mardi 30 novembre 2010

Guerre de 1870 : L’affaire du camp de Conlie (fin)

Une armée sans armes… et en sabots. On a déjà beaucoup de mal à imaginer ces 50 000 hommes les mains vides, pour la quasi-totalité, et les voici en sabots ! Oui ! Il ne faut pas oublier que ces gens étaient en majeure partie des ruraux qui se trouvaient fort bien en sabots, dans cette immense boue de Conlie. Alors, pourquoi se chausser autrement, surtout que les souliers qu'on leur avait donnés étaient trop minces, trop étroits, des « souliers de demoiselles », disaient-ils (beaucoup de rappelés, en 1939, ont connu un sort identique).
Et ces sabots, ils ne les quittaient plus. Lors de l'évacuation du camp, Rennes vit passer 20 000 hommes, et les habitants purent constater - les journaux locaux y mirent un particulier accent - que presque tous étaient en sabots : « Ils n'ont que cela aux pieds, écrivait le « Journal de Rennes » ils ont l'air de mendiants hébétés, leurs vêtements sont en désordre et couverts de boue. »Sans armes et en sabots… Cependant, deux fois on leur demandera de se battre. Le 21 novembre, dépêche de Gambetta à Keratry lui enjoignant de « couvrir Alençon ». En effet, l'ennemi avance toujours, il va occuper Nogent-le-Rotrou et La Ferté-Bernard. Le Mans et Tours sont menacés.
Le lendemain, nouvelle dépêche de Gambetta, avec cette phrase assez extraordinaire et qui marque éloquemment l'état d'esprit du ministre : « Je vous conjure d'oublier que vous êtes Breton pour ne vous souvenir que de votre qualité de Français. Et il demande la formation immédiate d'une division de marche ».
Une division ? Mais c'est 15 000 hommes. Et il faut les armer. Comment ? Keratry qui, évidemment, n'a pas besoin de la singulière recommandation de Gambetta, et la méprise, Keratry multiplie le nombre de ses émissaires à la recherche de fusils et de munitions. Et cette recherche tourne au ridicule, véritablement.
Le général Trinité, l'un des membres de son état-major, découvre 1 400 chassepots à Laval. Il se les approprie. Un autre de ses officiers, le général Mangin, trouve lui aussi des chassepots - 600 - entreposés au château de Nantes. Il a le tort de les demander au ministre, qui les lui refuse et les attribue à un régiment en garnison à Angers.
Gambetta s'obstine
1 400 fusils donc, et 15 000 hommes, que Keratry a réussi à extraire de la masse de ses mobilisés ; 15 000 volontaires, soulignons-le. Ils sont conduits, deux jours plus tard, le 23 novembre, à la gare du bourg de Conlie, à proche distance du camp. Quelques-uns, donc -1 soldat sur 100 environ ! - portent fièrement un chassepot, mais un chassepot sans cartouches. Elles doivent parvenir par le premier train.
Imaginons, ici encore, ces hommes, le long des quais et alentour de la gare, attendant, plus ou moins patiemment leurs indispensables munitions, qui ne viennent pas. Car voici le train, sans le précieux chargement, qui a été, par erreur, dirigé sur Tours, et qu'il faudra attendre encore pendant six longues heures.
La division est alors transportée au Mans, puis à Parigné, et dirigée, à pied, sur Saint-Calais, où l'avance prussienne est signalée, Keratry, d'autorité, s'est emparé, au parc d'artillerie du Mans, de six canons - des pièces de quatre - que, faute d'attelage, des marins de Brest, appelés à les servir, traîneront eux-mêmes pendant 30 km.
La division ayant atteint Saint-Calais alors que l'ennemi a évacué la ville, s'établira à Yvré-l'Évêque, à 6 km du Mans. Elle sera incorporée, les jours suivants, à l'année de la Loire.
Gambetta avait télégraphié à Keratry, à 5 heures du matin, le 23 novembre - jour du départ de la division, rappelons-le : « Allez rendre à la République et à la France un signalé service. Nous allons nous battre ensemble ; nous arrêterons la marche des Prussiens. »
Et le lendemain, il télégraphiait encore, mais au directeur de l'artillerie à Rennes, cette fois : « Je vous donne l'ordre formel de ne rien délivrer, ni en matériel ni en munitions à M. de Keratry - ou à ses lieutenants sans une autorisation expresse de ma part. Avez-vous expédié 50 000 cartouches à M. de Keratry (celles qui avaient été si longuement désirées à la gare de Conlie !)? Si non, gardez-vous de le faire. Envoyez-les au Mans. »
Evidemment Keratry ne tarde pas à connaître le singulier comportement du ministre. Il le rencontre, le 27 novembre, à la préfecture du Mans, et, après une très violente discussion, démissionne. Gambetta le remplace par le général de Marivault, en qui il semble avoir une confiance entière.
Mais les problèmes restent les mêmes, 15 000 hommes sont partis et il en arrive d'autres chaque jour. L'effectif va atteindre, deux semaines plus tard, le chiffre exact de 49 112 recrues. Et la situation est devenue intenable. Le froid, la neige ont succédé à la pluie, puis le dégel a transformé la plaine en un véritable lac.
Le général de Marivault est très vite convaincu. Il en avise Gambetta : « Il faut de toute urgence évacuer cette pitoyable armée. Il y a tout ici pour attirer l'ennemi et rien de ce qu'il faudrait pour le repousser. »
Car - et c'est là un fait nouveau - l'armée du général Chanzy, la « deuxième armée de la Loire », après la perte de Vendôme, bat en retraite vers Le Mans, et Conlie pourrait être directement menacé.
Il faut absolument empêcher que l'ennemi ne capture cette masse d'hommes désœuvrés et inutiles et qui se sont mis, d'ailleurs, à murmurer, à s'étonner et s'indigner de l'incroyable condition qui est la leur.
enfin des armes mais sans valeur
Marivault multiplie ses démarches. Il presse, insiste : « Je vous prie, une nouvelle fois, de bien vouloir envoyer les ordres les plus formels et les plus immédiats d'évacuation. » Gambetta répond : « Il ne faut évacuer Conlie sous aucun prétexte. » C'est le 16 décembre, à minuit.
Le lendemain, Marivault n'attend plus la permission de son ministre. De sa propre autorité, il fait sortir, ce jour-là et les deux jours suivants, vingt-huit bataillons, dirigés principalement sur Rennes. où leur aspect lamentable provoque les réactions que nous avons citées.
D'autres départs encore abaisseront l'effectif, le 30 décembre, à 6 540 recrues et cent quarante officiers, constituant ces « bataillons d'Ille-et-Vilaine », tristement destinés à connaître un sort cruel…
Ces bataillons, composés d'appelés des régions de Rennes, Redon et Saint-Malo, étaient sur le point d'être évacués à leur tour quand une note de Freycinet, délégué à la guerre, on l'a vu, et le plus proche collaborateur de Gambetta, signifiait que la « question de Conlie devait « être réservée » ».
C'était ainsi faire savoir à Marivault que son action était connue et qu'elle ne pouvait pas être approuvée, C'est pourquoi celui-ci ne devait aller jusqu'au bout : il suspendit la phase finale de l'évacuation.
Et le lendemain les bataillons d'Ille-et-vilaine reçoivent des armes. Ils en reçoivent 6637 exactement. Et quelles armes ! Ce sont des fusils américains, débarqués quelques jours auparavant, à Brest, du transport Erié, des springfields.
Il semblerait tout à fait normal, n'est-ce pas, que les soldats fussent autorisés à les essayer, ces fusils. Non. Le général de Lalande - à qui Marivault a confié le commandement des bataillons - a peur qu'ils ne se détériorent au contact de la pluie et de l'humidité ambiante. Il interdit - sagesse ou stupidité ? - qu'ils soient sortis de leurs caisses. Il le permettra - quand même ! - la veille du jour où ces bataillons seront appelés à se battre. Et que trouvera-t-on ?… Reportons-nous, ici encore, au rapport de la Commission d'enquête :
« Toutes ces armes avaient été expédiées sans avoir été examinées et contrôlées. Leur ajustage était souvent défectueux. Les ressorts manquaient tantôt de fermeté, tantôt de souplesse. Quand ils étaient trop mous, le chien retombait sur la capsule sans l'écraser ; ou bien le marteau retombait sur la cheminée dès que l'on voulait épauler. Lorsqu'ils étaient trop durs, on ne pouvait armer qu'avec l'aide des deux mains, le fusil serré entre les genoux. Pour ce faire on était parfois dans l'obligation de s'asseoir (ce qui était, n'est-ce pas, fort commode au combat !). D'autres armes avaient leurs cheminées non forées ou obstruées par la crasse ou la rouille. Il n'y avait aucun nécessaire de nettoyage. Quant aux cartouches, la plupart n'avaient pas le calibre voulu. » Et la Commission précisait : « D'après les témoignages et les essais officiels effectués à la fin des hostilités, les coups ne partaient pas, dans une proportion de près de 50. »
un combat inégal
Le samedi 7 janvier, un ordre de Chanzy enjoint aux bataillons d'Ille-et-Vilaine de se mettre en route. Chanzy, mal informé, semble-t-il, les a affectés à la défense d'une position qui peut devenir très importante, un peu en dehors du Mans, couvrant les accès de cette ville en direction de Tours.
La petite armée quitte Conlie à pied et se trouve, au soir du lendemain, aux points qui lui ont été assignés, et plus spécialement autour du lieu nommé « La Tuilerie». Les hommes doivent établir leurs défenses et leurs campements avant d'apprendre - ou d'essayer d'apprendre, enfin ! - à se servir de leurs armes. Encore faudrait-il qu'ils eussent des cartouches. On ne leur en donne que le 10 janvier. Et l'ennemi attaquera le jour suivant !… Il faut lire les incroyables récits des chefs de corps :
Du colonel de Goniac : « Je réussis à grand-peine à faire tirer trois cartouches à chaque mobilisé, moyen de leur apprendre à charger leurs armes et tirer. »
Du colonel d'Elteil : « On ne put faire du tir à la cible, cela aurait jeté l'alarme dans les corps voisins et mis en rumeur toute l'armée. »
Et le général de Lalande, placé, rappelons-le, à la tête des bataillons, faisait transmettre à Chanzy le message suivant : « Ces hommes, pour le plus grand nombre, n'ont jamais tiré un coup de fusil ; ils ne savent pas charger leurs armes et n'y ont aucune confiance ; ils partiront à la débandade. »
Et le lendemain… Mais référons-nous, ici encore, au récit de la Commission d'enquête :
À la fusillade prussienne, les mobilisés répondirent par quelques coups de feu, plus dangereux pour leurs camarades que pour l'ennemi. La plupart des fusils ne purent jamais faire feu. » Les hommes, alors, reculèrent. Et que pouvaient-ils faire d'autre ?
Cependant, le jour suivant, Gambetta adressait aux préfets de tous les départements un télégramme ainsi libellé :
« Nos positions étaient bonnes hier soir, sauf à la Tuilerie, où les mobilisés de Bretagne, en se débandant, ont entraîné l'abandon des points que nous occupions sur la rive gauche de l'Huisne. »
Le ministre n'indiquait pas que d'autres mobilisés de Conlie, ceux appelés deux mois plus tôt à constituer la division de marche, et qui, dotés par la suite d'un armement convenable, avaient enfin appris au combat leur métier militaire, s'étaient magnifiquement conduits la veille, au plateau d'Auvours, ayant contribué à la reprise de cette position.
Infortunés soldats du camp de Conlie ! Leur triste histoire a laissé au cœur des Bretons eux qui savent si bien se battre - une singulière amertume. On le comprend sans peine.
Jacques-Philippe Champagnac Historia juillet 1979

Guerre de 1870 : L’affaire du camp de Conlie (1ère partie)

C'est un épisode peu et mal connu de la sombre année 1870. On y voit comment, une fois de plus. la passion politique peut remporter sur les nécessités nationales. Jacques-Philippe Champagnac a refait toute l'enquête de l'« armée de Bretagne ».

On a quitté Sillé-le-Guillaume en direction du Mans… Dix kilomètres. De hauts peupliers ombragent une route toute droite. La plaine alentour s'est élargie, s'ouvrant sur de lointaines collines ; une vaste plaine, recouverte maintenant de champs de maïs et de blé, mais sur laquelle, au mois de novembre de la sombre année 1870, se dressèrent les tentes, abritant dans la boue près de 50 000 hommes, les mobilisés de l'« armée de Bretagne ». L'armée de Bretagne… Mais il convient sans doute de placer l'affaire du camp de Conlie dans son cadre, en un rappel de l'événement : Paris est investi et les troupes prussiennes et bavaroises s'avancent vers la Loire. Le gouvernement de la Défense nationale, qui s'est constitué le 4 septembre, après le renversement de Napoléon III, et qui est un gouvernement provisoire, a proclamé une République, également provisoire, peut-être. Une délégation a été formée à Tours, composée d'hommes falots, âgés, comme Adolphe Crémieux. et aux noms d'opérette, comme Glais-Bizoin, l'amiral Fournichon. Il a fallu à cette délégation un homme nouveau, c'est Gambetta. Il est le symbole de la lutte à outrance. Il est jeune - trente-trois ans. Il a, le 7 octobre, quitté Paris à bord du ballon « Armand-Barbès », a atterri près de Montdidier. Le lendemain, il était à Tours.

