectifs, il fallut recourir à des expédients, imposer l'hérédité, acheter des volontaires, et surtout enrôler des barbares.
Le principal problème de Constantin (306-337) fut de réduire les usurpations et les concurrences. Il passa les deux tiers de son règne à lutter contre des compétiteurs (306-324). C'est pour cette raison qu'il appela ses meilleures troupes à l'intérieur de l'Empire. De plus, installer les soldats dans des villes permettait de mieux résoudre les problèmes de ravitaillement. Dans le même temps, la frontière était dégarnie, mal défendue. Constantin supprima les cohortes prétoriennes et divisa les commandements généraux entre plusieurs commandants – maîtres de l'infanterie, de la cavalerie, en Orient, en Gaule, en Illyrie – pour éviter qu'aucun n'ait trop d'effectifs à sa disposition.
Grâce à ces mesures, Constantin put régner tranquillement de 324 à 337. Il avait cependant dégarni la frontière et affaibli les commandements stratégiques. Plusieurs de ses successeurs, tels Constance II, et surtout Julien et Valentinien Ier, se révélèrent courageux et compétents. Ils eurent de plus en plus recours à des barbares, et ces derniers occupèrent jusqu'aux plus hautes charges militaires à la fin du IVe siècle. L'armée romaine était très affaiblie. Dans le même temps, les Germains et les Perses se montraient de plus en plus agressifs. Les provinces d'Orient réussirent à se défendre. En proie à une crise générale, notamment économique, l'Occident et surtout la Gaule ne purent toutefois faire face aux invasions. En 406, les Vandales, les Alains et les Suèves franchirent le Rhin sans qu'aucune armée ne s'oppose à leur avance. En 410, les Goths prenaient Rome.
Tandis que l'Orient romain devenait lentement le monde byzantin, l'Occident romain cédait brutalement la place à un monde barbare.
 Yann LE BOHEC  THEATRUM BELLI

