mercredi 28 juillet 2010

Un jour : 27 février 1594

Henri IV de Bourbon abjura le protestantisme entre les mains de l’abbé de Juilly Le 9 août 1593 ; plus rien ne lui interdisait désormais de coiffer la Couronne des Capétiens, et c’est le 27 février 1594 qu’il la reçut, à Chartres, les Ligueurs tenant Saint-Denis.
Ce dimanche-la, un peuple occupe les rues, qu’adornent une multitude de tentures, de bannières, de la vieille Autricum. Il chante, il farandole et, lorsque Henri, que vêt une robe de bel argent et une chemise de satin cramoisi ouvert au milieu des omoplates, au pli des bras, à la poitrine - les endroits qu’oindra tout à l’heure Monseigneur Nicolas de Thou, l’évêque de la ville - pénètre dans la cathédrale Notre-Dame, fusent des milliers de noëls, de los...
Précédé, suivi de gentilshommes habillés de splendides costumes moyenâgeux, Henri, fort ému, jure devant l’autel "de chasser du Royaume les Hérétiques dénoncés par l’Église", et Monseigneur de Thun procède à l’onction, usant du chrême mêlé au baume de la Sainte Ampoule, Sainte Ampoule qu’un sacristain de l’abbaye de Marmoutier, "monté sur une haquenée, blanche, sous un poêle de damas blanc à fleurs d’or, soutenu par quatre religieux et accompagné par quatre barons", vient de rapporter du monastère.
Puis l’évêque confère au Roi les Gants, l’Anneau, le Sceptre, la Main de Justice, le couvre de la Dalmatique, symbole du diaconat, du grand manteau fleurdelysé qui évoque la capa magna épiscopale - le Très Crhrétien est "l’Evêque du Dehors" - et, enfin, le chapeaute du Bandeau royal.
Les orgues grondent, les cloches sonnent, les caisses roulent, les trompettes soufflent, des centaines de colombes sont lâchées.
Henri IV de Bourbon est devenu l’incontestable Roi de France. La foule exulte et clame : "Vivat Rex in aeternum !"
La dynastie des Bourbons régna deux siècles et demi sur le Pré Carré. Elle a pour chef aujourd’hui un prince de vingt et un ans, Monseigneur le duc d’Anjou et de Bourbon, Louis XX de droit.
Jean Silve de Ventavon http://www.france-courtoise.info

mardi 27 juillet 2010

17 avril 1975 Les Khmers rouges vident Phnom Penh de ses habitants

Le 17 avril 1975, Phnom Penh, capitale du Cambodge, est envahie par de longues cohortes d'adolescents maigres et hagards, tout de noir vêtus et lourdement armés.
Il s'agit de l'armée des communistes cambodgiens. Surnommés quelques années plus tôt «Khmers rouges» par le roi Norodom Sihanouk, ils ont vaincu les partisans pro-américains du général et Premier ministre Lon Nol au terme d'une guerre civile de cinq ans.
Le soir même, l'«Angkar» (l'Organisation) - le Parti communiste du Kampuchea (nouveau nom du pays) - décide de vider la ville de tous ses habitants.
C'est le début d'une orgie de massacres qui va se solder par la mort violente de 1.500.000 à 2.200.000 personnes en 44 mois, jusqu'à la chute du régime, le 7 janvier 1979. En d'autres termes, 20% à 30% des 7.500.000 Cambodgiens auront été victimes de la folie meurtrière des Khmers rouges.
Il faudra attendre 1997 pour que l'ONU y voit officiellement des «actes de génocide». Le secrétaire général du parti communiste, Pol Pot, mourra l'année suivante, avant d'avoir été jugé. Douch, directeur de la sinistre prison de Tuol Sleng, a été jugé en 2010 et condamné à 30 ans de prison. Khieu Samphan, ancien chef de l'État, attend d'être jugé en 2011…
Un pays fait pour le bonheur…
Héritier d'une très riche histoire dont témoignent les ruines d'Angkor, le Cambodge a échappé à l'annexion par l'un ou l'autre de ses redoutables voisins, le Siam et le Viêt-nam, grâce au protectorat français. Le 9 novembre 1953, il obtient tranquillement son indépendance avec pour roi constitutionnel le très souriant Norodom Sihanouk.
Mais le pays est très vite gangréné par la guerre qui s'installe dans le Viêt-nam voisin et met aux prises les Nord-Vietnamiens communistes et leurs alliés vietcongs d'un côté, les Sud-Vietnamiens pro-américains de l'autre.
Une poignée d'intellectuels cambodgiens issus de la bourgeoisie découvre le marxisme lors de ses études en France, dans les années 1950.
Parmi eux, un certain Saloth Sar, né en 1928. Fils d'un riche propriétaire foncier, il est élevé près du palais par une cousine de son père membre du ballet royal avant de recevoir une bourse d'études pour la France.
De retour dans son pays natal, il enseigne le français et communique à ses élèves sa passion pour Verlaine avant de rejoindre les maquis communistes. Se faisant désormais appelé Pol Pot, il deviendra secrétaire général du Parti («Frère Numéro 1») et Premier ministre du futur Kampuchea. À ce titre, il présidera à la mise en oeuvre du génocide !
Dans les années 60, le gouvernement cambodgien fait la chasse aux communistes, en lesquels il voit non sans raison des fauteurs de troubles et des complices de l'ennemi héréditaire vietnamien. Les communistes se réfugient dans la jungle du nord-est où ils installent des maquis inexpugnables en s'appuyant sur la misérable paysannerie du cru. Ils restent toutefois très peu nombreux, à peine 4.000 au total.
À la faveur d'un voyage en Chine populaire, en 1965, à la veille de la Révolution culturelle, Pol Pot, secrétaire général du Parti communiste ou Parti du peuple khmer (Prachéachon), se renforce dans sa haine de l'Occident et de la culture moderne et urbaine. Comme Mao Zedong, il voit dans la paysannerie pauvre le fer de lance de la révolution socialiste.
… et rattrapé par le malheur
Le sort du Cambodge bascule en 1969. Jusque-là, affichant sa neutralité, le prince Sihanouk avait tenté de maintenir son pays en-dehors du conflit voisin. Mais il ne pouvait empêcher les Nord-Vietnamiens et les vietcongs de transférer armes et munitions vers les maquis communistes du Sud-Vietnam en empruntant le port cambodgien de Sihanoukville et les pistes frontalières du nord-est.
Le 14 août 1969, sous la pression américaine, le prince appelle au poste de Premier ministre le général Lon Nol, favorable à la guerre contre les communistes… et sensible à la promesse d'une aide massive de Washington. Pressé d'en découdre, Lon Nol profite d'un déplacement de Sihanouk en Chine pour le déposer le 18 mars 1970. Il instaure la République et s'en proclame président.
Faute de mieux, Norodom Sihanouk prend à Pékin la tête d'un gouvernement de coalition en exil, avec les Khmers rouges. Dans le même temps, les Américains entament le bombardement des zones frontalières du Cambodge avec l'aval de Lon Nol.
De 1970 à 1973, sous la présidence de Richard Nixon, l'US Air Force va déverser sur le Cambodge plus de bombes que sur aucun autre pays au monde. Au total plusieurs centaines de milliers de tonnes. Les bombardements redoublent même d'intensité en février-avril 1973, alors que les Vietnamiens se sont retirés du jeu après les accords de Paris.
Ces bombardements indiscriminés, comme plus tôt au Viêt-nam, comme aujourd'hui en Afghanistan, font d'innombrables victimes parmi les populations civiles. Celles-ci, remplies de haine pour l'agresseur, se détournent du camp gouvernemental et rallient les communistes.
Très vite, les troupes gouvernementales, en dépit de leur armement sophistiqué, cèdent du terrain face aux Khmers rouges. Lon Nol n'attend pas le gong final pour s'enfuir et abandonner ses partisans. C'est ainsi que Phnom Penh tombe le 17 avril 1975, deux semaines avant Saigon.
L'horreur
Les dirigeants des Khmers rouges, au nombre de quelques dizaines seulement, n'ont connu pendant dix à quinze ans que les camps de la jungle. Ils ressentent aussi beaucoup de méfiance à l'égard des communistes vietnamiens qu'ils suspectent de vouloir annexer les provinces orientales du Cambodge, peuplées de colons vietnamiens.
Ils ont pu constater aussi combien le pouvoir était fragile en 1965, lors du massacre par le général Suharto de plusieurs centaines de milliers de communistes indonésiens. Ils ressentent cette fragilité avec d'autant plus d'acuité qu'ils sont très peu nombreux et craignent d'être submergés par les cadres de l'ancien régime qui viendraient à se rallier à eux.
C'est ainsi qu'ils prennent la décision folle de faire table rase. Opposant l'«ancien peuple» (les paysans khmers pauvres) au «nouveau peuple» (les habitants des villes et les cadres pro-occidentaux), ils décident de rééduquer ces derniers et si besoin de les exterminer.
Dans les heures qui suivent leur entrée à Phnom Penh, la capitale est vidée de ses habitants et des innombrables réfugiés qui avaient fui les bombardements des années précédentes. Au total 2 millions de personnes de tous âges. Il en va de même des autres villes du pays.
Les déportés sont dirigés vers des camps de travail et de rééducation et astreints à des tâches dures et humiliantes. La nourriture est souvent réduite à deux louches d'eau de cuisson de riz par personne et par jour. La mortalité dans les camps atteint très vite des sommets.
Les rebelles et les suspects sont jetés en prison et contraints à des aveux qui leur valent une exécution rapide, généralement d'un coup de pioche sur le crâne, car il n'est pas question de gaspiller des balles.
Dans son très remarquable ouvrage, Le siècle des génocides, l'historien Bernard Bruneteau souligne que les meurtres ciblent des catégories précises. Ainsi, 4 magistrats sur un total de 550 survivront au génocide. Sont anéantis les deux tiers des fonctionnaires et policiers, les quatre cinquièmes des officiers, la moitié des diplômés du supérieur etc. Globalement, les populations citadines sont exterminées à 40% et les populations des régions les plus rurales à 10 ou 15% «seulement»
Le doute
La plupart des Occidentaux observent le drame avec incompréhension et beaucoup d'intellectuels manifestent une jubilation dont ils se repentiront plus tard.
Il est vrai qu'au même moment, la victoire des communistes au Sud-Vietnam entraîne un autre drame, moins meurtrier mais plus spectaculaire, celui des «boat-people», réfugiés sino-vietnamiens prêts à affronter les tempêtes et les pirates sur des bateaux de fortune pour échapper au nouveau régime…
En 1978, les Vietnamiens invoquent des raisons humanitaires pour envahir le Cambodge. Le 7 janvier 1979, ils entrent à Phnom Penh cependant que Pol Pot et les Khmers rouges reprennent le chemin de la clandestinité et des maquis. Le nouveau gouvernement cambodgien, vassal du Viêt-nam, compte dans ses rangs de nombreux Khmers rouges qui ont su retourner leur veste à temps.
Pour cette raison, les Vietnamiens n'ont pas envie d'en rajouter dans la dénonciation des horreurs commises par les Khmers rouges. Les Chinois, méfiants à l'égard du Viêt-nam réunifié, trop puissant à leur goût, veulent ménager les Khmers rouges qui continuent de se battre dans la jungle. Même chose pour les Occidentaux.
Il faut attendre le retrait unilatéral des forces vietnamiennes en 1989 pour que s'amorce une prise de conscience du génocide. Le 12 décembre 1997, l'Assemblée générale des Nations Unies fait enfin explicitement référence à des «actes de génocide» dans une résolution sur le Cambodge. La décision est importante : pour l'historien Bernard Bruneteau, elle signifie clairement que le concept de génocide n'est pas limité à une approche raciale ou religieuse. Il peut inclure comme au Cambodge ou pourquoi pas ? L'URSS une approche sociale.
André Larané http://www.herodote.net