Il a rapidement éliminé ses collègues, se faisant attribuer les portefeuilles de ministre de l'Intérieur et de la Guerre, avec des pouvoirs absolus pour poursuivre le combat, fabriquer, rechercher dans les pays amis armes et munitions. La délégation avait décrété, le 28 septembre, la mobilisation des hommes jusqu'à vingt-cinq ans, puis, deux jours plus tard, celle des hommes de vingt-cinq à quarante ans, constituant une Garde nationale. Gambetta est employé énergiquement à faire exécuter ces mesures.

Dieu et patrie

C'est en Bretagne que cette dernière mobilisation a été le plus rapidement suivie d'effet. Il n'y a pas eu un seul réfractaire, et le départ des appelés s'est effectué dans l'enthousiasme et la piété. Dans chaque paroisse, ils ont été bénis par leur curé, après célébration d'une messe solennelle… Et les voici au camp de Conlie, directement, sans être passés par un centre d'instruction.

Il n'est pas beau, ce camp. Rien que des tentes malsaines, humides. Il y fait froid. Bientôt, la pluie ne cessant de tomber, on n'en sortira que pour patauger dans une boue épaisse et gluante, dans laquelle, le plus souvent, il sera impossible d'essayer de manœuvrer. Or ces hommes constituent l'armée de Bretagne, destinée, en principe, à dégager Paris de l'étau ennemi. Et cette armée a un chef, M. de Keratry.

Il a trente-huit ans. Il est entré très jeune dans la carrière militaire, a combattu en Crimée, puis au Mexique. Il a démissionné en 1865, a été élu député du Finistère quatre années plus tard. Membre du gouvernement provisoire, il en a été le premier préfet de police. Et - détail pittoresque - c'est lui qui a fait appeler « gardiens de la paix » ceux qui n'avaient été jusque-là que des ( sergents de ville ».

C'est un Breton - son nom en fait foi comme d'autres acteurs des événements du 4 septembre : Jules Simon, Trochu. Il veut, évidemment, très sincèrement contribuer à la défense de la patrie, mais veut-il, également très sincèrement, contribuer à la défense de la République ?

Gambetta, cependant, lui a montré une totale confiance en le mettant à la tête des Bretons, avec le grade de général de division, et des pleins pouvoirs. Mais il va, à ses yeux, devenir rapidement inquiétant, ce nouveau général…

Qu'on n'oublie pas que la République est bien jeune. C'est là un régime que beaucoup désirent - ou craignent - provisoire (et les élections, quelques mois plus tard, en février 1871, donneront, on le sait, une majorité à la droite). Gambetta est un ardent républicain. Et voici que Keratry - dont, encore une fois, les sentiments entièrement français ne peuvent être suspectés - emploie un langage auquel, depuis la chute de Napoléon III, on n'était pas, mais pas du tout habitué. Il termine ainsi sa première proclamation à son armée :

« Que le peuple breton marche en avant et prouve au peuple barbare qu'il se lève en peuple libre. Que votre seul cri de ralliement soit : Dieu et Patrie ! »

« Que le peuple breton marche en avant ! » : c'est déjà donner un cadre bien déterminé à une action, et ces « Dieu et Patrie » rappellent des souvenirs, pas tellement lointains.

Et si ces 50 000 Bretons allaient profiter d'une situation militaire très difficile pour imposer un régime qu'ils désirent et qui n'est pas, sans doute, la République ? Et puis, il y a, dans l'armée de la Loire toute proche, deux généraux, héritiers de noms qu'on ne peut oublier : Charette, avec ses zouaves pontificaux, et Cathelineau, avec ses francs-tireurs du 11e corps - qui se battent d'ailleurs pour la France, sans aucune arrière-pensée.

Gambetta s'alarme cependant. Profitant d'une absence de Keratry, il visite - sous la pluie - le camp de Conlie et rédige une proclamation dont il ordonne lecture « à trois appels consécutifs » :

« Songez, soldats, que vous vous battez pour sauver à la fois la France et la République, désormais indissolublement liées dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Qu'il soit dit de vous comme de vos aînés : Ils ont bien mérité de la Patrie et de la République. Vive la France, vive la République une et indivisible ! »

une armée à l'index

Le ton est net. Et, désormais, les agissements de Keratry seront étroitement surveillés. Ainsi, le préfet du Morbihan télégraphie, le 3 novembre, à Gambetta : « Reçu votre dépêche confidentielle n° 3 145, j'en prends bonne note. Soyez tranquille : Keratry, passant revue, a été reçu à Lorient et à Vannes au cris de « Vive la République » ».

Lorsque le maire de Rennes se plaindra au préfet de son département que les mobilisés de Conlie ne reçoivent pas de fusils, ainsi que nous le verrons, il obtiendra cette réponse : « C'est vrai, on ne les arme pas, mais que voulez-vous, à Tours, ces messieurs craignent que ce ne soit une armée de chouans. »

Ce même maire de Rennes écrira, le 15 décembre, à Gambetta qui s'est replié à Bordeaux avec la délégation : « Aujourd'hui nous savons à n'en pas douter que si nos 50 000 mobilisés ne sont pas armés, c'est vous qui l'avez voulu. »

Peu de temps auparavant, Quéneau, aide de camp de Keratry, lui télégraphiait, après une nouvelle démarche auprès de la délégation : « Je crois à certaines influences hostiles, nous sommes à l'index ici. »

Et, le 20 décembre, à propos de l'évacuation du camp - que nous évoquerons dans la suite de ce récit - Freycinet, le délégué à la Guerre, télégraphiera à Gambetta ; « Comme Conlie confine à la politique, je vous demande de prendre vous-même une décision à ce sujet. »

« Conlie confine à la politique. » Le problème est là. A-t-on voulu ou n'a-t-on pas voulu armer les mobilisés ? … On est bien obligé de constater, dans une étude très objective des faits, qu'il y a eu, sinon une volonté déterminée, du moins une mauvaise volonté manifeste de ne pas livrer les armes indispensables.

Il y a des points troublants. Quelques appelés seulement - sur 48 639, le 20 novembre - ont un fusil, sans balles d'ailleurs, que leur ont donné, au moment de leur départ, des gendarmes ou des gardes nationaux sédentaires ; fusils anciens, de modèles et de calibres : différents, qui ne peuvent être utilisés au combat, et qui sont, de plus, réclamés par les préfets (1).

Gambetta a promis à Keratry des « armes modernes». Ces armes sont alors représentées par le fusil « chassepot », d'un calibre de 11 mm et adopté par l'armée depuis 1864. Il a « fait merveille », paraît-il, en 1867 en Italie contre les troupes de Garibaldi. On en fabrique, dit-on, plus de 100 000 par mois. Et pourtant on ne peut en donner à Conlie …

« Trouvez-en dans les dépôts », a déclaré Gambetta à Keratry, qui s'en est allé faire le tour des principales villes et des principaux ports bretons. Il en découvre 15 000 à Brest, les réclame pour ses hommes, et le préfet maritime lui montre une note émanant du ministre, et reçue le matin même : « Je vous enjoins de ne laisser prendre, sous aucun prétexte, les fusils et cartouches Chassepot. »

Vers qui se tourner ? Vers la Commission d'armement ? Cette Commission a envoyé aux États-Unis des délégués chargés de l'achat de fusils. Voici les premiers transports. Leur cargaison, assure-t-on, sera pour l'armée de Bretagne.

sans armes et en sabots

Admettons que cette armée n'ait droit qu'aux armes d'importation. Or, si nous examinons la liste des arrivages, pour la période du 1er novembre au 1er décembre, 158 437 fusils à tir rapide ont été débarqués à Brest et au Havre, de sept navires, français et américains. Aucun n'a été acheminé vers Conlie.

Nous devons ces chiffres, particulièrement éloquents, à M. de la Borderie, rapporteur de l'affaire devant la Commission d'enquête, instituée à l'Assemblée nationale, le 14 juin 1871, pour examiner les actes du gouvernement de la Défense nationale, et spécialement ceux de Gambetta au ministère de l'Intérieur et à celui de la Guerre.

M. de la Borderie, député d'Ille-et-Vilaine, apporte tant de précisions qu'il est difficile de ne pas le croire, même en le taxant d'une certaine sévérité, voire partialité, en sa qualité de Breton. Il remarque : « M. Gambetta s'obstinait donc, par politique, à laisser croupir, sans armes, 50 000 mobilisés de notre province. »

Jacques-Philippe Champagnac Historia juillet 1979

(1) Bientôt la plupart des recrues, lors des rares essais d'instruction militaire qui auront lieu, porteront les poteaux de leurs tentes en guise de fusil !

lundi 29 novembre 2010

Et la “tchéka” du PCF ?


Et la “tchéka” du PCF de 1920 à 1941 ?

Une des rares études sérieuses sur la face cachée du PCF qui s'arrête en 1943. Dommage car l'élimination physique des adversaires de la direction du “parti des travailleurs”, qualifié de traîtres comme les trotskistes, au sein de la résistance que le PCF rejoint en août 1941, continuera avec le paroxysme de l'”épuration sauvage”. De plus, cet apparat servira le NKVD et la GPU contre les cibles désignées par Moscou (Russes blancs, agent de Komintern en fuite (Igance Reiss, Willy Münzenberg), etc.)

La “tchéka” du PCF (1941-43)

Le PCF entretenait pendant l’Occupation une police politique - le détachement Valmy - chargée de l’assassinat des “renégats” et du châtiment des “traîtres”. Nul autre groupe d’action n’était aussi proche de la direction du Parti communiste clandestin dont il constituait le bras armé. Sur ordre de Jacques Duclos, ces “cadres spéciaux” organisèrent à Paris des attentats spectaculaires, dont celui du cinéma Rex, et exécutèrent ou tentèrent d’assassiner plusieurs dizaines de personnes. La découverte et le dépouillement d’archives totalement inédites par deux historiens passionnés mettent en lumière l’existence de cette “Guépéou” du Parti. Leurs recherches ont permis de pénétrer les rouages méconnus du PC clandestin et, pour la première fois, de suivre au quotidien les policiers des RG dans la chasse implacable qu’ils menèrent contre ceux qu’ils appelaient ” le groupe punitif communo-terroriste “. Une enquête historique qui se lit comme un roman et tord le cou à quelques épisodes légendaires de la Résistance communiste.

Un des secrets les mieux gardés du Parti communiste français

Scandale ! Le Parti communiste français, sur les ordres de Jacques Duclos, entretenait pendant la Seconde Guerre une police politique – le détachement Valmy ou, comme ils se désignaient eux-mêmes non sans fierté, « la Guépéou du Parti » – chargée de l’assassinat des « renégats » et du châtiment des « traîtres ». Cette découverte explosive est le fruit de l’exploitation méticuleuse d’archives totalement inédites.

Le récit de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre nous permet de pénétrer les rouages méconnus du PC clandestin, de mettre en lumière les responsabilités, les erreurs, les mécanismes de décision et le cheminement des ordres meurtriers, d’être témoins des exécutions, des attentats ; mais aussi, et pour la première fois, de suivre au quotidien les policiers des brigades spéciales des Renseignements généraux de la Préfecture de police dans la chasse implacable qu’ils menèrent contre le détachement Valmy jusqu’à son démantèlement en 1943.

