jeudi 6 mai 2010

LA FEMME GAULOISE (CELTE)

La femme celte n'était ni effacée ni passive, elle ne jouait pas un rôle secondaire, comme à Rome ou en Grèce. Cet aspect des choses est inhérent à la nature de la culture celtique, dans la spiritualité qui servait jadis de ciment à celle-ci, le principe divin supérieur n'était pas masculin mais bien féminin. Les Celtes avaient un grand respect de la femme qu'ils ont toujours considérée comme un être moralement supérieur, tandis que les Germains et les Romains en ont fait un être hypocrite et mensonger.
La femme gauloise jouit d'un statut particulier, exceptionnel même si on le compare à celui de la femme romaine dont la dépendance à l'égard du mari est non seulement morale mais aussi économique. La Gauloise, au contraire, dispose d'une certaine indépendance financière et assume une part de son destin à la mort de son mari. Ce privilège, qu'il faut malgré tout relativiser, a un prix : cette place dans la société et dans l'économie de la maison a été acquise par des générations de femmes qui, d'une manière générale, ont travaillé plus que les hommes. Strabon présente cette évidence comme un topos, un lieu commun qui caractérise les civilisations barbares : « Le fait qu'entre les hommes et les femmes les travaux sont distribués à l'inverse de ce qu'ils sont chez nous (c'est-à-dire en Grèce et à Rome) est commun à beaucoup d'autres peuples parmi les barbares. » Mais Poseidonios qui, le premier, donne cette information, l'accompagne d'exemples qui confirment cependant sa profonde réalité. Lui-même, lorsqu'il était hébergé chez un riche propriétaire terrien, a vu des femmes travailler aux champs (d. Naissance, ch. 5). Mais surtout sa description générale de la société gauloise met particulièrement en évidence la répartition générale des activités. Aux hommes sont réservés la guerre, son entraînement, l'équitation, la chasse, les pratiques cultuelles, l'exercice de la politique, du droit et de l'éducation, certains métiers artisanaux (les métiers du feu et des métaux entre autres). Aux femmes reviennent la plupart des tâches domestiques, c'est-à-dire une bonne part des travaux des champs, la gestion des troupeaux, la réalisation de certains types d'objets, tels que la céramique, les vêtements, peut-être la cordonnerie, la bourrellerie, la tabletterie. Le travail à la maison et à la cuisine était considérable du point de vue du temps passé et de l'énergie déployée.
C'était vrai avant tout pour moudre les céréales, tâche qui pouvait occuper plusieurs heures. Cela exigeait un soin particulier, car la présence de résidus d'abrasion de la pierre dans la farine provoquait une usure accrue des dents.
Des moulins comme on en connaît dans de nombreuses citées celtes facilitaient le travail en comparaison de l'antique pilon.
La place de l'homme et de la femme dans la société gauloise des cinq derniers siècles précédant notre ère est le résultat tardif d'une situation plus ancienne, au cours de laquelle une grande partie de la population mâle était occupée à la guerre, obligeant les femmes à subvenir à tous les autres besoins.
Par opposition aux Romains qui voyaient dans la femme une reproductrice et un objet de plaisir, les druides associaient les femmes à la vie politique et religieuse de leurs peuples.
La femme gauloise jouissait d'une situation qui la mettait au même rang que son marri.
