jeudi 31 mars 2011

Des origines à 1433 L’expansion chinoise

Avec près de 4000 ans d'Histoire, la Chine est la plus ancienne civilisation du monde perdurant aujourd'hui. Rassemblant plus du cinquième de l'humanité (1,300 milliard d'habitants en 2010), c'est le pays le plus peuplé du monde, et la deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis.
Nous présentons ici les grandes lignes de son Histoire jusqu'en 1433, année qui voit le repli de l'empire sur lui-même, alors même que les Occidentaux sautent par-dessus les océans.
L'animation multimédia ci-jointe illustre l'évolution du territoire chinois et les phases successives d'expansion et de repli de ses dynasties.
La plus ancienne civilisation encore vivante
La civilisation chinoise est née dans le bassin du Fleuve Jaune, le Huang He. Elle est basée sur la culture du millet : le riz pousse bien plus au sud et ne deviendra un élément de la culture chinoise que beaucoup plus tard. La première dynastie historique est celle des Shang, qui apparaît vers 1750 avant JC. L'écriture chinoise est utilisée pour la divination. La hiérarchisation de la société et le culte des ancêtres sont déjà en place.
La dynastie des Zhou succède à celle des Shang en 1040 avant JC. Ils étendent le territoire chinois, mais doivent céder en retour une part de leur autorité à des seigneurs, ce qui met en place un système féodal. Les attaques des nomades restent menaçantes, ce qui contraint les Zhou à déplacer la capitale de Hao à Luoyang en 771 avant JC.
L'affaiblissement de la monarchie se poursuit au profit des seigneurs féodaux, ouvrant la période des «Printemps et Automnes» en 722. Un équilibre s'instaure entre différents États chinois.
Cette période troublée favorise l'essor de 2 courants de pensée vers 500 avant JC : le confucianisme d'une part qui prêche la fidélité au souverain et fait de l'époque monarchique des Zhou un âge d'or. Et le taoïsme d'autre part qui propose de se conformer au cycle de la nature sans chercher à le combattre. Ces deux courants vont solidement s'enraciner dans la culture chinoise, associés au bouddhisme qui naît précisément à la même époque en Inde.
C'est aussi à cette époque que la civilisation chinoise s'étend vers le sud au-delà du Yangzi ou Fleuve Bleu : elle commence ainsi à intégrer la culture du riz utilisée par les populations nouvellement sinisées. Tous les éléments de la société chinoise actuelle se mettent ainsi en place vers le Ve siècle avant JC.
Enfin, c'est aussi vers 500 avant JC que débute l'âge du fer en Chine : cela ouvre des guerres meurtrières entre les États, initiant la période des «Royaumes Combattants». C'est à cette époque que les premières «grandes murailles» sont érigées.
Le Premier Empereur
À partir de 300 avant JC, l'état Qin, habitué à faire face aux nomades, commence à acquérir une suprématie militaire. Tous les autres états tombent les uns après les autres : en 221 av JC, le Qin s'empare du dernier d'entre eux et réunifie ainsi la Chine. Son roi prend aussitôt le titre de Premier Empereur de Chine sous le nom de Shi Huangdi. Il met en place un régime autoritaire et centralisé. Pour rompre avec les divisions des siècles précédents, il uniformise l'écriture, les poids et mesures, et la monnaie. La dynastie Qin sera également à l'origine du mot «Chine» par lequel nous désignons le pays (ses habitants l'appellent quant à eux Zhongguo, «le pays du Milieu»).
Cette dynastie ne résiste pas à la mort de Shi Huangdi : les conflits entre prétendants s'achève avec l'avènement de l'empereur Gaozou (ou Gaozu), qui fonde la dynastie Han. Cela ouvre une période fondamentale dans l'Histoire de la Chine, tant et si bien que les Chinois se font appeler le peuple Han encore aujourd'hui. C'est à cette époque que le confucianisme s'enracine dans la culture.
L'apogée est atteint sous le règne de Wudi vers 100 avant JC. L'empire s'étend fortement vers le sud et le nord-est. À l'ouest, la route de la soie est ouverte grâce au contrôle des oasis : le commerce se fera notamment avec l'empire romain. Au nord, les nomades se font toujours menaçants.
L'autorité des Han finit par s'affaiblir, tant et si bien que Wang Mang s'empare du trône en l'an 9 de notre ère aux dépens de la dynastie Han. Réformateur ambitieux, il coalise contre lui les notables : il est assassiné en 23 et les Han retrouvent le trône. Ils déplacent alors la capitale à Luoyang.
Au IIe siècle après JC, l'autorité impériale s'affaiblit au profit de l'aristocratie, et les révoltes se multiplient. La capitale est mise à sac et la dynastie Han s'effondre en 220.
Les « Trois Royaumes »
La Chine se divise en trois royaumes. Au nord, le royaume de Wei est dominé par une aristocratie guerrière venue des steppes. En 265, la dynastie Jin y arrive au pouvoir et parvient à restaurer l'unité de la Chine en 280. Mais les nomades s'emparent de la capitale en 316 et les Jin doivent se replier au sud.
La Chine du nord connaît alors des guerres récurrentes sous la domination de barbares sinisés. Ceux-ci contribuent toutefois à la diffusion du bouddhisme dans le pays. La Chine du sud est plus calme mais l'autorité centrale basée à Nankin y est faible.
En 589, la Chine du nord parvient à s'emparer de la Chine du sud : la dynastie au pouvoir lance alors des grands travaux comme la restauration de la Grande Muraille, ou le creusement du Grand Canal pour amener plus facilement le riz vers le nord. Mais des révoltes conduisent à la fin de la dynastie en 618 : la dynastie Tang s'empare du pouvoir et va contribuer à restaurer le prestige de la Chine du temps des Han.
Rapidement, les Tang parviennent à contrôler le bassin du Tarim sur la route de la soie. Ils doivent principalement lutter contre les Turcs nomades au nord, et contre les Tibétains au sud-ouest. En 690, la régente Wu fonde sa propre dynastie et devient ainsi l'unique impératrice de toute l'Histoire de la Chine. Les Tang retrouvent toutefois le pouvoir dès 705. À partir de 750, ce sont les Arabes qui commencent à devenir menaçants à l'ouest. Peu après, les Tang doivent faire face à une révolte interne qui les affaiblit durablement : le contrôle de la route de la soie est perdu. Après 850, le pouvoir impérial se désagrège peu à peu jusqu'à la fin de la dynastie en 907 : la Chine se retrouve fortement morcelée.
Au nord, des peuples mongols, les Khitans, ont formé un empire qui prend le nom de Liao à partir de 946. À cheval entre les steppes et l'extrême nord de la Chine, l'empire Liao se sinise peu à peu. Au sud, la dynastie Song entreprend de réunifier la Chine et y parvient en 978. Peu après, des peuples apparentés aux Tibétains, les Tangut, forment leur propre empire au nord-ouest le long de la route de la soie. La Chine se retrouve ainsi durablement découpée en trois.
La Chine des Song connaît un développement remarquable, avec l'essor du papier-monnaie, de l'imprimerie, et de la poudre à canon. La Chine du sud, jusque-là marginale, commence à dominer démographiquement la Chine du nord.
En 1125, les Djurtchet, ancêtres des Mandchous, s'emparent de l'empire Liao et fondent l'empire de Jin. Au sud, ils repoussent la Chine des Song jusqu'à ce qu'un équilibre des forces s'institue. La Chine du sud est devenue bien plus riche et peuplée que la Chine du nord, et son essor économique se poursuit.
En 1206, les Mongols sont fédérés par Gengis Khan. Par le biais d'attaques extrêmement destructrices, ils abattent le royaume des Tangut en 1209, puis l'empire de Jin en 1234. La conquête de la Chine du sud est plus lente car le milieu est moins favorable à la cavalerie : les Mongols en viennent à bout en 1279.
La fin de la « Chine classique »
Kubilay Khan s'affiche ainsi comme empereur de Chine et fonde la dynastie Yuan, dont Pékin devient la capitale. Avec lui prend fin la première grande période de l'histoire chinoise, que les historiens qualifient de «classique».
Les Chinois supportent mal la domination mongole, mais l'immense territoire mongol permet de rouvrir la route de la soie : c'est l'époque où Marco Polo atteint la Chine.
À partir de 1350, des révoltes commencent à éclater depuis la ville de Nankin : en 1368 est fondée la dynastie Ming qui obtient rapidement le contrôle sur toute la Chine.
Au début du XVe siècle, la Chine se lance dans de grandes expéditions maritimes sous le commandement de l'amiral Zheng He, qui le mènent jusqu'en Afrique orientale. Mais le coût de ces opérations amène la Chine à se replier sur elle-même après 1433, tandis que la capitale est transférée de Nankin à Pékin.