Cette enquête historique, richement illustrée de fac-similés d’archives, se lit comme un roman. Elle tort le cou à nombre de légendes, et met en lumière mensonges, fables et omissions colportés pendant plus de soixante ans. Elle donne à voir une autre image de la Résistance communiste, différente des mythes construits depuis la Libération.

http://www.fonjallaz.net/

dimanche 28 novembre 2010

Les intellos les plus myopes du monde

Le Figaro Magazine - 29/10/2005
L’affaire Battisti, sur laquelle paraît un livre polémique, le confirme : nos penseurs continuent à voir le monde avec des oeillères.
La scène se passe au Théâtre de l’OEuvre, le 26 juin 2004. Le cas Battisti défraye alors la chronique. Cet Italien est fixé en France depuis treize ans. S’étant fait un nom avec ses romans policiers, il est lié avec ce qu’il y a de plus à gauche dans le petit monde des lettres parisiennes. Mais il vient d’être rattrapé par son passé : ancien militant marxiste, il se trouve sous le coup d’une demande d’extradition que l’Italie a présentée pour deux crimes de sang qu’il a perpétrés au cours des années de plomb du terrorisme transalpin, et pour complicité dans deux autres assassinats. En 1981, alors qu’il était en prison, il avait été libéré par ses amis des PAC (Prolétaires armés pour le communisme). Sa cavale l’avait emmené jusqu’au Mexique, avant qu’il ne rejoigne la France où le pouvoir mitterrandien était réputé refuser les demandes d’extradition émanant de Rome. En 2004, son dossier ayant été relancé, l’écrivain - condamné à la prison à vie - est à nouveau réclamé par la justice de son pays. Du côté de Saint-Germain-des-Prés, c’est le branle-bas de combat : il faut sauver le soldat Battisti, généreux combattant anticapitaliste.
Au Théâtre de l’OEuvre, donc, un lieu pourtant habitué à toutes sortes de spectacles, la comédie jouée ce soir de juin 2004 vaut le détour. Sous une photo géante du héros, et sous le slogan « Résistances », Fred Vargas, Philippe Sollers et Bernard-Henri Lévy se succèdent à la tribune afin de proclamer leur solidarité avec Cesare Battisti. Mais il n’y a pas que des écrivains : Guy Bedos, Lio, Jacques Higelin, Miou-Miou et Georges Moustaki sont là aussi. Tandis que les orateurs stigmatisent le système pénal italien et ses lois « scélérates », les chanteurs, dans une ambiance Sorbonne-Mai 68, entonnent le grand air de la « révolution permanente ».
Guillaume Perrault, un journaliste du Figaro, raconte l’épisode dans un livre à paraître le 3 novembre (*). De son enquête, il ressort que ceux qui se sont engagés derrière Battisti l’ont fait parce qu’ils se sont « sentis mis en cause personnellement ». « La plupart de ses défenseurs, remarque l’auteur, étaient prêts à cautionner tous les mensonges pour préserver leurs croyances et leurs souvenirs. La génération Battisti existe : ses membres ont “fait Mai 68″, sont aujourd’hui aux commandes - dans les milieux intellectuels, les médias, la politique -, et ils ne voulaient pas savoir. »
Ils ne voulaient pas savoir. Ces oeillères, le travail de Perrault apporte les preuves de leur existence. Et permet de ranger l’affaire Battisti parmi les grands moments où des intellectuels français, saisis par le prurit révolutionnaire, ont manifesté leur aveuglement face à la réalité. Depuis les années d’après-guerre où, comme un serpent fascine sa proie, la toute-puissance du Parti communiste fascinait la rive gauche, elle est longue la liste de ces manifestations d’hystérie collective où l’on a vu les mêmes méthodes se mettre en branle. Une campagne étant d’abord lancée afin de faire aboutir telle ou telle revendication, un bouc émissaire est désigné parmi les institutions : l’État, la police, la justice, l’armée, le patronat, etc. Pendant que les opposants éventuels - assimilés aux pires figures du mal, selon la technique de la reductio ad hitlerum analysée par Leo Strauss - sont délégitimés et voués à la vindicte générale, les défilés et les pétitions se succèdent. But : intimider l’opinion, impressionner le pouvoir. Quand l’autorité politique est forte, elle tient le coup. Quand elle est faible, elle cède devant l’assaut conjugué des marcheurs de la Bastille à la Nation et des pétitionnaires du VIe arrondissement.
En vertu du « sinistrisme immanent » naguère analysé par Albert Thibaudet, ce mécanisme est typique du tropisme à gauche de la vie politique française. Le phénomène connaît cependant des variables, qui tiennent à l’idéologie dominante du moment. La fin des années 40 et les années 50, on l’a dit plus haut, sont sous influence communiste. C’est l’époque où Aragon chante les louanges de Staline et où Emmanuel Mounier affirme que « l’anticommunisme est la force de cristallisation nécessaire et suffisante d’une reprise du fascisme ». Pendant les années 60, l’heure est à l’anticolonialisme. « Abattre un Européen, écrit Jean-Paul Sartre, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé. »
Viennent Mai 68 et ses suites immédiates, où l’on entend ou lit un nombre incalculable de sottises. « Le fascisme d’aujourd’hui ne signifie plus la prise du ministère de l’Intérieur par des groupes d’extrême droite, mais la prise de la France par le ministère de l’Intérieur » : cette phrase de 1971 est signée d’André Glucksmann (qui ne tient plus le même discours). Dans une atmosphère fiévreuse et enfumée par le cannabis, Saint-Germain-des-Prés guette la révolution qui viendra du tiers-monde. Quelques années après la Révolution culturelle (5 millions de morts), Sollers assure que la Chine de Mao représente « espoir et confirmation pour les révolutionnaires du monde entier ». En 1975, quand les Khmers rouges évacuent de force la population de Phnom Penh, Jean Lacouture y voit une « audacieuse transfusion de peuple ».
Mais au début des années 80, les désillusions sont cruelles : le socialisme ayant partout apporté dictature ou pauvreté, les intellectuels de gauche se replient vers une sorte de protestation morale qui érige les droits de l’homme en critère absolu de jugement politique. C’est le temps de l’antiracisme triomphant, où il convient de s’afficher dans les cocktails en ayant épinglé sur son vêtement la petite main jaune des amis de Harlem Désir. « Tout ce qui est terroir, bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire odieux », clament Pierre Bergé, Georges-Marc Benamou et Bernard-Henri Lévy, dans le premier numéro de Globe, en 1985. Dix ans plus tard, le gouvernement de Jacques Chirac tente de prendre des mesures - pourtant timides - destinées à juguler l’immigration illégale. En 1996, lors de l’évacuation des clandestins enfermés dans l’église Saint-Bernard, Léon Schwartzenberg soutient que « les camions stationnés devant l’église rappellent ceux qui partaient pour les camps de concentration ». C’est également à cette époque que Robert Badinter dénonce la « lepénisation des esprits », expression qui permet de diaboliser n’importe qui.
Concernant les guerres qui déchirent le monde, que ce soit dans les Balkans, en Afrique ou en Orient, c’est encore au nom de la morale que certains déterminent leurs jugements. Reste à savoir si les droits de l’homme font une politique extérieure, et si l’antibushisme suffit à concevoir une géopolitique cohérente.
Le multiculturalisme et le différentialisme post-soixante-huitards ont aussi conduit certains à nier qu’il pût exister un danger islamiste. « Ses positions méritent d’être débattues, explique en 2003 Michel Tubiana, le président de la Ligue des droits de l’homme, mais Tariq Ramadan avait tout à fait sa place au Forum social européen. » Le leader fondamentaliste et José Bové venaient de se donner l’accolade à Paris. L’« altermondialisme », nébuleuse apparue avec les années 2000, non contente d’ouvrir des passerelles avec l’islamisme, recycle les thèmes qui furent ceux, il y a trente ans, du gauchisme, du pacifisme, de l’écologisme ou du féminisme. « Un vrai Mai 68 à l’échelle mondiale », se réjouit Bernard Kouchner.
En décembre 1995, la grande grève des cheminots illustrait le renouveau de l’extrême gauche. Les professionnels de la pétition ressortirent leur stylo : « Nous nous reconnaissons pleinement dans ce mouvement qui n’a rien d’une défense des intérêts particuliers. En se battant pour leurs droits sociaux, les grévistes se battent pour l’égalité des droits de toutes et de tous : femmes et hommes, jeunes et vieux, chômeurs et salariés, salariés du public et salariés du privé, immigrés et Français. » Parmi les signataires de ce texte, on relevait le nom de Pierre Bourdieu. Mort en 2002, ce sociologue atrabilaire, néo-théoricien de la lutte des classes, a laissé des disciples. A Paris, il est toujours des idéologues qui cherchent à plier la vie intellectuelle et politique à leurs désirs. Le combat pour la liberté de l’esprit n’est donc pas - et ne sera sans doute jamais - terminé.
* Guillaume Perrault, Génération Battisti, Plon.

L’âge d’or du Sahel


C’est dans la zone contact entre les mondes saharien et sahélien que sont apparus les grands empires urbanisés de l’ouest africain, à savoir le Ghana, le Mali et l’empire Songhai ou empire du Gao. Ils s’y succédèrent, déplaçant leur coeur depuis le fleuve Sénégal jusqu’à l’est de la boucle du Niger.
L’initiative de la création des premières villes commerçantes de la partie septentrionale de la zone sahélienne est probablement due à des Berbères. Les exemples de Tadmakka et d’Aoudaghost semblent le prouver. Fondés pour et par le commerce, les empires sahéliens définirent toujours la même priorité qui fut la défense des fours sahariens et le maintien du monopole des transactions entre l’Afrique du Nord et le Sahel.
Peuplés et dirigés par des Noirs - Soninké au Ghana, Malinké ou Mandingue au Mali, Kanuzi (Nilo-sahariens) au Kanem, Songhai dans l’empire de Gao, etc. - leur développement semble dû aux musulmans qui importèrent une civilisation urbaine au sud du Sahara.
Au XIIe siècle, les Berbères almohades évincent les Berbères almoravides. Avec eux, le Sahel est intégré au monde commercial européo-méditerranéen.
Une grande voie de commerce relie désormais l’Espagne musulmane au Niger.
Les ports d’Afrique du Nord abritent des colonies de marchands catalans, pisans ou génois, qui donnent une impulsion à l’économie marocaine.
Au XIVe siècle, le coeur politique et économique du Sahel commence à se déplacer vers l’est, vers le lac Tchad. La Libye et l’Égypte remplacent le Maroc et le grand axe transsaharien, qui permettait de relier Sidjilmassa-Oualata et le Bambouk ou Oualata-Taoudeni et Tombouctou, s’efface progressivement au profit des pistes orientales qui, par Ghat et Zaouila, conduisent en Libye.
Le monde sahélien va alors peu à peu s’enfoncer dans la torpeur. Son âge d’or est passé.
Son acte de décès est signé par les Marocains qui lancent une expédition militaire à travers le Sahara afin de tenter de rétablir les relations commerciales avec la région du Niger. L’oasis de Tegharza est prise, puis l’empire songhai ; soumis mais il est trop tard, le monde économique ouest-africain a basculé vers le Nord-Est, mais surtout vers le Sud, avec l’installation portugaise sur le littoral africain. Après leur victoire de 1591, les Marocains créent le Pachalik de Tombouctou.
par Bernard Lugan Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 28 du 19 février 1994

mercredi 24 novembre 2010

Les Européens ne doivent rien, mais alors rien, aux musulmans !

Sans les Arabes, nous ignorerions tout de la civilisation grecque. Ce sont eux qui nous l'ont transmise au Moyen-Âge. En somme, si Aristote est grand, c'est qu'Allah est son prophète. Ce mythe qui pollue les manuels scolaires et les consciences européennes vient d'être détruit. Anéanti. Pulvérisé. Par un professeur d'histoire médiévale. Gloire à lui. Et mémoire éternelle à Constantinople !

« Les musulmans, désireux d'apprendre les sciences des autres nations, se les approprièrent par la traduction, les adaptèrent à leurs propres vues. » Ibn Khaldûn, Muqqadima VI, 4, trad. Rémi Brague

Plongée dans les ténèbres du Haut Moyen-Âge, l'Europe errait sans but, privée de mémoire après les Grandes Invasions(1). Le ciel rougeoyait d'incendies barbares, brasiers dantesques où achevait de se consumer une romanité décadente. L'Église installait son cortège de superstitions et son monachisme omniprésent. Elle collaborait - déjà - avec des proto-nazis portant casque lourd et longues tresses blondes, tout droit sortis de leurs forêts wagnériennes, qui n'avaient pas lu Marguerite Duras, ne s'essuyaient pas même les calligae avant de se vautrer dans l'atrium et se torchaient avec le Critias de Platon. Tout ce beau monde festoyait dans les ruines gallo-romaines en rotant du vin de Lugdunum, et lorsqu'on leur demandait qui était Aristote, ils hésitaient entre un pornographe néo-platonicien et une marque de machine à laver. Saccagée, la culture grecque et latine ; oubliées, les leçons des philosophes : l'antique sophia perennis descendait aux catacombes au son du Credo.

C'est alors que, dans le chant des muezzins, le cliquetis des yatagans et les youyous des bayadères, le soleil se leva (à l'Orient, comme de juste) ; sa lumière éclaira l'Occident avec générosité, irradiant les mathématiques, la médecine et la philosophie. De leur Empire humain et tolérant, rationaliste et scientifique, les Arabes, qui avaient lu et bien entendu amélioré les Grecs, transmirent libéralement ce savoir à nos ancêtres pour les faire sortir de leurs terriers. Belle opération humanitaire qui n'aboutit hélas à rien. Car, ingrats comme les Infidèles que nous étions, nous récompensâmes un peu plus tard nos bienfaiteurs désintéressés par les Croisades, la colonisation, les foyers Sonacotra et Michel Houellebecq.

L'Histoire réécrite à grands coups de sourate dans le crâne

Mais la Vérité finit toujours par triompher de l'ethnocentrisme occidental, et le regroupement familial a fini par réussir là où Saladin et Soliman le Magnifique avaient échoué. Nos enfants réapprennent aujourd'hui à l'école tout ce qu'ils doivent aux ancêtres de leurs petits camarades de classe musulmans. Des rapports officiels de l'Union européenne demandent la révision des manuels scolaires pour y inclure l'immense place que tient l'Islam dans notre identité. De lycées Averroès en « racines musulmanes de l'Europe », de mosquées-cathédrales en réinterprétations de la bataille de Poitiers (Charles Martel était le premier lepéniste), l'Histoire est redressée à grands coups de sourates tolérantes. La culture, l'art et le savoir européens viendraient en droite ligne de l'empire Abbasside. Exit Godefroy de Bouillon et saint Bernard, bienvenue Avicenne et Mehmet le Conquérant. Bysance et les mille ans de l'Empire romain d'Orient, conservatoire de la sagesse grecque qui jamais ne coupa les ponts avec la chrétienté latine, tout en la protégeant contre le cimeterre islamique ? Nul et non avenu. La Patristique, les écoles de traduction des monastères chrétiens ? Idem.

