vendredi 31 octobre 2008

GUERRE DU GOLFE : LA LEGENDE DES COUVEUSES

Pour 10 millions de dollars, la planète a bien failli s'offrir une guerre mondiale. Une chaîne de télévision allemande l'a révélé : c'est une agence de pub américaine qui, pour le compte de l'émir du Koweït, a inventé l'histoire des bébés koweïtiens arrachés de leurs couveuses. Et déclenché la guerre contre l'Irak.
Devant le Comité des droits de l'homme du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies, une femme pleure. L'horreur de ce qu'elle a vu est insupportable. Elle sanglote, elle s'essuie les yeux, puis elle reprend sa déposition :
« J'ai vu les soldats irakiens. Ils sont entrés dans l'hôpital et ont enlevé les bébés des couveuses. Ils ont emporté les couveuses et laissé les bébés mourir sur le sol glacial. C'était horrible ! »
Un chirurgien koweïtien, le docteur Ibrahim, confirme les faits devant la même instance :
« Le plus dur était d'enterrer les bébés. Moi-même j'ai enterré quarante nouveau-nés qui avaient été enlevés des couveuses par les soldats. »
Deux jours plus tard, le Conseil de sécurité des Nations unies vote en faveur de l'emploi de la force militaire contre l'Irak, bientôt suivi par le Congrès américain. Le processus de guerre est enclenché, rien ne l'arrêtera plus.
La chaîne de télévision allemande ARD vient de décortiquer l'incroyable manipulation médiatique. Dans un reportage diffusé le 8 avril dernier, et qu'aucun organe de presse français (hormis la Revue d'histoire révisionniste) n'a repris, ni même mentionné, ARD révèle que ces deux témoignages étaient faux et que l'affaire des bébés koweïtiens arrachés à leurs couveuses par des soldats irakiens avait été inventée de toutes pièces.
DEUX FAUX TÉMOINS
La réalisation de cette (super) supercherie revient à l'agence de publicité américaine Hill & Knowlton. La mission qui lui avait été fixée par l'émir du Koweït était ambitieuse : convaincre la population américaine de la nécessité de l'envoi de troupes américaines dans le Golfe. Budget de l'opération : 10 millions de dollars. A bon publicitaire - terme désormais synonyme de manipulateur, qu'on le sache une fois pour toutes - rien d'impossible.
Hill & Knowlton s'est attaché, comme lorsqu'elle travaille pour un candidat à une élection politique, à déterminer ce à quoi l'opinion américaine est la plus sensible. Les ordinateurs ont apporté une réponse. Un employé d'Hill & Knowlton raconte :
« Le Koweït nous avait demandé de déterminer ce qui inspirait le plus d' horreur aux Américains ; la réponse a été le meurtre commis sur des bébés. Ainsi est née la légende des couveuses. »
« Le meilleur moyen, poursuit-il, de créer cette émotion était de persuader les gens que Saddam Hussein était un fou dangereux capable des pires massacres. » Mais les témoins ?
Le reportage réalisé par ARD ne nous dit pas si la jeune femme si émue, Nayirah, fut payée. Sans doute pas. La Koweïtienne a fait ça pour la cause. Pour papa aussi, qu'elle a omis de présenter à l'auditoire : n'était-elle pas la fille de l'ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis ? Bonne fille, elle a menti aussi pour le bien de sa famille : elle appartient à celle de l'émir AI Sabah.
MITTERRAND DUPÉ OU COMPLICE ?
Quant au prétendu chirurgien Ibrahim, il est dentiste et se nomme en réalité Behbehani. La guerre achevée, le remords l'a pris et il s'est rétracté. A la question : « Alors, vous n'avez rien vu ? », le docteur Behbehani a avoué : « Non, rien. » Amnesty International, en revanche, n'a pas démenti. Son rapport, n'établissait-il pas, lui aussi, le meurtre de 312 bébés ?
A 10 millions de dollars les 312 bébés, et au cours actuel du dollar, ça va chercher dans les 170 000 F... le bébé mort. Pardon pour ce décompte morbide. Il veut juste faire ressortir l'élégance de l'opération.