La Chine laisse ainsi le soin aux Portugais et aux Espagnols d'explorer le monde et commence alors à accumuler un retard croissant vis-à-vis des Occidentaux. Ce profond déclin va durer cinq siècles et ne s'achèvera qu'en 1979.
http://www.herodote.net/

mardi 29 mars 2011

La Grande Guerre : Les parrains oubliés des Galeries Lafayette…

Curieuse coïncidence : au moment où le Tout-Paris de la pub et des médias célèbre le centenaire des Galeries Lafayette, on pourrait, mais l’on s’en garde bien, rappeler le quatre-vingtième anniversaire de la disparition de l’homme qui, indirectement, fut à l’origine de cet événement : Jules Jaluzot, fondateur du Printemps, mort en pleine Grande Guerre à l’âge de quatre-vingt-un ans.
Depuis quelques semaines, les rues de Paris se couvrent d’affiches annonçant en effet que, voilà un siècle, les Galeries Lafayette voyaient le jour. Pour la circonstance, ce grand magasin parisien a d’ailleurs pendu sur sa façade de grands mannequins de plastique thermoformé représentant des dames en robe rouge et qui font penser que l’on est revenu au temps de la lanterne.
Toutes les gazettes, abreuvées de publicité, évoquent à l’envi l’histoire de ce temple du commerce où il se passe “toujours quelque chose”, on nous abreuve de dates, d’événements, de listes de clients célèbres et même, le PDG des Galeries a eu droit récemment, juste rétribution, à une matinée entière de papotages promotionnels sur Europe 1.
Or, curieusement, dans cette débauche de “mémoire”, personne n’écrit, ni ne raconte comment et pourquoi les Galeries Lafayette sont nées voilà cent ans.
Ce serait pourtant une anecdote plaisante puisque l’ouverture de ce grand magasin est une des conséquences les plus directes et les plus inattendues de… l’affaire Dreyfus ! Voici les faits.
En 1855, au foyer de Maître Jaluzot, notaire à Rodez, voit le jour un beau garçon. On le prénomme Jules et l’on fonde sur lui les plus grandes espérances.
Las ! Il faut bientôt se rendre à la triste évidence : Jules ne suivra pas les traces de son auguste père. La tabellionnerie ne le comptera pas parmi ses illustres figures. S’il poursuit en effet ses études, il se révèle définitivement incapable de les rattraper.
Accablé de mauvaises notes, Jules est chassé du domicile paternel (scène de genre) et, à dix-huit ans, le jeune Aveyronnais monte dans la capitale où il se place comme commis aux Villes de France, magasin de nouveautés.

Il s’y révèle excellent. Bientôt, il devient chef du rayon soieries au Bon Marché. Il n’a guère plus de vingt ans mais sa prestance fait de l’effet à ces dames et surtout à une actrice, veuve d’un riche vieillard qui lui offre sa main. Jules s’en empare et, le 11 mai 1865, fort de l’héritage de sa jeune épousée, il ouvre sur l’emplacement de la “Ferme des Mathurins”, ancien débit de lait tenu par des religieux, son propre magasin de nouveautés : le Printemps. Il a trente ans.
Le 9 mars 1881, le magasin brûle. Un pompier meurt dans l’incendie. Bien que les époux Jaluzot, qui habitent au quatrième étage du magasin, aient échappé de peu à ce destin tragique, les compagnies d’assurance font grise mine et enquêtent. On ne peut rien retenir contre Jules qui fait reconstruire son magasin par l’architecte Paul Sédille. Ce sera un véritable palais de la mode parisienne. Jaluzot ne recule devant rien pour sa réclame, allant même jusqu’à passer contrat avec le docteur Labbé, un chirurgien que le Tout-Paris s’arrache depuis qu’il a opéré avec succès un saltimbanque qui avait avalé une fourchette. Embauchés ensemble le médecin et le patient sont exhibés dans le magasin !
Zola, d’ailleurs, s’inspirera de Jaluzot le Magnifique pour son Octave Mouret du Bonheur des dames.
Devenu richissime, Jaluzot se lance dans la politique. Un demi-siècle avant Mitterrand, il devient député de la Nièvre (…) et achète deux journaux, La Presse et La Patrie.
En 1894, l’Affaire Dreyfus éclate. Jaluzot s’y engage avec frénésie. Il est farouchement antidreyfusard. Ses journaux tirent à boulet rouge sur “ce canaille de D…”
On ne le lui pardonnera pas. Un consortium d’amis du Capitaine d’artillerie entreprend de ruiner le gênant milliardaire.
Le 1er septembre 1895, Messieurs Kahn et Bader se portent acquéreurs d’une petite boutique de frivolités à l’angle de la rue Lafayette et de la rue de la Chaussée d’Antin, à une portée d’escarpins vernis du Printemps. Tout ce que fait Jaluzot, ils le font aussi : l’entrée libre, les prix fixes, le “remboursé si pas satisfait”, même les “coups de pub”. Mais, quand Jaluzot exhibe la Faculté, Kahn et Bader font atterrir l’aviateur Védrine sur le toit de leur magasin.
La lutte sera féroce. Mais Jaluzot résistera jusqu’au bout.
En 1905, il abandonne ses parts à un ancien chef de rayon pour se retirer dans la Nièvre.
il y meurt, dans l’opulence mais dans l’indifférence générale, le jour où, à Verdun, à la tête des Brandebourgeois du IIIe corps prussien du général Lochow, le jeune lieutenant Brandis prend le Fort de Douaumont.
Serge de Beketch  Le Libre Journal de la France Courtoise - 104 du 11 septembre 1996

lundi 28 mars 2011

Le Marxisme

Que reste-t-il du marxisme après la disparition de la plupart des pays communistes. Le dernier grand pays dit communiste a accepté une économie de marché et est devenu sans doute le pays le plus capitaliste. L'effondrement du capitalisme tant annoncé par les marxistes n'est pas encore pour demain. Le sens de l'Histoire selon eux devait pourtant y aboutir. Le marxisme porte sur lui la responsabilité des anciennes dictatures communistes. Mais avant d'être la pensée officielle des régimes communistes le marxisme a avant tout été une analyse économique, historique, sociologique et politique du système capitaliste (le mode de production capitaliste MPC). Il a été pour beaucoup une pensée de combat contre le capitalisme haï. Il y a certes une part de haine dans le marxisme. Un nombre incalculable d'intellectuels a été réceptif à ce courant. « Le marxisme est l'horizon indépassable dé notre temps » (Sartre). Les brochures du parti socialiste ont utilisé pendant longtemps une vulgate marxiste ce que déplorait Raymond Aron, libéral qui avait fait profession d'anti-marxisme.
Dans toute pensée, il y a toujours une intentionnalité. Le projet marxiste a donc été d'instaurer une société sans classes où les hommes seraient égaux (même et surtout économiquement). Cette idée d'égalité n'est pas nouvelle. Est-ce une trace du christianisme pour qui les hommes sont égaux devant Dieu.
Le libéralisme dont l'idéologie est celle des droits de l'homme a décrété les hommes égaux en droit sur terre. Le communisme a voulu aller encore plus loin pour vouloir établir une société où les hommes seraient égaux sur le plan économique et où les classes n'existeraient plus (Le Grand soir).
Pour le marxisme, qu'est-ce qui fait que les hommes ne sont pas égaux. Pour cette doctrine, il y a la primauté de l'économie sur la société : l'être économique détermine l'être social. Les hommes ne sont donc pas égaux du fait de l'existence des classes, ce qui crée un rapport de domination les uns sur les autres. Il y a d'un côté les oppresseurs et de l'autre les opprimés. Pour Marx en plus de l'existence des classes il y a une lutte des classes. « L'Histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de lutte de classes ». C'est le thème du manifeste du parti communiste. Ces classes résultent la division du travail. Le moteur de l'histoire est posé comme étant de tous temps celui de la lutte des classes, ce qui donne une interprétation de l'histoire parmi d'autres. La vision marxiste de l'histoire s'appelle le matérialisme historique. On retrouve le fameux moteur à deux temps explicatif : infrastructure, superstructure. L'infrastructure étant l'ensemble des forces de production. La superstructure est l'ensemble des institutions (administratives, juridiques, policières et militaires…) qui encadrent et renforcent l'infrastructure.
La conscience des hommes est déterminée par leur être social. La superstructure n'est que l'expression du mode de production. Au cours de l'histoire le mode de production a été esclavagiste, féodal puis capitaliste. Le marxisme a voulu établir un nouveau mode de production socialiste où la propriété privée des moyens de production n'existerait plus. Il faut reconnaître même si cela a été un crève-cœur pour les communistes que ce système n'était guère efficace comparé au système capitaliste.