dimanche 25 juillet 2010

Pie XII et les Juifs

HISTOIRE : PIE XII ET LES JUIFS

Selon le rabbin David Dalin

Rabbin à New York, David Dalin est "spécialiste de l'histoire juive américaine et des relations juives et chrétiennes". Son livre, "Pie XII et les juifs, le mythe du Pape d'Hitler", est une réhabilitation de la mémoire de ce Pape, victime d'une cabale dirigée plus généralement contre l'Église catholique (1).

Dans la préface du livre, le Père Pierre Blet (2) rappelle que "les trois quarts de la population juive de France et quelque 85% des enfants juifs furent soustraits à la déportation nazie par le concours de nombreux prêtres, religieux et religieuses catholiques, de pasteurs et laïcs protestants, et en bien des cas avec la complicité des fonctionnaires du gouvernement".

Pour Dalin, la campagne de propagande contre Pie XII commence au lendemain de la guerre véhiculée par les communistes qui en veulent au souverain pontife en raison de son opposition déterminée à leur idéologie. Elle se développe à partir de 1963 avec la pièce "Le Vicaire", de Roff Hochhuth, un jeune écrivain allemand de gauche, par ailleurs ancien membre des Jeunesses Hitlériennes.

Il existe pourtant de nombreux témoignages de juifs pour prouver Pie XII innocent des accusations portées contre lui. Pinchas Lapide, ancien consul d'Israël à Milan, en a collecté de nombreux. Dans son livre "Three Popes and the Jews" (3), il écrit que le rôle de Pie XII "a été déterminant pour sauver au minimum 700.000, si ce n'est 860.000 juifs, d'une mort certaine aux mains des nazis".

Historien juif hongrois, Jeno Levai, prenant en compte l'expérience de ses coreligionnaires dans son pays, déclare : "... en automne et en hiver 1944, il n'y avait pratiquement plus d'institutions catholiques à Budapest qui n'aient servi de refuge à des juifs persécutés".

Michael Tagliacozzo, rescapé de la rafle nazie de 1943, pendant l'occupation de Rome, dit de Pie XII : "Ce Pape a été le seul à intervenir pour empêcher la déportation de juifs, le 16 octobre 1943, et il a fait énormément pour cacher et sauver des milliers d'entre nous".

D'autres que des juifs témoignent. Sir Martin Gilbert, biographe officiel de Winston Churchill, dit que Pie XII fut l'un des premiers à condamner publiquement les atrocités nazies par la voix de Radio Vatican. Il insiste : "Des centaines de milliers de juifs ont été sauvés par l'Église catholique, sous la conduite et avec le soutien du Pape Pie XII... Le Pape lui-même (...) donna personnellement l'ordre, la veille de la déportation des juifs de Rome, d'ouvrir les sanctuaires de la Cité du Vatican à tous les juifs qui pourraient y parvenir (...) Grâce à ces instructions, qui furent suivies d'une réponse rapide du clergé catholique, sur les 6.800 juifs de Rome, 1.015 seulement furent déportés (...) Cette action du Pape sauva plus de 4.500 vies..."

Même l'accusation d'avoir gardé le silence face aux atrocités nazies tombe. Pendant les années 30, la presse nazie, rapporte Dalin, traitait le cardinal Pacelli, futur Pie XII, d'"ami des juifs". Le 28 octobre 1939, évoquant son encyclique, le "New York Times" titrait : "Le Pape condamne les dictatures, le racisme et ceux qui violent les traités". Le "London Times" du 1er octobre 1942 écrivait que les paroles prononcées par Pie XII "ne laissent aucune place au doute. Il condamne le culte de la force, et sa concrétisation dans la privation de liberté des peuples et la persécution de la race juive".

A ceux qui estiment ces propos insuffisants, Dalin réplique : "Il fallait que le Pape pèse ses mots afin de ne pas mettre en danger la vie des milliers de juifs cachés dans le Vatican..."

Parlant de la conduite de Pie XII face à l'ignoble, on s'étonne, après son courageux engagement pour sauver le plus possible de juifs de l'extermination, du peu de mobilisation de la majorité des membres de cette communauté, quand leur sauveur est calomnié.

Car, soyons honnêtes, pour un homme comme le rabbin David Dalin, combien de juifs se taisent, participant à un complot du silence contre celui qui a tant fait pour eux ou leurs parents. On comprend le devoir de mémoire de certains à géométrie variable. Pas chez Dalin, qui, à son tour mérite, le titre de "juste".

Jean Isnard

Source : Recherche sur le terrorisme.
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Notes :

(1) "Pie XII et les juifs, le mythe du Pape d'Hitler", par David Dalin, aux éditions Tempora. Prix : 19,90 €, 240 pages, dépôt légal juin 2007, pour la traduction en français.

(2) Le Père Pierre Blet, historien, a été désigné par Jean-Paul II comme le plus grand expert dans les affaires concernant le Saint-Siège pendant la Seconde Guerre mondiale.

(3) Publié en 1967.