Proclamés instituteurs de l'Europe, les Arabes, dont il est du dernier chic dans les dîners en ville de citer les grandes figures intellectuelles comme Ibn Farab, Avicenne ou Averroès (2) se retrouvent avoir tout inventé. Et tant pis si personne n'a vraiment lu ces philosophes hétérodoxes dont on voudrait qu'ils aient été des rationalistes avant l'heure, interprétation en totale contradiction avec leur approche de la vérité musulmane. Ceux qui les citent compulsivement sont ceux qui les maîtrisent le moins. Luc Ferry, qui s'était abrité derrière Averroès pour critiquer le discours de Ratisbonne de Benoît XVI, s'est ainsi fait humilier justement sur la chaîne de télévision KTO par le professeur Brague - arabisant et vrai spécialiste d'Averroès, lui -, qui avait démontré la cuistrerie et la minceur du vernis de connaissance de l'ancien ministre dans ce domaine difficile.

Mais détail, détail que tout ceci. Nous devons tout aux Arabes. Ils sont donc ici chez eux, et il est normal, au nom de leur dette intellectuelle, que les Européens leur fassent une place grandissante dans leurs pays de vieille chrétienté. Il fallait tout de même y penser. Au moment où l'antiracisme à sens unique commençait à s'essouffler, l'histoire prend opportunément le relais, alors que grossit en Europe une communauté musulmane prolifique persistant à détester les Roumis. En leur répétant qu'ils sont nos maîtres, ils finiront peut-être par nous aimer ? La vulgate imposée aujourd'hui par lâcheté et multiculturalisme capitulard tend en somme à faire passer des conquérants destructeurs pour des parangons de science et de culture, sous prétexte de les intégrer à une civilisation qui ne leur doit rien et s'est bâtie contre eux.

« C'est grâce aux penseurs arabes que l'Europe a connu le rationalisme » !

Reste un détail gênant : la dette «éternelle» soi-disant contractée par l'Europe auprès des savants arabes, qui lui aurait permis de renouer avec l'héritage grec et de sortir des ténèbres, est une fable grossière et politiquement orientée. Dans Aristote au Mont Saint-Michel, Sylvain Gougenheim, professeur à l'École Normale de Lyon, le démontre sans appel, en un mélange de clarté et d'érudition qui force l'admiration, et rappelle les collaborationnistes aux réalités de la critique historique objective(3).

Pour l'auteur, dont l'argumentation foisonne d'exemples concrets, nous devons tout aux Grecs sans que les «Arabes» n'y aient jamais rien ajouté de sérieux. Il y a bien eu transmission directe de l'Hellade à l'Europe chrétienne, qui n'a jamais perdu le contact avec les sources de son héritage classique, même au Haut Moyen-Âge. Une affirmation essentielle, étant donné la force des falsifications actuelles relayées par nos «élites». Car à écouter les «experts» autorisés, l'empire des Abbassides aurait non seulement sauvé le legs antique, mais encore aurait-il été intrinsèquement supérieur aux autres cultures de l'époque !

Ainsi parle Mme Zeinab Abdel Aziz, professeur de civilisation française à l'université AI-Azhar du Caire : « Tout l'Occident dans son ensemble a été édifié sur l'apport indéniable de l'Islam […], c'est grâce aux penseurs arabes que l'Europe a connu le rationalisme »(4). Tahar ben JelIoun ne dit pas autre chose dans son médiocre L'islam expliqué aux enfants (5), et le très doué Amin Maalouf propage cette vision irénique d'un Orient pacifique «violé» par les méchants Européens dans son très partisan les Croisades vues par les Arabes(6).

Il faut comprendre cette frustration : que fait-on quand la culture à laquelle on appartient n'a rien produit de durable, et a tout emprunté à des civilisations conquises par la violence, parasitées et réduites à la dhimmitude, des Byzantins aux Perses, des Indiens aux Juifs ? On invente, on sublime, et l'on s'approprie les mérites des autres pour retrouver une estime de soi que l'Histoire s'obstine à déclarer sans objet. Il serait dommage de se gêner, d'autant que les lointains et indignes héritiers des Grecs, Romains, Croisés et Byzantins haïs et jalousés collaborent aujourd'hui à cette réécriture par pure haine de soi.

La vérité, c'est que les musulmans furent à l'école des chrétiens

Sylvain Gougenheim résume lumineusement le problème actuel : « S'impose désormais l'image biaisée d'une Chrétienté à la traîne d'un “Islam des Lumières” auquel elle devrait son essor, grâce à la transmission d'un savoir grec dont l'époque médiévale avait perdu les clefs. On parle d'un “héritage oublié” dont il faudrait “rendre conscients les Européens”. » Une manœuvre dont il démonte les ressorts en redressant quelques idées reçues :

• Les invasions barbares avaient détruit le savoir antique en Europe. Faux : « Les récents travaux des antiquisants et des médiévistes ont montré que cette période des Ve-VIIIe siècles ne fut pas si catastrophique, les facteurs de dislocation, bien réels étant atténués par des éléments de continuité. » On traduisait directement les auteurs grecs à la cour de Charlemagne, de Louis le Pieux, et de Charles le Chauve.

• Ce sont les manuscrits arabes qui ont fait connaître Aristote à la chrétienté. Faux : « Cinquante ans avant que ne démarre en Espagne la traduction des versions arabes d'Aristote, l'œuvre avait été traduite directement du grec à l'abbaye du Mont Saint-Michel. »

• Le monde islamique était un univers homogène. Faux : « L'univers arabe ne peut être réduit à une seule foi […] Les Arabes chrétiens et les chrétiens arabisés du fait de la conquête musulmane constituaient encore près de la moitié de la population des pays d'Islam aux alentours de l'an mil. » Et ce sont ces derniers, enfants perdus de Byzance et du savoir grec mais toujours chrétiens, qui fournirent pendant des siècles à la civilisation musulmane son socle de connaissances : « Jamais les Arabes musulmans n'apprirent le Grec, même al-Farabi, Avicenne ou Averroès l'ignoraient. » À cette époque «brillante» de la civilisation arabe comme à l'époque moderne, les musulmans furent à l'école des chrétiens arabes, perses et grecs qu'ils avaient soumis et qui leur fournirent l'immense majorité de leurs médecins, lettrés, traducteurs, et mathématiciens (7).

• Le passage de l'univers scientifique et philosophique grec s'est fait naturellement vers le monde islamique, avant d'être transmis facilement à l'Europe par ces derniers. Faux : « Quel texte philosophique, quel raisonnement scientifique peut sortir indemne de transformations où le vocabulaire et la pensée basculent d'un système indo-européen à un système sémitique avant de faire retour au texte d'origine » ? De plus : « la croyance en la nature incréée du Coran mit d'importantes répercussions sur la possibilité d'une expression libre de la pensée. » Les plus originaux des penseurs arabes, comme Ibn Khaldûn, ont pu selon certains, tout en restant croyants s'échapper des catégories transcendantes et étroites de l'Islam pour réfléchir sur la possibilité d'une Raison autonome (8). Mais ce furent des exceptions, moins d'une dizaine. Pas de Thomas d'Aquin musulman pour faire dialoguer le Coran et Aristote. Tout resta, y compris chez Averroès et Avicenne, et encore plus chez Al-Ghazali, totalement et étroitement enfermé dans le carcan du Livre.

• L'Islam a inventé la science moderne. Faux : « la science moderne s'est développée à partir du XVIe siècle, et seule l'Europe peut en revendiquer la paternité. »

• Le filtre islamique était nécessaire pour que l'Europe renoue avec son héritage antique. Faux : « L'hellénisation de l'Europe médiévale fut le fruit des Européens [… ] Un fil directeur part des cités grecques et unit les Européens à travers les âges. »

• L'Islam était éclairé, raffiné, spirituel, tandis que l'Occident était brutal, guerrier et conquérant. Faux : l'Islam ne fut jamais riche que des civilisations qu'il asservit, pilla et détruisit, jamais l'Europe ne fut en paix tant que les musulmans étaient forts, Byzance - et non la Mecque - fut finalement détruite, la Méditerranée ravagée, les Croisades (entreprises pour délivrer des terres chrétiennes) échouèrent, les Turcs parvinrent jusqu'à Vienne après avoir dévasté tous les Balkans… Qui menaçait qui ?

Aristote au Mont Saint-Michel devrait être offert à tous les étudiants en histoire, à tous les journalistes, et se retrouver dans toutes les bibliothèques des Européens conscients de leur héritage. La prochaine fois qu'un cuistre vous entreprendra sur Avicenne et les «savants» arabes, vous pourrez lui river son clou en remettant les choses dans leur contexte, et la civilisation bédouine à sa place (qui n'est pas sur l'Acropole). Le premier devoir est de se former culturellement. Qui s'élèvera, sinon, contre le mensonge, à l'heure où l'inculture domine ? Elle est bien lointaine, cette période du VIe au XIIe siècle où s'est noué tout notre héritage. Et c'est pourtant là que s'est accomplie, entre les derniers Romains et les premiers Capétiens, la synthèse proprement européenne entre Athènes, Rome et le principe spirituel chrétien(9). La synthèse dont tous, nous sommes issus.

La sagesse, la beauté et la lumière grecques ne leur doivent rien

C'est cette période que les islamomanes revisitent en apprentis sorciers pour en faire naître le fantasme bien marketé de mahométans tolérants et hellénisés. Le viol s'accomplit en silence, car ces « âges obscurs » n'intéressent pas grand monde. C'est un peu comme la période de l'Histoire de France qui s'étend de 1850 à 1914 : rien de moins connu, et pourtant tout est là des contradictions, des falsifications et des mythes dans lesquels s'enracine « la République des républicains » qui a fini par se confondre, brigandage mémoriel confondant, avec la France tout entière et ses 1 500 ans d'Histoire.

Faudra-t-il, pour prix de «l'arrogance», de la «cruauté» et de la «barbarie» occidentales supposées, accepter de voir ainsi notre histoire travestie au bénéfice de la multiculturalité triomphante ? Les Européens ne doivent que peu de choses aux musulmans, en dehors des pillages, des destructions, des invasions, et de quelques équations mathématiques. S'ils ont une vraie dette, c'est envers une autre civilisation.

Il faut aussi laisser la conclusion sur ce point à Sylvain Gougenheim : « Le monde occidental chrétien du Moyen-Âge fit de son mieux pour retrouver le savoir grec. Il y parvint au terme d'un étonnant effort pluri-séculaire dont la constance et l'opiniâtreté témoignent de l'intime conviction que là résidait la matrice de sa civilisation. Il a, dans cette quête, une dette envers l'Empire romain d'Orient, Constantinople, grand oublié de l'héritage européen, qui partageait avec lui un même patrimoine culturel et civilisationnel, celui de l'Antiquité classique. »

Il suffit d'examiner deux minutes une carte de géographie : pourquoi aurait-il fallu traverser la Méditerranée pour aller mendier la connaissance chez les destructeurs du Saint-Sépulcre, alors qu'aux portes mêmes de la chrétienté latine l'Empire Romain allait se perpétuer mille ans ? Ce sont les savants chrétiens chassés de Syrie, de Palestine, d'Egypte, d'Anatolie, de Constantinople, toutes terres chrétiennes avant le cataclysme mahométan, qui, fuyant l'intolérance de leurs vainqueurs, firent au cours des siècles et à mesure que reculait Byzance, passer à flot continu en Europe latine le trésor de la sagesse, de la beauté et de la lumière grecques.

Ce jour maudit où Byzance tomba aux mains des Ottomans

Il n'y a dans toute l'histoire de notre civilisation qu'un seul crime dont un Européen puisse honnêtement se repentir, c'est celui de la quatrième croisade qui prit Constantinople en 1204 au lieu d'aller étriller les Turcs. Je veux bien me flageller pour cela. Mais pour le reste, tout le reste, les grands prêtres du masochisme occidental peuvent se brosser. Quant à notre héritage grec, foin d'Avicenne ou d'Averroès, aussi sympathiques qu'inutiles et incertains. Nous n'avons perdu la filiation directe avec lui que le jour maudit de 1453 où Byzance finit par tomber sous les coups des guerriers du croissant. Un jour de deuil pour tous les vrais Européens, un malheur personnel qui nous est arrivé la semaine dernière.

Ce jour-là, Constantin XI Dragasès, Basileus et dernier empereur romain, mourut l'épée à la main en défendant courageusement les murailles de la Reine des Villes. la barbarie née au VIIe siècle des sables d'Arabie emporta alors ce qui restait d'un monde à l'agonie (10) : « En certains endroits, le sol disparaissait sous les cadavres et l'on ne pouvait plus marcher dans les rues […] Les Turcs vainqueurs se battaient entre eux pour s'arracher les plus beaux jeunes hommes, les plus belles jeunes femmes […] Cette cohue de toutes les nations, ces brutes effrénées se ruaient dans les maisons, arrachaient les femmes, les traînaient, les déchiraient ou les forçaient, les déshonoraient, les violentaient de cent façons aux yeux de tous dans les carrefours […] Mehmet avait ordonné que les familles des dignitaires grecs soient réduites à la plus dure et à la plus humiliante des servitudes […] De Sainte-Sophie, ils firent d'abord une écurie. Un nombre incalculable de manuscrits précieux, ouvrages des auteurs grecs ou latins de l'Antiquité, furent brûlés ou déchirés […] Dix volumes d'Aristote ou de Platon se vendaient une seule pièce de monnaie. » Reconnaissons que nous avons fait des progrès : aujourd'hui, nos historiographes les vendent trente deniers.