A la question de la chaîne ARD : « Croyez-vous que le paiement par le Koweït de 10 millions de dollars à Hill & Knowlton ait été un bon investissement », Thomas Ross, de Hill & Knowlton, a répondu: « Un investissement des plus intelligents. »
Terrible est alors l'image de George Bush, exhumée par ARD, s'adressant à ses soldats sur le sol saoudien pour leur expliquer le sens de leur combat :
« Les bébés ont été arrachés à des couveuses et jetés sur le sol comme du bois à brûler. »
On ne fera pas l'injure à George Bush, président des Etats-Unis, et ancien patron de la CIA, de faire semblant de croire qu'il n'était pas au courant de la manipulation. Pour ce qui concerne les alliés, et particulièrement la France, l'histoire dira peut-être si François Mitterrand fut dupé... , ou complice. L'affaire des couveuses, finalement, n'est rien d'autre que l'adaptation, amplifiée par les moyens techniques, de la légende des Allemands qui coupaient la main des enfants durant la guerre de 1914. Quant au silence absolu de la presse française sur les révélations de ses confrères allemands...
C'était l'histoire d'une genèse de la guerre du droit... et de la morale.
✍ Pierre Villedary Le Choc du Mois. Juillet-août 1992

jeudi 23 octobre 2008

LA SCHIZOPHRÉNIE SOCIALISTE

Depuis la création de la SFIO en 1905, les socialistes ont toujours été écartelés entre le refus du système capitaliste, rituellement dénoncé comme porteur de tous les maux, et la nécessité de s'adapter aux tristes réalités du pouvoir.
L'expérience du Front populaire avait permis de préserver la mythologie révolutionnaire, mais aujourd'hui, onze ans après l'élection de François Mitterrand, les socialistes ne savent vraiment plus où ils sont.
Les socialistes sont malheureux. On peut les comprendre, après leur cuisant échec électoral. Mais, si l'on en croit un livre tout récent (1), leur vague à l'âme a des causes beaucoup plus profondes, qui plongent dans l'histoire même du parti socialiste, et ceci depuis 1905.
Au départ de cette étude, un constat : « Le Parti socialiste ne va pas bien », en raison d'une « crise morale », d'une « interrogation angoissée des socialistes sur l'identité actuelle de leur parti et sur le sens de leur action» ; car « en proie à l'incertitude, le Parti socialiste paraît démobilisé, voire frileux, recroquevillé sur lui-même » et en son sein règne « un malaise diffus ». Ce diagnostic peut paraître paradoxal, onze ans après le triomphalisme qui régnait lors de l'entrée à l'Elysée de François Mitterrand. Et, pourtant, en se penchant sur la longue histoire de leur parti, on comprend mieux pourquoi les socialistes ne savent plus très bien, aujourd'hui, où ils habitent.
Leur rapport au pouvoir a toujours eu, en effet, quelque chose de maladif : fidèles à une mythologie révolutionnaire quasi obsessionnelle, les socialistes n'ont jamais fait la révolution. Qui pis est, alors même qu'il leur fallait, sous Mitterrand, s'adapter aux tristes réalités du pouvoir, ils ont réaffirmé - plus pour convaincre les autres - qu'ils restaient purs de toute compromission avec un système capitaliste rituellement dénoncé comme porteur de tous les maux. Bref, écartelés entre les impératifs du réel et une utopie congénitale, les socialistes sont schizophrènes. Cette schizophrénie étant d'autant plus tenace qu'elle est ancienne. Simplement elle se manifeste aujourd'hui de façon spectaculaire parce que la fidélité, proclamée, aux origines, est en discordance aiguë avec le vécu de onze ans de pouvoir. Un pouvoir qui porte en lui, par essence, le mal, le pêché - puisque, consciemment ou non, le socialisme perpétue, à sa manière, le vieux dualisme chrétien.
JAURÈS ET L'AMBIGUÏTÉ FONDATRICE
Au commencement était Jaurès. C'est lui, en effet, qui a appris aux socialistes français à affronter et à surmonter la contradiction fondamentale qui nourrissait les débats à l'intérieur du mouvement socialiste : comment participer aux institutions démocratiques, en jouant le jeu du suffrage universel, tout en sauvegardant le principe d'une action, d'une nécessité révolutionnaires ? Comment être, pour un député socialiste, à la fois le représentant d'un parti de classe, purement ouvrier, faisant de la lutte des classes le moteur de toute action politique, et le porte-parole d'un électorat forcément plus hétérogène, l'idéal socialiste touchant les électeurs bien au-delà des frontières du prolétariat ? Se faire élire au Parlement, est-ce simplement rechercher une tribune pour prêcher la lutte des classes, la guerre socialiste, ou est-ce se préparer à assumer, un jour, le pouvoir - dans une société restant pluraliste, «bourgeoise» (pour utiliser le vocabulaire de rigueur dans les milieux socialistes) ?