Marx jeune, était un hégélien de gauche et il a repris la dialectique hégélienne pour décrire l'histoire et ses antagonismes sociaux qui la font avancer. L'idée de classe sociale n'était pas nouvelle et existait déjà chez les classiques anglais (Smith, Ricardo, Mill…). Les deux principales sources d'inspiration de Marx sont sur le plan philosophique Hegel et sa dialectique plus généralement la philosophie allemande et sur le plan économique les classiques anglais ce qui a fait dire a l'économiste américain Samuelson que Marx était un ricardien attardé.
Pour dénoncer l'exploitation de l'homme par l'homme il faut définir ce qu'est la valeur d'un bien. Marx reprend la définition des classiques anglais. La valeur d'un bien est le travail, le temps de travail socialement nécessaire. Le travail se mesure en temps. Toute la difficulté que n'a pas résolu Marx fut le passage de la valeur au prix puisque l'on constate des prix et non des temps de travail. Seules les marchandises reproductibles ont une valeur. Marx fait la distinction entre valeur d'usage et valeur d'échange. La valeur d'usage revient a son utilité. La valeur d'échange est la proportion dans laquelle s'échangent des valeurs d'usage. Cette proportion est celle du temps de travail socialement nécessaire.
Une marchandise aura donc comme valeur :
C + V+PL
C : Temps de travail mort (machines, matières premières…)
V : Temps de travail vivant
PL : Plus-Value
Le capitaliste s'approprie la plus-value, concept clef du marxisme. Il y a donc une aliénation économique du travailleur en plus de l'aliénation sociale du fait de travailler pour un autre avec travail en général non choisi.
Dans le marxisme il y a donc exploitation de l'homme par l'homme.
Le taux de profit est    P= PL / C+V  P = PL : C+V
Le salaire se définit comme l'expression monétaire de la valeur de la force de travail. La force de travail contient un élément social et historique donc le salaire aussi.
La plus-value est la différence entre la valeur créée par cette force de travail et ce qu'a coûté cette dernière.
Pour Marx le capitalisme est rarement à l'équilibre. Il génère des crises. Le marxisme sur ce point rejoint la pensée keynésienne et le rejet de la loi Say « l'offre crée sa propre demande, la monnaie n'est plus qu'un voile ».
Pour les néo-classique (ou libéraux) il ne peut y avoir de crises. Dans la pensée économique, il y a donc trois grands courants : la pensée libérale, la pensée keynésienne et le marxisme. Une des idées les plus controversées du marxisme est la baisse tendancielle du taux de profit.
Taux de profit    PL : C+V =  PL/V : C/V+1
PLV = Taux d'exploitation, le rapport C/V est la composition organique du capital. Or la tendance à accumuler fait augmenter C/V et donc baisser le taux de profit. On notera au passage l'utilisation rudimentaire des mathématiques dans DAS KAPITAL. Il y a bien sur plusieurs façons d'empêcher la baisse du taux de profit, entre les délocalisations.
En conclusion, nous n'avons pas voulu résumer en quelques lignes la théorie marxiste absolument immense avec en plus les commentateurs et les prolongements. Il faut lui reconnaître une certaine cohérence. Elle a été un outil intellectuel de combat contre le capitalisme d'ailleurs beaucoup plus solide que ne le préconisait cette théorie. À de nombreuses reprises on a annoncé l'effondrement du capitalisme qui a montré une prodigieuse faculté d'adaptation. Sans prétendre être un discours de vérité économique le marxisme propose une vision globale de l'économie de la société et de l'Histoire.
PATRICE GROS-SUAUDEAU

samedi 26 mars 2011

Sans Louis XVI, pas d’États-Unis

C'est l’action décisive de la cour de Versailles qui a libéré les États-Unis d'Amérique de la domination anglaise. Un fait d'histoire que M. Obama ne connaît peut-être pas…
Lorsque le président Barack Obama se penchera aux fenêtres de la Maison Blanche, il pourra apercevoir une superbe statue de Marie Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier, plus connu sous le nom de marquis de La Fayette. Le célèbre auvergnat est en bonne place dans un parc qui jouxte l’Executive Mansion.
Détail flatteur pour l’historien ou le touriste français. Mais détail presque futile pour les Américains : 85 % ignorent à peu près tout de l’action décisive de la cour de Versailles avant, pendant et après les batailles qui les ont libérés de la domination de la cour de Saint James. Ils ignorent que sans les cinquante millions de livres, les soixante navires, les vingt et un mille marins, les six mille fantassins, les trois cents canons fournis par Louis XVI, les Anglais auraient réussi à s’accrocher encore longtemps à leur lucrative conquête. Il n’y aurait eu ni La Fayette, ni Rochambeau, ni de Grasse. Il n’y aurait pas eu la bataille navale de la baie de Chesapeake. Il n’y aurait pas eu le siège de Yorktown. Ce fut le tombeau de l’Anglais. Or, Chesapeake et Yorktown sont des victoires fleurdelisées.
Louis XVI a tenu parole
Tout commence le 14 août 1781. Ce jour-là, le général George Washington reçoit confirmation que l’amiral François Joseph Paul, marquis de Grasse-Tilly, comte de Grasse, a quitté les Antilles françaises et cingle vers la baie de Chesapeake. Information capitale pour les insurgents : Louis XVI a tenu parole et verrouille son dispositif. Il pousse ses pions sur mer et sur terre. Pour Washington, c’est une étape décisive. Le soir, il danse et chante avec ses officiers.
Sept jours plus tard, il reprend la tête de son armée et, en compagnie des six mille soldats commandés par le général Jean-Baptiste Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, s’engage sur les routes du Sud. Fin du premier acte. C’est le récit d’une longue marche de deux compagnons d’armes et de deux forces alliées qui vont fraterniser pendant cinq semaines. Rejoints par La Fayette et ses deux mille cinq cents hommes, Washington et Rochambeau arriveront en Virginie, sur le champ de bataille, le 28 septembre. Le deuxième acte avait commencé quelques jours plus tôt – exactement le 5 septembre – lorsque les vingt-huit navires de De Grasse arrivèrent en vue de la baie de Chesapeake.
Chesapeake
Les Français sont aussitôt rejoints par les vingt-trois navires de l’amiral anglais Thomas Graves. Les deux flottes forment leur ligne de combat – les haut-bords les mieux armés face à l’ennemi – au moment où éclate une formidable canonnade. Imaginez trois mille cinq cents boulets qui partent en même temps dans un espace qui n’excède pas dix kilomètres. Infernal ! Et cet enfer va durer plusieurs heures. Le soir, le Shrewsbury, l’Ajax, le Terrible et le Montagu, avec chacun soixante-quatorze canons appartenant à Sa Gracieuse Majesté, sont gravement touchés et doivent quitter le combat. L’Intrepid et l’Europe (soixante-quatre canons chacun) sont réduits à l’état d’épave. Graves perd la première manche.
Il perdra également la seconde à la suite de trois erreurs. D’abord, il se montre incapable de profiter d’un coup de vent qui disperse fâcheusement une fraction importante des plus lents navires français. Ensuite, il fait hisser des ordres contradictoires, si bien qu’une partie de ses marins croit qu’il faut attaquer à l’instant ou une autre comprend qu’on doit au contraire tirer un bord. Enfin, troisième erreur de Graves : il sous-estime la rapidité, le courage et l’endurance des canonniers français. Il sous-estime également la perspicacité et l’intuition de De Grasse.
Le 6 septembre, lendemain de la bataille, les deux flottes ennemies font voile vers le sud en cherchant un nouveau contact. Dans le camp anglais règne la confusion, dans le camp français la confiance. Au moment où Graves se rend compte qu’il n’a plus assez de navires pour reprendre l’offensive, De Grasse estime qu’il est temps pour lui de peaufiner son coup de maître.
Le 7 septembre, les deux flottes se retrouvent au large de la Caroline du Nord. De Grasse décide alors de remonter vers la baie de Chesapeake. Graves suit péniblement sans tirer un seul coup de canon. Les journées du 8 et du 9 se passent à longer la côte. Le 9 septembre au soir, la flotte française prend position à l’embouchure de la baie où elle trouve, sous pavillon fleurdelysé, huit navires de haut bord, des frégates,des bateaux de transport de troupes et de matériel venus en renfort de Newport. Coordination parfaite.
Le 13 septembre, Graves arrive en vue de la baie de Chesapeake, constate qu’il a désormais en face de lui trente-six navires de ligne, accepte sa défaite et prend la fuite en direction de sa grande base arrière : New York.
Yorktown
L’Anglais laisse donc à De Grasse le contrôle absolu du secteur où se déroulera le troisième et dernier acte. Cela signifie que le général anglais Charles Cornwallis,retranché avec ses sept mille hommes derrière des fortifications construites autour de Yorktown, port de tabac en Virginie, ne doit compter que sur ses propres forces. Pour lui, aucun secours ne pourra venir de la mer.
Ce troisième acte commence le 30 septembre avec l’encerclement à peu près complet des Anglais par dix-sept mille soldats alliés. Washington, Rochambeau et La Fayette se partagent le terrain.
À l’Est et au Sud, six régiments de l’infanterie légère américaine appuyés par la milice de Virginie. À l’Ouest, les six régiments français : Touraine, Agenais, Saintonge, Soissonais, Royal Deux Ponts et Bourbonnais. Le siège dure dix-sept jours marqués par d’intenses duels d’artillerie et par de sanglants assauts à la baïonnette. Les Anglais échouent en risquant une sortie afin de desserrer l’étau qui menace de les asphyxier. Ils échouent également en essayant de conserver une redoute d’importance stratégique, où s’illustre le Royal Deux Ponts.
La position de Cornwallis devient intenable. Le 17 octobre le drapeau blanc remplace l’Union Jack sur des fortins détruits et deux jours plus tard le général anglais fait remettre son épée à Rochambeau qui l’offre aussitôt à Washington. C’est la fin de la guerre et pour Londres l’abandon d’une colonie prestigieuse. Abandon qui sera scellé deux ans plus tard par le traité de Paris.
PHILIPPE MAINE L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 20 novembre au 3 décembre 2008