On comprend mieux dès lors l'étonnant contrat de mariage dont César, toujours d'après Poseidonios, expose les modalités : « Les hommes, quand ils se marient, mettent en communauté une part de leurs biens, équivalant, après qu'en a été faite l'estimation, à la somme d'argent apportée en dot par les femmes. On fait de ce capital un compte unique, et les intérêts en sont mis de côté ; le conjoint survivant reçoit l'une et l'autre part, avec les revenus accumulés. » Le juriste du IIIè siècle Ulpien, précise qu'en plus de sa dot, la femme possède « ce que les Gaulois appellent pécule ». Cette gestion de leurs biens illustre mieux que tout autre exemple l'égalité de l'homme et de la femme qui existe dans le domaine de l'économie (au sens grec du terme, c'est-à-dire celui de la bonne marche de la maison), César a beau ajouter, à la suite, que l'homme a droit de vie et de mort sur sa femme et ses enfants, on voit bien qu'il s'agit d'une formule rhétorique qui renvoie, par comparaison, au droit romain : le Gaulois comme le Romain est le pater familias, il a l'autorité sur tous les membres de la famille. César ajoute que, lorsqu'un chef de famille meurt de façon anormale, on soumet sa femme à la question jusqu'à ce qu'elle avoue son crime. Celle qui est reconnue coupable est jetée au feu. Cette pratique paraît fort archaïque et n'a probablement plus aucune réalité dans les décennies qui précèdent la conquête. À contrario, elle témoigne qu'en des temps anciens les femmes avaient déjà suffisamment de pouvoir pour tenter d'empoisonner leur mari et de prendre leur place.
Le rôle de l'épouse gauloise est encore renforcé par celui que joue le mariage lui-même dans les relations entre les grandes familles patriciennes ou riches, dans les accords politiques voire diplomatiques entre les États, Le cas de Dumnorix est à cet égard révélateur (cf. Mariage, ch, 5). Les femmes comme les enfants sont les meilleurs instruments des unions à longue distance entre les peuples, ils sont également leur meilleure garantie de pérennité.
Le divorce était très facile chez les Celtes, d'abord parce que le mariage n'avait pas un caractère sacré et obligatoire. C'était un contrat, soumis à des clauses, les clauses n'étant plus respectées, le contrat devenait caduque. Acte essentiellement contractuel, social, mais non pas religieux, acte reposant sur la liberté des époux, le mariage celtique apparaît donc comme une sorte d'union libre protégé par les lois, et qu'il est toujours possible de rompre. Dans le divorce celtique, l'homme et la femme sont placés sur un plan de strict égalité.
Enfin, les Celtes ont toujours hésités entre la monogamie et la polygamie, voire même la polyandrie(1).
(1) polyandre, se dit d'une femme ayant plusieurs maris.
Un concubinage ou mariage annuel existait qui ne préjugeait en rien des droits de la femme légitime qui était la seule épouse en titre et qui pouvait se faire aider dans son travail domestique par la ou les concubines de son mari, de toute façon, si le mari passait outre elle pouvait toujours divorcer et de ce fait reprendre son pécule.
D'après Diodore de Sicile (V.32) « chez les Gaulois, les femmes sont presque de la même taille que les hommes, avec lesquels elles rivalisent de courage ».
« l'humeur des Gaulois est querelleuse et arrogante à l'excès. Le premier venu d'entre eux, dans une rixe, va tenir tête à plusieurs étrangers à la fois, sans autre auxiliaire que son épouse, champion bien redoutable encore. Il faut voir ces viragos, les veines du cou gonflées par la rage, balancer leurs bras robustes d'une blancheur de neige et jouer des pieds et des poings, assurant des coups qui semblent partir de la détente d'une catapulte ». Ammien Marcellin (XV.12)
Les épouses d'origine étrangère, représentant dans la cité de leur mari les intérêts du peuple dont elles sont issues, ont nécessairement une position sociale et, pour une certaine part, politique qui les situe presque au niveau des hommes. Elles ne perdent pas toute individualité en se mariant, mais gardent d'étroits contacts avec leur famille qu'elles retrouvent naturellement à la mort de leur mari. Les remariages sont possibles, et dans ce cas la femme peut une nouvelle fois représenter les intérêts de sa famille, comme on le voit faire à la mère de Dumnorix. De telles femmes, réellement puissantes, souvent riches, sont honorées à l'égal de certains hommes. On comprend dès lors l'étonnement de Clément d'Alexandrie qui écrit : « Il y a beaucoup de Celtes pour élever en l'air les litières des femmes et les porter sur leurs épaules. »
D'après Plutarque, les femmes peuvent jouer un rôle imminent dans les assemblées confédérales, celles communes à plusieurs peuples et qui traitent des alliances ou des conflits. La qualité de leur bon jugement et de leur impartialité y est reconnue. C'est pourquoi on leur confie la tâche d'arbitrer entre les deux parties.