Les Vikings en France

Guerriers, marchands, prodigieux navigateurs, les Vikings, dès la fin du VIIIe siècle, établissent des routes maritimes de la Baltique à l'océan Atlantique. Après la mort de Charlemagne, ces Normands – ou hommes du Nord – débarquent aux abords des principaux fleuves du royaume franc, qu'ils remontent bientôt, pillant et semant la terreur.
En 911, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, le roi franc Charles le Simple concède des territoires au Norvégien Rollon.   Jean Renaud auteur de l'ouvrage Les Vikings en France retrace cette geste qui, en 150 ans, vit ces pillards coloniser les terres de Normandie, se convertir et s'intégrer dans la communauté franque, avant de repartir conquérir l'Angleterre.
Des premiers coups de main…
C'est en 799 que les Vikings commirent leurs premiers coups de main sur la côte d'Aquitaine : ainsi débutèrent les incursions scandinaves dans le domaine géographique de la France actuelle. Charlemagne puis son fils, Louis le Pieux, tentèrent de s'y opposer en mettant en place un dispositif de garnisons et de flottilles le long des côtes. Mais celui-ci perdit vite de son efficacité, tandis que les rivalités internes déchiraient l'Empire.
En 841, alors que Charles le Chauve était monté sur le trône de France l'année précédente, les Vikings s'engagèrent pour la première fois sur la Seine et prirent Rouen presque sans coup férir. L'année suivante, ils mirent à sac l'un des plus grands ports francs, Quentovic, sur la Canche. En 843, ils ne rencontrèrent aucune résistance pour prendre Nantes ; en 844, ils remontèrent la Garonne jusqu'à Toulouse et, en 845, firent irruption sur l'Adour et sur la Charente. Ils remontèrent également la Seine cette année-là et assaillirent Paris. Contraint de négocier, le roi acheta leur départ et leur versa sept mille livres d'argent.
Les Vikings surgissaient partout, à bord de leurs navires dont la maniabilité et le faible tirant d'eau leur permettaient une extrême mobilité. Ils semaient la terreur parmi les populations, pillaient les églises et les monastères de leurs richesses et repartaient presque toujours impunément. Si en 848 le roi attaqua une de leurs flottes sur la Dordogne et l'emporta, ce ne fut évidemment qu'un coup d'épée dans l'eau : les Vikings réussirent aussitôt après à prendre Bordeaux.
…aux premières bases fluviales
À partir du milieu du IXe siècle, ils commencèrent à aménager de véritables bases fluviales, leur servant de mouillage et leur donnant plus facilement accès à l'arrière-pays. Ils établirent leurs camps en fonction de critères stratégiques, mais aussi des possibilités de stockage des vivres, du fourrage – ils avaient de plus en plus recours à la cavalerie, ce qui leur permettait d'allonger leurs itinéraires terrestres –… et du butin : par exemple à Taillebourg sur la Charente, face à Saint-Florent sur la Loire ou à Oissel sur la Seine. C'était la fin des simples expéditions saisonnières ; dès lors, ils sillonnaient le pays de façon permanente et accéléraient le rythme de leurs déprédations.
Aucune région n'était épargnée. Même l'Auvergne fut atteinte : les Vikings poussèrent jusqu'à Clermont en 856. Deux ans plus tard, ils ravagèrent les côtes de Roussillon, prirent Narbonne et hivernèrent en Camargue avant de remonter le Rhône. Ils pillèrent Arles et Nîmes, puis ils parvinrent jusqu'au confluent de l'Isère. Girard, le comte de Vienne, s'opposa à eux et les empêcha de naviguer en amont de Romans.
Se défendre ou négocier ?
Charles le Chauve, après avoir surmonté les pires crises de son règne, tenta d'imposer une politique défensive face à leurs incursions répétées et prit diverses initiatives. Il ordonna la construction de ponts fortifiés, sur la Seine d'une part, à Pont-de-l'Arche, et à l'entrée de l'Oise et de la Marne ; sur la Loire d'autre part, aux Ponts-de-Cé au sud d'Angers. Il chargea Robert le Fort de la défense de la Neustrie et alla jusqu'à s'allier avec les Bretons contre les Vikings qui, en 872, sous les ordres d'un de leurs chefs les plus redoutés, Hasting (Hásteinn), occupèrent Angers. Charles le Chauve et Salomon firent ensemble le siège de la ville pendant plusieurs mois et finirent par détourner le cours de la Maine de façon à interdire aux Vikings l'usage de leurs bateaux et les contraindre à se rendre. Malgré tous ces efforts, Charles le Chauve ne parvint jamais à se débarrasser des Vikings, dont l'activité était plus débordante que jamais à sa mort, en 877.
En 881, le roi Louis III franchit l'Oise à la tête de son armée et attaqua les Vikings de la Somme à Saucourt-en-Vimeu, où il leur infligea une défaite sans précédent… mais suivie d'aucun effet. Quatre ans plus tard, ils remontèrent la Seine et se présentèrent devant Paris. Le passage qu'ils voulurent négocier leur fut refusé et ils décidèrent d'assiéger la ville, défendue par Eudes, alors comte de Paris. Les Vikings établirent plusieurs camps retranchés et lancèrent deux grandes offensives, mais les Francs tinrent bon. À son retour d'Italie, en 886, Charles le Gros décida de marcher sur Paris mais, en définitive, il renonça à se battre et autorisa les Vikings à aller piller la Bourgogne. Ce qu'ils firent. Paris avait résisté inutilement et les grands du royaume ne tardèrent pas à le déposer et à choisir Eudes pour roi.
Rollon, le traité de Saint-Clair-sur-Epte et la naissance de la Normandie
Au tournant du siècle, deux chefs vikings apparurent respectivement sur la Seine et sur la Loire, où ils jouèrent chacun un rôle déterminant : Rollon (Hrólfr) et Ragenold (Rögnvaldr). Les succès limités obtenus sous le règne d'Eudes n'avaient pas apporté de solution au problème, aussi son successeur, Charles le Simple, en 898, allait-il chercher à l'aborder différemment, tandis qu'en Bretagne la mort d'Alain le Grand en 907 ouvrait une période de grave crise politique. Désormais, après les pillages et l'imposition de tributs, les Vikings allaient tenter de s'implanter et de coloniser des territoires.
On ignore à quelle date situer l'arrivée de Rollon dans l'estuaire de la Seine : sans doute avant 900. Toujours est-il qu'en 911 il remonta l'Eure et assiégea Chartres, en vain. À la suite de négociations menées par l'archevêque de Rouen, Charles le Simple, appuyé par le duc Robert, accepta de le rencontrer et de passer un accord avec lui. La rencontre eut lieu à Saint-Clair-sur-Epte, à mi-chemin entre Paris et Rouen.
Le roi concéda à Rollon un territoire : celui qu'il occupait déjà, soit à peu près à l'actuelle Haute-Normandie. Rollon en avait la pleine propriété, mais il s'engageait à empêcher les flottes ennemies de remonter la Seine. La conversion des Vikings et de leur chef fut également une des principales conditions posées par Charles le Simple : elle rendait admissible la concession qu'il leur faisait d'une terre chrétienne. Le « traité de Saint-Clair-sur-Epte » aurait pu être de courte durée : en fait il définissait une politique à long terme des plus bénéfiques. C'était l'acte de naissance du duché de Normandie.
Comme l'ancienne aristocratie avait disparu, Rollon entreprit de mettre en place la nouvelle élite « normande » qui allait prendre souche en terre franque. La colonisation agricole a ensuite commencé et les Vikings ont construit de nouvelles fermes et multiplié les défrichements. Sur les côtes, ils ont développé la pêche ou les salines.
Rollon comprit très vite qu'il pouvait puiser à deux sources, nordique et franque, pour organiser son nouvel État, et ses successeurs directs continuèrent dans cette voie afin de satisfaire au mieux leurs propres intérêts. Il choisit donc, d'une part, d'asseoir son pouvoir sur la population locale en conservant le système carolingien en vigueur ; d'autre part, de conserver la rigueur nordique : à l'origine, il semble que l'influence porta surtout sur le droit pénal, le droit familial et le droit maritime. En concluant avec l'archevêque une sorte d'alliance locale, il relança l'Église séculière et se concilia la population. Le rétablissement de la vie monastique fut assurément beaucoup plus difficile.
Raids normands en Bretagne
L'activité viking se concentra alors sur la Bretagne au début du Xe siècle, où elle se traduisit par un véritable exode des moines qui désertèrent de plus en plus leurs monastères. En 919, Ragenold s'engagea sur la Loire, s'empara aisément de Nantes et prit le contrôle de l'estuaire. En 921, le duc Robert vint assiéger la ville mais, au bout de cinq mois, il fut contraint de concéder à Ragenold le pays nantais. Cette concession devenait l'acte fondateur d'une principauté scandinave en Bretagne.
Déchu en 922, Charles le Simple invoqua l'appui de Rollon et de Ragenold. Le roi Raoul les arrêta sur les bords de l'Oise en 923, puis il les poursuivit jusqu'en Normandie, franchissant l'Epte. Les pourparlers tournèrent toutefois à l'avantage du comte de Rouen qui obtint, en 924, la concession de l'Hiémois et du Bessin, où Rollon exerçait déjà son influence. Désormais, la frontière normande était avancée jusqu'à la Vire.
En revanche, jugeant insuffisant le tribut qu'on lui consentait, Ragenold remonta la Loire à la tête d'une importante armée et arriva par surprise en Bourgogne, mais il subit une sévère défaite à Chalmont, près de Melun. Sans doute mort dès 925, Ragenold n'avait pas su, contrairement à Rollon, dépasser le stade de la simple occupation militaire.
En 927, le fils de Rollon, Guillaume Longue-Epée se recommanda au roi, dans un hommage surtout symbolique. Ou bien son père était déjà mort, ou bien il avait abdiqué en sa faveur. Les Francs, comprenant par ailleurs l'urgence d'une nouvelle campagne contre les Vikings de la Loire, vinrent assiéger Nantes une fois encore, mais sans plus de succès. Les Vikings conservaient le Nantais en toute propriété.
En Normandie, Guillaume eut le mérite de consolider l'édifice encore fragile laissé par son père. Il se heurta notamment au problème du Cotentin. Le roi Raoul, en échange de son hommage renouvelé, le lui céda, ainsi que l'Avranchin, en 933. Or le nord du Cotentin, géographiquement isolé, était déjà fortement colonisé par des Vikings hostiles à un pouvoir proche de la féodalité franque. Tenant à leur indépendance, ils s'allièrent à ceux du Bessin et se révoltèrent sous la direction de leur chef, Rioulf (Herjólfr). La bataille eut lieu non loin de Rouen et Rioulf fut battu. Guillaume devint maître incontesté de la Normandie, florissante et ouverte sur l'Europe du Nord.
En 936, Alain Barbetorte, revenant d'exil, débarqua à Dol puis gagna la région de Saint-Brieuc, où il anéantit les Vikings retranchés dans le camp de Péran. L'année suivante, il traversa toute la Bretagne et reprit Nantes aux Vikings, les forçant à regagner leurs navires sur la Loire et à fuir. En 939, ceux qui s'étaient regroupés non loin des rives du Couesnon, reprirent leurs exactions dans la région de Rennes. Le comte Bérenger et Alain Barbetorte remportèrent sur eux une victoire décisive, qui marqua la fin de l'occupation scandinave en Bretagne.
Le succès de Guillaume Longue-Epée en Normandie se retourna contre lui. En 942, le comte de Flandres l'attira dans un véritable guet-apens, le faisant assassiner par ses hommes à l'issue d'une entrevue sur une île de la Somme. Les Normands pleurèrent leur comte comme un saint ou un martyr et l'inhumèrent, comme son père, en la cathédrale de Rouen. Ils désignèrent aussitôt son fils Richard pour lui succéder, mais ce n'était qu'un enfant.
Louis IV d'Outremer tenta de récupérer la Normandie et prit le jeune Richard en otage, mais en 945, les Normands firent appel au chef viking Haigrold (Haraldr) et écrasèrent l'armée franque sur la Dives. Le roi fut fait prisonnier et des négociations aboutirent à une sorte de second traité de Saint-Clair-sur-Epte, établissant définitivement l'autorité de Richard sur la Normandie. Celui-ci mourut en 996 et sous son successeur, Richard II, le premier à porter le titre de duc, les influences norroises diminuèrent.
Richard, duc de Normandie
À cette époque les Vikings s'étaient intégrés dans la communauté franque avec laquelle ils se fondaient peu à peu, baptisés et mariés à des femmes indigènes. Leur langue tomba en désuétude au bout de quelques générations, mais un certain vocabulaire norrois s'imposa en Normandie, pour l'essentiel des mots concernant la mer – la navigation, les rivages, la pêche et ses produits – dont un petit nombre est passé ensuite en français par le biais des dialectes normands. En outre, les colons scandinaves donnèrent quantité de noms de lieux, qui existent aujourd'hui encore, à divers éléments du paysage ainsi qu'à leurs habitations. Certes, beaucoup de ces toponymes ont été écorchés au fil des siècles, mais ils nous permettent aisément de délimiter la colonisation : Dieppedalle, Bolbec, Angoville, Yvetôt, Sottevast…
Les Vikings semèrent la terreur et laissèrent quantité de ruines derrière eux : lorsque les moines se lamentaient sur leurs pillages et leurs atrocités, quoi de plus naturel ? Ils étaient les premiers concernés et ils perdirent dans l'affaire une bonne partie de leur fortune. Il est d'ailleurs difficile d'évaluer les dégâts : bien des trésors conservés dans les abbayes de la France entière furent réduits en cendre ou dispersés. Mais il est vrai qu'il manquait aux annalistes, leurs contemporains, la vision d'ensemble du phénomène viking dont nous disposons aujourd'hui, et que, par la suite, les historiographes déformèrent également leur image, parfois pour le meilleur avec Rollon, en Normandie, mais souvent pour le pire, comme avec Ragenold, en Bretagne.
Les Vikings ont joué dans l'histoire de France un rôle qu'on aurait tort de sous-estimer : déstabilisateur à bien des égards, certes, quand on considère la succession de « coups de main », de batailles et de pillages dans toutes les régions de France ; mais dans cette future Normandie concédée en 911, les avantages succédèrent vite aux inconvénients : les Vikings redressèrent les ruines qu'ils avaient eux-mêmes causées et jetèrent les bases d'un remarquable essor économique et politique – qui permit, en 1066, ni plus ni moins que la conquête de l'Angleterre.
Source du texte : CLIO.FR via Theatrum Belli