samedi 24 juillet 2010

La Grande Guerre : Planqués et censeurs

Février 1916. Au front, nos soldats se préparent à recevoir l’assaut allemand sur Verdun. Depuis la fin janvier, le Grand Quartier général s’attend à une attaque d’envergure. Les "déserteurs alsaciens et lorrains" sont formels. Les observateurs aussi, qui voient passer, au fond de l’horizon de la Woëvre, des trains en files ininterrompues. On ignore encore le lieu où la chose se passera mais l’opinion domine que ce sera le chef-lieu de la Meuse. Où l’on s’avise soudain qu’endormis par une année tranquille nos chefs ont laissé à peine entretenues les défenses existantes sans en créer de nouvelles.
Le 9 février, les permissions sont suspendues. Le 10, raconte Yves Buffeteau dans Les Batailles de Verdun, un renseignement provenant d’une source très sérieuse arrive au GQG. D’une rare précision, il indique même que le Kronprinz s’est installé depuis quelques jours dans la maison de la veuve Henri Daverdier à Spincourt. Ce rapport commence par cette phrase sans ambiguïté : "Les Allemands vont tenter une grande offensive dans la région de Verdun".
Onze jours plus tard, en effet, Le 21 février à 7h30, les mille canons de l’artillerie allemande commencent leur pilonnage des lignes françaises. La tuerie durera dix mois et fera près de cinq cent mille morts.
Et à l’arrière ?
Eh bien, à l’arrière, pendant que les poilus s’enterrent dans la boue glacée, on discutaille, on magouille et on grenouille.
Le parlement, les ministères, le gouvernement donnent le spectacle abject de la canaillerie, de la discorde et de la combine.
Les profiteurs de guerre s’enrichissent, les traîtres s’en donnent à coeur joie et les planqués se gobergent.
On voit un Malvy devenir ministre de l’Intérieur alors qu’il s’était opposé à la loi de Trois ans, lors du congrès socialiste d’Agen, et profiter de ce poste pour encourager la presse défaitiste en lui versant l’argent des fonds secrets. On voit un Marcel Sembat, vieille crapule maçonnique et socialiste, devenir ministre deux ans après avoir lancé à ses futurs collègues : "Retirez-vous, vous puez la défaite".
On voit "le cortège des personnes qui ont obtenu les fournitures de guerre, spectacle lamentable et attristant qui montre, à côté de filles galantes, des repris de justice", ainsi que le dénoncera à la Chambre l’ancien secrétaire d’Etat aux Colonies de Clemenceau, Milles-Lacroix, un brave négociant en tissus entiché de rigueur et d’honnêteté au point d’avoir visité à ses frais l’immense empire dont il avait la charge.
On remarque à la Chambre des jeunes hommes vigoureux et pétants de santé qui paradent, ayant échappé au front parce qu’ils sont députés et qu’ils se sont dispensés tout seuls d’aller aux tranchées en votant une loi d’exemption présentée par Dalbiez, un parlementaire qui, lui-même, redoutait d’être mandé au Feu.
On assiste, un soir de débat, à l’invraisemblable hourvari de ce que l’on n’appelle pas encore le "lobby" des marchands de vin et qui, par ses vociférations, parvient à chasser de la tribune le ministre de la Guerre Gallieni qui prononçait un discours contre l’abrutissement des soldats par l’alcool.
Le scandale est si omniprésent que la presse commence à s’émouvoir.
Alors, le plus simplement du monde, dans la nuit du 19 au 20 février est pris un décret interdisant de "laisser passer dans les journaux toute attaque contre le parlement, ou ayant pour objet de tourner en ridicule les députés ou de porter atteinte à la dignité du régime parlementaire".
"La censure, écrit Jean Bernard, chroniqueur du Temps, est devenue plus tracassière que jamais, impérieuse et hautaine, irritante, presque illogique."
Un exemple extrême de cet illogisme : au début de la première bataille de Verdun, les journaux annoncent la mort de Prosper Josse, député de l’Eure, qui, lui, ne s’est pas planqué et qui sert aux tranchées comme capitaine. La nouvelle est fausse. Sur la demande de sa femme, Madame Josse, l’Agence Presse Associée publie un rectificatif démentant le premier communiqué et rassurant les parents, proches et amis du député.
La censure supprime l’information.
L’informateur parlementaire de l’Agence Presse Associée fait alors remarquer aux censeurs que, la nouvelle donnée la veille par les journaux étant fausse, il est normal et justifié de le faire savoir et de démentir.
Il reçoit par téléphone cette stupéfiante réponse : "Nous vous envoyons des ordres et nous n’avons pas d’observations à recevoir de vous."

mardi 20 juillet 2010

De 1780 à 1880 Afrique : l'âge des explorations


À la fin du XVIIIe siècle, l'intérieur de l'Afrique est encore largement inexploré par les Européens et ses royaumes vivent plus ou moins à l'écart du monde extérieur.

Pourtant, un siècle plus tard, presque l'ensemble du continent fera partie des empires occidentaux.

Notre animation multimédia présente successivement les changements en Afrique sahélienne puis en Afrique australe.

Afrique sahélienne : premiers pas des Européens

En 1780, les royaumes connus grâce au commerce se situent le long du Sahel d'une part, et sur la côte d'autre part : ces régions d'où viennent les esclaves noirs restent pourtant inexplorées. Le premier Européen à y pénétrer est l'Écossais Mungo Park dès 1795.


Puis le Français René Caillié poursuit son œuvre en parvenant à atteindre Tombouctou, qui gardait une aura mystérieuse pour les Européens depuis l'époque de l'empire du Mali. Pendant ce temps, l'Écossais Hugh Clapperton découvre le lac Tchad et les régions en aval du fleuve Niger.
Quant à l'Éthiopie et à l'actuel Soudan, ces régions sont connues depuis plus longtemps grâce aux liens avec le Nil et la mer Rouge.


Le début du XIXe siècle est marqué par deux événements majeurs : il s'agit d'abord de l'affaiblissement de l'empire ottoman en Afrique. A l'est, l'Égypte de Méhémet Ali acquiert une autonomie de fait et se modernise rapidement. Elle s'étendra vers le Soudan après 1820, formant un véritable empire.

D'autre part, l'Afrique de l'ouest est marquée par la prise de pouvoir des Peuls. Les Peuls sont un ancien peuple d'éleveurs nomades venus des bords du Sénégal, qui ont migré dans les siècles précédents jusque dans l'actuel Cameroun.

Au début du XIXe siècle, ils tentent de redonner de la vigueur à un islam moribond par le biais de djihad, et s'emparent notamment du pays Haoussa et de l'ancienne région du Mali. Ils y fondent respectivement le califat de Sokoto et l'État du Macina. D'autres Peuls, les Toucouleurs, s'empareront du Macina et formeront un empire après 1850.

Parallèlement, l'emprise des Européens s'affermit : les Français concentrent leur attention sur le fleuve Sénégal, tandis que les Anglais préfèrent la côte de l'or au sud. Ces derniers abolissent l'esclavage en 1833, mais il faudra du temps pour que les pratiques cessent dans les faits.
Enfin, en 1854, certains esclaves libérés aux États-Unis reviennent sur le continent africain et fondent le Libéria.

Afrique australe : le temps des troubles

Voyons maintenant l'évolution parallèle des choses en Afrique centrale et australe, au XIXe siècle.
En 1795, la France révolutionnaire a envahi les Pays-Bas : les Britanniques débarquent dans la colonie du Cap pour qu'elle ne tombe pas entre les mains des Français, et ils la conservent pour eux-mêmes.


Aussitôt, une nouvelle phase s'amorce dans la colonisation : si les Khoisans n'avaient opposé aucune résistance aux Européens, il n'en va pas de même des Bantous qui leur rendent la progression plus difficile. Cela crée des mouvements de peuples vers l'est, qui amènent certains royaumes bantous à se militariser fortement pour s'en protéger : ainsi naît le royaume des Zoulous, dirigé par Chaka (en anglais, Shaka). Les raids dévastateurs des Zoulous dépeuplent les alentours et provoquent eux-mêmes des fuites de populations : cette époque est appelée le «temps des troubles», et connue sous le nom de Mfecane.

Plusieurs autres royaumes militaristes se créent dans la région sur le modèle des Zoulous, dont l'un formera l'actuel Swaziland. Le peuple Sotho quant à lui est protégé par les montagnes du Drakensberg, et leur royaume parvient à résister aux attaques, jusqu'à devenir l'actuel Lesotho.

À la même époque, sur l'île de Madagascar, une ethnie malgache, les Merina, entame l'expansion de son royaume. Grâce à l'acquisition d'armes à feu auprès des Européens, le royaume Merina domine une grande partie de l'île dès 1830.

Pendant ce temps, les troubles augmentent en Afrique du sud. La société blanche s'y est divisée en deux, entre les anciens colons hollandais appelés les Boers, et les Anglais nouvellement débarqués.

L'abolition de l'esclavage en 1833 révolte les Boers, qui possèdent beaucoup d'esclaves : c'est ce qui les pousse à entamer une migration majeure vers le nord-est, appelée le «Grand Trek». Sous la pression, les peuples bantous poursuivent leur expansion vers le nord : certains s'installeront même jusque sur les rives du lac Malawi, tandis que d'autres mettent fin au Butua.

En 1852 et 1854, les Boers fondent le Transvaal et l'État Libre d'Orange. Les Britanniques quant à eux débarquent au Natal pour éviter que les Boers ne s'en emparent. Quant aux Portugais, ce n'est qu'avec difficulté qu'ils résistent aux royaumes bantous militarisés.


Enfin, dès 1840, le sultanat d'Oman a déporté son centre à Zanzibar : il base sa richesse sur le commerce de l'ivoire, des esclaves et des clous de girofle. Les chasseurs d'ivoire s'avancent de plus en plus loin à l'intérieur des terres et se comportent en véritables conquérants. Les anciens royaumes du centre de l'Afrique ne résistent pas à cette pression, tandis que l'afflux d'armes européennes bouleverse les équilibres : ils finissent par disparaître de 1850 à 1870.

C'est précisément pendant ces vingt années que les Européens prennent connaissance de l'intérieur de l'Afrique Australe, notamment par le biais d'un missionnaire écossais célèbre : Livingstone. Militant contre l'esclavage qui perdure, Livingstone explorera à lui tout seul une grande partie de l'Afrique Australe.


N'ayant plus de nouvelles de lui, les Britanniques dépêchent le journaliste Stanley pour le retrouver en 1870 : la rencontre demeurée célèbre se fait sur les bords du lac Tanganyika. Par la suite, Stanley poursuivra l'exploration de l'Afrique Centrale en descendant le fleuve Congo pour le compte du roi des Belges. Mais il s'agit déjà d'une guerre de conquête : la colonisation de l'intérieur de l'Afrique vient de commencer.