Revenons sur terre. L'Europe « aussi musulmane que chrétienne », qui peut avaler ça après Poitiers, Dorylée, la Mansourah, Grenade, Mohacs, le Kahlenberg, Kosovo Polje, Navarin, Lépante ? Au lieu de subventionner des centres «culturels» islamiques et de rêver à une tolérance arabo-andalouse ou ottomane qui n'exista que dans les rêves de quelques orientalistes prisonniers de leurs fantasmes, les Français feraient mieux d'ériger des statues de Constantin Dragasès dans les cours de leurs Universités, indignes héritières du miracle grec.

En attendant, en mémoire du jour où disparut la moitié de notre héritage et à l'heure où les Turcs sont sur le point de franchir à nouveau les murailles d'une Europe qui s'imagine musulmane, je préfère penser au soleil d'Apollon, étoile morte qui toujours illumine l'Occident. Et à Constantinople, Ville gardée de Dieu, Deuxième Rome des Empereurs, Educatrice et Rempart des peuples chrétiens face à la barbarie. A Elle, oui, salut et mémoire éternelle !

PAR BRUNO WIESENECK Le Choc du Mois Mai 2008

1. Pas celles des années 1970, celles du Ve siècle.

2. Voir, sur Al-Farabi et son traité, la Cité vertueuse, les commentaires éclairants d'Antoine Moussali dans son article Islam et violence, in La Nouvelle Revue d'Histoire, n°4, janvier-février 2003.

3. Aristote au Mont Saint-Michel. Les Racines grecques de l'Europe chrétienne, par Sylvain Gougenheim, Seuil, 2008, 278 pages, 21 euros.

4. Article du 19 avril 2007, cité par S. Gougenheim, Aristote au Mont Saint-Michel, page 13.

5. Seuil, 2002 .« Je raconte le plus objectivement et le plus simplement l'histoire d'un homme devenu prophète, l'histoire aussi d'une religion et d'une civilisation qui a tant apporté à l'humanité » qu'il disait.

6. jean-Claude Lattès, 1983. La thèse : l'« incursion barbare de l'Occident au cœur du monde musulman marque le début d'une longue période de décadence et d'obscurantisme ».

7. Ils les ont tellement bien récompensés pour ces leçons que de nos jours les derniers chrétiens d'Orient, vrais autochtones de la région, sont en passe d'être éliminés d'un monde qui fantasme encore sur un « âge d'or » dû en réalité à ses dhimmis syriaques, araméens et nestoriens.

8. C'est ce que propose Fabrice Valclérieux dans son article « Le génie d'Ibn Khaldûn », où il utilise également à propos du penseur le terme « d'islam des Lumières » (Eléments, n° 126, automne 2007). Sylvain Gougenheim n'est pas d'accord (et nous non plus) : « Ibn Khaldûn réfutait toute prétention de la raison, non seulement à s'élever au-dessus de la foi, mais même à en éclaircir les mystères » in Aristote au Mont Saint-Michel, page 142. S'il y avait une comparaison à faire entre cet immense penseur et un Grec, ce serait plutôt avec Hérodote qu'avec Aristote.

9. Voir Les Racines chrétiennes de l'Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares V-VlIIe siècle, par Bruno Dumézil, Fayard, 2007. C'est autre chose, navré pour mes amis ND, que « Le Bolchevisme de l'Antiquité » d'Alain de Benoist.

10. Jacques Heers, Chute et Mort de Constantinople 1204-1453, Perrin, 2004, pages 253 et suivantes.

mardi 23 novembre 2010

La route des Indes

Les XVe-XVIe siècles constituent un véritable tournant de l’histoire européenne car les premiers voyages maritimes d’exploration y sont associés. Les causes de ces expéditions lointaines sont connues et multiples : conversion des païens, goût de l’aventure, recherche des épices et de l’or.
Transportées depuis l’Asie, les épices passaient d’intermédiaire en intermédiaire Chinois, Persans, Arméniens, Arabes, etc. Les prix de ces marchandises précieuses étaient donc élevés quand les marchés d’Europe étaient enfin atteints. L’idée apparut alors de découvrir les routes menant directement aux zones de production, c’est-à-dire aux Indes. Les principales tentatives eurent lieu à l’ouest - et l’Amérique fut découverte - ou vers le Sud, au-delà des rivages africains connus à l’époque. C’est cette dernière route que suivirent les marins portugais.
En 1413, Madère et Porto Santo sont reconnus et, en 1439, c’est le tour de l’archipel des Açores. Les Portugais poussent toujours plus loin et, en 1434, Gil Eanes franchit le cap Bojador.
Désormais, la découverte portugaise allait pouvoir véritablement commencer.
En 1445, le cap Vert et le golfe de Guinée sont atteints. En 1445, le monopole portugais risquant de se voir contester par les autres puissances européennes, le pape Nicolas V confirme les droits de Lisbonne par la bulle Romanus Pontifex. L’Afrique est officiellement domaine portugais et toutes les conquêtes et installations y sont par avance légitimées. L’encouragement à poursuivre les découvertes est ainsi donné. La même année, le prince Henri le Navigateur commissionne Ca Da Mosto et Uso di Mare pour l’exploration des côtes au sud du cap Vert et dans l’estuaire du fleuve Gambie.
A la fin du XVe siècle une accélération est donnée au mouvement qui est entamé par Diego Cao, lequel atteint l’embouchure du rio Poderoso, l’actuel fleuve Zaïre, en avril 1483. En 1486, il entreprend un second voyage plus loin encore vers les rivages inconnus du Sud et il longe la côte de l’actuelle Namibie où il disparaît.
Le 25 décembre 1487, Bartolomeu Dias atteint la baie d’Angra das Voltas où est bâtie l’actuelle ville de Ludoritz. En janvier 1488, il longe le littoral atlantique de la région comprise entre l’embouchure du fleuve Orange et le cap des Tempêtes qui sera ultérieurement baptisé “Bonne-Espérance”. Celui-ci est d’ailleurs doublé sans que les navigateurs s’en aperçoivent et, le 3 février 1488, les navires portugais jettent l’ancre dans la baie de Mossei dans l’océan Indien.
Le traité de Tordesilhas fut signé en 1494. Il partageait le monde entre les deux puissances ibériques ; l’expansion pouvait donc reprendre, avec une priorité politique pour Lisbonne : la découverte de la route des Indes. En 1495, Manuel 1er succède à Jean II : c’est sous son règne qu’elle fut ouverte.
Le 8 juillet 1497, Vasco de Gama quitte Lisbonne. Le 7 novembre, avec ses quatre navires, il jette l’ancre dans la baie de Sainte-Hélène, au nord-ouest du Cap. Puis, le 22 novembre, il double le Cap et “remonte” le long du littoral est-africain. Comme il célèbre la naissance du Rédempteur quelque part sur un rivage inconnu, il donne à cette contrée le nom de Natal qui lui est resté depuis. En 1498, il parvient aux Indes, ce but mythique de l’épopée maritime lusitanienne, presque un siècle après son commencement. En 1499, l’expédition est de retour au Portugal.
par Bernard Lugan Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 25

lundi 22 novembre 2010

Focus : L’imminente destruction de la France sous l’empire franc-maçon matérialiste (1ère partie)

« Que vous soyez blanc, jaune ou noir, nos temples vous sont ouverts, à la seule condition toutefois, qu’au dessus de vos croyances et de vos convictions, que nous admettons et que nous respectons, vous partagiez notre croyance millénaire et traditionnelle en l’existence de la perfection ». Ainsi fut présentée la Franc-Maçonnerie par le Grand Maître de la Grande Loge de France en 1959, il y a un demi-siècle (1). Des obédiences qui entendent placer la « perfection » au dessus de toute conviction, et c’est tout à leur honneur, devaient être des parangons de vertu. Les années ont passé depuis cette déclaration, et plus encore depuis la constitution d’Anderson. Ceux qui se situaient « au-dessus de toutes croyances », les frères de ladite Franc-Maçonnerie, ont été tachés par quelques « affaires » ; rien de bien grave, selon eux, quelques moutons noirs, vite écartés… Mais ces petites taches s’estompent pour devenir insignifiantes derrière ce fond obscur que l’histoire officielle n’a jamais dévoilé. Peut-être même toutes ces petites magouilles fraternelles eurent-elles intérêt à apparaître de temps à autre, pour détourner l’attention, et pour masquer les abysses qui les génèrent… Chroniques d’un pouvoir sombre qui détruit la France de longue date…

Les 120.000 francs-maçons qui dirigent la France, ou l’architecture administrative selon le compas et l’équerre 

« Je sais comment on s’élève dans le monde ; en foulant à chaque marche quelque chose de sacré. » Henry de Montherlant