Plutarque, dans son traité Des vertus des femmes, donne l'exemple d'une convention passée entre Hannibal et les peuples riverains des Pyrénées qui précise que, si les Gaulois ont des plaintes au sujet des Carthaginois, ils doivent les adresser à leurs généraux qui demeurent en Espagne, mais que les Carthaginois qui ont à se plaindre des Gaulois doivent faire valoir leurs droits auprès de certaines femmes gauloises qui jouent le rôle d'arbitres.
Les auteurs notent chez les Celtes une certaine tendance à la promiscuité : « Elles accordent généralement leur virginité à d'autres et ne considèrent pas ceci comme une disgrâce, mais se sentent plutôt méprisées lorsque quelqu'un refuse leurs faveurs librement offertes. » (Diodore de Sicile Hist 5-32)
Certaines reines avaient des époux qui n'étaient pas rois eux-mêmes.
Aux vues des objets et trésors découverts dans la tombe de la princesse de Vix, on mesure le pouvoir qui était le sien dans la société.
Cartimandua, reine des Brigandes de Grande-Bretagne, n'hésite pas à se séparer de son mari pour épouser son écuyer.
Toujours en Grande-Bretagne, la célèbre Boudica conduira un soulèvement contre les Romains.
Patrice Plard
sources :
Keltia n°5
L'Archéologue n°84
La femme celte J.Markale
Les gaulois J.L Brunaux
Les Celtes O Buchsenenschutz
Nos ancêtres les Gaulois J.L Brunaux
Les Celtes Barry Cunliffe
La N.R.H (Vincent Kuta)

lundi 3 mai 2010

Le poids des civilisations dans l'Histoire

Le Figaro Magazine - 07/02/2009
La notion de « choc des civilisations », popularisée par Huntington, continue à servir de repère, qu’ils y adhèrent ou la réfutent, aux spécialistes des relations internationales.
Le 24 décembre dernier s’éteignait Samuel Huntington, qui avait accédé à la notoriété mondiale, fait rare, grâce à un livre. En 1993, professeur à Harvard depuis un demi-siècle, il avait publié un article dans Foreign Affairs, la revue diplomatique américaine :« The Clash of Civilizations ? » Trois ans plus tard, l’article était devenu un ouvrage et le point d’interrogation avait disparu. Le Choc des civilisations, traduit en 39 langues (en français aux éditions Odile Jacob en 1997), lance alors une formule qui fera florès - fût-ce pour être vilipendée.
Huntington découpait le monde en huit civilisations : occidentale, orthodoxe, latino-américaine, africaine, islamique, hindoue, chinoise et japonaise. Chacune, affirmait-il, possède une nature irréductible à celle des autres, si bien que, après le siècle des nations (le XIXe) et le siècle des idéologies (le XXe), le XXIe siècle se caractérisera par la confrontation des civilisations.
Huntington, qui condamnera la guerre en Irak, n’était pas un faucon. Se rattachant à la tradition isolationniste américaine, il pensait que la mission des Etats-Unis était de se défendre, eux et leur modèle. Sa théorie, négligeant le facteur national ou les conflits à l’intérieur d’une même culture, comportait des contradictions : comment expliquer le génocide rwandais ou la rivalité Iran-Irak en termes de choc des civilisations ?
Il reste que, depuis le 11 Septembre, l’expression est restée. Le journaliste Christian Chesnot - il fut otage en Irak, en 2004, avec notre confrère Georges Malbrunot - et Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient, publient ainsi un volume au titre révélateur : Orient-Occident, le choc ? (1). Analysant les conflits du Moyen-Orient, les auteurs soulignent la responsabilité des Américains dans une situation qui ressemble à une impasse. Puisque «choc» il y a, il s’agit toutefois de le conjurer. Chesnot et Sfeir proposent à cet égard de faire pénétrer dans l’aire arabo-musulmane le concept de citoyenneté laïque, afin de déjouer «l’amalgame entre l’aspect spirituel et l’aspect temporel de l’islam». «Vaste programme», conclut l’ouvrage...