En l'espace d'une seule décennie, le paysage politique de l'Afrique va connaître une véritable révolution sous l'action des Européens : l'Afrique précoloniale touche à sa fin.

Vincent Boqueho http://www.herodote.net

lundi 19 juillet 2010

Des chasseurs-cueilleurs aux premières cités

Bienvenue à tous dans la rubrique Histoire du Dimanche que je tiens avec Monte-Cristo. Je m’efforcerai de vous faire aimer cette matière en vous la rendant compréhensible, car on doit retenir à l’esprit vu la période de troubles qu’on traverse : si personne ne retient les leçons de l’Histoire, on est évidemment condamnés à les répéter car quand on ne sait pas d’où on vient, on ne sait pas où on va.

En premier lieu, ce qui me motive à tenir cette rubrique est le fait que je constate de plus en plus que des jeunes de moins de 18 ans de mon entourage ignorent les bases élémentaires de l’Histoire, et qu’à force de programmes officiels décousus, les gens manquent de vision chronologique de l’Histoire.

D’autre part, cette rubrique va aussi viser à vulgariser l’Histoire – un peu du monde, ensuite de France et d’Europe - sous forme de chapitres en apportant le maximum de culture possible avec des anecdotes et des dates faciles à retenir dans une optique chronologique. Tout ceci dans le but de vous faire comprendre dans quel monde vous vivez et de vous donner par conséquent les subtilités géopolitiques qui en découlent souvent, en particulier par rapport à la France et l’Europe.

CHAPITRE 1 – DES CHASSEURS-CUEILLEURS AUX PREMIÈRES CITÉS

En effet, dès 12.000 avant Jésus-Christ, date de la fin de la glaciation qui favorise l’émergence des sociétés organisées, situés principalement près des fleuves comme le Nil, l’Euphrate, l’Indus et les fleuves chinois dont le Yangtsé, où se développeront les premières civilisations de l’humanité. Nous allons voir les conditions principales de l’apparition de ces premières cités, qui sont aussi des premières civilisations :

I – Bouleversements climatiques à la fin de l’ère glaciaire :

Peu après la fin de la glaciation, le réchauffement climatique du Néolithique qui survient vers 10 000 avant Jésus-Christ, qui a entraîné un assèchement des zones auparavant viables pour l’homme. Pour exemple : le Sahara qui est aujourd’hui un désert, fut une grande zone boisée à la végétation quasi tropicale.
Cet assèchement entraîne la raréfaction des végétaux comestibles et la pénurie du gibier et de l’eau, et pousse donc les hommes à se rassembler autour des grands fleuves.

II – D’une société nomade à une société agricole :

La seconde conséquence due au réchauffement climatique est l’augmentation de la population humaine très localisée à certains endroits – très concentrées vers les grands fleuves -, ce qui fait que les ressources disponibles (pêche, chasse et cueillette) deviennent insuffisantes pour subvenir à leurs besoins. Ce qui force les hommes à passer du nomadisme à l’agriculture, ce qui nécessite :
1/ des grands travaux d’irrigation
2/ la défense des paysans contre les pillards: les paysans travaillant la terre n’ont plus le temps pour faire la guerre et la destruction des récoltes a des conséquences catastrophiques sur le groupe tout entier. Pour éviter cela, les hommes désignaient des chefs de plus en plus puissants qui concentrent des pouvoirs entre leurs mains, afin de coordonner le tout et assurer le partage des tâches entre eux comme les travaux d’irrigation, les digues et etc. Ces chefs seront les premiers rois.
4/ Et surtout l’invention de l’écriture qui permet le bon fonctionnement de ces nouvelles sociétés, ce qui marque la fin de la Préhistoire. Au début, ce fut un moyen de tenir les comptes et les richesses en stock (blé, bétail, et etc…) , et peu à peu il devient un moyen de fixer les connaissances et transmission du savoir sur le moyen terme.
Ces principales conditions permettent l’apparition des premières citées humaines.

III – Le rôle important de l’Agriculture dans les premières cités:

L’agriculture permet en effet de nourrir sur le même territoire 100 fois plus d’hommes que les techniques anciennes de chasse ou de cueillette. De fait, tous les hommes ne sont plus contraints de cultiver ou de chasser pour se nourrir. On a ainsi autour des grandes zones fluviales où les premières citées se sont implantées, -le début d’une spécialisation du travail: soldats, prêtres, scribes et administrateurs (dont les premiers collecteurs d’impôts…), mais aussi artisans, musiciens, savants peuvent vaquer à leurs occupations et à leurs fonctions sans avoir à produire eux-mêmes la nourriture dont ils ont besoin.
Donc l’agriculture, rendue forcée par la sur-concentration d’hommes contraints par les changements du climat à se ressembler auprès des fleuves, a ainsi eu l’effet surprenant de transformer les groupes humains en les faisant passer de simples tribus de chasseurs-cueilleurs en de véritables royaumes dans lesquelles les fonctions sociales sont différenciées.

IV – L’apparition des Royaumes et des Empires:

Une kyrielle de cités États cohabitant sur une même zone fluviale génère des conflits pour l’approvisionnement de l’eau dans leurs cultures. Pour éviter ces tensions, qui peuvent déboucher sur des guerres et des catastrophes, il y eut une idée nouvelle parmi les hommes pour résoudre ces problèmes : la royauté, qui reviendrait au plus puissant des chefs des citées États de la même zone fluviale qui saurait apaiser les conflits liés à l’eau et procéder à une répartition équitable du liquide vital.
La conception de royauté implique aussi un nouveau statut pour le plus puissant chef parmi les chefs des premières cités : la fonction de Prêtre, de divinité vivante. Exemple : le Pharaon égyptien – Fils de Rê – est considéré comme une sorte de Dieu vivant, l’Empereur de Chine est appelé “Fils du Ciel”.

ConclusionLa Civilisation, une conséquence des réponses apportées aux contraintes climatiques sur les Hommes :

On peut constater que les mêmes problèmes que différents groupes humains très concentrés à différents endroits du globe, et subissant différentes contraintes climatiques (catastrophes naturelles et réchauffement du climat de la Terre) et environnementales (pression démographique et pénurie de ressources alimentaires dues à la chasse) ont suscité la même réponse à ces défis. Ainsi, on peut dire que le réchauffement climatique d’il y a 10 000 ans avant notre ère allié à l’ingéniosité humaine a permis de faire sortir l’homme ; jusque-là confronté à un milieu hostile; de la Préhistoire pour lui faire créer les premières Civilisations.

La semaine prochaine nous verrons plus en détail les quatre premières civilisations : l’Egypte, les civilisations mésopotamiennes, l’Inde et la Chine dans une optique chronologique.
Et remerciements spéciaux à un de nos lecteurs, Alexandre qui m’a conseillé sur mon texte.
Auteur : Mistinguette http://www.fdesouche.com

* Source : Toute l’Histoire du monde de la Préhistoire à nos jours de Jean-Claude Barreau et Guillaume Bigot.