120.000 maçons, c’est le chiffre avancé par le mensuel « Capital » (1). S’il n’y a pas 120.000 postes clés, il y a 120.000 mailles d’un réseau d’influence qui recouvre l’ensemble du système décisionnaire français. Certes les lois se votent selon un principe législatif sur lequel l’emprise maçonnique n’est pas démontrée, mais leurs applications, leurs non-applications, leurs contournements, leurs interprétations sont, au même titre que les renvois d’ascenseur propriétaires, aux mains de postes clés occupés majoritairement par des maçons aidés de suppôts, maçons également, qui leur déblaient le terrain, au titre de la réciprocité. Un gros et très influent corps électoral dans les municipales, qui nécessite une maintenance quotidienne.
Selon Capital, les loges ont envahi tous les appareils d’état, ministères et administrations, organismes de haute finance, syndicats, enseignement, multinationales… Aucune décision importante en France ne se prend sans la divine bénédiction, la pression, ou l’influence d’un bienveillant frère. Les fraternelles, ces associations corporatistes indépendantes des conflits d’obédience, érigées pour la ressource du carnet d’adresse, ou les « club 50 », interdits en théorie par le GODF, mais présents dans 45 villes, servant aux petits soins des carrières de l’élite, remplacent avantageusement, par des passe-droits du sceau du grand architecte, les réseaux sociaux populaires.
Comme le « Club 50″ de Poitiers, « une trentaine de membres parmi les plus influents de la ville » (2), très actif malgré l’interdiction de façade du Grand Orient.
C’est toute une liste multipolaire de réseaux d’influences que la mensuelle avance, segmentée selon les loges. 50.000 initiés au GODF (hôpitaux, enseignement, syndicats), 40.000 initiés à la GLNF (CCI, CGPME, magistrature), 30.000 à la GLDF (médecins, avocats, pharmaciens, journalistes). A commencer par le glaive et la balance, le ministère le plus sensible, censé donner l’exemple en matière d’indépendance : « 2 fraternelles, 400 membres au dîner du palais à Paris, comprenant juges, procureurs, avocats, comptent les plus prestigieuses superstars du barreau, sans parler de la chancellerie : Jean-Claude Marin, procureur de la république au TGI, Jean-Claude Magendie, premier président de la cour d’appel, Jean-Louis Nadal, procureur à la cour de cassation. Qui n’a pas entendu parler du procureur Montgolfier, ou du juge d’instruction Jean-Paul Renard, à Nice ? A Nancy, c’est à l’abbaye des Prémontrés que se tient le dîner mensuel du club 50 local, le cercle Lothaire, et on y trouvait Philippe Vivier, ancien président du tribunal de commerce ». Que de passe-droits, de fonctions incompatibles et d’équations insolubles, imaginables par la simple théorie, au sein d’un tribunal, quand on sait que les frères ont fait voeux d’entraide…
À Toulouse, ce sont deux anciens présidents de tribunal, Joël Bobin et Joël Fiorenzo, appartenant respectivement au GO et à la GLNF, qui ont été dans l’obligation de démissionner, suite à un scandale judiciaire. Disculpés, ils n’en ont pas moins contribué à renforcer les suspicions sur un malaise persistant : « Le tribunal de commerce de Toulouse n’a pas échappé à la suspicion généralisée qui vise depuis maintenant quelques années la justice commerciale. Même si la démission, lundi 27 mars, de Joël Bobin, président du tribunal de commerce est motivée par une deuxième mise en examen qui n’a aucun rapport direct avec ses fonctions de magistrat consulaire, cet événement accentue le malaise d’une institution dont le fonctionnement est de plus en plus souvent remis en cause. […] Dans cette institution, où les juges sont des chefs d’entreprises cooptés par leurs pairs, la vie et la mort des entreprises en redressement ou liquidation judiciaires peuvent résulter parfois d’arrangements à la limite de la légalité. Syndics, avocats d’affaires, juges, mandataires… les circuits opaques de la justice commerciale sont régulièrement dénoncés par les petits commerçants et les entrepreneurs qui ne comprennent pas toujours les décisions qui leur sont imposées et dénoncent le « dépeçage » de leurs biens. » (3)
Banques et assurances, qui n’en croquent pas moins, peuvent aussi se vanter d’être aux premières loges, pour faire un jeu de mots malsain : Michel Baroin et Jean-Louis Pétriat (GMF), Charles Mihaud et Michel Sorbier (resp. ex-président du directoire et président de la fédération nationale de la Caisse d’épargne): « Les mutuelles et les banques coopératives, inventions maçonniques, sont presque des chasses gardées, tout comme le secteur du bâtiment » (4). Mais la banque championne toute catégorie dans l’essaimage des frères restera sans conteste le crédit agricole. Que les néophytes se reportent à l’étude de Sophie Coignard qui parle « d’état dans l’état » : « Elle détaille la longue guerre entre maçons et « indépendantistes » qui ravage le Crédit agricole durant les années 1980 : les premiers perdent, de justesse, malgré le soutien du nouveau directeur général, Jean-Paul Huchon. La banque verte multiplie, selon l’auteur, les affaires impliquant des maçons au sein du Crédit agricole : celle de la caisse de l’Yonne, toujours pas jugée, alors que plainte a été déposée contre le directeur en… 1993; celle de la Martinique-Guyane, achevée en mai 2008 par un protocole d’accord alors que son directeur devait 11 millions d’euros à la banque » (5)
Grandes entreprises sont également des chasses gardées, comme le remarque Challenges : « Les voies de certaines nominations sont parfois impénétrables. Le 11 juin, un communiqué révélait le nom du nouveau directeur général délégué d’Eutelsat Communications, premier opérateur européen de services par satellite : Michel de Rosen, HEC et énarque de 58 ans. Une surprise, car deux semaines plus tôt, c’est un autre nom qui circulait, celui de Christian Pinon, polytechnicien de 54 ans, PDG de GlobeCast, filiale de France Télécom. Pourquoi ce revirement ? «Pour le comprendre, il faut être initié, ironise un fin connaisseur du secteur. Michel de Rosen avait la faveur du président d’Eutelsat, Giuliano Berretta, qui n’est pas franc-maçon. Christian Pinon était soutenu par les réseaux maçonniques. Dans la galaxie télécoms-espace, les maçons forment une famille : Marcel Roulet [DG, puis PDG de France Télécom, de 1986 à 1995], le grand-père ; Didier Lombard [actuel PDG], le père ; Thierry Breton [ex-PDG], le fils ; Michel Combes (Vodafone), Jean-Yves Le Gall (Arianespace), Frank Dangeard et Charles Dehelly (tous deux ex-Thomson), les petits-fils.» [...] Un homme d’affaires évoque, lui, les manoeuvres récentes de quelques « initiés » pour trouver un poste à Christian Streiff, sans emploi depuis son départ de Peugeot Citroën : « Serge Michel [82 ans, conseiller discret de patrons du CAC 40] a demandé à Henri Proglio [PDG de Veolia Environnement] de donner un coup de main à Streiff.» Bel exemple de solidarité maçonnique. Hélas, aucun des trois acteurs concernés ne le confirmera. En théorie, selon les grands maîtres des obédiences (fédérations de Loges), unanimes sur cette question, les frères sont tenus de se dévoiler « quand ils le peuvent ». Mais, jusqu’à présent, à l’exception de Patrick Le Lay, l’ancien PDG de TF1, aucune personnalité du CAC 40 n’a encore osé faire son coming out. Inutile de compter sur les « enfants de la veuve » pour un éventuel outing . Par serment, ils s’interdisent de dévoiler l’appartenance de leurs frères et soeurs » (4)
Les mairies, elles aussi, sont bien fournies en compas et équerres. En 2009, Jean-Marc Ayrault, député-maire PS de Nantes, a tenté de faire passer une subvention municipale de 400.000 € aux deux loges locales. Le contentement des frères est, semble-t-il, très recherché. La mairie de Lille, du temps de Maurois comptait environ 50 frères. Depuis Martine Aubry, l’effectif s’est étoffé de nombreuses pointures, comme Alain Cacheux, député et vice-président de la communauté urbaine. Lyon, oppidum maçonnique, ne cache même pas l’influence de ses frères dans les affaires municipales : « Gérard Collomb n’a jamais dissimulé son appartenance au Grand-Orient. Mais le sénateur-maire de Lyon a préféré se faire initier à Paris. Nombre de ses adjoints fréquentent, eux, les loges lyonnaises et n’en font pas non plus mystère : Thierry Braillard, Jean-Louis Touraine, Jean-Michel Daclin… Dans le précédent mandat, Yvon Deschamps, grand argentier du PS départemental et alors adjoint aux finances, se montrait actif rue Garibaldi, le siège lyonnais du GO. Il se dit même que M. Deschamps a joué un rôle actif lors de l’élection de Gérard Collomb à la tête de la Communauté urbaine en 2001 en réunissant les frères de certains groupes politiques » (6)
L’exécutif, qui selon Le Monde du 20 octobre 2009, « estime pouvoir décider de tout et tout seul » (7), est un modèle de tour d’ivoire grouillant de frères. Selon Pierre Marion, ancien patron de la DGSE; « Le jeune patron du syndicat de policiers Synergie confie aussi son expérience : « Je reçois beaucoup de lettres marquées des trois points, ou qui se terminent par « fraternellement », et certains me serrent bizarrement la main lorsqu’ils me disent bonjour. » « Les commissaires eux-mêmes ne sont pas en reste [...] puisque, selon les estimations, 1 commissaire sur 4 est franc-maçon. [...] « Tout le monde parle de la proportion de francs-maçons chez les commissaires, plaisante l’un d’entre eux. Mais personne ne s’est jamais interrogé sur ce ratio chez les contrôleurs généraux, le grade supérieur. Là, je pense qu’on tourne à plus de 50 %. » (8)
« Une affirmation que tente de relativiser un des plus connus d’entre eux, Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient et super-conseiller de Nicolas Sarkozy, notamment en matière de sécurité intérieure. En décembre 2007, il déclare à l’auteur : « Ce gouvernement est le plus a-maçonnique qui soit, puisque nous sommes à zéro franc-maçon. Même sous le gouvernement du maréchal Pétain à Vichy, il y en avait, hélas. » » (7). Certes Alain Bauer a parfaitement raison, sauf qu’il omet de préciser qu’il n’y a nul besoin d’être au gouvernement pour être influent, un simple coup de fil maçonnique suffit, par exemple pour la nomination d’un patron d’une grande administration française, comme le rappelle Le Point (9) :
« Jamais je n’aurais pensé que les francs-maçons étaient aussi puissants ! » Cette réflexion effarée de Jean-Pierre Raffarin vient d’un épisode vécu lorsqu’il était Premier ministre. Il en garde un très mauvais souvenir : la mobilisation fraternelle l’a en effet empêché, malgré tous ses efforts, de nommer à la tête d’EDF, bastion franc-maçon, l’ancien ministre Francis Mer à la place de François Roussely, qui admet être proche des frères pour les avoir beaucoup fréquentés. Pour le défendre, un déluge de coups de téléphone s’abat sur Matignon. Il y avait tous les jours un appel de Bauer et un autre d’Henri Proglio, patron de Veolia, qui dément très mollement être initié. La bataille dure des semaines. Pour finir, les ligueurs ne sauvent pas Roussely, mais ont la peau de Mer. Raffarin en tremble encore ».
Quelques membres du gouvernement suffisent d’ailleurs amplement, comme par exemple Guéant, cité par le Point : « Le cabinet du président de la République aussi compte plusieurs personnalités qui ont fréquenté les loges, à commencer par son plus proche collaborateur, le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant ». Quel hasard que ce soit ce même Guéant qui mette tant d’ardeur a vouloir museler la presse par les voies dures, le dépôt de plainte, à défaut d’arguments convaincants : « Mediapart avait cité Guéant comme étant chargé des opérations de surveillance de certains journalistes qui enquêtent sur l’affaire Bettencourt, dans laquelle le nom du ministre du Travail, Eric Woerth, est cité » (10).
Certes, le gouvernement du président ne peut être taxé d’appartenance aux loges – quelques représentants et beaucoup de pions y suffisent – mais si Nicolas Sarkozy semble entretenir un profil incompatible au parcours maçonnique, il n’en distribue pas moins les largesses nécessaires à la progression des loges. Si la rumeur publique a tendance à clamer qu’il n’est pas franc-maçon, il n’en demeure pas moins que, selon Sophie Coignard (11), il est totalement immergé dans le milieu maçon (Il épouse la nièce de son mentor en 1982, le maçon Achille Peretti), milieu avec lequel il entretient d’étroits rapports, et peut signer occasionnellement de 3 points, notamment dans les courriers destinés aux syndicats policiers. Après Balladur, c’est par le milieu maçonnique, très dense à Neuilly, qu’il entamera sa remontée :
« Pendant sa traversée du désert, après la défaite d’Edouard Balladur, Nicolas Sarkozy a fréquenté, comme intervenant extérieur, plusieurs loges de Neuilly, dont La Lumière, celle de l’ancien sénateur Henri Caillavet, une des figures les plus marquantes du Grand Orient. Certains croient se souvenir de quelques appels du pied du maire de Neuilly, redevenu avocat, après la répudiation chiraquienne, pour approfondir les relations et aller plus loin si affinités. Ils assurent ne pas avoir donné suite, car Nicolas Sarkozy, déjà à l’époque, n’avait pas le profil pour recevoir la lumière. Il n’est pas interdit de voir dans cette évocation une sorte de rêve rétrospectif. Cependant, à défaut d’avoir expérimenté personnellement le cabinet de réflexion préalable au passage sous le bandeau, Sarkozy sait appliquer aux frères le traitement « segmenté » qu’il réserve à toutes les « communautés ». Cette vision de la société, où l’on ne s’adresse pas à l’ensemble des citoyens mais à chacun de ses sous-ensembles, marque très fortement sa communication avec les maçons. ». Une course aux échalotes maçonniques sans laquelle aucune présidence de la république n’est envisageable : « C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République que les deux principaux candidats ont autant de francs-maçons dans leur entourage le plus proche » (8).