Budapest, octobre-novembre 1956, Une révolution anti-marchande et anti-étatique pour un communisme authentique

- Mémoire ouvrière radicale- Budapest,  octobre 1956… Ce n’était qu’un combat, continuons ce début…

    Organisée spontanément par  un petit groupe d’étudiants et d’ouvriers hongrois, une  banale manifestation de solidarité avec les ouvriers polonais mit soudainement le feu aux poudres sociales en cette fin du mois d’octobre. Mais qui étaient  donc - en l’âme de leur colère profonde -  ces insurgés progressivement incontrôlables? A écouter l’imbécillité de la droite du capital, il se serait agi d’adeptes de la libre entreprise du calcul, simplement soucieux d’instaurer  la démocratie  de la marchandise  à l’occidentale, assoiffés de capitalisme libéral, développé et diffus. A entendre les idioties de la gauche du capital et plus particulièrement  les souteneurs du capitalisme étatique, concentré  et vétuste qui d’ailleurs n’alléguaient pas vraiment le contraire, les inspirateurs de la Commune de Budapest devaient être regardés comme de simples émeutiers ultra-réactionnaires  et para-fascistes.
    En réalité, il convient  avant tout de dissiper le brouillard pathogène de la propagande marchande dont la crétinerie démocratique du libre échange de l’avoir et du paraître  se sert de tous les côtés pour dissimuler la réalité radicale  et explosive de la révolution hongroise. Il s’agit  de montrer les exactes tendances communistes vraies  de cette révolution humaine contre le capitalisme d’État bolchévico-stalinien travaillant justement, dans les larmes, le sang et la fabulation sous faux-drapeau communiste.
    La révolution des conseils ouvriers qui prend forme à Budapest après celle de Berlin en 1953, vient pleinement confirmer la pertinence historique d’un projet révolutionnaire, à la fois radical et total,  voulant renouer avec le fil du temps millénaire de la communauté de l’être et aspirant à éradiquer toutes les impostures politistes de la société de la possession, de la frustration et de l’angoisse…Les événements de Budapest, modèles vivants de déclenchement d’une révolution anti-marchande et anti-étatique, constituèrent la première  révolution sociale d’après guerre en désignant de manière vivante la perspective du communisme authentique  opposé à toutes les idéologies léninistes et social-démocrates, toutes variantes passées, présentes et futures comprises.
    Comme dans toutes les Communes antérieures, Paris, Kronstadt ou Barcelone, l’insurrection hongroise opère spontanément en tant qu’auto-mouvement subversif des masses asservies cherchant justement à ne plus l’être. Le pouvoir capitaliste monolithique du parti-État se défait là en quelques jours devant un ensemble séditieux de mouvements sauvages, autonomes, centrifuges, tumultueux et anti-hiérarchiques.
Cette révolution communiste  à multiples foyers de base  se développe en refus de toute avant-garde et contre l’idée même d’une discipline et d’un assujettissement  à d’hypothétiques « professionnels » de la révolution. De la sorte, la Commune de Budapest  réhabilite les formes anti-domesticatoires de toute lutte radicale effective pour la communauté du vivre humain. Celles de la grève générale maximaliste et illimitée telle qu’elle implique la création de conseils révolutionnaires autonomes opérant sur la base d’une centralisation fédéraliste et d’une auto-organisation directe et permanente destinée à balayer les lois de l’argent et du marché. La Commune de Budapest met également en pièces le mythe du soi-disant parti révolutionnaire défendu par toutes les sectes de la socialisation marchande qui, de l’extrême droite à l’extrême gauche du capital,  rêvent pour dissimuler les angoisses d’impuissance de leur pathologie cheffiste, d’une organisation autoritariste  et concentrée qui destine les décisions à une élite savante et limitée à laquelle bien entendu chaque abruti orgueilleux de l’anti-pensée et de l’anti-jouir s’imagine prédestiné.

    L’insurrection du prolétariat hongrois  illustre exactement  la dialectique d’auto-mouvement des mouvements révolutionnaires en démontrant parfaitement toute l’importance de l’analyse si chère à Marx d’auto-émancipation radicale du prolétariat. Et c’est ici que se situe le cœur du projet communiste. N’en déplaise à tous les falsificateurs marxistes qui ont conduit Marx à déclarer précisément et si pertinemment qu’il n’était pas marxiste, la conscience révolutionnaire du prolétariat qui se nie comme prolétariat, loin d’émerger à partir d’un savoir particulier réservé à un gratin de paumés narcissiques spécifiques, est d’abord  le produit matériel et tangible d’une expérience vibrante et communautaire  de combat pour l’abolition de l’ordre établi du salariat et de l’Etat.
    À  partir du 25 octobre 1956,  les conseils ouvriers se multiplient et emplissent la vie de la Hongrie, le pouvoir de leur progressive hégémonie anti-étatique devient le seul pouvoir réel en dehors de l’armée rouge du capitalisme étatique. En substance, l’activité spontanée et radicale des insurgés illustre la force de leur créativité anti-politique et débouche sur l’émergence d’une puissance sociale radicalement nouvelle qui tend partout  à substituer sa logique humaine à celle de l’économie politique de l’in-humain.
    Qui dit communisme dit jaillissement de conseils insurrectionnels  tel que cela témoigne à la fois du contrôle de tout mandatement et de la claire  volonté d’empêcher toute tendance aliénatoire à l’autonomisation du pouvoir. L’adoption du mandat impératif  constitue là un des piliers vivants des conseils communistes pour l’émancipation humaine. Il s’efforce de prévenir la disjonction entre une minorité dirigeante et une majorité exécutante. A l’opposé du mandat représentatif de la collectivité marchande et étatique, il instaure la révocabilité permanente de tout mandataire. Ainsi,  le représentant est tenu d’appliquer les consignes de ceux qui l’ont élu pendant que le mandat représentatif confère une indépendance totale à celui-ci, qui, une fois élu, devient une simple voix dans le délire commercial de la nation trafiquante et non plus celle de ses mandants.
    Le 28 octobre, le conseil ouvrier de Szeged adoptait la revendication d’auto-organisation ouvrière. De nombreux conseils ouvriers suivirent le même cheminement. Le 2 novembre, la Fédération de la jeunesse annonçait : « Nous ne rendrons jamais la terre aux gros propriétaires fonciers ni les usines aux capitalistes. ». Sans nul doute,  la révolution hongroise s’est indubitablement montré  comme un anticapitalisme réel pour retrouver la réalité du communisme authentique  qui s’attaque aux rapports de production de la marchandise en tant que telle, en sachant que l’étatisation des moyens de production de l’exploitation n’est pas autre chose que de la servitude étatique. Le régime capitaliste lenino-trotsko-staliniste  avait là au moins permis de faire comprendre une chose essentielle aux prolétaires  hongrois. L’exploitation ne vient pas de la propriété privé du capital, mais plus généralement de la marchandisation de l’humain. L’étatisation des moyens de production – ou leur nationalisation – ne saurait en aucun cas conférer un caractère socialiste à la production. Une telle mystification avait seulement abouti à masquer la réalité d’un système capitaliste d’exploitation monumental qu’en 1956 les insurgés hongrois entreprirent alors de réduire en cendres…
    Évidemment, la cogestion yaltaiste de l’économie monde de la marchandise par le Kremlin et Wall-street, à l’heure des complicités géo-politiques de la cinématographie de la crise de Suez, allait conduire à l’écrasement sanglant de la Commune de Budapest…Mais par delà ses limites, ses faiblesses et ses contradictions qui n’étaient finalement que celles d’une époque où le devenir de l’histoire était encore marqué par le développement industriel encore possible de la production commerciale de la vie fausse, la colère ouvrière des barricadiers de Budapest a su signaler la direction du sens qui pose que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes…Ce qu’énonce bien en tous ses contrastes et paradoxes, l’Appel du Conseil central ouvrier de Budapest du 27 novembre qui nous rappelle ici que l’essentiel consiste d’abord à balayer tous ceux qui n’entendent qu’améliorer et humaniser la pourriture du marché de l’oubli de l’être…
    Ce qui est déterminant dans un mouvement, ce n’est pas tant ce qui le plombe momentanément que ce qui par delà et du sein même de ce qui le bloque et l’aveugle, tend à simultanément mettre en mouvement son arrachement et son échappement vers l’au-delà des illusions de l’empire de la soumission en l’internement au travail, à l’argent et à l’État…

L’Internationale, Octobre-novembre 2010…
Appel du Conseil central ouvrier de Budapest
Camarades ouvriers

    Le Conseil Central Ouvrier des usines et des arrondissements du Grand-Budapest désigné directement par la base vous adresse un appel et des informations dans le but de resserrer encore nos rangs et de les rendre plus unis et plus forts.
On sait que le Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest a été créé sur l’initiative des grandes entreprises, le 14 novembre dernier, afin de coordonner le mouvement des conseils ouvriers des usines et de se faire le porte-parole commun de leurs aspirations. Depuis sa création, le conseil central a, contre tout  opportunisme, présenté aux instances les plus diverses les souhaits des ouvriers du Grand-Budapest et, bien que les résultats ne soient pas suffisants, loin de là, nous pouvons néanmoins affirmer qu’au cours de ces discussions nous n’avons à aucun moment abandonné les objectifs essentiels au niveau national de notre retentissante révolution du 23 octobre.