Spécialiste de l’islam, professeur à Sciences-Po, Gilles Kepel dénonce de son côté le face-à-face de la «guerre contre le Mal» (discours américain) et de l’«exaltation du martyre» (discours djihadiste). La pax americana étant une chimère, il appartient à l’Europe, selon le sous-titre du livre, de «relever le défi de civilisation» (2). L’auteur, tout à sa conception d’un Vieux Continent ouvert à l’intégration des immigrés, au multiculturalisme et à la laïcité, voit dans le rapprochement économique du Moyen-Orient avec l’Europe le moyen de faire émerger une classe d’entrepreneurs qui enracineront la démocratie chez eux. Faire régner la prospérité, à l’en croire, permettrait d’éradiquer le terrorisme islamiste.
Aymeric Chauprade ne partage pas cette conviction. Directeur du cours de géopolitique du Collège interarmées de défense (l’ex-Ecole de guerre), professeur invité à l’université de Neuchâtel, en Suisse, et au Collège royal de l’enseignement militaire supérieur du royaume du Maroc, ce spécialiste déplore que l’université française se polarise sur les clivages économiques et sociaux, en jugeant irrecevables les déterminations géopolitiques, nationales et religieuses.
Disciple de François Thual, avec qui il a signé un Dictionnaire de géopolitique (Ellipses, 1999), auteur de Géopolitique (Ellipses, 2001), une somme dont il prépare la quatrième édition, Chauprade - comme Huntington - a lu Braudel et sa Grammaire des civilisations. Pour lui, même si les grands hommes et les courants d’idées jouent leur rôle, la marche du monde ne peut être comprise sans tenir compte des permanences géographiques, économiques, sociales, mentales et religieuses. «La civilisation, explique-t-il, c’est la très longue durée de l’histoire. C’est tout ce qui a résisté quand tout semble avoir changé: le rapport de l’individu au groupe, la place de la femme dans la société, l’articulation de la raison et du spirituel.»
Il fait paraître aujourd’hui une Chronique du choc des civilisations(3). Un titre décomplexé, même si l’auteur se différencie de Huntington. Islam versus Occident, islam versus islam, Amérique versus Russie, Amérique versus Chine, Japon versus Chine : l’album, illustré de cartes et de graphiques, analyse les principales fractures de la planète. Un regard alarmiste ? «Ce n’est pas parce qu’il y a choc des civilisations qu’on est voué à la guerre, observe Aymeric Chauprade. Je ne fais pas de la provocation, et d’ailleurs je tiens le même propos quand j’enseigne au Maroc. Nous sommes dans un monde multipolaire : il faut travailler à l’équilibre des forces. Mais l’angélisme rend aveugle.»
C’est une perspective analogue que développe Hervé Coutau-Bégarie, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études et directeur du cours de stratégie au Collège interarmées de défense, dans un essai tiré d’une étude réalisée en vue de la refonte du livre blanc sur la défense (4). Crise économique et financière, envolée des flux migratoires, problèmes de l’environnement (eau, pétrole), facteurs idéologiques et religieux : « Nous sommes à la veille de bouleversements gigantesques », avertit l’auteur.
Entre optimisme et pessimisme, changements voulus ou redoutés, c’est toujours un souffle de 1788 qui passe. A quand 1789 ?
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
1) Orient-Occident, le choc ? Les Impasses meurtrières, de Christian Chesnot et Antoine Sfeir, Calmann-Lévy.
2) Terreur et martyre, relever le défi de civilisation, de Gilles Kepel, Flammarion.
3) Chronique du choc des civilisations, d’Aymeric Chauprade, Chronique.
4)2030, la fin de la mondialisation ? d’Hervé Coutau- Bégarie, Tempora.