jeudi 24 novembre 2011

Franco et les juifs : La réécriture de l’histoire au service de la diabolisation / Entre la désinformation franquiste et l’intoxication « antifasciste »


L’histoire et surtout sa réécriture sont de plus en plus instrumentalisées politiquement. Et mises au service de la culpabilisation des nations et des peuples européens. Et au détriment des forces politiques traditionnelles ou de l’Église. L’Espagne n’échappe pas à cette entreprise de subversion. Quarante ans après une transition démocratique réussie, soixante-cinq après la fin d’une seconde guerre mondiale à laquelle l’Espagne n’a pas participé, le régime de Franco est régulièrement convoqué au banc des accusés.
Les socialistes et la presse de la superclasse mondiale ravivent régulièrement les blessures de la guerre civile. Avec l’appui du grand quotidien El País, Felipe Gonzalez avait utilisé les montages historiques pour donner des gages à l’extrême gauche et détourné l’attention de l’opinion de ses échecs économiques.
L’une des dernières manœuvres a consisté à accuser le régime franquiste d’avoir été complice de la persécution des juifs. L’hispanisant Arnaud Imatz fait litière de ces abjections pseudo-historiques : jamais les 6.000 juifs de la Péninsule ibérique n’ont été inquiétés de 1940 à 1945 ; et la grande majorité des 15.000 juifs de l’Espagne africaine ont soutenu le général Franco. Rappel des faits contre les mensonges historiques. Bref mémoire historique contre mémoire hystérique !

Polémia.

Sept lustres après sa mort, le général-dictateur Francisco Franco reste un sujet de discorde. Quand les controverses s’apaisent, de grands médias espagnols sont là pour en réactiver l’intensité. Les autorités politiques de la Péninsule ont bien du mal à résister à la tentation de réveiller les vieux démons idéologiques lorsqu’elles jugent utile de détourner l’attention du peuple. A la tête des gouvernements socialistes pendant sept ans, José Luis Rodriguez Zapatero s’est fait une spécialité des polémiques chocs sur la guerre civile et le franquisme. Au risque de fomenter l’agitation et la division, il a régulièrement tenté d’instrumentaliser une interprétation de l’histoire et en a fait un levier de sa politique pour satisfaire l’extrême gauche (1).

Discrédité au lendemain de la crise de 2008, il a usé et abusé de ce stratagème jusqu’à la fin de ses mandats. La dernière dispute, impulsée indirectement par le « locataire » de la Moncloa, juste avant de décider de ne pas se représenter aux élections générales du 20 novembre 2011, a porté sur l’attitude du Caudillo à l’égard des juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle a été déclenchée par un article sensationnaliste publié dans le journal semi-officiel El País, intitulé : « Reportage : Le cadeau de Franco à Hitler. La liste de Franco pour l’Holocauste » (2). Un cas d’école d’intoxication historico-politique, qui ne mériterait pas que l’on s’y attarde, s’il n’avait été orchestré par l’un des grands quotidiens d’information espagnol régulièrement cité par la presse internationale.
Un tissu de conjectures
Le « chapô » de l’article donnait le ton : « Le régime franquiste ordonna aux gouverneurs civils, en 1941, d’établir une liste des juifs vivant en Espagne. Le fichage, qui incluait les noms, les activités professionnelles, idéologiques et personnelles de 6.000 juifs, fut vraisemblablement remis à Himmler. Après la chute d’Hitler, les autorités franquistes essayèrent d’effacer tous les indices de leur collaboration à l’Holocauste. El País a reconstruit cette histoire et montre le document qui prouve l’ordre antisémite de Franco ». Cet article se fonde en fait sur quatre pages publiées douze ans plus tôt, dans la revue Raices, par le président de la Fédération des communautés juives d’Espagne, directeur général du groupe Shlumberger-Sema-Espagne, Jacobo Israel Garzón (3). En 1997, dans « Le fichier juif du franquisme », Jacobo Israel avait divulgué l’existence d’une circulaire émanant de la Direction générale de sécurité, datée du 5 mai 1941, qui ordonnait aux gouverneurs civils provinciaux d’envoyer des informations sur tous les juifs nationaux et étrangers vivant sur leur territoire. Ce document, qui incitait à la création d’un « fichier judaïque », provenait du gouvernement civil de Saragosse et avait été trouvé dans l’Archivo Histórico Nacional.

Depuis sa révélation, la circulaire de 1941 n’a pas manqué de soulever bien des questions. Quelle fut la répercussion pratique du fichier ? L’initiative de sa création relevait-elle du gouvernement ou des autorités policières ? Dans quelle mesure les gouverneurs civils suivirent-ils les instructions reçues ? Combien de personnes furent incluses dans ce fichier ? Les explications qu’apporte l’historien-journaliste d’El País sont simplistes. Le fichier aurait été totalement détruit à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et seules quelques fiches individuelles nous seraient parvenues. Il aurait contenu au moins 6.000 fiches individuelles parce que ce chiffre figure dans le dénombrement par pays de la population juive du Protocole de Wannsee (20 janvier 1942). Il en résulterait, toujours selon le rédacteur d’El País, qu’il est « vraisemblable » que José Finat, l’ancien directeur général de la sécurité espagnole, plus tard ambassadeur à Berlin, ait remis l’ensemble du fichier au Reichsführer de la SS, Himmler.