    Ainsi que nous l’avons toujours fait, nous affirmons une fois de plus que nous avons reçu notre mandat de la classe ouvrière. Fidèles à cette mission, nous défendons, fût-ce au prix de notre vie, nos usines et notre patrie contre toute tentative de manoeuvre capitaliste. Nous proclamons en même temps notre volonté d’édifier un ordre social et économique nouveau dans une Hongrie indépendante et à la manière hongroise. Nous n’abandonnerons aucune des exigences de la révolution. Nous considérons que la production est la base de la société. Nous sommes des ouvriers et nous voulons produire ce qui est nécessaire. Voilà pourquoi nous avons convié au Palais des Sports de Budapest, pour le 21 novembre dernier, les représentants de la province, des départements, afin que, à la réunion d’un conseil ouvrier national, nous discutions des questions les plus importantes qui nous préoccupent et notamment de la possibilité d’une reprise de la production.
    Quoique nous ayons fait part à l’avance de nos intentions au gouvernement et que nous ayons même invité celui-ci à envoyer un représentant, le gouvernements a interdit notre réunion. Cette mesure inattendue a envenimé la situation. Dès que l’interdiction a été connue, les ouvriers des usines de Budapest ainsi que les travailleurs des Transports ont cessé le travail et ont commencé une grève de protestation massive, sans avoir reçu aucune directive du conseil central.

    Malgré tout, nous avons établi des rapports avec les délégués de province. Nous avons voté une résolution stipulant qu’en dépit de la grève de protestation de 48 heures, nous étions prêts à reprendre la production dans tout le pays sans pour autant renoncer à notre combat de gréviste, à la condition expresse que le gouvernement reconnaisse le conseil ouvrier national comme seul organisme représentatif de la classe ouvrière et qu’il accepte sans délai de reconnaître  nos exigences. Celles-ci ont été définies par nous, le 14 novembre, conformément aux objectifs essentiels de la révolution.
    Un comité ouvrier représentant notre Conseil et complété par un membre de la délégation des mineurs de Pécskomio a eu un entretien à ce sujet avec János Kádár, président du Conseil des Ministres, dans la nuit du 22 au 23 novembre.
    Le 23 novembre au matin, József Balaázs, l’un des membres de notre délégation, a annoncé personnellement à la radio le résultat de ces entretiens. Le président du Conseil des Ministres avait été contraint de reconnaître le Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest comme représentatif pour poursuivre les pourparlers et avait promis de soumettre au Conseil des Ministres les prétentions qui lui étaient présentées. Il avait enfin assuré que le conseil ouvrier aurait la possibilité de donner des informations sur les résultats obtenus au cours des conversations entre le Conseil et le gouvernement. Force nous est de proclamer que toutes ces promesses ne constituent pas grand chose. Néanmoins, nous avons décidé de reprendre la production, car nous n’avions en vue que les seuls intérêts réels de la population.

Nous ne nous laisserons pas berner


    Nous sommes persuadés du succès final de notre combat et nous essayons de prendre des mesures qui ne se retournent pas contre nous.
Le 23 novembre, une information a été publiée selon laquelle Imre Nagy et autres personnalités politiques qui se trouvaient à l’ambassade de Yougoslavie auraient quitté les bâtiments de l’ambassade, après l’accord avec le gouvernement hongrois qui leur aurait fourni des garanties suffisantes. Le même jour, la radio de Budapest a annoncé qu’Imre Nagy et les personnalités qui se trouvaient à l’ambassade de Yougoslavie avaient demandé le droit d’asile à la République Populaire de Roumanie. Etant donné que cette nouvelle a provoqué une grande inquiétude parmi les ouvriers, le Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest a nommé une commission ayant pour mission de demander au gouvernement hongrois, et au Haut Commandement des forces soviétiques stationnées en Hongrie, ainsi qu’à l’ambassade de Roumanie l’endroit précis où se trouvait Imre Nagy. Une fois cet endroit connu, la commission aurait à demander la possibilité de négocier personnellement avec Imre Nagy.
Il ne fait pas de doute que cet événement important n’a fait qu’augmenter la méfiance vis-à-vis du gouvernement. Toutefois, ainsi que nous l’avons déjà dit, uniquement dans l’intérêt du peuple hongrois nous prenons position en faveur de la continuation de la production. En même temps, nous adressons un appel à toutes les usines du pays pour les inviter à faire de même après examen approfondi de la situation.
    Les usines se trouvent entre nos mains, entre les mains des conseils ouvriers.

    Afin d’augmenter encore nos forces nous pensons que, en vue de mesures et actions unies, la réalisation des tâches suivantes s’impose :

    1) Dans tout arrondissement et dans tout département où un conseil ouvrier d’arrondissement ou de département n’a pas encore été constitué, ces organismes sont à former d’urgence au moyen de désignations directement organisées à la base. Les usines importantes et d’abord celles qui se trouvent dans les villes centrales des départements devront prendre l’initiative de constituer des conseils centraux.
    2) Tout conseil central d’arrondissement et de département doit se mettre immédiatement en rapport avec le Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest (15-17, rue Akacfa, téléphone 422-130). Le responsable du conseil central ouvrier est Sándor Rácz, responsable du conseil ouvrier de l’usine Standard (Beloiannis) ; son adjoint est György Kalocsai, délégué du conseil ouvrier des Huileries Végétables de Csepel ; son secrétaire est István Babai, responsable du conseil ouvrier de la Compagnie des Tramways de Budapest.
    3) L’une des tâches les plus importantes des membres des conseils ouvriers d’usines consiste à s’occuper, non seulement de l’organisation de la production, mais aussi à  organiser d’urgence les conseils ouvriers définitifs. En composant nos délégations, nous devons montrer la même énergie pour combattre l’agitation de la dictature rákosiste que celle de la rénovation capitaliste. Les conseils doivent être composés d’ouvriers exemplaires au passé irréprochable. Au sein des conseils, les ouvriers conscients devront s’employer  à toujours posséder une influence déterminante.

    En ce qui concerne les attributions des conseils ouvriers, nous ne saurions être d’accord avec les ordonnances du Conseil du Présidium Suprême promulguées à ce sujet. Nous maintenons que des conseils ouvriers doivent être formés dans toutes les compagnies de transports (chemins de fer, tramways municipaux, compagnies d’autobus), ainsi que dans toutes les entreprises où l’ensemble des travailleurs l’exige. Lors de l’entretien du 26 de ce mois, le président du Conseil des Ministres a promis de soumettre notre position au Conseil des Ministres. En attendant, nous invitons les conseils ouvriers créés dans de telles compagnies à poursuivre inlassablement leur activité. Par ailleurs, nous ne saurions être davantage d’accord avec le décret du Conseil du Présidium Suprême qui définit la compétence des Conseils Révolutionnaires créés dans les ministères et les grandes administrations.
    Nous voulons, en effet, un renforcement considérable et continu de l’autorité de ces conseils. Pour ce qui est de la personne des responsables, nous pensons que ces derniers doivent être désignés par les conseils eux-mêmes après déclaration de candidature. L’entrée en fonction d’un responsable ne devrait pas être subordonnée à l’accord du ministre ou du ministère. Nous invitions les conseils ouvriers à mettre tout en œuvre pour la réalisation de notre position ; à ne pas accepter des dirigeants imposés aux usines, qui dans le passé ont fait la preuve de leur incompétence et de leur éloignement de la classe ouvrière. Il faudra se méfier des arrivistes au passé douteux.
    4) Par la suite, il est très important que la désignation des nouveaux comités d’usine soit assurée par les conseils ouvriers représentant la volonté authentique de la classe ouvrière. Les « syndicats libres » dont le nombre augmente sans cesse actuellement, tentent de s’assurer une popularité en formulant des revendications de salaires excentriques. Il convient de préciser que les dirigeants de ces « syndicats libres » n’ont pas été choisis par les ouvriers, mais désignés à l’époque rákosiste, époque à laquelle ils se sont sans cesse compromis.
    Les syndicats essaient actuellement de présenter les conseils ouvriers, comme s’ils avaient été constitués grâce à la lutte des syndicats. Il est bien sûr superflu de préciser que c’est là une affirmation gratuite. Seuls les ouvriers ont combattu pour la création des conseils ouvriers et la lutte de ces conseils a été la plupart du temps entravée par les syndicats qui se sont bien gardés de les aider.