Des archives bien encombrantes

Mais les gamelles maçonnes ne datent pas d’hier. On peut remonter loin, très loin, à commencer par Vichy, pour commencer au plus près. C’est un dossier spécial de Science & Avenir (1) qui le révèle : Quand les russes récupérèrent en Allemagne, en 1945, les archives maçonniques et les dossiers noirs de l’occupation que les allemands avaient saisis en France et rapatriés chez eux, ils distillèrent la restitution pendant des décennies. Les premiers documents furent envoyés au général De Gaulle en 1966 sous forme de 193 cartons, le reste s’étalait sur les décennies suivantes :
« Depuis 1994, une partie de ces documents sont revenus en France. Mais étrangement, « nous n’avons pas localisé la totalité des fonds publics » s’étonne Sophie Coeuré (2). Avec l’application du délai de protection de 60 ans, ils devraient pourtant être accessibles à partir de 2003. Soit 40.000 dossiers appartenant au 2° bureau, les fonds de la sûreté générale du ministère de l’intérieur, qui se trouvent aux archives contemporaines de Fontainebleau, représentent 10.000 cartons, 600.000 dossiers individuels ! 2 millions de noms. Pour être fichés, les français l’étaient ! Cette surabondance d’information révèle les pratiques de l’administration française de l’époque [...] Les archives de la préfecture de police ont été directement restituées à celle-ci, contrairement à la loi de 1979 sur les devoirs de l’administration envers les archives publiques. Des dossiers de la gendarmerie figuraient parmi les listes d’inventaires, et on n’en trouverait plus trace. Revenus de Russie, ou perdus en route ? La DGSE aurait-elle fait son shopping avant les historiens ? »
Le fichage fut-il une pratique maçonnique ? Il faut remonter à la création de la laïcité pour mesurer les pratiques maçonnes. Quoi de plus naturel que de se créer du champ libre, de se dégager de l’ennemi héréditaire qu’était le catholicisme romain ? La république va donc servir de paravent, et la sempiternelle devise nationale « Liberté Egalité fraternité » deviendra l’étendard des libérateurs. La laïcité devient le bouillon de culture idéal dans lequel la franc-maçonnerie entend évoluer. Le journal poursuit :
« En ouvrant les cartons soviétiques, nous avons été surpris par le ton très virulent et lyrique employé par les maçons pour défendre cette valeur [la laïcité républicaine] … Citons notamment une lettre d’Anatole France : « Nous combattons enfin notre inique organisation sociale parce que, jeunes, nous sommes épris de liberté, de vérité, de fraternité, parce que notre société est bâtie sur la servitude, sur le mensonge, sur la haine ». »
C’est sur ce principe, qui fomentait depuis la fin du XIX° siècle, qu’Emile Combes (soutenu par Jean Jaurès) instaura le délit d’opinion par une circulaire du 20 juin 1902. L’affaire des fiches allait être lancée : les militaires pouvant être de connivence avec les réactionnaires voient leur nom apparaître sur des listes du gouvernement républicain : « Les purges et les discriminations combiennes affectent l’administration et l’éducation ; elles affectent aussi l’armée. Officiellement depuis mai 1904, mais sans doute depuis plus longtemps, le général Louis André, de l’état-major du ministre de la guerre, faisait établir des fiches sur les opinions et la vie privée des officiers [...] Vingt cinq mille fiches sont ainsi établies par les Francs-Maçons du Grand Orient de France, pour le compte du Ministère [...] 6 avril 1904 : « … Je vous envoie inclus la liste des officiers (capitaines et lieutenants) qui sont inscrits au tableau d’avancement et sur lesquels nous n’avons pas de renseignements. Le Ministre donnant un tour de faveur aux officiers républicains qui sont inscrits au tableau, il y a grand intérêt à ce que nous soyons fixés sur les sentiments politiques de chacun… ». L’histoire ne dit pas combien de soldats ont été inutilement sacrifiés dix ans plus tard, pendant la guerre 14-18, par des officiers incompétents qui tenaient leur grade de leurs amitiés politiques. » (3) Le capitaine Mollin, franc-maçon et gendre d’Anatole France, avec la bénédiction du Grand Orient, collectera les informations à destination du ministère de la guerre (10).
Si la disparition de certaines archives sensibles venues de Russie, concernant la seconde guerre mondiale, laisse à penser qu’on pourrait retrouver le même type de pratiques de fichage systématique opérées par les francs-maçons, on se heurtera à l’argument généralement développé par ces communautés à avoir souffert de l’exposition au génocide. Victimes de déportations, oui, certainement ils le furent, au titre de résistants, ou pour leur origine juive. Mais la résistance maçonne reste largement discutable. Si, effectivement, les frères étaient soupçonnés par le régime allemand de collusion avec la résistance, voire de soutenir la communauté juive ainsi que la haute finance anglaise, comme le soulignait Céline dans ses 3 pamphlets interdits, il n’en demeure pas moins que bon nombre d’entre eux cédèrent à la tentation, par conviction ou instinct de survie, d’apporter leur contribution au pouvoir allemand :
« Pétain s’entoure de Francs-maçons connus : Camille Chautemps, François Casseigne, Ludovic-Oscar Frossard. Le maire de Vichy est confirmé dans ses fonctions ; il est pourtant Franc-maçon. Les Francs-maçons sont présents dans toute la presse collaborationniste : Emile Perrin, Alexandre Zévaes, Eugène Frot, Emile Périn, François Chasseigne, Raymond Froideval, Armand Charpentier à l’Oeuvre, Eugène Gerber, Jacques La Brède, René Martel à Paris-Soir, Marcelle Capy à Germinal, Emile Roche, Guy Zucarelli, René Brunet, Jean-Michel Renaitour aux Nouveaux Temps, Jean de la Hire au Matin, Georges Dumoulin, Charles Dhooghe, Paul Perrin à La France Socialiste. Curieusement, la loi du 13 août 1940 interdisant les sociétés secrètes ne cite jamais explicitement les obédiences de la Franc-Maçonnerie. La loi du 10 novembre 1941 prévoyait de purger l’administration, mais elle fut rendue inefficace quelques mois plus tard. Quand Laval revint au pouvoir, en 1942, il mit à la tête de la commission spéciale un homme à lui, Maurice Reclus. Laval ne lui cacha pas son objectif. Il fallait faire régner dans la commission « un esprit systématiquement libéral, en accordant toutes les dérogations possibles, en essayant de faire rentrer en masse les Maçons éliminés dans l’administration, la magistrature, l’armée, l’université. Dans ce sens-là, allez fort, aussi fort que vous voudrez ; je vous couvre entièrement par des instructions formelles ». » (4).
Laval était le protégé d’Otto Abetz, ambassadeur allemand à Paris, qui intervint notamment en 1940 pour le tirer des griffes de son arrestation et le placer sous la protection de la police allemande à Paris. Nul ne saura si c’est par l’influence d’Abetz, membre de la loge Goethe de la GLF (5), que Laval ordonna la réintégration de la franc-maçonnerie quand il fut nommé chef du gouvernement en 1942. Certes, la franc-maçonnerie a souffert d’une forte propagande à son encontre, en dépit du fait que la seule maçonnerie interdite était celle jugée par le régime nazi trop proche de l’obédience juive, mais le bilan de sa persécution restera très limité, et elle reprend ses fonctions avec Laval : « Des affiches dénoncent l’emprise des francs-maçons sur les républicains, leur collusion avec les Anglo-Saxons, leurs liens avec les juifs [...] Parmi les 64.000 francs-maçons recensés par le Service des sociétés secrètes, 6.000 francs-maçons ont été inquiétés et près de 1.000 ont été déportés, souvent pour engagement dans la Résistance. Environ 500 francs-maçons ont été fusillés ou sont morts en déportation. L’ostracisme du gouvernement à Vichy a eu des effets divers sur lequel pèse encore le silence » (6). 500 victimes ! Un drame évidemment, mais en proportion cela fait moins de 1% de l’effectif, très largement instrumentalisé par la Franc-Maçonnerie d’aujourd’hui pour cultiver une position victimaire.
Si la participation au gouvernement de Vichy de la franc-maçonnerie française est établie, il restera certainement impossible de connaître le niveau de collaboration où elle s’est engagée. Toutefois certaines personnalités maçonnes apportent des éclaircissements très suggestifs :
- Alexandre Zévaès (Alexandre Bourson), auteur de « Jean Jaurès en apôtre du rapprochement franco-allemand » (7), collaborateur au journal « l’oeuvre », journal clairement antisémite sous l’occupation, dirigé par Marcel Déat (fondateur du parti socialiste de France-Union Jean Jaurès, puis membre du Rassemblement National Populaire, un des 3 partis officiellement néo-nazis, nommé ministre du Travail et de la solidarité nationale du régime de Vichy en 44)
- Georges Dumoulin, secrétaire CGT et de la SFIO (ancêtre du parti socialiste), également dirigeant du Rassemblement National Populaire, puis embauché en 44 par Déat au ministère du Travail et de la solidarité nationale du régime de Vichy.
- Jean Luchaire, placé par Abetz, directeur des « Nouveaux temps », journal à grand tirage pro-nazi, avec Guy Zucarelli comme rédacteur en chef, lui aussi maçon.
- Eugène Schueller, franc-maçon, membre de la Cagoule et du MSR (Mouvement social Révolutionnaire, proche du RPN de Déat), PDG de L’Oréal Monsavon, qui confia le magazine « Votre Beauté » à un certain François Mitterrand (8). Schueller sortira blanchi en dépit de son activisme collaborationniste en raison de puissants appuis politiques (dont André Bettencourt et François Mitterrand). « L’Oréal a ainsi « recyclé » plusieurs anciens cagoulards. Le passé resurgit : celui de Schueller et, plus tard, celui de son gendre, André Bettencourt, dont on exhumera en 1994 des écrits antisémites parus dans La Terre française, l’hebdomadaire de la Propaganda Staffel » (9).
40 ans après Emile Combes, la pratique du fichage n’avait pas disparu dans la franc-maçonnerie : » L’Affaire des Fiches eut aussi des retombées tardives. Si Pétain demanda ardemment dès août 1940, bien avant le statut des juifs, la loi sur la dissolution des sociétés secrètes (c’est à dire l’interdiction de la Franc-Maçonnerie), c’est parce qu’il avait toujours pensé que son avancement avait été retardé à cause de sa fiche. Cet être mesquin et vindicatif portera toujours une haine inexpugnable à la Franc-Maçonnerie et aux francs-maçons dont il supervisa personnellement les persécutions sous le régime collaborationniste de Vichy. La fiche du colonel Pétain, rédigé par le capitaine Pasquier alors que le futur Maréchal commandait le 104e de ligne est ainsi rédigée: « Passé à l’école de Guerre. Inconnu, mais des renseignements nouveaux et sérieux le donnent comme professant des idées nationalistes et cléricales ». On ne pouvait voir plus clair que le frère Pasquier » (10).
Naturellement, tous les francs-maçons n’étaient pas collaborateurs, loin s’en faut. Le résistant Jean Zay, condamné par le gouvernement de Vichy comme franc-maçon, juif, anti-hitlérien, finira, en héros de guerre, lâchement abattu en forêt par des conspirateurs à la solde de Laval… qui avait remis la franc-maçonnerie en place : petits meurtres dans la fraternité ! Mais les différentes destinations que prirent les fragments divergents de la franc-maçonnerie après son éclatement en 1940 montrent que les obédiences mènent à tout, et que, in fine, la philosophie maçonnique est une espèce de pâte à modeler protéiforme qui s’interprète comme bon semble, au gré humoral de ses pratiquants et selon leurs opportunités. Une subjectivité si large donnant lieu à des interprétations si extrêmes laisse songeur.