Un tissu de conjectures qui repose sur une part de réalité, mais qui n’en reste pas moins hypothétique. Qui prétendrait impliquer les autorités anglaises dans l’Holocauste uniquement parce que le nombre de juifs du Royaume-Uni a été mentionné lors de la conférence de Wannsee ? L’historien-journaliste d’El País semble ignorer que le chiffre de 6.000 juifs était du domaine public dans la Péninsule bien avant les faits qu’il relate. En 1933, la presse madrilène faisait état d’une communauté juive espagnole de 5.000 personnes. En 1934, elle dénombrait près de 1.000 réfugiés politiques allemands, juifs ou non juifs, un chiffre d’exilés politiques que le rédacteur d’El País ne mentionne pas. Et pour cause ! Il détruit à lui seul le mythe d’une République accueillante dont le gouvernement de libéraux de gauche et de socialistes aurait reçu à bras ouverts les réfugiés juifs du Reich. La République espagnole avait, au contraire, réinstauré, avant les élections de novembre 1933, l’obligation du visa pour les Allemands afin de freiner l’immigration juive, ou plutôt, comme on préférait dire à l’époque, « pour éviter une saturation du marché du travail ». Cela dit, il est très improbable que la totalité des 6.000 juifs soit restée sur le territoire espagnol après la victoire du camp national (il y eut pas moins de 430.000 exilés à la fin de la guerre civile : 270.000 qui passèrent et repassèrent la frontière en quelques semaines et 160.000 qui furent les exilés permanents).

La communauté juive d’Afrique du Nord majoritairement favorable à Franco

Autre omission de taille du rédacteur d’El País : il ignore l’existence de la communauté juive nord-africaine du protectorat marocain espagnol. Cette communauté de plus de 15.000 personnes, bien plus importante que celle de la Péninsule, avait pris majoritairement parti pour Franco et le camp « national » pendant la guerre civile. Une proportion considérable de juifs militants ou sympathisants communistes avait combattu dans les rangs des Brigades internationales, « courroie de transmission de Staline » (peut-être 7 à 10% de l’effectif total) et la majorité de la communauté juive internationale s’était prononcée en faveur de la gauche et de l’extrême gauche, mais le soutien des juifs au Front populaire n’avait pas été aussi massif et uniforme que le prétend la légende. Au lendemain de la guerre civile, la communauté juive du protectorat marocain était considérée sûre et fidèle par le Nouvel Etat, alors que celle de la Péninsule était jugée, à tort ou à raison, hostile et potentiellement menaçante.

Mais les anomalies et les entorses à la logique de l’article d’El País ne s’arrêtent pas là. Jacobo Israel avait suggéré que les traces du fichier judaïque disparu devaient être recherchées « dans les près de 100.000 enquêtes effectuées par la police » franquiste (en réalité près de 130.000 figurent dans l’Archivo Histórico Nacional), mais cela n’empêche pas le rédacteur du quotidien madrilène d’affirmer, sans citer la moindre source, qu’au cours de la seule année 1940, 800.000 enquêtes ont été effectuées et plus de 5 millions de citoyens fichés. La répression franquiste de l’immédiat après-guerre (50.000 condamnés à mort, dont 30.000 exécutés, et 270.000 personnes incarcérées en 1939, chiffre qui s’élevait encore à 43.000 en 1945) (4) fut suffisamment dure et effrayante pour ne pas avoir besoin d’être inventée ou exagérée, mais tel n’est pas l’avis du journaliste-historien d’El País. Il ne s’agit pas pour lui de faire œuvre d’histoire et d’éclairer les « zones d’ombre » du franquisme en s’efforçant à la neutralité axiologique, mais de discréditer moralement la prétendue « descendance » à laquelle il s’oppose : le conservatisme-libéral espagnol. Et pour ce faire, il réactive les vieilles méthodes et légendes du Komintern : l’agression d’une démocratie modérée et pacifique par la droite réactionnaire, l’équivalence franquisme-fascisme-nazisme, l’escamotage de la bolchévisation du parti socialiste, la sous-estimation du développement du PCE, la négation du sectarisme et de la violence du Front populaire, etc.
L’uchronie n’est pas l’histoire

Il est évident que, dans le cas d’une occupation allemande de l’Espagne, un « fichier juif » aurait été particulièrement dangereux pour les juifs. Ce point est irréfutable. Mais l’uchronie n’est pas l’histoire. Confondre l’histoire virtuelle, celle d’une entrée de l’Espagne dans la guerre mondiale et d’une collaboration de Franco et de son régime à l’Holocauste, telle qu’elle aurait pu être, avec l’histoire réelle, celle d’un Franco qui maintint l’Espagne en dehors de la guerre mondiale et qui permit la protection de dizaines de milliers de juifs, relève au mieux de la bêtise, au pire de la malhonnêteté intellectuelle.

Aucune attention particulière pour les juifs et le judaïsme
Antisémite ou philo-séfarade ? Quelle était donc la véritable attitude de Franco ? Avant de répondre, revenons au réalisme des faits (5). Les juifs et le judaïsme n’étaient pas des ennemis déclarés du généralissime. Ses ennemis jurés étaient le communisme soviétique, dans sa version stalinienne, et la franc-maçonnerie. Sa position à l’égard des juifs était beaucoup plus ambiguë. Il n’avait pas de sympathie pour la communauté juive internationale. Il voyait même dans les juifs des ennemis traditionnels des intérêts de l'Espagne depuis leur expulsion par les Rois catholiques. Avec les protestants, il les tenait pour des propagateurs de la « légende noire » antiespagnole. Mais pour autant, jamais il ne persécuta le judaïsme espagnol ou les juifs séfarades. Jamais il ne harcela, ni ne poursuivit les juifs, comme il le fit avec les communistes et les francs-maçons. Des lois furent adoptées par son régime pour permettre la poursuite et la répression des vaincus, mais les juifs et le judaïsme ne firent l’objet d’aucune attention particulière. Il en fut ainsi de la Loi de responsabilités politiques (1939), de la Loi pour la répression de la maçonnerie et du communisme (1940) et de la Loi pour la sécurité de l’Etat (1941). Les juifs devaient s’inscrire à la police et déclarer leur profession et leur religion comme tous les citoyens du Nouvel Etat. Mais aucune de ces lois répressives ne les citait nommément.