Cette question, qui se posait dès les dernières décennies du XIXe siècle aux socialistes de tous pays, prenait une intensité particulière, dans une France marquée par la ligne de clivage séparant partisans et adversaires de la République. Autrement dit, dès les années 1880, la référence républicaine était perçue différemment selon les tendances existant chez les socialistes français : pour les uns, «possibilitistes» (2) ou « socialistes indépendants », la défense du régime républicain était prioritaire et justifiait toutes les alliances nécessaires avec des républicains non socialistes (comme les députés radicaux), y compris pour assumer les responsabilités gouvernementales ; pour les autres, socialistes guesdistes (3) et allemanistes (4), la République n'était pas, en soi, une solution satisfaisante et seule comptait la transformation du régime de propriété, que le prolétariat devrait imposer à la bourgeoisie par la Révolution.
Jaurès réussit à surmonter cet antagonisme. La création de la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière), en 1905, permit de créer un cadre organisationnel où pouvaient cohabiter les diverses tendances. Mais au prix de nombreuses ambiguïtés. Ainsi, Jaurès prétendait concilier république et socialisme, nation et internationalisme. En jouant d'un véritable équilibrisme intellectuel: par exemple, selon lui, le mot de Marx « les prolétaires n'ont pas de patrie » ne devait pas être pris au pied de la lettre, puisque ce n'était qu'une « boutade passionnée, une réplique toute paradoxale et d'ailleurs malencontreuse »...
En fait, Jaurès put mener à bien l'unification des socialistes en leur faisant admettre qu'étaient conciliables l'accord de tous sur les fins - la fondation d'une société socialiste - et des divergences portant sur la tactique nécessaire pour atteindre ces fins. Intransigeance doctrinale et empirisme dans l'action, donc avec un garde-fou : l'optique militante devra toujours l'emporter sur les préoccupations électoralistes et parlementaires. C'est sur la base de cette cohabitation entre un pôle militant et un pôle parlementaire avec prime, théoriquement, au premier - que devait fonctionner la SFIO. Une cohabitation risquant, à tout moment, de devenir antagonisme... Car Jaurès, en prétendant unir utopie (la doctrine) et réalisme (la pratique politique), ne pouvait faire ainsi le grand écart qu'en polarisant l'attention des socialistes sur la conquête du pouvoir, et non sur l'exercice de ce pouvoir. « L'unité de 1905, écrivent Bergounioux et Grunberg, n'avait été fondamentalement rendue possible que par le refus de l'exercice du pouvoir ». Et le maintien de cette si fragile unité exigeait que fût perpétué un tel refus. Or les bouleversements de l'Histoire allaient condamner les socialistes à devoir choisir entre une pureté doctrinale confortable, car coupée des réalités, et les risques d'une participation à un pouvoir «corrupteur».
DE BLUM A MlTTERAND
1914, en révélant la force du patriotisme chez les ouvriers comme chez tous les Français, a montré le caractère factice de l'internationalisme. Et 1917 a provoqué, chez les socialistes français, une crise d'identité dont devait sortir la rupture du congrès de Tours, la majorité des socialistes choisissant l'alignement sur la mythologie bolchevique et donc, la création d'un parti communiste en France, tandis que les minoritaires allaient s'efforcer, avec Blum, de faire survivre cette «vieille maison» qu'était la SFIO ébranlée sur ses bases. Non sans complexe, d'ailleurs, puisque Blum concédait à ses adversaires la nécessité d'une dictature exercée par un parti unique de la classe ouvrière ; ni sans illusion, puisque Blum terminait sa péroraison de Tours en adjurant ainsi les ralliés à Moscou : « Les uns et les autres, même séparés, restons des frères qu'aura séparés une querelle cruelle mais une querelle de famille et qu'un foyer commun pourra encore réunir ».
Nostalgie de l'unité perdue - et qu'il faudra bien, un jour, retrouver... Nécessité, pour la SFIO, de ne pas laisser au nouveau parti communiste le monopole de la référence révolutionnaire, d'une pureté ouvriériste permettant de prétendre incarner la gauche...