vendredi 16 juillet 2010

L’Africano-centrisme ou l’Histoire falsifiée

Parlant de l’Afrique noire, Victor Hugo écrivait : « Quelle terre que cette Afrique ! L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire ; l’Afrique n’a pas d’histoire. »
L’auteur des "Misérables" avait-il raison ? A l’exception de l’Éthiopie et du Rwanda, l’Afrique sub-saharienne était un monde sans États ayant eu une profondeur historique, une continuité séculaire. Plus singulier encore, rien de ce qui a permis le progrès de l’humanité n’est sorti de l’Afrique noire. Le continent noir fut et continue d’être un continent récepteur et non concepteur.
Cette réalité insupportable aux nationalistes africains des années 1950-1960 fut combattue par Cheick Anta Diop, autodidacte aussi brouillon que prolifique. A la faveur des indépendances, ce barde africain fut propulsé à la tête du prestigieux Institut français d’Afrique noire, dont le siège était à Dakar.
Dans ce cadre privilégié, et grâce aux crédits français, il élabora de pseudo-théories scientifiques tolérées durant trois décennies par le microcosme africaniste décérébré par l’anticolonialisme et couché devant l’idéologie dominante. Prudents caméléons, presque tous les Africanistes français vivaient dans la terreur de risquer l’accusation de racisme s’ils avaient simplement osé dire tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, à savoir que les thèses du Cheick Anta Diop n’étaient rien de plus que des élucubrations de griot.
Le postulat de Diop est, en effet, sans nuances : les Égyptiens ont tout inventé et la Grèce, puis Rome, sont les héritières de l’Égypte. Or, les Égyptiens étaient des Noirs. Conclusion : les Noirs sont donc les créateurs de la Civilisation de l’Antiquité classique.
Timidement, les linguistes tentèrent d’expliquer, avec humilité, qu’entre l’Égyptien ancien et le Grec, les liens étaient aussi évidents qu’entre un pommier et un baril de clous et que le simple rapprochement de sens ne prouvait pas un apparentement linguistique. Dans le cas contraire, l’existence du lac Kasba au Canada aurait permis à Diop d’affirmer que le Bey d’Alger taquinait le goujon à l’ouest de la baie d’Hudson...
Avec toutes les précautions, les Égyptologues risquèrent timidement une remarque de bon sens : les Égyptiens n’étaient pas des Noirs, ainsi que les milliers de momies mises au jour en apportent la preuve. Certes, la Nubie fut, durant certaines périodes tardives, une dépendance de l’Égypte, mais cela ne veut pas dire pour autant que les Nubiens aient peuplé la moyenne et la basse vallée du Nil.
Un énorme complot
Calembredaines, affirmait le "savant africain" car l’Égyptologie constitue un énorme complot contre la race noire. Et comment, demanderez-vous ? Mais tout simplement parce que les Égyptologues détruisirent systématiquement les momies noires pour ne garder que les blanches. CQFD ! Cette entreprise de falsification de l’histoire aurait pu en rester au niveau de l’anecdote. Elle aurait, à la limite, pu être étudiée dans nos universités comme un cas d’école d’idéologie appliquée à l’histoire par un autodidacte obnubilé par sa théorie et ignorant de l’ensemble d’une matière assimilée dominée.
Or, elle est devenue l’Histoire officielle. Dans l’ "Histoire de l’Afrique" de l’Unesco, tome II, édité en 1980, Cheick Anta Diop développe, en effet, longuement ses fantasmes historico-racistes, à peine contredit par les Égyptologues avec lesquels il débat. A aucun moment, dans cette monumentale histoire éditée dans toutes les langues du monde, aucun spécialiste n’ose écrire ce qu’il faut penser des affirmations de Cheick Anta Diop, tant le tiers-mondisme dominant exerce une dictature intellectuelle interdisant toute critique. Les théories de Cheick Anta Diop furent reprises et amplifiées aux USA ; dans les universités noires, elles furent à la base du courant Africano-centriste. Pauvres USA ! La juxtaposition de ses peuples et de leurs cultures fait que désormais chaque minorité raciale y enseigne sa propre vision de l’histoire.
Les Noirs, qui ont leurs universités et leurs professeurs, apprennent donc que l’Afrique noire, mère de la Civilisation et qui a tout inventé, fut non seulement pillée par les Blancs qui ont bâti leur puissance sur son pillage, mais encore stoppée dans son "merveilleux" élan par la colonisation qui l’empêcha d’atteindre la phase suivante de son évolution créatrice.
Or l’Africano-centrisme des Noirs américains a pour soubassement les affirmations de Cheick Anta Diop. En Afrique même, les écoliers et les étudiants sont formés dans le même moule. Comment pourraient-ils mettre en doute cette histoire officielle puisque l’UNESCO lui a donné sa caution scientifique ? Comment ne pas la prendre pour "argent comptant" quand, au Cameroun et ailleurs, les professeurs d’histoire présentent Cheick Anta Diop comme "le plus éminent égyptologue actuel".
Alain Froment, chercheur à l’ORSTOM, vient donc de rendre un immense service à la rigueur scientifique en publiant dans la revue "Cahiers d’Études africaines", n° 121-122, une mise au point définitive intitulée : "Origine et évolution de l’homme dans la pensée de Cheick Anta Diop : une analyse critique".
De cet article, dont le sous-titre pourrait être "Épitaphe pour un mensonge politico-historique", l’on peut extraire cette citation qui résume toute la question : « Cheick Anta Diop a discrédité la recherche africaine par l’insuffisance de sa méthodologie, ses conclusions hâtives et la subordination des préoccupations scientifiques à celles de l’idéologie (...) De sérieuses lacunes bibliographiques et l’absence de recours à des procédés statistiques objectifs, la préférence allant au choix orienté de photographies et de radicaux sémantiques, jettent des doutes sur ses qualités scientifiques. Cependant, il est devenu une telle figure emblématique du nationalisme africain qu’on considère, en Afrique, comme très malvenu de mettre en doute ses travaux. »