Un philo-sépharadisme pragmatique
Du point de vue de Franco, les juifs séfarades étaient différents des autres juifs parce qu’ils étaient en quelque sorte sublimés par le contact de la culture ibérique. Son antisémitisme politique (et non pas raciste, ni même religieux) au niveau international se conjuguait chez lui curieusement avec un philo-séfaradisme à l’échelon national. Le jeune commandant puis lieutenant-colonel de la Légion avait eu des relations très cordiales avec les juifs du Maroc espagnol. Les principaux dirigeants, hommes d'affaires et banquiers de la communauté juive du territoire sous protectorat avaient apporté un précieux soutien économique et matériel au général rebelle en 1936. Ils avaient mis à sa disposition des moyens économiques et financiers, mais aussi tout un réseau de contacts essentiels dans la gestion des achats de matériel. La grande majorité des juifs de la zone espagnole du Maroc, mais aussi des juifs du nord de l’Italie et le secteur du sionisme que dirigeait Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky avaient aidé le camp national. Franco leur en était très reconnaissant. Après-guerre, des auteurs prétendirent que cette aide avait été extorquée, mais jamais ils n’expliquèrent pourquoi le généralissime manifestait si ouvertement sa gratitude envers la communauté juive du protectorat, récompensant et décorant certaines de ses personnalités les plus représentatives. Le cas du banquier Salama, ami déclaré du Caudillo, est à cet égard emblématique.

Pendant la guerre civile, parmi les généraux soulevés, Gonzalo Queipo de Llano, un officier supérieur célèbre pour avoir comploté en faveur de l’avènement de la République et par ailleurs farouchement opposé aux phalangistes, se fit remarquer par de véhémentes diatribes antisémites sur les ondes de l’Union Radio Séville. Franco prit soin d’avertir ses amis juifs nord-africains de ne pas lui faire cas. Dans l’immédiat après-guerre civile et au cours des premières années de la Deuxième Guerre mondiale, le Caudillo proféra néanmoins lui aussi de virulentes critiques. Mais elles furent peu nombreuses. L’exemple le plus connu est son allusion à « l’esprit judaïque qui permit l’alliance du grand capital et du marxisme » dans le discours du 19 mai 1939, à Madrid, à l’occasion du défilé de la victoire. Hormis deux ou trois autres allusions semblables, Franco ne s’étendit pas sur la question (6). Dans les années 1939-1942, pour satisfaire les autorités allemandes, il toléra la propagande antisémite dans l’édition, la radio et la presse écrite, mais dans le même temps il fit à nouveau savoir à ses amis de la communauté juive nord-africaine qu’ils ne devaient pas se sentir concernés. Paradoxalement, en 1940, dans la période théoriquement la plus « antisémite » du régime, Franco créa à Madrid et à Barcelone l’Institut d’études hébraïques Benito Arias Montano, qui depuis 1941 édite l’une des meilleures publications juives du monde, la revue érudite Sefarad, subventionnée par l’Etat espagnol.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale les antisémites radicaux existaient bien en Espagne, mais ils n’étaient pas suffisamment nombreux pour provoquer le rejet des juifs de la part de la population, pas plus que les philosémites n’étaient suffisamment puissants pour promouvoir une politique plus généreuse à leur égard. A l’intérieur de la nouvelle Phalange de Franco, un parti hétérogène, refondé en 1937 à partir de la Phalange de José Antonio Primo de Rivera, de la Communion traditionaliste et de tous les partis de droite ou du centre, les antisémites radicaux ne représentaient qu’une petite minorité. La « race » était sans signification pour l’appartenance à la Phalange traditionaliste. De nombreux chuetas de Majorque (un des groupes descendant de juifs convertis) étaient d’ailleurs des membres actifs depuis quasiment la fondation de la première Phalange en 1933.

Pour leur part, les autorités nationales-socialistes allemandes se plaignaient régulièrement parce que des personnalités philosémites occupaient des postes clés dans le gouvernement, le parti et la haute administration. Quant aux Espagnols les plus philo-nazis, tel l’agent de l’Abwehr, Ángel Alcázar Velasco, ils faisaient courir le bruit que Franco et même les fondateurs et intellectuels de la Phalange originelle : Primo de Rivera, Sanchez Mazas, Ledesma Ramos, Aparicio, Ros, Montes, etc., avaient tous des noms de « descendants de convertis » et étaient « juifs par leur mystique et leur tempérament » (7).

Maçonnerie et communisme : les vraies cibles de Franco

A l’inverse, le véritable leitmotiv du dictateur Francisco Franco était la conspiration maçonnico-communiste internationale. Il est symptomatique que son livre Masoneria (1950) (8) débute par ces mots : « Tout le secret des campagnes de propagande déclenchées contre l’Espagne repose sur deux mots : maçonnerie et communisme ». L’anticommunisme et l’antimaçonnisme primaient chez lui sur toutes autres considérations (9). Il avait été un lecteur assidu du bulletin de l’Entente internationale contre la IIIe Internationale dès le début des années 1930 (10). Il s’était abonné personnellement à cette publication, centrée sur l’expansion mondiale du communisme, à partir de 1934. Pour lui, le communisme était le plus terrible danger de la civilisation chrétienne, le principal fléau de l’humanité. Son anticommunisme radical explique sa politique de neutralité amicale envers l’Allemagne et sa décision d’envoyer des hommes sur le front de l’Est. La Division Azul était à ses yeux la réplique hispanique aux Brigades internationales de Staline.

Sa seconde obsession était le rôle et l’action de la franc-maçonnerie dans l’histoire de l’Espagne. Il y voyait une sorte de « super-Etat », une société internationale, secrète, à l'influence occulte et pernicieuse, une menace permanente pour la nation espagnole, la cause principale des désastres de la Péninsule depuis plus d’un siècle. Ses déclarations, ses discours, ses articles (publiés sous les pseudonymes de Jakim Boor, Macaulay ou Jaime de Andrade) ne laissent pas de place au doute. Jusqu’à sa mort, ses convictions anticommunistes et antimaçonniques demeurèrent fermes, indéracinables. Il en fit deux des piliers idéologiques de son régime.

L'historien qui ne retiendrait chez Franco que ses quelques propos antisémites et qui prétendrait expliquer par eux la politique et l'idéologie de son régime sombrerait dans la caricature. Le Caudillo fut, en effet, l'un des très rares chefs d'Etat qui protégea les juifs d'Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale. De très nombreuses personnalités politiques et intellectuelles juives en ont témoigné et ont manifesté leur reconnaissance pour son action salvatrice (11).
Pas de juifs expulsés pendant la Deuxième Guerre mondiale.

L'historien Shlomo Ben Ami, ex-ministre des Affaires étrangères d'Israël, a souligné le paradoxe et la singularité de la position du Caudillo. Conservateur et pragmatique, le dictateur, si souvent étiqueté « fasciste », fit pour les juifs ce que les principaux leaders des démocraties ne purent ou ne voulurent pas faire. L'Espagne franquiste sauva, selon les sources, entre 25 et 60.000 juifs d'Europe. Rares, pour ne pas dire exceptionnels, furent les cas de juifs réfugiés en Espagne expulsés ou reconduits aux frontières pendant la durée du conflit.

Dès novembre 1940, le gouvernement de Franco recommanda aux juifs séfarades qui résidaient en France de se déclarer espagnols pour éviter les poursuites. Le Caudillo utilisa, comme fondement juridique de sa position, un décret-loi de 1924, signé par Alphonse XIII sur la suggestion du général dictateur Miguel Primo de Rivera (le père du fondateur de la Phalange, José Antonio). Ce texte de loi permettait aux juifs séfarades de s'inscrire en tant qu’Espagnols dans n'importe quel consulat ou ambassade, sans conditions ni limites.