Ce double phénomène explique que les socialistes aient pratiqué, longtemps, l'évitement du pouvoir. D'autant que, comme le parti de Jaurès, la SFIO de Blum fut, en fait, une coalition de courants, dont l'existence fut rythmée par le conflit des tendances. Avec des phrases de rupture : départ de néosocialistes, conduits par Marcel Déat, en 1933, exclusion de la Gauche prolétarienne en 1938.
Mais il fallut bien, un jour, qu'ait lieu l'épreuve de vérité qu'était l'accession des socialistes au pouvoir. Bien que retardée le plus possible par Blum, cette épreuve fut rendue inévitable par la victoire, en mai 1936, du Front populaire. Les communistes soutenant Blum comme la corde soutient le pendu, la première expérience du pouvoir fut pour la SFIO une épreuve douloureuse, traumatisante. Dès janvier 1937, l'annonce de la «pause» dans la politique gouvernementale, d'ailleurs plus réformiste que révolutionnaire, était un aveu d'échec. Le malaise chez les militants était profond : au congrès de juillet 1937, Pierre Brossolette exprime un sentiment très majoritaire dans les rangs socialistes : « Le parti a donné l'impression d'être comme les autres, de tomber comme les autres et de pratiquer comme les autres le petit jeu parlementaire »,
Révolution sociale ou Révolution nationale ? C'est le choix auquel furent condamnés les socialistes devant les malheurs de la patrie, en 1940. Beaucoup purent être, plutôt que des partisans, des patriotes : si 36 parlementaires de la SFIO refusèrent, le 11 juillet 1940, de voter les pouvoirs constituants au maréchal Pétain, 90 acceptèrent (deux socialistes étaient dans le gouvernement formé par le maréchal le 17 juin). Et nombre de socialistes s'engagèrent résolument en 1940-1944, derrière Pétain, voire dans la collaboration. D'où la sévère auto-épuration que s'imposa la SFIO en 1945.
Une SFIO qui devint vite le pilier central de la IVe République, entre le MRP et le PC. Auriol, premier président de la IVe; Ramadier, premier président du Conseil ; puis Mollet, reprenant à son compte le vieil équilibrisme de Jaurès et de Blum en assurant que la SFIO était, tout à la fois, un « parti de réformes » et « un parti de révolution sociale »... Art de jouer sur les mots. Art poussé à sa perfection par François Mitterrand, qui sut à Epinay, en 1971, prendre le contrôle du nouveau Parti socialiste, après enterrement d'une SFIO discréditée, aux yeux des purs, par son jeu pour le moins fluctuant au sein de la Ve République. A Epinay, Mitterrand tint le langage de la rupture avec la société capitaliste, de l'union avec le PC, du refus de toute alliance à droite. Les rites fondateurs étaient respectés ... Alors même que le seul souci de Mitterrand était d'accéder au pouvoir, en utilisant les rouages institutionnels de la Ve République.
Il apparut en effet, au fil des ans, que cet homme, plus fin joueur, sans doute, que tous ceux qui l'avaient précédé à la tête des socialistes, avait en fait du parti une conception qui apparentait fortement celui-ci à un kleenex ... D'où cette « destruction de l'identité socialiste » que Bergounioux et Grunberg analysent longuement. En concluant que « l'identité socialiste traditionnelle s'est brisée d'elle-même contre les réalités du pouvoir ». Une conclusion en fin de compte rassurante : l'utopie ne peut survivre lorsqu'elle est confrontée au réel.
✍ Pierre Vial le Choc du Mois • Avril 1992
(1) Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, Le long remords du pouvoir, Fayard (collection « L'espace du politique »), 554 p
(2) Fraction modérée, formée au congrès de Saint-Etienne (1882) sous la direction de Paul Brousse.
(3) Jules Guesde (1845-1992) se veut le représentant, en France, d'un marxisme pur et dur.
(4) Jean Allemane (1843-1935), ancien communard, entend attribuer aux ouvriers manuels une prépondérance exclusive dans l'organisation socialiste et préconise la grève générale.

lundi 20 octobre 2008

De la sidération à la récupération : Le cas Bétancourt

Le 14 juillet, verra-t-on sur la même tribune Ingrid Betancourt, l'otage la plus célèbre de ce début de millénaire, et le président syrien al-Assad, dont le père également président fut largement responsable, outre de l'attentat contre le Drakkar où furent massacrés 53 paras français, de l'enlèvement puis de l'interminable détention de nos otages du Liban dont l'un, Michel Seurat, y perdit la vie ? Ce ne serait que l'une des multiples incohérences, l'un des nombreux paradoxes dont cette affaire - au si heureux dénouement - est tellement riche, ainsi que de mystères.