Pierre-Savorgnan de Brazza

À ses heures difficiles, la France doit regarder vers les hommes qui, jamais, ne lui. manquèrent. Les Lyautey, les Lamy, les Marchand, les Courbet, les Van Vellenhoven doivent être les modèles. Un Brazza, dont on vient de fêter le centenaire, lui aussi, un exemple. Le gouvernement de l'époque sut-il tirer de ces hommes tout ce qu'on pouvait attendre de leur énergie ? Non, certes. Brazza se heurta à de graves difficultés; il en triompha par sa ténacité et donna un empire à la France au prix de sa santé et de sa fortune personnelle.
Dès l'École Navale, où il entre jeune, Brazza s'est pénétré de l'idéal de Livingstone : conquérir de nouvelles données à la science et nouer avec des peuples inconnus des relations avantageuses pour sa patrie. Il est dans chaque domaine scientifique une zone d'inconnu qui constitué un pôle d'attraction, de préférence à toute autre : pour Brazza, c'est le cours de l'Ogooué, exploré par le lieutenant de vaisseau Aymes, en 1867.
Parmi tous les mystères du continent noir, pourquoi celui-ci ? Parce que le futur explorateur pense que ce fleuve n'est autre que la Loulaba de Livingstone qui, après avoir traversé les lacs de la région Manieina, s'incurve à l'ouest. La Lovalaba, le Congo.
Y a-t-il là de quoi passionner un homme, au point de lui faire tout sacrifier à cette idée ?
Seuls le peuvent comprendre ceux qui ont rêvé parfois devant les flots lourds de mystère d'un grand fleuve chargé de toute la magie d'un continent. De sourdes incantations montent de ses eaux, qui arrivent encore obscurcies par l'ombre verte de la forêt impénétrable. Ces remous disent la rage guerrière des tribus, son grondement, c'est l'écho des tam-tams lointains, ses courants évoquent les élans des populations opprimées, la vie broyée qu'il charrie décèle toute une puissance de création inutilisée et qu'il est si tentant de mettre à la portée de notre civilisation.
UN HOMME.
Et c'est pour cela que le jeune enseigne de Brazza part, en 1875, avec trois Européens, douze raptots et cinq interprètes pour s'enfoncer dans les profondeurs de l'Afrique Équatoriale; c'est pour cela qu'il affronte une vie de difficultés, de privations, de soucis, qu'il apprend les dialectes indigènes, qu'il souffre de la faim, de la soif, des fièvres.
C'est pour cela que, « gentleman silencieux comme un duc », il lutte pas à pas pendant deux ans pour arracher à l'Ogooué son secret et conclure que : « ce fleuve n'était pas, comme on l'avait pensé, une voie pour pénétrer dans l'intérieur ».
Brazza n'a pas, lui, comme Livingstone, ce ressort puissant : la foi, le besoin d'évangéliser. Mais il a un autre stimulant : la grandeur de son pays. Il s'est d'ailleurs engagé, vis-à-vis de ses chefs, à poursuivre à travers la brousse son voyage dans le cas où l'Ogooué ne serait pas ce qu'il pensait. Au-dessus de sa passion scientifique, il met cette obligation qu'a tout officier : « Servir ».
Servir son pays ? Mais, dira-t-on, Savorgnan de Brazza était Italien de naissance, né à Home le 25 janvier 1852. Et c'est un fait.
Septième fils d'une famille comprenant douze enfants, il descendait, par son père, a-t-on dit, de l'empereur Sévère, et par sa mère d'une famille patricienne de Venise qui eut par deux fois l'honneur de fournir un Doge à la Sérénissime République.
Il n'empêche qu'après avoir sollicité et obtenu son admission à notre École Navale à titre étranger, il a fait la guerre de 1870 à bord de la frégate cuirassée la Revanche, l'une des unités combattantes de l'escadre de la mer du Nord. C'est de son bord qu'il a formulé sa demande de naturalisation, insistant, pour la justifier, sur le fait qu'il devait moins à son pays natal qu'à la France.
Il était Français de tempérament et de cœur.
Brazza demeura toujours un conquérant pacifique, sans cesser d'offrir les qualités de l'officier : solidarité totale avec ses collaborateurs, coude à coude avec les seize hommes qu'anime sont exemple, fidélité à sa mission, obéissance à ses chefs. Après sa déception quant à l'Ogooué, il a poussé jusqu'à l'Alima, en pleine région hostile. La Likona est atteinte en août 1878. Les jambes de Brazza sont couvertes de plaies. Il n'est pas un homme de son escorte qui ne soit exténué. Quand il rentre en France, c'est après trois ans d'absence.
Par l'abondant courrier qu'il a trouvé à Libreville, il a appris l'exploration du Congo par Stanley. Il comprend quelle magnifique partie la France a à jouer dans ces régions de l'Afrique qu'il vient d'explorer en son nom, mais à condition d'agir sans délai.
Le rêve de l'élève à l'École Navale a fait place à un autre, plus vaste, dont la France doit être la seule bénéficiaire.
BRAZZA EN FACE DU ROI DES BELGES.
Il arrive à Paris dans les derniers jours de 1878; il n'est plus qu'un squelette vivant, vêtu de loques; il est visiblement à bout de forces, mais son visage aristocratique, émacié par les privations, rayonne d'une joie très pure.
Le roi des Belges, Léopold II, après avoir fondé l'Association internationale et le Comité d'études du haut Congo, a compris tout le parti qu'il pourrait tirer des découvertes de Stanley et l'a intéressé à ses projets africains.
Et voici qu'il convoque Brazza à Bruxelles.
Il le reçoit avec bienveillance, se passionne au récit qu'il lui fait de son exploration, lui déclare d'homme à homme qu'il a, lui, Brazza, un rôle de tout premier plan à remplir en Afrique s'il consent à se mettre à la disposition de la colonie que la Belgique se propose de créer en Afrique.
- Sire, lui oppose alors Brazza avec courtoisie, Votre Majesté oublie que je suis officier français. Si elle désire quelque chose de moi, c'est au seul gouvernement de mon pays qu'il faut qu'elle s'adresse.
Le roi insiste, Brazza, reste sur ses positions.
Alors, cette conclusion du souverain, homme d'affaires :
- Est-il possible que ces minces galons soient l'obstacle de la belle carrière que je veux vous ouvrir ?
Brazza reste fidèle au pavillon qu'il a adopté.
Il ne dispose que des maigres ressources d'une expédition au rabais. Cent mille francs - dont dix mille seulement versés au départ - en face des millions de Stanley. Il puisera dans son patrimoine.
Un journaliste belge, que cite le général de Chambrun dans son livre sur son beau-frère Brazza, a laissé de curieux portraits comparés des deux grands explorateurs.
« Stanley est petit, écrivait-il, Brazza est grand. Chez le premier, des cheveux grisonnants surplombent un visage ovale, terminé par un menton glabre, et les yeux ont tout d'abord une fixité froide qui gèle.
« Une chevelure d'un noir d'encre, une barbe de même couleur, taillée à la François 1er, encadrent chez l'autre un visage mince, dont le nez allongé semble également emprunté au vainqueur de Pavie, dont les yeux vifs et souriants ont comme un reflet du soleil méridional.
« Debout, Stanley se tient droit comme un I. Brazza, lui, s'incline avec une gracieuse souplesse; il a même, en tous temps, l'aspect un peu courbé de ces gens de haute taille qui paraissent craindre de se heurter en passant sous les portes et sous les lustres.
« Quant à l'accent des deux voyageurs, il présente le même contraste.
« L'ancien reporter du Herald a la parole lente, nette, mesurée, qui s'avance en tâtonnant, avec précaution; chez l'officier de marine français, le débit est précipité, plein de saccades et la phrase s'embrouille parfois dans la rapidité de sa course, mais sans cesser d'être pittoresque et mélodieuse, la voix ayant des inflexions caressantes qui trahiraient l'origine italienne de l'homme si on ne le connaissait pas. »
Pendant que Stanley prend l'Afrique à bras-le-corps, pulvérise le granit à coups de dynamite, ouvre 80 kilomètres de route à travers brousse et rocs, Brazza, souple et rapide, va le gagner de vitesse en ne mettant en œuvre que sa propre diplomatie et le rayonnement de la France.
Le « Père des Esclaves » passe partout en pays ami. Sa réputation d'homme pacifique et juste précède sa marche. Il fonde un premier poste à Franceville, entre en pays Batoké, dont le roi Makoko lui envoie un messager qui, au nom de son maître, lui dit :
- Nous savons que le fusil du grand chef blanc qui vient de l'Ogooué n'a jamais servi pour attaquer les gens tranquilles et que la paix et l'abondance l'accompagnent partout.
PAVILLON HAUT.
Le 10 septembre 1880, I'enseigne de vaisseau Pierre-Savorgnan de Brazza, signe avec Makoko le traité bien connu qui permet au pavillon français de flotter sur la rive droite du Stanley Pool, à la station de N'Tamo, devenue Brazzaville. Le sergent Malammé, avec deux matelots raptots noirs, recevait la garde du pavillon.
Ce pavillon sera gardé contre toute agression, avec fermeté et noblesse, par le gradé indigène qui ne veut connaître que les consignes laissées par son chef.
Mais, par l'effet des intrigues combinées de Léopold II et de Slanley, Brazza est rappelé en France; l'enseigne de vaisseau Mizar est arrivé à Franceville pour le relever d'office. L'explorateur n'est pas abattu par ce coup immérité : les plus belles réussites se fondent sur la patience.
Après plusieurs mois de lutte, il est chargé d'une troisième mission. Le voici commissaire général de la République française, dans l'Ouest africain; il assure notre domination sur la côte, consolide notre situation à Brazzaville, étend notre influence en direction du Tchad.
Le 26 février 1885, les puissances intéressées signent l'acte général de Berlin qui trace les limites du bassin du Congo et répartit les zones d'influence.
Brazza revint, à deux reprises, au Congo; au retour de son dernier voyage, en 1905, il mourut de la dysenterie à Dakar.
Nul mieux que Gabriel Hanotaux n'a su évoquer ce grand conquérant avec son ardeur, sa foi dans le succès et sa modestie :
« Jamais je ne pourrai dire ce qui est resté dans mon souvenir et dans ma pensée de la figure de cet homme à qui la France doit tant. Je le vois encore, entrant en coup de vent dans mon bureau des protectorats du ministère des Affaires étrangères, alors que notre programme africain était mis sur le chantier.
« Maigre et hirsute, le dos voûté, la barbe inculte, les yeux infiniment doux, il apparaissait dans notre sceptique Paris comme un prophète du désert.
« Il était, sous ses apparences délicates, l'homme de la précision, de l'énergie et de la persévérance inlassable.
« Quand, dans son langage hésitant, tout coupé de silences et de détours imprévus, comme une sente africaine, il déployait lentement, péniblement, ses vastes projets; quand il soulevait les voiles qui, pour tout autre que pour lui, cachaient encore le continent noir; quand il mettait le doigt sur la carte, vierge de noms, et qu'il disait : « Il faut aller là ! », l'exécution, dans sa bouche, paraissait si simple, qu'on eût dit qu'il n'y avait qu'à le suivre pour toucher au but.
« Et si sa pensée remontait devant vous un de ces fleuves dont tous, et lui-même parfois, ignoraient le cours - une Sangha, un Oubangui - s'il traçait sa route future, accompagné de quelques porteurs, sur ces rivages inconnus, si sa foi ardente vous avait convaincu, et qu'il partît, la porte fermée, vous vous disiez, dans l'angoisse : « Reviendra-t-il ? »
« Et après des années d'attente et d'espoir désespéré, il entrait, sans bruit, timide, modeste, disant : « J'en reviens. »
« Alors, on était saisi, en vérité, du sentiment de la grandeur humaine, celle qui sait agir sans parler et fonder sans détruire; celle qui sait charmer le troupeau des hommes par la douceur de l'humanité. »
Historia mars 1952