A partir de 1942, le gouvernement espagnol franchit une nouvelle étape. Il concéda très largement aux juifs d’Europe passeports et visas pour échapper aux persécutions antisémites des divers pays qui collaboraient avec l'Allemagne nationale-socialiste. Les diplomates, ambassadeurs et consuls espagnols de Berlin, Paris, Marseille, Athènes, Copenhague, Vienne, Belgrade, Bucarest, Budapest, Sofia, etc., intervinrent pour faire valoir les droits de leurs nouveaux ressortissants. Octroyée en priorité aux juifs séfarades, la protection fut même souvent étendue à des ashkénazes.

Au cours des vingt dernières années, divers auteurs (12) ont dénoncé la prétendue action humanitaire du Caudillo comme relevant de la manipulation, de la désinformation et de la réhabilitation du franquisme (13). Selon eux, Franco ne se serait pas du tout intéressé au sort des juifs. Le mérite reviendrait exclusivement à quelques diplomates qui auraient agi dans le dos de leurs supérieurs. Les déclarations de ces derniers, qui minimisent leur rôle au bénéfice de Franco, auraient toutes été forcées et contraintes. Celle de l’un des plus prestigieux, Ángel Saenz Briz, alors consul général à New York, témoigne en tout cas des qualités hors pair d’un grand serviteur de l’Etat. Interrogé en 1963 par l’historien israélien Isaac Molho au sujet du sauvetage de juifs hongrois, il conclut sa lettre-réponse par ces mots : « Nous pûmes loger plusieurs milliers de juifs pourchassés dont je peux affirmer avec fierté qu’ils doivent la vie au général Franco… Et ceci est tout ce que je peux dire. Si mon récit est utile de quelque façon, je vous demande de l’utiliser sans mentionner mon nom car je n’ai aucun mérite à cela, m’étant limité à exécuter les consignes de mon gouvernement et du général Franco » (14). Fait chevalier et commandeur de l’Ordre d’Isabelle la Catholique, Sanz Briz poursuivra une brillante carrière de diplomate qu’il terminera comme ambassadeur d’Espagne en Chine puis auprès du Saint-Siège.

L'aide de Franco ou de son régime aux juifs d'Europe, pendant la Deuxième Guerre mondiale, est un fait historiquement établi. Fut-elle apportée sans enthousiasme ni sympathie ? Relevait-elle de la compassion du catholique convaincu ? S’agissait-il d’un geste opportun pour se concilier l’assistance économique des Etats-Unis ? Le Caudillo se sentait-il en réalité plus proche des arabo-musulmans dont la majorité des leaders marocains lui avait aussi apporté un précieux soutien lors du soulèvement ? Se considérait-il avant tout redevable envers ses compagnons d'armes arabo-musulmans, en particulier son ami le général Mohamed Ben Mezian Belkacem ? Eprouvait-il de la rancune à l’égard des organisations sionistes mondiales qui avaient affiché leur sympathie pour le gouvernement du Front populaire ? Donna-t-il des instructions exprès à ses diplomates pour protéger les juifs ? A-t-il seulement fermé les yeux ou consenti tacitement à leur action ? Autant de questions qui restent ouvertes au débat.
Cela étant, les faits demeurent. Directement ou indirectement, Franco aida les juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale dans des moments particulièrement cruels pour eux. Il renouvela d’ailleurs sa protection consulaire, en 1948, au bénéfice des juifs de Grèce, puis, lors de l'exil massif des juifs du Maroc (1954-1955) et il le fit encore pendant l'affaire de Suez (1956) et lors de la guerre des Six Jours (1967).

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Congrès juif mondial exprima sa reconnaissance envers le gouvernement espagnol « pour ses efforts » mais, en 1949, Israël vota contre la suspension des sanctions et contre l'entrée de l'Espagne à l'ONU. Le Caudillo accusa le coup, mena une politique pro-arabe et refusa de reconnaître l'Etat d'Israël. Au lendemain de sa mort, le 22 novembre 1975, un service funèbre fut célébré à sa mémoire dans la principale synagogue hispano-portugaise de New York, en présence de représentants de The American Sephardi Federation, « pour avoir eu pitié des juifs ». Plusieurs diplomates espagnols, dont les sympathies franquistes sont insoupçonnables, tel le chargé d'affaires à l'ambassade de Budapest, Ángel Sanz Briz, déjà cité, mais aussi le premier secrétaire d’ambassade à Paris, puis, consul à Bordeaux, Eduardo Propper de Callejón, ou le chargé d’affaires à l’ambassade de Berlin, José Ruiz Santaella et sa femme Carmen Schrader ont été honorés par le Mémorial Yad Vashem comme « Justes parmi les nations » (15). Il est hors de doute que le dictateur, dont la vox populi disait qu’ « une mouche ne pouvait pas voler sans qu’il le sache », était au courant de la protection que ces derniers accordaient aux juifs en pleine tourmente.
Arnaud Imatz ,22/11/2011
Notes :