    Nous pensons que les ouvriers ont besoin d’organisations qui défendent leurs intérêts, de coordinations et de comités d’usine. Mais uniquement de celles dont les directions  sont désignés par la base avec des méthodes d’auto-organisation claires, de façon que leurs délégués soient des représentants consciencieux de la classe ouvrière. Voilà pourquoi il importe que les comités d’usine soient désignés de la façon la plus directe et transparente possible, une fois les conseils ouvriers définitivement constitués, afin que la composition personnelle de ces comités fournisse toutes les garanties pour la réalisation des objectifs de la révolution.

    Nous sommes hostiles au maintien des permanents syndicaux rétribués. En effet, l’activité aussi bien au sein d’un comité d’usine qu’au sein d’un conseil ouvrier doit être une contribution sociale bénévole.
Nous ne voulons pas vivre de la révolution et nous ne tolérerons pas que qui ce soit essaie d’en vivre.

    Nous estimons que l’adhésion aux syndicats doit être libre d’autant plus qu’on ne saurait préserver d’une autre manière les syndicats du danger de la bureaucratisation et de la distance avec le peuple.
    Nous protestons contre la thèse des « syndicats libres » récemment constitués d’après laquelle les conseils ouvriers devraient être uniquement des organisations économiques. Nous pouvons affirmer que les véritables intérêts de la classe ouvrière sont représentés en Hongrie par les conseils ouvriers et que, d’autre part, il n’existe pas actuellement un pouvoir de réalité plus sérieux et plus puissant que le leur. Nous devrons œuvrer de toutes nos forces au constant renforcement du pouvoir ouvrier.
    5) Les conseils ouvriers d’arrondissement et de département devront rentrer immédiatement en contact avec l’organisme distributeur compétent de la Croix-Rouge. Ils devront envoyer leurs délégués à son siège central afin d’assurer une répartition équitable des denrées et des médicaments. Il est important que des hommes expérimentés figurent parmi les délégués.
    6) Dans le but d’empêcher tout accaparement, les conseils d’arrondissement et de département devront organiser le contrôle solidaire de la distribution et des halles centrales, afin que les travailleurs empêchent la spéculation. Ces observateurs devront se présenter régulièrement dans les lieux de stockage des produits, clouer au pilori les auteurs de malversation et, en outre, signaler publiquement tout abus.
    7) Les conseils d’arrondissement et de département devront faire tout leur possible pour informer l’ensemble de la population. Toutes les fois que la chose sera faisable, ils demanderont que leur soit réservée une place dans la presse locale. Par ailleurs, ils devront fournir constamment des informations objectives aux travailleurs des usines et des entreprises. Pour cette raison, les conseils centraux des grandes usines doivent faire le nécessaire pour que cet appel soit distribué dans tous les ateliers. Ces revendications ayant été formulées à plusieurs reprises, le président du Conseil des Ministres s’est engagé à soumettre, le 27 courant, au Conseil des Ministres, notre réclamation au sujet de la création d’un quotidien. Cette demande une fois aboutie, le problème de l’information serait résolu.

Pour conclure,

    Nous dirons qu’aujourd’hui il est nécessaire que les conseils ouvriers, avec une unité et une intransigeance complètes servent – même avec la reprise de la production – la cause de la révolution sociale du 23 octobre. Nous avons fait le premier pas …Désormais, le gouvernement va devoir répondre. Tout cela peut durer plusieurs mois. Il nous faudra veiller avec vigilance, pendant tout ce temps-là, car la clique compromise de Rákosi et Géró essaie de pêcher en eaux troubles et de restaurer son régime. Nos rangs se renforcent de jour en jour. Nous avons derrière nous des écrivains lucides qui ont joué un rôle important dans la préparation de la révolution, des artistes, desa musiciens et le Conseil Révolutionnaire des Intellectuels Hongrois qui groupe toutes les organisations d’intellectuels. Une unité révolutionnaire  nationale, encore jamais vue, qui rassemble tous les Hongrois solidaires, se constitue actuellement à la suite de nos combats. Regroupons-nous encore davantage, resserrons encore nos contacts entre conseils ouvriers et continuons à combattre avec une vigilance révolutionnaire pour notre objectif intangible, une Hongrie vraiment socialiste, indépendante et auto-organisée, édifiée selon l’histoire de nos caractéristiques nationales.

Budapest, le 27 novembre 1956

Pour une étude détaillée des événements de l'automne 1956, on consultera avec profit :
Henri-Christian Giraud, Le Printemps en octobre. Une histoire de la révolution hongroise, Éditions du Rocher, 814 p., 24 euros.  Gustave Lefrançais  http://www.esprit-europeen.fr

mercredi 23 mars 2011

La Grande Guerre : Après l’Affaire Dreyfus

En ces premiers jours de juin 1916, l’heure est à l’union sacrée et à la réconciliation générale. Le cardinal Amette, cardinal-archevêque de Paris, a dit l’absoute aux funérailles nationales accordées au général Gallieni, athée militant qui, deux ans plus tôt, lui avait interdît la visite des blessés dans les hôpitaux parisiens. Poincaré vient d’épingler la Légion d’honneur sur la poitrine de la reine des Belges sans que les républicains fanatiques y trouvent rien à redire.
Mieux encore : le président de la République a décoré deux “émigrés”, les princes Sixte et Xavier de Bourbon Parme, frères de l’archiduchesse-héritière d’Autriche, qui, dans l’armée belge, se sont, selon la citation qui accompagne le ruban rouge, « signalés par leur courage, le mépris du danger et le dévouement absolu dont ils ne cessent de faire preuve ». Les gazettes, en ce début de juin, s’émerveillent de tels spectacles qui « serviront demain ceux qui soutiennent des idées de royauté comme ceux qui préconisent les principes démocratiques ».
On énumère les exemples édifiants : « N’a-t-on pas vu des socialistes servir et tomber avec zèle aux côtés du lieutenant-colonel Drian, député de la droite et gendre du général Boulanger ? N’a-t-on pas vu les pacifistes d’avant 14 faire leur devoir brillamment et recevoir la Légion d’honneur sur le champ de bataille sous les ordres de jésuites qui ont quitté la soutane pour endosser le dolman d’officier ? »
D’autres, pourtant, s’indignent que ces embrassades unanimistes vont un peu trop loin. Jusque dans la gauche patriotique, on trouve assez malvenue la revendication d’une “Académie nécrologique des amis de Jaurès” qui, à Paris, réclame une avenue et, à Toulouse, a débaptisé les « légendaires allées La Fayette » pour leur donner le nom du « Grand Homme d’Etat ». Ces « fanatiques nouveaux ne doutent plus de rien », protestent certains qui s’indignent que l’on puisse honorer si tôt un homme qui, en 1907, c’est-à-dire il n’y a pas dix ans, appelait dans son discours du Tivoli-Vauxhall les travailleurs à se servir des fusils « non pour aller fusiller de l’autre côté de la frontière des prolétaires mais pour abattre révolutionnairement des gouvernements de crime ».
Dans la recherche d’exemples spectaculaires de réconciliation, les gazettes ont eu l’idée de rechercher les acteurs de l’Affaire Dreyfus dont les terribles déchirements franco-français sont encore, bien évidemment, dans toutes les mémoires.
Les reporters ont vu « le commandant Alfred Dreyfus, tout auréolé de la Légion d’honneur décernée en 1906 pour solde de tous comptes, à la tête d’une batterie du secteur de Paris, discutant stratégie avec des officiers qui avaient déposé contre lui au procès de Rennes ».
Les commentateurs relèvent que le neveu du capitaine, Emile Dreyfus, dont le père, Mathieu, fut l’âme agissante de “l’Affaire”, a, comme son beau-frère Adolphe Reinach, fils de Joseph, été tué en Champagne où il avait gagné la Légion d’honneur au feu, à l’exemple d’ailleurs du fils du colonel du Paty de Clam ; cependant que ce dernier, qui avait été “la dame voilée” de l’Affaire, a reçu, quant à lui, la Croix de guerre.
Les gazettes ont également retrouvé le commandant Anthoine et le commandant de Saint-Morel à qui le capitaine Lebrun-Renault, chargé d’arrêter le capitaine Dreyfus, avait rapporté l’aveu de son prisonnier admettant qu’il avait confié des documents aux Allemands mais « pour les amorcer ». Ils sont aujourd’hui tous les deux généraux.
Le commandant Lauth, dit “le lampiste” alors qu’il joua tout au long de l’Affaire un rôle déterminant en permettant d’abord l’identification de l’auteur du “bordereau” puis en témoignant à charge, est également repéré. Malgré la haine du puissant parti dreyfusard, il a obtenu les galons de colonel et commande un régiment en Lorraine avec « une telle intrépidité que les intellectuels qui l’avaient hué à Rennes l’acclament aujourd’hui ».
En somme, pour une fois, toute la presse est d’accord, jamais la Mort n’a mieux mérité son surnom de “Grande réconciliatrice”.
Serge de Beketch  Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 98 du 31 mai 1996

dimanche 20 mars 2011

Desouche Histoire : La fin de la présence musulmane en Gaule (732-759)