La synarchie d’empire, un concept dévoyé

2 millions de noms fichés, selon Sophie Coeuré, c’est une oeuvre considérable, qui n’a rien à envier, toute proportion gardée, aux écoutes que Mitterrand avait généralisées. Selon l’historienne Annie Lacroix-Riz, qui s’appuit sur la consultation d’archives récemment publiques (1), « … une partie des élites françaises a mis en application le slogan bien connu « plutôt Hitler que le Front populaire »" (2). On comprend mieux cette collaboration active, ce fichage démesuré, quand on sait que le front populaire devait être évité à tout prix. Mais la maçonnerie d’époque inventa, ou prorogea, une troisième voie : fondée sur une groupe dissident de l’Action Française (qui compte dans ses rangs l’ennemi viscéral des maçons, Charles Maurras), se crée une officine plus radicale, « La Cagoule » (l’appellation fait référence à un cérémonial comparable au Klu Klux Klan), fondée par Eugène Deloncle, et à l’origine de la dynastie Bettencourt. Cette troisième voie prendra le nom de MSE (Mouvement Synarchique d’Empire) et sera popularisée par le Dr Henri Martin, et qui posa un rapport sur le bureau de Pétain indiquant que le MSE est le bras armé de « La Cagoule » :
« Leurs buts auraient été de faire échec à la révolution nationale mise en place par Pétain, contrôler l’industrie par le biais de groupes financiers internationaux et protéger les intérêts juifs et anglo-saxons. La note va circuler non seulement à Vichy, mais également à Washington, Londres et Berlin. En juillet, le « Rapport Chavin » présente le complot synarchique comme une tentative du capitalisme international pour « assujettir les économies des différents pays à un contrôle unique exercé par certains groupes de la haute banque » Selon A.G. Michel, le « Pacte synarchiste révolutionnaire pour l’empire français » fut rédigé en 1936 et est devenu un agenda politique réel à partir de 1945 à la conférence de Yalta. Ses mots d’ordres seraient ceux qu’ont propagés en France la franc-maçonnerie laïciste et socialiste du Grand Orient de France, tels que l’on peut en faire la synthèse en prenant connaissance des textes publiés lors de leur convents » (3).
Selon le document intitulé « Pacte synarchique », après la mort de Jean Coutrot, membre du Groupe X-Crise, conclusion fut tirée que le MSE, fondé en 1922, fut le bras armé de La Cagoule sous Vichy (4). Ce qui présuppose que l’activisme du MSE, virulent bien avant la guerre, fit traîner la savate au gouvernement français durant cette période, aux fins de précipiter la défaite française. C’est le montage d’un vaste consortium industriel et financier qui était en gestation avec l’Allemagne, principalement dirigé par la banque Worms et le Groupe X-Crise, suivant l’idée sous-jacente qu’Hitler représentait une alternative solide au communisme, croquemitaine absolu depuis la révolution russe de 1917 (5). L’idée était, selon Ulmann et Azeau, « l’instauration en Europe d’un ordre nouveau, un ordre synarchique qui ne serait pas celui d’Hitler, ni de Mussolini, tombé au rang de faire valoir du Führer, mais l’ordre européen de von Papen et de Goering, celui de Lord Halifax, de Pierre-Etienne Flandin, de Ciano, de Franco ».
L’oligarchie financière craignait par dessus tout la mise en place du plan Lautenbach par Von Schleicher, juste nommé chancelier, en coordination avec le New Deal de Roosevelt. Une catastrophe en perspective, une relance de l’économie par l’investissement et le crédit, alors que Schacht prévoyait la planche à billets et la conquête militaire : « L’oligarchie financière américaine, anglaise et allemande redoubla alors ses efforts pour obtenir la tête du chancelier [Von Schleicher] [...] Il fallait par conséquent agir rapidement. Une manoeuvre organisée par Schacht, impliquant le baron Schröder, von Papen et le fils du président von Hindenburg, Oskar, allait finir par convaincre le Président de congédier von Schleicher et de nommer Hitler à la chancellerie » (6). Schacht avait organisé le plan Young, après l’échec du plan Dawes (en raison de l’alourdissement de la dette allemande), que Lazard Brothers supervisait depuis l’Angleterre, en collaboration avec la J.P. Morgan, destiné à provoquer l’effondrement de l’Allemagne, plan sur le dos duquel s’engraissaient les banquiers. La Reichbank, constituée d’intérêts privés, vit sa direction prise par Schacht (jusque peu après la crise de 29, quand l’atmosphère devint chaude, puis après la prise de pouvoir d’Hitler), Schacht placé par Montagu Norman, qui dirigea la Banque d’Angleterre pendant un quart de siècle, Schacht approché depuis le traité de Versailles par un avocat américain de Wall Street, John Foster Dulles, émissaire du CFR (Council on Foreign Relations), qui fit l’intermédiaire avec la J.P. Morgan.
La City ayant placé son pion Schacht à la tête des finances nazies, elle s’employa à ériger l’opacité de la finance internationale. Le Mécène de Schacht, Montagu Norman, fut l’artisan de la création des banques centrales, et notamment de la BRI (Banque des règlements internationaux), oeuvre de la FED américaine, privée elle aussi, et de la Banque d’Angleterre, dans le but de faciliter les transactions financières que la J.P. Morgan avait monté sous le nom du plan Young (ndlr : on constatera qu’encore et surtout à ce jour, dans toute son opacité, la BRI reste fédératrice des politiques bancaires (elles-mêmes à l’origine des mesures d’austérité), la dernière décision effective étant « Bâle III » (7) ). Schacht finira par imposer l’austérité populaire drastique qu’il défendait bec et ongle, au profit de la militarisation de l’Allemagne, et la BRI passera à travers Bretton Woods sans encombre, soutenue par les réseaux d’influence qui l’ont créée. Wall Street ne perdit pas une miette de ce chaos européen, après s’être gavé des montages financiers de la J.P. Morgan qui suivirent le traité de Versailles, divers scandales firent surface, comme la présence importante d’Henry Ford dans l’actionnariat d’IG Farben, ce géant de la chimie nazie, tristement célèbre pour sa production de Zyklon B, destiné aux camps d’exterminations. Henry Ford (décoré de la croix de l’aigle allemand par le régime nazi), qui avait déjà financé le national-socialisme à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, s’était aussi illustré en finançant l’industrie automobile de Staline. D’autres figures importantes furent dénoncées dans cette participation au régime nazi via Farben : Paul Walburg, un banquier qui fut artisan actif dans la construction de la FED, également membre du CFR, Walter C. Teagle qui collabora, dans le domaine de la chimie, avec Farben, par l’intermédiaire de la Standard Oil dans des recherches de pointes. I.G. Farben & American I.G. étaient sous le contrôle de la FED (C.E. Mitchell, W. Teagle, P.M. Warburg), de Ford, de la Bank of Manhattan (Rockefeller), et de la Standard Oil (8).
L’oligarchie financière et industrielle avait déjà placé son emprise en Allemagne bien avant la prise de pouvoir d’Hitler, raison pour laquelle, d’ailleurs, elle ne pouvait laisser faire Von Schleicher, et raison pour laquelle elle fit tout pour propulser Hitler au pouvoir. Le financier Averell Harriman avait créé une filiale en Allemagne en 1922 (date de la création du MSE), puis un consortium à New York avec Fritz Thyssen, qui sera financier d’Hitler, la Union Banking. C’est à la tête du holding Harriman que sera nommé président un certain Prescott Bush, grand père de G.W. Bush. Harriman et Lazard travaillèrent étroitement avec Worms en France (Mines, finances, immobilier), qui possédait, selon Annie Lacroix-Riz, plus de la moitié de l’industrie française. La banque Worms étant « l’un des paniers où la Synarchie avait déposé quelques-uns de ses fruits mûrs » (9).
Si Vichy fut le creuset de l’oligarchie synarchique, elle fut également le creuset du frère ennemi, le planisme qui, s’il partait de l’idée de se détacher du marxisme, en appelait toutefois à l’économie mixte, matérialisée par une nationalisation des finances et de l’industrie, ce qui n’était pas pour séduire Worms et ses partenaires de Wall Street et de la City. Cette dissidence du SFIO, partagée par le syndicalisme dur et incarnée par Marcel Déat, sera largement collaborationniste. Sous l’impulsion d’une tentative d’unification des planistes (néo-socialistes) et des « planistes d’ingénieurs », incarnés initialement par le groupe X-Crise des polytechniciens, par le biais du plan du 9 juillet 1934, ce rassemblement inconciliable cède rapidement de part le caractère trop corporatiste du groupe X-Crise, jugé trop bourgeois par les ouvriers. L’artisan du plan du 9 juillet, Jean Coutrot, polytechnicien et membre du X-crise, est retrouvé mort en 1941. Déat crie au loup, il avait déjà dénoncé Darlan, à la tête de Vichy en 41, comme représentant attitré de Worms, il est vrai que Coutrot avait obtenu des appuis de Maud’hui de la banque Worms : « Son suicide provoque un vaste mouvement de dénonciation du « complot synarchique ». Coutrot est suspecté d’être le Grand maître d’une société secrète, le Mouvement synarchique de l’Empire. L’ »œuvre » martèle son message : les synarques contrôlent Darlan et sabotent la Révolution nationale » (10).
Les synarques avaient joué en maîtres : en s’associant avec les planistes, ils mettaient dans leur poche les néo-socialistes. Le plan du 9 juillet s’inscrivait dans une réforme constitutionnelle visant à affaiblir le parlement pour instaurer un régime corporatiste. Ce n’est pas pour rien que les polytechniciens étaient les instigateurs du X-Crise, car le pacte synarchique prévoyait précisément : « 429 — Le rang du capital, dans l’ordre de subordination et dans l’ordre des avantages compatibles avec l’entreprise synarchisée, ne peut être que le quatrième, après le technicien, le travailleur et la république (impériale, nationale, régionale, communale, syndicale et corporative). » (PSR, voir annexe) Le technicien comme sommet pyramidal, voilà la pierre angulaire du X-Crise, oeuvre polytechnique, et les raisons de sa lutte pour imposer l’ordre synarchique. Le travailleur, qu’ils avaient rallié un temps en fusionnant avec les planistes, était en second, mais en ratissant large, la réforme constitutionnelle devenait possible. Le retour de Laval au pouvoir contraria leur plan quelques temps, mais l’architecte Coutrot était de toute façon mort, et Laval n’était pas synarchiste. Même si Laval s’entoura précipitamment de francs-maçons, l’oligarchie ne lui pardonnera rien en 45, sa collaboration trop étroite avec Hitler et pas assez constructive avec la troisième voie fut sanctionnée sans égards. Fin 42, alors que Stalingrad marque un tournant dans la guerre, de nombreux analystes avaient déjà prévu la défaite d’Hitler. L’organisation des « ratlines », plans d’évacuation des nazis et collaborateurs trop virulents, les nombreux retournements de veste, ou tentatives, en faveur de la résistance, s’expliquent à partir de 1942 de cette manière. La nomination massive de francs-maçons en 1942 en est une conséquence. Les Etats-Unis iront ensuite recycler de nombreux nazis (11).
Worms et son Holding furent le terreau des services secrets britanniques en France ; selon Ulmann, le Grand Orient anglais a joué un rôle essentiel dans l’émergence du synarchisme de Vichy (12), ainsi que la société fabienne (installée depuis en France en 2007 avec la bénédiction de la classe politique française, sous l’appellation « Ecole d’économie de Paris ») qui apparaît dans le plan du 9 juillet 1934, la plus belle concrétisation du mouvement synarchique durant l’avant-guerre. La Synarchie de Saint-Yves d’Alveydre se retrouve au ban des accusés. Mais après examen approfondi, on a du mal à penser que le pacte synarchique trouve ses origines dans la synarchie de Saint Yves d’Alveydre, qui dit, dans l’archéomètre : « Il ne s’agit ni de détruire ni de conserver au-dessus des Etats et de leurs chefs un ordre social quelconque puisqu’il n’y en a pas : il faut le créer. Il faut former, au dessus de nos nations, de nos gouvernements, quelle que soit leur forme, un gouvernement général, purement initiatique, émané de nos nations mêmes, consacrant tout ce qui constitue leur vie intérieure ». « Purement initiatique », à entendre au sens théologique du terme. Saint Yves d’Alveydre, chrétien, profondément croyant, voyait une initiation théologique au sommet pyramidal, alors que le pacte synarchique y place le technicien, si l’on se réfère au paragraphe 429. Par quel tour de passe-passe la théocratie serait devenue technocratie, si ce n’est par l’intervention du Saint-Esprit maçon anglo-saxon, si l’hypothèse de Ulmann & Azeau concernant l’implication du GO britannique est exacte ? Une escroquerie purement sémantique, qui a conservé le mot « Synarchie », mais qui en a totalement dénaturé le contenu.
La mention des techniciens au sommet pyramidal dans le pacte synarchique doit être comprise comme une opération de séduction du patronat français opérée par les rédacteurs du pacte, ce pourquoi les polytechniciens du X-Crise ratissaient large et organisaient des réunions ouvertes aux non-polytechniciens, mais toujours « personnalités techniciennes ». L’expertise, par le biais du corporatisme, était appelée à remplacer le politique, jugé trop incompétent. L’appât est de taille, outre le pouvoir, ce sera le côté humaniste qui prendra les polytechniciens dans le sens du poil, une carotte idéaliste qui mettrait fin à des millénaires d’exploitation de l’homme par l’homme, comme le stipule le paragraphe 418 du pacte synarchique : » — Une démocratie économique n’est réelle que si elle satisfait synarchiquement aux conditions suivantes : ― a) fonder l’économie sur la satisfaction des besoins de tous et non plus sur la recherche sordide du profit ; ― b) supprimer en droit et rendre impossible en fait toute exploitation de l’homme par l’homme, de même que toute exploitation de l’homme par l’État ; ― c) faciliter l’accession à la propriété réelle de tous ceux qui la désirent, sous condition de gestion directe, soit sous forme personnelle, soit sous forme communautaire ; ― d) aider à la disparition rapide de la condition prolétarienne considérée comme dégradante parce qu’esclavageante en tout état de cause ; ― e) faire servir autant que possible au bien commun et au progrès social des privilèges de fait que constituent la richesse, même légitimement acquise, et le contrôle, même relatif, des moyens de produire. ».
Voilà comment il suffisait de présenter la synarchie d’empire, notamment aux polytechniciens, et encore aujourd’hui le discours fait mouche : « Comment pourrait-on qualifier cet « État ingénieur à la française » tel qu’il apparaît dans le projet d’X-Crise ? Opposé au libéralisme pur, c’est un État dont l’action dans la sphère économique doit 1/ se fonder sur des principes qui se veulent scientifiques, c’est-à-dire tirés des modèles de la physique maîtrisés par les Polytechniciens; 2/ être mue par des valeurs morales humanistes » (13). Il n’en fallait pas moins à de nombreux analystes pour voir dans le pétainisme le tremplin idéal à imposer la droite capitaliste qui s’était déjà positionnée dans l’Allemagne d’avant-guerre : « Pour de nombreux auteurs, Georges Valois, Charles Dumas, Pierre Hervé, Roger Mennevée, plus près de nous, Ulmann et Azeau, et beaucoup d’autres, la synarchie n’est pas un sabotage de l’action de Pétain, au contraire, elle est l’explication du fait que Pétain ait pris le pouvoir au bénéfice d’une classe bourgeoise qui prend sa revanche sur le Front Populaire. Cad la Synarchie s’identifie à toute la période d’avant-guerre, et devient le synonyme des efforts de la droite capitaliste pour instaurer un fascisme à la française » (14). Restait à trouver le bouc émissaire sur le dos duquel on allait installer cette synarchie là.
Le martinisme mis en accusation, petit croche-pieds entre écoles d’initiés

Synarchie … Synarchie … Synarchie … d’empire, ou pas, peu importe, il fallait un coupable, tout le monde allait se rabattre sur Saint-Yves d’Alveydre et ses successeurs ! C’est lui qui avait inventé le mot ! Pourtant Saint-Yves était étranger à toute obédience maçonnique, tout mouvement mystique, et son association posthume au martinisme n’était que l’oeuvre de Papus qui allait réinventer le mouvement, sur lequel Guénon eut d’ailleurs des mots extrêmement sévères (1). L’action de Saint-Yves, concernant la synarchie, auprès des « souverains » de son époque, qui s’était d’ailleurs soldée par un retentissant échec, était officielle. Comme il le dit lui- même : « Je ne fais ni ne veut faire partie d’aucune société secrète ni d’aucune petite église que ce soit, car j’en crois le temps absolument passé, et la synarchie en elle-même est une oeuvre de plein soleil et d’intégralité cyclique » (2).
Le martinisme n’est pas une doctrine aisément identifiable, et ceux qui se lancèrent à la simplifier ne rencontrèrent que des déconvenues. Le martinisme est plutôt une sorte d’OVNI et correspond plus justement à une nébuleuse inconstante de courants très disparates, voire antagonistes, comme l’annonça le premier schisme dont il souffrit, la scission entre martininésisme et martinisme. Saint-Martin le reconnut lui même à la fin de sa vie, dans une lettre au Baron de Liebisdorf en 1796 : « Mr Pasqually avait la clef active de ce que notre cher Boehme expose dans ses théories, mais qu’il ne nous croyait pas en état de porter encore ces hautes vérités » (3). Le disciple renégat s’était en effet tourné vers la « clef de Boehme » que prétendait détenir Rodolphe de Salzmann, attaché à la mystique allemande, et en relation avec Eckarthausen et Lavater. Saint-Martin bouda copieusement les loges martinésistes depuis 1777, loges qui partirent à la dérive dans les décennies qui suivirent la mort de Pasqually pour finir par être absorbées par le Grand Orient en 1811, qui avait été jusque là le frère ennemi. Ainsi on peut dire, stricto sensu, que le martinisme n’existe pas : « Saint-Martin ne fonda jamais aucun ordre ; il n’eut jamais cette prétention, et le nom de martinistes désigne simplement ceux qui avaient adopté une manière de voir conforme à la sienne, tendant plutôt à s’affranchir du dogmatisme rituélique des loges et à le rejeter comme inutile » (4).
John Lloyds, pour Mecanopolis, le 20 novembre 2010