(1)    Sur l’instrumentalisation gouvernementale des souvenirs de la guerre civile voir Stanley Payne, La Guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle, Paris, Cerf, 2010, chap. 40, p. 547-553 ; voir aussi notre préface à ce livre p. 9-19.
(2)    Article publié dans El País le 20 juin 2010 sous la signature du journaliste Jorge M. Reverte, un socialiste, ancien communiste, fils de Jésus Martínez Tessier, qui fut lui-même rédacteur du quotidien phalangiste Arriba après avoir combattu sur le Front de l’Est dans la Division Azul. On dit que la petite histoire contribue parfois à éclairer la grande. Le cas de Reverte, dans lequel un esprit freudien verrait le meurtre du père, en est une illustration. Le processus de transition démocratique espagnol fut mené, on le sait, essentiellement par des franquistes, l’opposition au régime ne s’impliquant que très tardivement. Les diverses tendances franquistes nourrirent les différents partis de la démocratie parlementaire. Il en fut ainsi en particulier des partis libéraux et conservateurs (UDC, AP et PP) et du parti socialiste. Les exemples de personnalités franquistes qui évoluèrent radicalement et poursuivirent de brillantes carrières politiques ou médiatiques sont nombreux. Ainsi, Luis Cebrián, fondateur du journal El País et conseiller délégué du groupe Prisa, fut d’abord rédacteur en chef du journal du « Movimiento », Pueblo, et chef des services d’information de la RTVE franquiste. Il est aussi le fils de Vicente Cebrián qui fut directeur du journal Arriba. Le premier président du gouvernement de la démocratie, Adolfo Suárez, avait été secrétaire général du « Movimiento » et directeur général de la RTVE. Rappelons également qu’étaient franquistes les pères de la vice-présidente et du vice-président du gouvernement socialiste de Zapatero, Teresa Fernández de la Vega et Alfredo Rubalcaba, mais aussi celui du président du Congrès des députés, José Bono, et ceux des femmes des deux présidents socialistes Felipe González et José Luis Rodriguez Zapatero.
(3)    Jacobo Israel Garzón, « El Archivo Judaico del franquismo”, Raíces, Madrid, nº 33, hiver 1997-1998, p. 57 et sq. Voir aussi Jacobo Israel Garzón et Alejandro Baer, España y el Holocausto (1939-1945), Madrid, Ediciones Hebraíca, 2007.
(4)    En ce qui concerne la répression pendant la guerre civile elle fit environ 60.000 victimes dans le camp républicain et 50.000 dans le camp national. La balance n’est donc vraiment rompue que par les 30.000 exécutions de militants et sympathisants front-populistes après-guerre.
(5)    Les livres les plus sérieux sur le sujet sont ceux de Haim Avni, España, Franco y los Judios, Madrid, Altalena, 1974 ; Federico Ysart, España y los judíos en la II Guerra Mundial, Barcelona, Dopesa, 1973 ; Chaim Lipschitz, Franco, Spain, the Jews and the Holocaust, New York, Ktav Pub. Inc., 1984 ; José Antonio Lisbona Martín, La política de España hacia sus judíos en el siglo XX, Barcelona, Riopiedras, 1993 ; David Salinas, España, los Sefarditas y el Tercer Reich (1939-1945). La labor de diplomáticos españoles contra el genocidio nazi, Valladolid, 1997 ; Bernd Rother, Franco y el Holocausto, Madrid, Marcial Pons, 2001 et Isidro González, Los judíos y la Segunda República: 1931-1939, Madrid, Alianza et Los judios y la guerra civil española, Madrid, Hebraica Ediciones, 2009.
(6)    On retrouve la même assimilation capitalisme–marxisme–judaïsme dans le discours de Noël 1939.
(7)    Ángel Alcázar de Velasco, Memorias de un agente secreto, Barcelona, Plaza y Janés, 1979. A noter que la thématique racialiste sur les « descendants de convertís » sera développée et systématisée après-guerre par le philologue antifranquiste de gauche Américo Castro (cf. España en su historia, 1948). Plus rigoureux, le grand spécialiste de la question, Julio Caro Baroja, auteur de Los Judíos en la España moderna y Contemporánea (3 tomes), Madrid, Istmo, 1986, conclut qu’ « Il n’est pas possible d’assurer qu’un nom concret est ou n’est pas juif ».
(8)    Francisco Franco Bahamonde (J. Boor), Masoneria, Madrid, 1950, rééd. Fundación Francisco Franco, 1981, 1982.
(9)    Le frère de Franco, l’aviateur libéral et républicain Ramón, héros du vol transatlantique Plus ultra, était franc-maçon. On a souvent prétendu que le futur Caudillo aurait tenté d’entrer dans deux loges maçonniques et que sa candidature aurait été rejetée par ses pairs militaires. Mais cette rumeur n’a jamais été étayée par des preuves tangibles.
(10)    L’Entente internationale anticommuniste ou contre la IIIe Internationale avait été créée par l’avocat suisse Théodore Aubert, en 1924. Elle était un véritable réseau d’information mondial sur l’expansion du communisme.
(11)    Parmi les nombreuses personnalités juives qui ont reconnu l’action humanitaire de Franco ou de l’Espagne de Franco pendant la Deuxième Guerre mondiale, citons : l’ambassadeur puis ministre des Affaires étrangères, Shlomo Ben Ami (1991), le ministre des Affaires étrangères puis premier ministre, Golda Meir (Knesset, 10 février 1959), le président de l’Association hébraïque d’Espagne, Max Mazin (1973), l’écrivain Elie Wiesel (1990), le professeur de l’Université hébraïque de Jérusalem Haim Avni, l’historien Chaim Lipschitz (1970), le président du Congrès juif mondial Israel Singer (2005), l’ancien chef du Shin Beth et du Mossad, Isser Harel (1989), l’avocat Isaac Molho ou le président de la Fédération des communautés israélites d’Espagne Samuel Toledano.
(12)    Parmi eux citons: Antonio Marquina Barrio, Gonzalo Álvarez Chillida ou Deborah Dwork.
(13)    Les historiens franquistes dont les travaux sur le sujet sont les plus documentés sont : Ricardo de la Cierva (directeur de la Culture de Franco, ministre de la Culture de Juan Carlos et membre de l’Association pour l’amitié Espagne-Israël) et Luis Suarez Fernández (médiéviste, ex-directeur général des universités, auteur notamment de La expulsión de los judíos de España, Madrid, Mapfre, 1992), qui est le seul à avoir eu accès à l’intégralité des archives de la Fondation Francisco Franco.
(14)    Lettre de Sanz Briz à Isaac Molho, 15-11-1963, AMAE, leg. R7649/14 citée dans Isidro González García, Relaciones España-Israel y el conflicto del Oriente Medio, Madrid, Editorial Biblioteca Nueva, 2001, p. 215-218.
(15)    D’autres diplomates se sont particulièrement illustrés dans ces actions humanitaires notamment : Miguel Ángel de Muguiro (chargé d’affaires à Budapest), Julio Palencia (ambassadeur à Sofia), José de Rojas y Moreno (ambassadeur à Bucarest), Bernardo Rolland de Miota (consul général à Paris) et Sebastián de Romero Radigales (consul général à Athènes). Sur les diplomates de Franco voir : María Jesús Cava Mesa, Los diplomáticos de Franco, Universidad de Deusto, 1989.

Voir aussi :
« Rouges » et « fascistes » sans haine ni rancune : le témoignage édifiant d'un enfant de la Guerre d'Espagne
Retour sur l'affaire des fosses du franquisme : Garzón, juge intègre ou prévaricateur ?
Guerre d'Espagne : mémoire historique ou mémoire hystérique ?
Petite histoire des campagnes de diabolisation
Correspondance Polémia 23/11/2011