Il était entendu, y compris à l'Elysée, que la libération de Mme Betancourt, ex-épouse Delloye remariée au señor Lecompte, élue de gauche au Sénat colombien mais française par mariage (dissous), ne pourrait être acquise que grâce aux bons offices du président vénézuélien et national-bolchevique Hugo Chavez, seul à même de négocier avec les guérilleros des Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) dont Nicolas Sarkozy avait d'ailleurs salué le 5 décembre dernier le leader historique, « Monsieur Marulanda »... Dans le même temps où lui-même et Kouchner flétrissaient l'intransigeance du président Uribe vis-à-vis des rebelles marxistes - et mafieux. Mais "Ingrid" a été rendue à la liberté par un commando de l'armée nationale colombienne, si contestée par nos "élites" - y compris la famille Betancourt - lors d'une opération longuement pensée et rondement menée, « sans une égratignure ». A la grande joie de l'ancienne prisonnière saluant « Dieu, le président Uribe et nos soldats » d'un même souffle.
Il était également entendu qu"'lngrid" était in articulo mortis et que toute semaine supplémentaire dans la jungle lui serait fatale. Mais, comme avant elle Florence Aubenas, journaliste à Libération et otage en Irak, la Colombienne est apparue dans une éblouissante forme physique et intellectuelle, restant debout des heures durant et s'exprimant longuement et avec une fluidité parfaite en français, langue qu'elle n'avait pas utilisée depuis six ans. Les examens pratiqués le 5 juillet au Val-de-Grâce ont d'ailleurs prouvé qu'elle se portait comme un charme. La photo diffusée fin novembre par ses geôliers et qui la montrait subclaquante était-elle un montage ou sa délivrance serait-elle survenue à une date antérieure, et dans des conditions bien différentes de la version officielle, de telle sorte que l'otage aurait eu le temps de se requinquer... et d'être débriefée par ses libérateurs ?
Mais, justement, quelles ont été les conditions de cette libération miraculeuse ? Citant une « source proche des événements », la Radio Suisse Romande affirmait le 4 juillet que des dirigeants des FARC - en pleine crise après la mort de « Monsieur Marulanda » et les offensives colombiennes auraient touché 20 millions de dollars pour l'élargissement de quinze otages, dont trois agents du FBI bizarrement évaporés aussitôt que libérés et Ingrid Betancourt, et que l'opération de l'armée n'aurait été qu'une « mise en scène », Certes fort opportune alors qu'Alvaro Uribe, dont certains parents sont inquiétés par la justice, voudrait procéder à des élections anticipées. Mais d'où serait venu l'argent ? La France, dont « les caisses sont vides », démentait aussitôt avoir versé la moindre rançon. Il est possible que Washington, dont des agents auraient pris part à l'opération (de même que des conseillers israéliens) ait craché au bassinet et, de toute manière, Bogota - qui rejette les accusations helvétiques, émanant d'un "humanitaire" lié aux FARC n'a jamais caché utiliser une cassette pour le "retournement" des guérilleros. Reste l'étrange déclaration de l'ex-otage affirmant le même jour : « Je dois ma vie à ma douce France. Si la France n'avait pas lutté pour moi, je ne serais pas en train de faire ce voyage extraordinaire. » Faisait-elle allusion à la très imprudente proposition de l'Elysée d'accorder l'asile politique aux chefs des FARC dont la Colombie veut se débarrasser au plus vite ?
Quant au « voyage extraordinaire », c'est celui qui la conduisait à Paris à bord de l'Airbus présidentiel dans lequel avaient été dépêchés la veille à Bogota les jeunes Mélanie et Lorenzo Delloye-Bettencourt et bien sûr le ministre Kouchner, aussi fier et épanoui que s'il avait lui-même bravé les périls de la selva pour délivrer "Ingrid". Un gaspillage de kérosène qui n'a pas semblé gêner celle qui s'était présentée en 2002 à la présidentielle colombienne sous les couleurs du parti Oxygène Vert - et était alors créditée d'un maigre 1 % des voix. Il est vrai que, malgré les épreuves subies, elle « ne regrette pas » davantage la folle imprudence qui l'avait fait s'aventurer alors dans une région contrôlée par les FARC bien que l'armée eût tout mis en œuvre pour l'en dissuader. « Si c'était à refaire, je le referais », confiait-elle le 3 juillet sur France 2.