jeudi 15 juillet 2010

Les Lumières enténébrées de François Marie Arouet, dit Voltaire

De tous les philosophes des Lumières - avec Rousseau, qui fait bande à part - Voltaire est le plus connu. Mais le connaît-on si bien que cela ? Il y a loin de la légende à la réalité.
« L'autre jour, au fond d'un vallon / Un serpent piqua Jean Fréron; / Que pensez-vous qu'il arriva ? / Ce fut le serpent qui creva. » Pauvre Elie (et non pas Jean) Fréron ! «Coupable» de défendre avec courtoisie et brio, dans son « Année littéraire », la religion catholique et la monarchie, il fut la cible des attaques répétées des Philosophes, et de Voltaire au premier chef. Leurs menées aboutirent à faire plusieurs fois suspendre la parution de « l'Année littéraire », le journal de Fréron, et valurent à celui-ci plusieurs séjours à la Bastille et au For-l'Evêque. Sa feuille fut finalement interdite en 1775 par le garde des Sceaux Miromesnil, et Fréron mourut l'année suivante. Je pense a lui lorsqu'il m'arrive de lire la vertueuse déclaration, d'ailleurs apocryphe, que l'on prête à Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire. »
Quelle blague ! Rarement «philosophe» aura montré une telle puissance de haine envers ses adversaires, une haine qui ne tenait pas seulement à la divergence d'idées, mais à l'orgueil et à la vanité incommensurables de l'homme de Ferney. Malheur à qui le froissait : l'audacieux pouvait s'estimer heureux s'il ne faisait que les frais de sa causticité. Xavier Martin a raconté, dans son « Voltaire méconnu » (1), l'opiniâtreté que mit ce prétendu défenseur de la liberté de conscience à faire emprisonner le protestant La Beaumelle, par lui qualifié de « misérable échappé des Cévennes »; ou comment il tenta de faire condamner à mort Jean-Jacques Rousseau à Genève, en forgeant de toutes pièces dans l'œuvre du « promeneur solitaire », des blasphèmes odieux. Voltaire faussaire ? Mme de Grafigny, qui le connaissait bien, écrivait qu'il peut se montrer « plus fanatique que tous les fanatiques qu'il hait ».
C'est cette même force de haine qu'il déploie dans ses attaques contre le catholicisme. Dans Candide, résumé de toutes ses oeuvres selon Flaubert, il réussit une satire équivoque de la Théodicée de Leibniz, des abus de la religion, des amours monastiques, de la barbarie du code pénal,etc.
L'ironie et la moquerie appuyant l'idée, font les délices de la société insouciante et légère qui peuple les salons du XVIIIe siècle. « Combien a-t-il fait de personnages différents pour nous instruire ? » disait Mably. « Ne paraissant presque jamais sous son nom, tantôt c'est un théologien, un philosophe, un chinois, un aumônier du Roi de Prusse, un indien, un athée, un déiste; que n'est-il pas ? Il écrit pour tous les esprits, et même pour ceux qui sont plus touchés d'une plaisanterie ou d'un quolibet que d'une raison. » S'il prend la défense d'un Calas, victime d'une injustice, ce n'est pas tant par bonté d'âme que pour saper les institutions et attaquer l'Eglise. Mais alors même qu'il voue les juges à l'opprobre public, il n'ignore pas, comme il l'avoue en 1768, qu'ils « ont été trompés par de faux indices »(1). Quant aux Calas, il les traite de « protestants imbéciles » ...
Ce grand ami de l'humanité, initié comme Benjamin Franklin à la loge des Neuf Sœurs, partage en réalité avec les autres philosophes (2) le même mépris des hommes, qu'il considère comme « des petits rouages de la grande machine », et particulièrement du peuple : « Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être », écrit-il. Encore admet-il que le commun des Français appartient à la même espèce que lui.
Réfutant la Genèse, les philosophes nient que tous les hommes soient nés d'un seul couple. En conséquence, « La race des nègres est une espèce d'hommes différente de la nôtre », écrit Voltaire dans son « Essai sur les mœurs et l'esprit des nations ». Ce constat pseudo scientifique s'accompagne d'une classification des espèces humaines : « Les albinos sont au-dessous des nègres pour la force du corps et de l'entendement, et la nature les a peut-être placés après les nègres et les Hottentots au-dessus des singes, comme un des degrés qui descendent de l'homme à l'animal. » On ne s'étonnera pas que des opinions aussi «scientifiques» l'aient conduit à investir dans la traite négrière, comme Diderot et Raynal.
Les Lumières conduisent au racisme dans toutes ses composantes, y compris antisémite. Voltaire se fait d'autant plus vindicatif à l'égard des Juifs qu'à travers eux, c'est encore l'Eglise qu'il vise en réalité : « Vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour les peuples qui les tolèrent et les enrichissent », lit-on dans le Dictionnaire philosophique. Ce qui faisait dire au cardinal Lustiger, cité par Jean Sévillia dans son « Historiquement correct »: « Voltaire n'était pas chrétien et je crois que l'antisémitisme de Hitler relève de l' antisémitisme des Lumières et non d'un antisémitisme chrétien. »
On se pince lorsque les «philosophes» placent au-dessus de tout la «raison» - à laquelle les révolutionnaires, leurs disciples fidèles, voueront un culte véritable, faisant son Temple dans Notre-Dame de Paris. Leur raison ressemble à leur science : critiquant les travaux de Buffon sur la formation des roches sédimentaires, Voltaire pour lui répondre reproduit les expériences de Spallanzani sur les limaces ... et en tire, raconte Gaxotte(3), un pamphlet contre les moines, « Les colimaçons du R.P. L'Escarbotier » : « Il est certain que les colimaçons dureront plus que tous nos ordres religieux, car il est clair que, si on avait coupé la tête à tous les capucins et à tous les carmes, ils ne pourraient plus recevoir de novices, au lieu qu'une limace à qui on a coupé le cou reprend une nouvelle tête au bout d'un mois ... ». Robespierre, hélas, prendra ces «expériences» au sérieux ...
On comprend au bout de tout cela que notre Education nationale inscrive Voltaire au programme. Incarnation des Lumières, n'est-il pas pour nos enfants un modèle de Tolérance et de libéralisme ? Son ami Diderot l'appelait « l'Antéchrist ».
G. de Villefollet monde & vie . 5 juin 2010
1. Xavier Martin, Voltaire méconnu; Aspects cachés de l'humanisme des Lumières, ed. DMM, Bouère, 2006.
2. Dans son livre Historiquement correct (ed. Perrin), Jean Sévillia rapporte que Philipon de La Madeleine souhaitait que l'usage de l'écriture soit interdit aux enfants du peuple ...
3. Pierre Gaxotte, La Révolution française

mercredi 14 juillet 2010

La Grande Guerre

En janvier 1916, Paris voit apparaître, non sans une certaine stupeur, les premiers objets guerriers d’étrennes. En tête du palmarès des cadeaux à la mode : les culots d’obus. D’abord, ce sont de véritables pièces de cuivre que l’on offre comme cache-pot puis, bientôt, des simulacres de carton emplis de confiseries. On trouve aussi des bagues en aluminium, des bracelets de bronze, des colliers d’acier ouvragé. Tout cela vient du front, envoyé par des poilus qui, notent les chroniqueurs, “ont le sens du pittoresque“.

En fait, ils ont surtout le sens de la nécessité. Car, dans les tranchées, point de boutiques pour faire ses emplettes. On se contente de ce qui tombe sous la main et ce qui tombe le plus souvent, ce sont les obus.

L’autre sujet qui passionne les Français, c’est “l’affaire des fortifications de Nancy”, ou plutôt des non-fortifications. Car le pays vient de découvrir avec ahurissement que l’une des villes de l’Est les plus exposées à l’invasion n’était pas fortifiée.

Pourquoi ? demande-t-on.

La réponse montre, à quatre-vingt ans de distance, que l’incurie, la sottise de la camarilla politicienne est aussi ancienne que la démocratie.

La plus grande ville de l’Est a été laissée sans défense parce que, figurez-vous, au moment de signer l’armistice de 1870 dans cette maison de la rue de Provence, à Versailles, qui appartenait à madame Curelli, la grand-mère de Jessé-Curelli, ce distingué diplomate qui occupait Bismarck, Monsieur Thiers avait donné sa parole au nom de la France que Nancy resterait à jamais sans fortification.

Et cette parole, quoique purement verbale et consignée dans aucun protocole, fût-il secret, fut toujours respectée par les gouvernements qui se succédèrent jusqu’à la déclaration de guerre.

En 1886, le général Billot, ministre de la Guerre, envisagea bien de faire construire les fortifications imaginées par Saussier, Abbatucci et Pouvourville. Mais Bismarck déclara que ce serait un “casus belli”. Et quarante-huit heures plus tard, les travaux étaient suspendus et tout ce que l’on avait commencé détruit.

L’autre préoccupation, en ce début d’année 1916, c’est la mode. “Il y a donc des Parisiennes que la mode préoccupe en ces journées de guerre ?” s’étonne un moraliste. “Oui, quelques-unes”, répond un chroniqueur qui s’empresse de noter que les Parisiennes qui se promènent sur les boulevards vêtues à la mode du jour “ressemblent à de véritables sauteuses de cirque“.

Et de citer cette anecdote à l’appui de son appréciation : une jeune femme qui désire envoyer des colis au front est vêtue de manière si voyante et maquillée avec une telle abondance que le préposé ne lui montre pas tout le respect habituellement dû à la pratique. Le ton monte, la querelle éclate et la jeune beauté finit par traiter le fonctionnaire de balourd.

- Si moi je suis un balourd, réplique l’insulté, vous, vous êtes une grue.

Alors la jeune femme, soudain très calme :

- C’est bien, mon ami ; à présent que vous m’avez baptisée, envoyez donc ces colis à mes filleuls de guerre. Ce sont des poilus qui ne me connaissent pas mais qui ont sans doute de moi une autre opinion que vous.

Et le témoin de cette scène de rue de conclure : “Ce mot très joli rappelle un autre mot de madame de Mailly qui, après avoir été la maîtresse de Louis XV, s’était rabattue sur le repentir et la religion. Un jour, un homme du peuple qui l’avait reconnue au porche de l’église Saint-Roch qu’elle fréquentait assidûment lui décoche le mot de p… Et l’ancienne favorite royale de répondre : Mon ami, puisque vous me connaissez, priez donc Dieu pour moi.”

Serge de Beketch Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 85 du 10 janvier 1996