mardi 22 novembre 2011

27 novembre 1095 Urbain II prêche la croisade

Le 27 novembre 1095, le pape Urbain II profite d'un concile à Clermont (Auvergne) pour lancer un appel aux chevaliers afin qu'ils fassent le voyage à Jérusalem et repoussent les infidèles.
Ceux-ci, des Turcs, menacent d'abattre l'empire chrétien d'Orient et multiplient les obstacles aux pèlerinages en Terre Sainte, sur le tombeau du Christ...
Cet appel est l'amorce de ce que l'on appellera beaucoup plus tard la première croisade. (1)
Un appel à moins de violence
De son vrai nom Odon de Lagery, le pape Urbain II, né en Champagne 53 ans plus tôt, a été à Reims l'élève de Saint Bruno avant de devenir moine à Cluny. Il succède en 1088 à Victor III sur le trône de Saint-Pierre. Il s'inscrit dans la lignée des grands papes réformateurs d'après l'An Mil comme Grégoire VII. Il veut en particulier moraliser la chevalerie, éradiquer la violence et mettre fin aux guerres privées entre seigneurs féodaux, brutales, incessantes et cruelles.
Au concile de Clermont (aujourd'hui Clermont-Ferrand, en Auvergne), le pape tente d'abord de régler les problèmes matrimoniaux du roi capétien Philippe 1er. Cela fait, il prononce un sermon retentissant à l'adresse des 310 évêques et abbés français. Il rappelle les menaces très graves qui pèsent sur les chrétiens byzantins, du fait de la défaite de leur empereur face aux Turcs à Malazgerd (1071).
Le pape s'inquiète aussi des violences faites aux pèlerins depuis que le Saint-Sépulcre (le tombeau du Christ à Jérusalem) a été détruit sur ordre du sultan fatimide d'Égypte El-Hakim, dans un accès de fanatisme (c'était en 1009). Il encourage en conséquence les «Francs» de toutes conditions à secourir leurs frères chrétiens. Et il accorde l'indulgence plénière, c'est-à-dire la rémission de tous leurs péchés, à tous ceux qui perdraient la vie au cours de leur combat contre les infidèles (il s'agit essentiellement des Turcs).
L'appel de Clermont est dans le droit fil des «trêves de Dieu» par lesquelles le clergé, tout au long du Xe siècle, appelle les chevaliers à interrompre leurs combats et à respecter les non-combattants (femmes, enfants, ecclésiastiques, marchands...).
Un enthousiasme immédiat
Après le concile, le pape Urbain II développe ses objectifs dans plusieurs lettres aux clergés des différentes régions d'Europe.
Les ecclésiastiques, tel le prédicateur Pierre l'Ermite, répercutent son message auprès des fidèles qui lui réservent un accueil enthousiaste. Paysans et chevaliers se font coudre une croix sur leurs vêtements et se préparent à partir au cri de «Dieu le veut !»... Les uns et les autres s'apprêtent au «voyage», chacun de leur côté.
André Larané.
(1) 1095 L'appel du pape Urbain II
Le 27 novembre 1095, le pape Urbain II prononce devant les évêques et les abbés du concile de Clermont (Auvergne) un sermon dans lequel il enjoint ses auditeurs à favoriser la paix et mettre fin aux guerres privées entre seigneurs. Il appelle aussi les guerriers à partir secourir les chrétiens d'Orient menacés par les Turcs et les Arabes musulmans.
Ce sermon à l'origine des croisades nous est connu par le chroniqueur Foulcher de Chartres, qui lui-même assista au concile et participa au premier voyage en qualité de chapelain du futur roi de Jérusalem Baudouin 1er.
Le récit de Foulcher de Chartres a été publié à sa mort, vers 1127, sous le titre Historia Hierosolymitana.
Il passe curieusement sous silence la délivrance de Jérusalem et des Lieux Saints, bien que le pape ait évoqué cet objectif à Clermont d'après divers témoignages... Peut-être Foulcher évite-t-il d'en parler parce que lui-même n'a pas participé à la prise de Jérusalem ?
Voici ci-dessous l'appel de Clermont d'après Foulcher de Chartres (traduit du latin par François Guizot) :
L'appel de Clermont
Vous venez, dit-il, enfans (sic) du Seigneur, de lui jurer de veiller fidèlement, et avec plus de fermeté que vous ne l'avez fait jusqu'ici, au maintien de la paix parmi vous, et à la conservation des droits de l'Église.
Ce n'est pas encore assez ; une oeuvre utile est encore à faire ; maintenant que vous voilà fortifiés par la correction du Seigneur, vous devez consacrer tous les efforts de votre zèle à une autre affaire, qui n'est pas moins la vôtre que celle de Dieu.
Il est urgent, en effet, que vous vous hâtiez de marcher au secours de vos frères qui habitent en Orient, et ont grand besoin de l'aide que vous leur avez, tant de fois déjà, promise hautement.
Les Turcs et les Arabes se sont précipités sur eux, ainsi que plusieurs d'entre vous l'ont certainement entendu raconter, et ont envahi les frontières de la Romanie jusqu'à cet endroit de la mer Méditerranée, qu'on appelle le Bras de Saint-George [le détroit du Bosphore], étendant de plus en plus leurs conquêtes sur les Terres des Chrétiens, sept fois déjà ils ont vaincu ceux-ci dans des batailles, en ont pris ou tué grand nombre, ont renversé de fond en comble les églises, et ravagé tout le pays soumis à la domination chrétienne.
Que si vous souffrez qu'ils commettent quelque temps encore et impunément de pareils excès, ils porteront leurs ravages plus loin et écraseront une foule de fidèles serviteurs de Dieu.
C'est pourquoi, je vous avertis et vous conjure, non en mon nom, mais au nom du Seigneur, vous les hérauts du Christ [les évêques et abbés du concile], d'engager par de fréquentes proclamations les Francs de tout rang, gens de pieds et chevaliers, pauvres et riches, à s'empresser de secourir les adorateurs du Christ, pendant qu'il en est encore temps, et de chasser loin des régions soumises à notre foi la race impie des dévastateurs. Cela, je le dis à ceux de vous qui sont présens (sic) ici, je vais le mander aux absents ; mais c'est le Christ qui l'ordonne.
Quant à ceux qui partiront pour cette guerre sainte, s'ils perdent la vie, soit pendant la route sur terre, soit en traversant les mers, soit en combattant les Idolâtres, tous leurs péchés leur seront remis à l'heure même ; cette faveur si précieuse, je la leur accorde en vertu de l'autorité dont je suis investi par Dieu même.
Quelle honte ne serait-ce pas pour nous si cette race infidèle si justement méprisée, dégénérée de la dignité de l'homme, et vile esclave du démon, l'emportait sur le peuple élu du Dieu tout-puissant, ce peuple qui a reçu la lumière de la vraie foi, et sur qui le nom du Christ répand une si grande splendeur !
Combien de cruels reproches ne nous ferait pas le Seigneur, si vous ne secouriez pas ceux qui, comme nous, ont la gloire de professer la religion du Christ ?
Qu'ils marchent, dit encore le pape en finissant, contre les infidèles, et terminent par la victoire une lutte qui depuis longtemps déjà devrait être commencée, ces hommes qui jusqu'à présent ont eu la criminelle habitude de se livrer à des guerres intérieures contre les fidèles ; qu'ils deviennent de véritables chevaliers, ceux qui si longtemps n'ont été que des pillards ; qu'ils combattent maintenant, comme il est juste, contre les barbares, ceux qui autrefois tournaient leurs armes contre des frères d'un même sang qu'eux ; qu'ils recherchent des récompenses éternelles, ces gens qui pendant tant d'années ont vendu leurs services comme des mercenaires pour une misérable paie ; qu'ils travaillent à acquérir une double gloire, ceux qui naguère bravaient tant de fatigue, au détriment de leur corps et de leur âme.
Qu'ajouterai-je de plus ? D'un côté seront des misérables privés de vrais biens, de l'autre des hommes comblés de vraies richesses ; d'une part combattront les ennemis du Seigneur, de l'autre ses amis. Que rien donc ne retarde le départ de ceux qui marcheront à cette expédition ; qu'ils afferment leurs terres, rassemblent tout l'argent nécessaire à leurs dépenses, et qu'aussitôt que l'hiver aura cessé, pour faire place au printemps, ils se mettent en route sous la conduite du Seigneur. Ainsi parla le pape.
Foulcher de Chartres, Histoire des Croisades, édité par François Guizot, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, Paris, J-L-J Brière, 1825, p. 7-9.