Celà suffit-il à faire une "héroïne" de cette aristocrate cosmopolite qui, par son assurance, sa classe et sa détermination, rappelle étrangement une autre « fille de », Indira Gandhi dont elle pourrait connaître désormais le fabuleux destin ? Dès à présent, ses plus frénétiques sectateurs n'hésitent pas en tout cas à la qualifier de « Jeanne d'Arc » et à exiger que lui soit décerné le prochain Nobel de la Paix.
Pendant six ans, nous avons assisté en direct à une prodigieuse opération de sidération destinée à nous convaincre de la sainteté de cette nouvelle madone des descamisados et de l'obligation de tout faire pour la délivrer. Pas seulement à Paris mais jusqu'au fin fond des provinces, ses portraits encombraient le fronton des mairies, droite et gauche se disputaient la propriété de cette version "française" du Che Guevara, dont les media répercutaient le plus léger soupir, eux qui n'avaient jamais accordé le moindre intérêt aux milliers de nos compatriotes enlevés en Algérie à l'été 1962. Femmes et adolescentes comprises telle Denise Chasteau, 15 ans, à tout jamais disparue - en même temps que son frère Alain (16 ans) et que son père Roger (48 ans), pourtant haut fonctionnaire de la République.
L'entreprise de sidération se poursuit afin que nul ne pose une question gênante, ne s'interroge sur une zone d'ombre, mais elle se double aujourd'hui d'une non moins spectaculaire entreprise de récupération. Déjà plébiscité par 82 % des Colombiens à la veille de l'opération salvatrice, Alvaro Uribe compte bien capitaliser sur le happy end du 2 juillet (encore qu'il reste encore 800 otages) pour obtenir les moyens d'un troisième mandat présidentiel. Mais il n'est pas seul à faire ce calcul. Qu'on se le dise : même si les grotesques tentatives de libération lancées par Villepin en 2003 puis par le tandem Sarkozy-Kouchner en février dernier ont lamentablement foiré, c'est à la patrie des Droits de l'homme et à elle seule qu'on doit le retour d'"lngrid" dans le monde des vivants. Ayant accusé a bon droit Sarkozy de se parer des plumes du paon colombien, Ségolène Royal s'est ainsi fait sévèrement tancer, y compris par ses "amis" du Parti socialiste. En commençant par Jack Lang et Bertrand Delanoë (qui avait fait de l'otage une citoyenne, d'honneur de la ville de Paris), bien décidés à battre du tambour dans le cirque Betancourt.
Mais c'est évidemment le chef de l'Etat qui, chahuté dans les tumultes de l'Union européenne alors qu'il en prend la présidence, en butte à l'hostilité à la fois des armées et de l'audiovisuel public cabrés devant son arrogance et son autoritarisme brouillon, et à nouveau en chute libre dans les sondages (33 % seulement d'opinions favorables, soit une perte de 4 points en un mois selon le baromètre TNS-Sofres/Figaro Magazine : on est loin du 90 % atteint par Uribe le 7 juillet), entend tirer le plus gros bénéfice de la présence en France de Mme Betancourt. Nicolas serrant dans ses bras la nouvelle « Jeanne d'Arc », laquelle exprime toute sa gratitude et toute son "admiration" à « cet homme extraordinaire qui a lutté pour moi », telle est l'image qu'un président dévalué veut absolument imposer de lui au sommet du G8 au Japon du 7 au 9 juillet, puis à Paris dimanche prochain au sommet de l'Union pour la Méditerranée (où, comble de la félicité, l'indispensable Bouteflika a finalement consenti à venir). Sidération encore, et récupération.
Le coup de com' réussira-t-il à faire oublier aux Français leur paupérisation croissante et les incessants tracas dus à ces grèves non moins incessantes mais dont, prétend Sarko, « personne ne s'aperçoit plus » ? Jusqu'à présent, le chef de l'Etat a beaucoup joué de l'« atout femme ». Sans grand succès.
✍ Rivarol du 11 juillet 2008
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samedi 18 octobre 2008

LES INTELLECTUELS ET LEURS MENSONGES

À la veille de la première guerre civile européenne, en 1914, mon compatriote cherbourgeois Georges Sorel préfaçait le livre de son ami socialiste Edouard Berth : Les Méfaits des intellectuels. Ces deux hommes ne pourraient que se réjouir du remarquable ouvrage que le Britannique Paul Johnson vient de publier : Le grand mensonge des intellectuels.