mardi 13 juillet 2010

L'armistice et le 18 juin, entre mythe et réalité

Entre réforme des retraites et coupe du monde de football, le 70e anniversaire du 18 juin a fait lui aussi les gros titres de la presse. Retour sur l'un des événements fondateurs de notre modernité.
Quoi de neuf ? La Deuxième Guerre mondiale. 70 ans après l'événement, la France continue d'en vivre : si la Révolution est - paraît-il - la période fondatrice de notre histoire, à la Libération correspond la refondation de la République, qui accouche de notre modernité. Et le 18 juin 1940 en est en quelque sorte la conception. Dans un pays qui aime autant les anniversaires, on conçoit qu'à chaque décennie, celui-là se célèbre avec faste.
Cette année, le président de la République a choisi de le fêter en Angleterre, sur le lieu même de cette conception. Nicolas Sarkozy a prononcé son discours encadré par les deux portraits géants de Winston Churchill et de Charles De Gaulle. « Alors que dans la France submergée par l'ennemi, profitant du malheur, les chefs trahissaient en demandant l'armistice au mépris de la parole donnée et en s'engageant dans une collaboration qui les conduira à couvrir les crimes les plus atroces, à Londres, le 18 juin, le général de Gaulle répondait à Winston Churchill qui avait juré le 4 juin « Nous ne nous rendrons jamais » : « La flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et elle ne s'éteindra pas. » » a proclamé Nicolas Sarkozy, fidèle à la légende dorée du gaullisme. Voilà 65 ans que cette légende, portant l'estampille officielle de la République française, prévaut sur l'histoire véritable, qui éclaire l'armistice et le discours du 18 juin d'une tout autre manière.
L'armistice serait en effet le péché originel de la France de Vichy, réputée par la même légende mensongère correspondre à la droite traditionnelle, tandis que la gauche incarnerait l'esprit de la Résistance... À l'opposé, le discours du 18 juin - le refus héroïque de « l'homme qui a dit non » - légitimerait à la fois l'action du général De Gaulle et la présence de la France à la table des vainqueurs en 1945, comme l'a encore dit Nicolas Sarkozy dans son discours londonien.
La première question à se poser concerne donc l'armistice : était-il évitable ? Le général Le Groignec a résumé, dans son livre Le maréchal et la France(1),la situation du pays à la date du 16 juin 1940, veille de la demande d'armistice adressée par le maréchal Pétain aux Allemands par l'intermédiaire de l'ambassadeur d'Espagne : « L'armée française est réduite à une quarantaine de divisions dont une vingtaine ne disposent que de 50 %, voire de 25 % de leurs effectifs qui fondent d'heure en heure. La progression de la Wehrmacht, forte de 130 divisions appuyées par une aviation maîtresse du ciel, se poursuit irrésistiblement vers le Sud, bousculant un flot de six à huit millions de réfugiés. »
Un pays qui se désentripaille
Ces chiffres ne donnent pourtant qu'une idée imparfaite de la réalité. Dans son livre Pilote de guerre(2), récit d'une mission de reconnaissance aérienne au-dessus d'Arras, Antoine de Saint-Exupéry a peint le tableau de cette France défaite, jetée sur les routes de l'exode : « Comment ravitailler les millions d'émigrants perdus le long des routes où l'on circule à l'allure de cinq à vingt kilomètres par jour ? Si le ravitaillement existait, il serait impossible de l'acheminer ! (...) Pas un mot sur la défaite. Cela est évident. Vous n'éprouvez pas le besoin de commenter ce qui constitue votre substance même. Ils "sont" la défaite. » Un mari cherche un médecin pour sa femme sur le point d'accoucher ; mais il n'y a plus de médecin... Une mère cherche du lait pour son bébé affamé ; mais il n'y a plus de lait... Un officier qui tente de mettre en batterie un canon avec une douzaine d'hommes est pris à partie par des mères : les Allemands en ripostant tuent leurs enfants. Le lieutenant renonce... « Il faut, certes, que les petits ne soient pas massacrés sur la route. Or chaque soldat qui tire doit tirer dans le dos d'un enfant », écrit Saint-Exupéry.
Au gouvernement, Paul Reynaud, De Gaulle, se prononcent contre l'armistice(3), Pétain, Weygand - qui a remplacé, trop tard hélas, l'incapable Gamelin au commandement en chef -, sachant la situation perdue, l'appellent de leurs vœux pour sauver ce qui peut l'être. Sur le terrain, Saint-Exupéry a une autre vue de la situation : « Que peuvent-ils, ceux qui nous gouvernent, connaître de la guerre ? Il nous faudrait à nous, dès à présent, huit jours. tant les liaisons sont impossibles, pour déclencher une mission de bombardement sur une division blindée trouvée par nous. Quel bruit un gouvernant peut-il recevoir de ce pays qui se désentripaille ? »
L'autre réalité de la défaite, c'est celle d'une armée qui, à l'inverse de ce que prétend la légende, se bat, à l'image du groupe de reconnaissance aérienne auquel appartient Saint-Exupéry et qui a perdu, en trois semaines, dix-sept équipages sur vingt-trois. Au cours des six semaines de la bataille de France, 125 000 soldats français sont tués : « six semaines plus sanglantes que toute période équivalente des combats acharnés pour Verdun », remarque le général Le Groignec ; Churchill saluera d'ailleurs cette « résistance héroïque » qui allait donner le temps aux Britanniques de replier en Angleterre 80 % de leurs forces.
Outre ces 125 000 morts, l'armée française a perdu 1 800 000 prisonniers.
Faut-il quitter le sol français ?
Reynaud et De Gaulle évoquent la possibilité de se retrancher dans le « réduit breton », en attendant peut-être une évacuation vers la Grande-Bretagne. Mais il n'existe aucun moyen de mettre en œuvre cette solution utopique. Rejoindre l'Empire pour y continuer la lutte n'apparaît pas plus réaliste : le général Noguès, commandant en chef en Afrique du Nord, a fait savoir à Weygand qu'il n'a pas les moyens de défendre le territoire en cas d'attaque italo-allemande : il manque à la fois d'hommes, d'approvisionnement et de matériel. Par ailleurs, comment y convoyer des troupes, depuis la métropole, quand l'armée est complètement désorganisée et que les Allemands sont déjà dans la vallée du Rhône ?
Un ordre de De Gaulle montre que l'homme du 18 juin n'a pas pris, ou ne veut pas prendre, la mesure de la situation : le 12 juin, en pleine débâcle, il ordonne en effet à la marine d'étudier un plan de transport de 900 000 hommes et de 100 000 tonnes de matériel à effectuer vers l'Afrique du nord dans un délai de 45 jours ! « L'armistice n'eût pas été signé que les Allemands eussent été à Bordeaux le 25 juin ». observe le colonel Argoud dans son livre La Décadence, l'imposture, la tragédie(4).
En fin de compte, deux attitudes s'opposent : d'une part, celle de Pétain, pour lequel il n'est pas question de quitter le sol français, comme il le déclare le 13 juin en Conseil des ministres : « Le devoir du Gouvernement est, quoi qu'il arrive, de rester dans le pays sous peine de n'être plus reconnu pour tel. Priver la France de ses défenseurs naturels dans une période de désarroi général, c'est la livrer à l'ennemi. C'est tuer l'âme de la France, c'est par conséquent rendre impossible sa renaissance. (...) Ainsi la question qui se pose en ce moment n'est pas de savoir si le Gouvernement demande l'armistice, mais s'il accepte de quitter le sol métropolitain. »
À cette question, De Gaulle, au contraire de Pétain, répond par l'affirmative : « Cette guerre est une guerre mondiale », dit-il. Elle doit donc être poursuivie, s'il le faut, depuis un sol étranger. Avec Pétain et avec De Gaulle, la France a deux cordes à son arc. C'est la thèse du glaive et du bouclier, que le second expliquera lui-même, plus tard, au colonel Rémy, résistant de la première heure. Malheureusement, dès juin 1940, le glaive commence à frapper le bouclier. Le 26, De Gaulle déclare depuis Londres : « Cet armistice est déshonorant. Les deux tiers du territoire livrés à l'occupation de l'ennemi, et de quel ennemi ! Notre armée tout entière démobilisée. Nos officiers et nos soldats prisonniers, maintenus en captivité. Notre flotte, nos avions, nos chars, nos armes, à livrer intacts, pour que l'adversaire puisse s'en servir contre nos propres alliés. La Patrie, le gouvernement, vous-même, réduits à la servitude. »
Une interprétation manichéenne
Ces reproches ne sont pas fondés : l'aviation et la flotte ne seront pas livrées, ce qui respecte le vœu de Churchill(5) ; une armée de 100 000 hommes est maintenue en métropole ; l'Empire n'est pas occupé, et Weygand reconstituera en AFN, sous l'autorité de Pétain, l'armée d'Afrique, qui fournira plus tard le gros des forces de la France libre ; la France conservera une zone libre jusqu'en 1942 et sera administrée par un gouvernement qui fera tampon entre les Français et l'envahisseur, au lieu d'être administrée par un gauleiter.
Avec le recul, l'armistice apparaît comme une énorme erreur commise par Hitler, erreur qui ne s'explique que par la conviction du chancelier allemand que l'Angleterre déposerait les armes. La conclusion appartient à Raymond Aron : « L'interprétation manichéenne de l'armistice, affirmée dès les premiers jours et maintenue contre vents et marées, relève de la légende ou de la chanson de geste. Ni les magistrats, à la Libération, ni la masse des Français n'ont souscrit à cette vision épique. L'appel du 18 juin conserve sa signification morale et politique, mais les discours qui suivirent immédiatement l'appel relevaient déjà d'un chef de parti, et non d'un porte-parole du pays bâillonné. »(6)
Jean-Pierre Nomen monde et vie. 26 juin 2010
1. Général Le Groignec, Le Maréchal et la France, nouvelles éditions latines, 1994.
2. Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, Gallimard, 1942.
3. Paul Reynaud sera cependant le premier à prononcer le mot d'armistice ...
4. Cité in Antoine Argoud, La Décadence, l'imposture et la tragédie, Fayard, 1974.
5. « On se souviendra que nous avons déclaré au Gouvernement français que nous ne lui adresserions aucun reproche, s'il venait à négocier une paix séparée dans les tristes circonstances de juin 1940, à condition qu'il mette sa flotte hors d'atteinte des Allemands. » (discours aux Communes, 28 septembre 1944). En dépit de l'agression de Mers-el-Kébir, les Français respecteront cette condition en sabordant la flotte à Toulon en 1942.
6. Raymond Aron, Mémoires, cité in Jacques Le Groignec, Le Maréchal et la France.