Contrairement à une idée reçue, la victoire de Charles Martel à Poitiers (732) ne met pas fin aux raids musulmans dans le Sud de la Gaule. La voie de l’Aquitaine n’est cependant plus empruntée par les musulmans qui préfèrent désormais remonter la vallée du Rhône. Dès 734, les musulmans se lancent dans de nouvelles razzias à partir de Narbonne.
Un accord passé entre un dignitaire chrétien, le patrice Mauronte, duc de Provence, et le gouverneur de Narbonne Yûsuf ibn Abd al-Rahmân al-Fihrî, prévoit l’occupation d’un certain nombre de sites fortifiés sur la rive gauche du Rhône pour protéger la Provence des entreprises de Charles Martel.
I. L’expédition musulmane et la contre-offensive carolingienne (734-737)


cartes 4 grands raids
Les 3 grandes expéditions militaires en Gaule. Les Arabo-berbères échouèrent devant Toulouse (721) et près de Poitiers (732). Cliquez pour grossir.
Carte tirée du livre de P. Sénac, Les Carolingiens et al-Andalus (VIIIe-IXe siècles).
Dans certaines sources comme la Chronique de Frédégaire, le patrice Mauronte est présenté comme un traître : « de nouveau se rebelle la puissante nation des Ismaëlites, que l’on nomme maintenant, selon un terme corrompu, Sarrasins. Ils font irruption depuis le Rhône, et tandis que trahissent des hommes infidèles, par ruse et fourberie, notamment Mauronte et ses alliés, les Sarrasins rassemblent des forces armées, entrent à Avignon, ville bien fortifiée sur une colline. Les habitants se rebellent et la région est dévastée ». Les musulmans, après avoir pénétré Arles, entrent effectivement dans Avignon avant de se diriger vers le Nord pour installer de petites garnisons jusqu’à Lyon, cité occupée par les musulmans depuis 726, afin de probablement préparer une nouvelle invasion.

Face à cette menace, dès 737, Charles Martel réplique en formant une armée qu’il confie à son frère Childebrand pour mettre fin à la présence musulmane dans ces régions. Arrivé près de Lyon, la garnison musulmane se retire de la ville sans combattre pour se replier sur Avignon. Descendant la vallée du Rhône, Childebrand met le siège devant Avignon. Rapidement, Charles Martel rejoint son frère avec de nouvelles troupes. Selon la Chronique de Frédégaire, la bataille est très violente : « Comme à Jéricho, au milieu du fracas des armées et au son des trompettes, avec des machines de guerre et des échelles de corde, [les Francs] se précipitent sur les murailles et les remparts de la cité, entrent dans cette ville bien fortifiée, l’incendient, capturent leurs dangereux ennemis, les tuent, les massacrent, les mettent en déroute et, sans coup férir, rétablissent leur pouvoir ». La répression violente de Charles Martel est une vengeance à l’égard de la ville qui s’est rendue aux musulmans sans combattre quelques années plus tôt.
Bataille de Poitiers - Charles de Steuben

Charles Martel à la bataille de Poitiers par Charles de Steuben (1834-1837).
II. Les opérations en Narbonnaise et la bataille de la Berre (737)

alentours de Sigean - carte de Cassini

Portion de la carte de Cassini (XVIIIe) permettant de bien visualiser les mouvements de troupe et le lieu de la bataille.

Charles Martel entend profiter de son avantage pour chasser les musulmans de Narbonnaise. Après avoir repris Nîmes, Agde, Maguelone et Béziers, il parvient à Narbonne et met le siège devant la ville en 737. L’émir de Cordoue Uqba ibn al-Hadjdjâdj al-Salûlî envoie alors des renforts pour secourir les assiégés. Charles abandonne le siège de la ville pour se porter à leur rencontre.

La bataille aurait eu lieu un dimanche, non loin de l’étang de la Berre. Les Francs choisissent d’emprunter, à l’Ouest du massif, un chemin serpentant à travers les collines pour échapper au regard des musulmans puis atteignent le village de Portel. A partir de là, ils longent la Berre puis traversent la rivière à gué à Villefalse. Charles est maintenant au contact de l’ennemi pris par surprise et rapidement mis en déroute dans un combat sanglant. D’après la Chronique de Frédégaire, « les Sarrasins, vaincus et abattus, virent leur roi tué, furent mis en fuite et battirent en retraite. Les rescapés cherchent à s’échapper en embarquant sur des bateaux, en nageant dans la lagune ; chacun luttant en fait pour soi-même, ils se précipitent ainsi les uns sur les autres. Bientôt les Francs, avec des bateaux et armes de jet, se précipitent sur eux et les tuent en les noyant. »

La bataille de la Berre (que l’on rencontre parfois aussi dans les livres sous le nom de « bataille de Sigean »), est beaucoup moins connue que Poitiers mais au moins aussi importante stratégiquement. D’ailleurs, près d’un siècle plus tard, Eginhard (biographe de Charlemagne) mettra sur le même plan ces deux victoires franques. A la suite de la bataille, le pape se détourne d’Eudes, duc d’Aquitaine battu à Bordeaux, pour conclure une alliance avec Charles Martel et les Carolingiens. Cette alliance constitue une étape qui va permettre au fils de Charles, Pépin le Bref, de se faire couronner roi des Francs en 751.

III. La prise de Narbonne (752 ou 759)

Il ne reste plus aux musulmans que Narbonne, que Charles échoue à reprendre en 737 malgré sa victoire à Sigean. Le maire du palais décède quatre ans plus tard, et la prise de la ville est l’affaire de Pépin le Bref, premier roi carolingien. La date de la prise de Narbonne n’est pas certaine, les sources arabes la fixe à 752 tout comme les Annales de Metz (mais les Annales de Metz indiquent aussi que la ville fut reprise sous Abd al-Rahman Ier, or celui n’a accédé au pouvoir qu’en 756). La Chronique de Moissac place l’événement en 759, date communément admise.

Selon les Annales de Metz la ville aurait été prise suite à trois assauts successifs tandis que la Chronique de Moissac insiste sur la complicité de la population indigène qui se serait soulevée contre les occupants et aurait ouvert les portes de la cité aux Francs. Il semble bien en effet qu’à partir de 750 la présence musulmane dans la région se vit remise en cause par les Narbonnais pour une raison restée inconnue : persécutions religieuses ? Accroissement de la fiscalité ? L’émir Abd al-Rahmân aurait envoyé, là encore, une armée de secours sous la direction d’un certain Sulaymân mais elle aurait été écrasée avant d’avoir pu rejoindre la ville.

Les musulmans ont désormais été repoussés au-delà des Pyrénées et les difficultés intérieures en al-Andalus ne permettent pas de mener d’autres grandes expéditions en Gaule. Aucun combat n’opposa par la suite les musulmans et les Francs sous le règne de Pépin. Quelques musulmans subsistent peut-être isolés ici et là mais plus aucune place forte n’est alors en leur possession. Il faut attendre la fin du IXe siècle pour voir des corsaires musulmans au service de l’émirat de Cordoue s’établir en Francie occidentalis, à la Garde-Freinet, pour mener des raids aussi bien terrestres que maritimes.

Gisant de Charles Martel à St-Denis

Gisant de Charles Martel dans la basilique Saint-Denis. Charles Martel est, avec le connétable Bertrand du Guesclin (XIVe), la seule tête non couronnée à reposer dans la nécropole royale.

Sources :
SÉNAC, Philippe. Les Carolingiens et al-Andalus (VIIIe-IXe siècles). Maisonneuve et Larose, 2002.
http://www.fdesouche.com/ 