A travers une douzaine d'exemples, cet universitaire, qui utilise la langue précise et acerbe du polémiste, dénonce la conjonction de « vices privés et de vertus publiques » qui caractérise, dans bien des cas, nos donneurs de leçons, signataires de manifestes et autres grandes consciences. Il ne s'attache d'ailleurs qu'aux gros poissons, et dédaigne le menu fretin qui encombre les salles de rédaction, les écrans de télé et les mises en scène humanitaires.
Ces intellectuels, qui se situent en gros de Rousseau à Sartre, sont bien entendu « de gauche », comme s'il s'agissait d'un monopole de l'hémiplégie parlementaire sur le monde des idées, si facilement abandonné par une droite affairiste et prudhommesque.
Il ne peut être question de suivre ici tous ces itinéraires, d'autant que les origines de l'auteur l'incitent à accorder une place un peu envahissante au monde anglo-saxon.
Antisémitisme délirant
A tout seigneur, tout honneur, si l'on peut dire. Celui qui se sort le plus mal de cette confrontation entre l'univers abstrait de son système idéologique et la réalité quotidienne est sans doute Karl Marx.
Fils de Hirschel Ha-Levi Marx, après avoir reçu une éducation chrétienne, bourgeoise et libérale, il se montra d'un antisémitisme délirant et d'un racisme obsessionnel, traitant ainsi son ex-coreligionnaire Ferdinand Lassalle de « nègre juif » !
Paul Johnson démonte la méthode de travail de Karl Marx. « Il ne reçut pas la moindre éducation judaïque, ne tenta jamais de l'acquérir, ne manifesta jamais le moindre intérêt pour les causes juives. Il développa néanmoins des traits propres à l'éducation talmudique : une tendance à accumuler des - masses d'information - mal assimilées - à entreprendre des travaux encyclopédiques - jamais achevés - le tout assorti d'un souverain mépris pour tous ceux qui n'étaient pas des érudits. Toute son œuvre porte l'empreinte de l'approche talmudique. Elle est faite essentiellement de commentaires et de critiques sur le travail des autres.»
« Machine à dévorer des livres », Marx est aussi un prodigieux emprunteur d'idées et de formules, qu'il n'hésite jamais à présenter comme siennes devenant « expert dans l'art de citer les autres, de faufiler leurs idées au moment opportun de son discours ».
Rien de véritablement scientifique chez lui, mais au contraire, un préjugé essentiellement poétique mis en scène dans un jargon académique « S'il fréquenta les bibliothèques, il ne mit jamais les pieds de sa vie dans une filature, une usine, une mine ou tout autre site industriel. » Mieux encore : « Il prit soin d'écarter des postes influents de la Ligue communiste tous les socialistes issus de la classe ouvrière. »
Marx fut en général incapable d'achever des « travaux » qu'il prétendait scientifiques, mais qui ne l'étaient pas davantage « qu'un almanach d'astrologie » ! Ses sources d'information étaient « périmées depuis cinq, dix, vingt, vingt-cinq ou même quarante ans ». Il oublia toujours de tenir compte des faits invalidant ses « preuves », et n'hésita pas à se livrer à des forgeries pures et simples. Le chapitre 8 du Capital, par exemple, repose sur une falsification délibérée et systématique.
Coléreux, buveur et fumeur enragé, d'une saleté repoussante, il avait la manie de constituer des dossiers sur ses adversaires politiques et ses ennemis personnels et les communiquait à l'occasion à la police. Une donneuse, en prime!
On imagine ce que fut l'existence de sa femme Jenny et de ses filles, sans compter ses gendres :
Longuet qui avait le malheur de préférer Proudhon à son beau-père et Lafargue, partisan de Bakounine, qu'il nommait le « Négrillon » ou le « Gorille » parce qu'il était né à Cuba!
L'histoire de la pauvre Helen Demuth est encore plus affligeante : « Au cours de ses recherches sur les iniquités commises par les capitalistes britanniques, Marx rencontra bien des cas d'ouvriers sous-payés. Mais il ne parvint jamais à en découvrir un seul qui ne fut pas payé du tout. Pourtant, ce cas existait. Ce fut celui de sa propre domestique. » Pour seul salaire, elle devint la maîtresse de Marx, dont elle eut un enfant. Mais il persuada son camarade Engels d'endosser en privé la paternité pour éviter le qu'en-dira-t-on et sauver une cellule familiale dont il tirait quelque bénéfice financier. Ce géniteur honteux ne voulut jamais rencontrer son rejeton, qui devait mourir en janvier 1929.