vendredi 18 mars 2011

La Grande Guerre : Paris « en guerre »…

« Quand on voudra avoir une physionomie exacte de ce que fut la vie de Paris pendant les terribles journées que furent celles de la bataille de Verdun, il faudra consulter à la fois les faits divers et les rapports des commissaires de police », écrit le mémorialiste Jean Bernard à la date du 7 mai 1915.
Eh bien, voyons un peu.
Les gazettes nous apprennent que la baronne de Vaughan, “qui fut la Pompadour de Léopold II, roi des Belges” et qui est restée ce que les Parisiens appellent joliment une “demi-mondaine de marque”, a porté plainte contre des résidents étrangers qui lui auraient soustrait des sommes importantes. La justice classe le dossier : les étrangers en question sont des millionnaires qui ont gagné cinquante mille francs (près de six cent cinquante mille francs d’aujourd’hui) en jouant au poker avec la baronne lors des soirées qu’elle organise dans son fastueux hôtel particulier.
La presse parle aussi d’un autre hôtel, mais public. Il se trouve rue Victor-Massé et le jeune poète portugais Mario de Sa Carnero y a mis fin à ses jours en laissant un billet où l’on lit cette pensée qu’il prête à Epictète : « La vie est comme une chambre où brûle un feu. Quand la cheminée fume un peu, on tousse. Quand elle fume trop, on s’en va. »
Cependant la vie continue, si l’on ose écrire… Un ordonnateur de pompes funèbres distribue dans les loges un imprimé par lequel il promet une récompense aux concierges qui lui feront connaître sans délai les décès survenus dans leur immeuble.
Les pipelettes auront cinq francs par décès rapporté, plus une guelte proportionnelle à la classe des funérailles commandées par les héritiers. De 3 F pour une “neuvième classe” à 150 F pour une “première classe”.
Au cours d’aujourd’hui, un riche défunt rapporterait donc deux mille francs au concierge ; un miséreux cent francs à peine.
A ce tarif, il faudrait être au front pour gagner sa vie…
Quelqu’un qui n’a pas eu besoin de notre ordonnateur entreprenant, c’est Madame Verlut, ménagère à Brasles, Seine-et-Marne, dont les journaux rapportent la peu banale et fatale mésaventure.
Son fils étant tombé en Champagne, elle s’est rendue sur sa tombe en compagnie d’un infirmier. Tandis qu’elle priait, agenouillée, un “Taub” allemand a laissé tomber sa “torpille aérienne” sur le cimetière, tuant la malheureuse mère et son guide.
Aurait-elle accompli ce dernier voyage si elle avait consulté au préalable l’une des voyantes dont les annonces envahissent les colonnes ? Extra-lucides, tireuses de cartes, liseuses de marc de café, chiromanciennes, somnambules font des fortunes sur les espérances des malheureuses dont les maris ou les fils ont disparu au front.
Ce commerce répugnant de l’humaine crédulité prend de telles proportions que la Chambre projette de légiférer pour l’interdire.
En attendant, les aruspices font leur pelote. Une ouvreuse de théâtre subventionné améliore ses pourboires en interprétant les évolutions de trois poissons rouges dans un bocal… Une Marseillaise annonce la paix pour le 16 août « parce que la Sainte Vierge le veut ainsi ». Et une troisième décrète que « la fin du monde aura lieu en 2004 ». Mais, d’ici là, on est tranquille, on a largement le temps de mourir, se disent les braves gens.
Dans le même ordre d’idée, on voit naître un nouveau lieu de pèlerinage : une fontaine proche de Gonesse.
Les vieux disent que le cheval de Jeanne d’Arc y but, puis que son eau cessa de couler jusqu’à la veille de l’armistice de 1871, avant de s’interrompre de nouveau. Or, depuis quelques semaines, elle a repris son débit…
En outre, les feuilles évoquent une lettre d’un combattant à son père, le poète Boyer d’Agen : les sapins des Vosges ont fleuri du côté français ; la chose, rarissime selon les gens du cru, ne s’est produite en pareille saison qu’en 1870 du côté allemand…
On attend donc la paix pour le début de l’été 1915…
Telles sont les nouvelles de cette première semaine de mai 1915.
Pendant ce temps, les combattants des Flandres découvrent les gaz asphyxiants et le Lusitania, navire “civil” (avec douze canons et transportant trois mille caisses de munitions !) est coulé avec mille deux cents passagers.
Serge de Beketch Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 97 du 22 mai 1996

mercredi 16 mars 2011

La Gaule et les Gaulois avant César

Avant notre ère, le territoire compris entre les Pyrénées, les Alpes et le Rhin (France, Bénélux, Suisse et Rhénanie actuels) a une unité toute fictive et ce n'est en rien un pays de sauvages selon l'idée cultivée par les historiens du XIXe siècle…

Appelé Gallia (Gaule) par Jules César dans son célèbre compte-rendu de la guerre des Gaules, ce territoire appartient à l'immense domaine de peuplement celte qui s'étend des îles britanniques jusqu'au bassin du Danube et même jusqu'au détroit du Bosphore (le quartier de Galatasarai, à Istamboul, rappelle encore aujourd'hui la présence de Galates, cousins des Gaulois, dans la région).
Brennus, le premier Gaulois
Le nord de la péninsule italienne est lui-même baptisé Gaule cisalpine par les Romains qui n'en gardent pas de bons souvenirs… En 390 avant JC, la jeune république sénatoriale avait été assiégée par des Gaulois de cette région, les Sénones. Les habitants n'avaient dû leur salut qu'à la vigilance des oies sacrées du Capitole. Selon l'historien Tite-Live, celles-ci, par leurs cris, les avaient prévenu d'une tentative d'effraction nocturne des Gaulois.

Finalement contraints à la reddition et à un lourd tribut, les Romains avaient osé mettre en doute la fiabilité de la balance utilisée par les Gaulois pour peser l'or. Le chef gaulois, Brennus, avait alors jeté son épée sur la balance en lançant : «Vae Victis ! » (Malheur aux vaincus !).
Une unité fictive

La Gaule proprement dite est partagée entre Rome et des tribus indépendantes celtes, mais aussi ibères ou encore germaniques.

Jules César lui-même a perçu cette diversité : « La Gaule, dans son ensemble, est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui dans leur propre langue, se nomment Celtes, et, dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par la langue, les coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par le cours de la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de tous ces peuples sont les Belges, parce qu'ils sont les plus éloignés de la civilisation et des mœurs raffinées de la Province, parce que les marchands vont très rarement chez eux et n'y importent pas ce qui est propre à amollir les cœurs, parce qu'ils sont les plus voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin et avec qui ils sont continuellement en guerre » (La guerre des Gaules).

Avant que le général ne débarque en Gaule, les Romains occupent déjà la partie méditerranéenne du pays, dont la capitale a été Narbonne avant de devenir Lyon. Cette région, la Gaule Narbonnaise, est aussi appelée la Province (dont nous avons fait Provence) car c'est dans l'ordre chronologique la première province de Rome !

La Gaule qui échappe à Rome est communément appelée «Gaule chevelue». En fait, ses habitants sont loin d'être tous chevelus… Ainsi, les Éduens, qui habitent au centre de l'hexagone, sont fortement influencés par la culture latine, portent les cheveux courts et s'habillent à la romaine. Les régions proches des Pyrénées sont plus précisément appelées Aquitaine ; au-delà de la Seine, elles sont appelées Belgique.

Les 64 pays gaulois («pagus») sont très différents les uns des autres et sensibles aux influences des pays riverains (Italie, Germanie, Espagne) et même plus lointains (Grèce). Certains sont des chefferies héréditaires, d'autres des républiques plus ou moins démocratiques.
Le trésor de Vix
En 1953, on a découvert à Vix, en Bourgogne, la tombe d'une princesse celte morte vers 480 avant JC.

Son trésor funéraire incluait un cratère (vase) en bronze de 1,64 mètre, originaire de l'Italie du Sud qu'on appelait alors la Grande Grèce !

Cette découverte atteste que, très tôt, les Celtes de l'hexagone, plus tard appelés Gaulois, avaient des liens commerciaux nombreux avec les civilisations de la Méditerranée
Un pays prospère et fortement peuplé
Dans son ensemble, la Gaule se caractérise par une forte densité de population. On évalue à douze millions le nombre de ses habitants, soit davantage qu'à certaines époques du Moyen-Âge.
Loin d'être un pays de forêts impénétrables uniquement peuplées de sangliers comme le laisseraient croire certaines bandes dessinées, la Gaule est en grande partie défrichée et couverte de belles campagnes comme l'atteste l'archéologie aérienne.
Ses habitants manifestent un exceptionnel savoir-faire dans l'art de l'agriculture et de l'élevage comme l'atteste un bas-relief en pierre découvert dans le bassin parisien : il montre une moissonneuse-batteuse antique, poussée par des chevaux et manoeuvrée par deux hommes ! D'ailleurs, le potentiel agricole de la Gaule compte pour beaucoup dans l'intérêt que lui portent les Romains.
Les Gaulois reviennent à la vie
En janvier 1789, à la veille de la Révolution française, l'abbé Joseph Sieyès publie un opuscule retentissant : Qu'est-ce que le tiers état ? Dans ce petit ouvrage, il présente les Gaulois et plus précisément les Gallo-Romains comme les ancêtres du tiers état (le peuple), en les opposant aux Francs, ancêtres des nobles et aristocrates.
C'est ainsi que sortent de l'ombre «nos ancêtres les Gaulois», éclipsés jusque-là par les chroniqueurs officiels qui se contentaient de relater les exploits de la monarchie et faisaient remonter celle-ci à Clovis (Ve siècle de notre ère).
Les Gaulois vont acquérir leurs lettres de noblesse avec Napoléon III ! Féru d'histoire antique, l'empereur écrit en collaboration avec Victor Duruy une biographie de Jules César et par la même occasion, se pique de passion pour Vercingétorix. Il le fait représenter sous ses traits à Alise-Sainte-Reine, lieu supposé de la bataille d'Alésia.

C'est le début d'une étrange dichotomie chez les Français cultivés qui considèrent les Gaulois comme leurs ancêtres et dans le même temps, les voient comme des sauvages que les Romains ont eu le bon goût de soumettre et civiliser… Les historiens et archéologues de la fin du XXe siècle ont fait litière de ces schémas.
La Gaule à la veille de la conquête romaine
Cliquez pour agrandir
Le territoire entre Rhin et Pyrénées que César appelle Gaules est composé d'environ 64 pays relativement divers et d'une unité très factice… C'est aussi un territoire fortement peuplé, aux ressources agricoles et minières abondantes…