La palme à Hemingway
Si Ibsen et Tolstoï sont fort malmenés dans ce livre, la palme du mensonge élevé à la hauteur d'une industrie revient sans doute à Hemingway. On ignore trop que cet Américain hâbleur et tonitruant fut, par ailleurs, une créature servile du communisme, dont il servit la propagande, surtout pendant la guerre d'Espagne : « Son militantisme pro-communiste connut son apogée le 4 juin 1937, lorsqu'il prit fa parole au IIe congrès des écrivains, organisé par le PC américain à New York, au Carnegie Hall. » Après avoir abandonné les trotskistes, anarchistes et autres républicains espagnols à l'épuration bolchevique, il devait s'installer à Cuba où il fut largement subventionné pendant la guerre par les Etats-Unis pour organiser, à 1 000 dollars par mois, un groupe d'agents secrets destinés à lutter contre un imaginaire fascisme caraïbe. Ses saouleries et ses coucheries ont déconcerté même les biographes les plus endurcis.
Une autre grande conscience démocratique ne sort certes pas grandie de ce livre, c'est l'inévitable Bertolt Brecht, qui sut exploiter le filon du théâtre subventionné par l'Etat et servit, pendant trente ans, le communisme en Allemagne de l'Est, ce qui ne l'empêcha pas de posséder un passeport autrichien, un éditeur en Allemagne de l'Ouest et un compte en banque en Suisse, tandis qu'à Berlin-Est, il disposait de 250 employés, dont 60 acteurs.
Quant à sa réputation littéraire, elle apparaît bien surfaite : « Il trouva un style très original et créatif pour mettre en scène des sujets puisés chez d'autres écrivains. Aucun auteur ne se rendit aussi célèbre en adaptant, voire en plagiant les idées d'autrui. »
Sur le plan privé, il lutta pour les droits de l'Homme sans se soucier outre mesure du bonheur de ses proches, à commencer par ses innombrables maîtresses : « Parmi tous ceux dont j'ai étudier le cas, conclut Johnson qui le qualifie de «cœur de glace», c'est le seul personnage qui semble totalement démuni de traits rédempteurs. »
Jean-Paul Sartre ne pouvait que faire partie de cette impitoyable galerie de portraits. Il n'est certes pas plus sympathique que ses collègues, les intellectuels à la bonne conscience et au cœur sale.
Paul Johnson: Le grand mensonge des intellectuels: Vices privés et vérités publiques. 366 pages, Robert Laffont.
✍ Jean MABIRE National Hebdo - Semaine du 15 ou 21 avril 1993

samedi 11 octobre 2008

Septembre 1792 : Une République née dans le sang


Le 10 août 1792 a été un moment décisif dans le déroulement de la Révolution, qui a « fait brusquement basculer la Révolution du monde des robins dans celui des sans-culottes » (Jean Tulard). Le début de la Terreur a été marqué par le massacre des Suisses et des gentilshommes, chevaliers de Saint-Louis, gardant les Tuileries. La Commune insurrectionnelle, sous la pression des sections de quartiers regroupant agitateurs et démagogues, impose la déchéance du roi et l'enfermement au Temple de la famille royale.
Un vent de folie souffle sur Paris : le bruit court que les armées autrichiennes et prussiennes envahissant le pays ont des complices dans la capitale. Et tout spécialement là où se trouvent concentrés des ennemis de la Révolution : dans les prisons (Abbaye, Conciergerie, Châtelet, Grande Force et Petite Force, Bicêtre) où s'entassent trois mille détenus dont le tiers, arrêté après le 10 août, est constitué d'aristocrates, prêtres réfractaires, soldats suisses des Tuileries ayant survécu au massacre (plus quelques prisonniers de droit commun). Des comploteurs royalistes vont, dit-on, libérer et armer ces prisonniers ... Danton le proclame le 25 août : « Vous avez des traîtres dans votre sein. » Fréron, futur organisateur de massacres à Marseille et Toulon, écrit dans L'orateur du peuple : « Les prisons regorgent de scélérats, il est urgent d'en délivrer la société sur-le-champ. » Quant à Marat, ses appels au meurtre sont clairs : « Le parti le plus sûr et le plus sage est de se porter en armes à l'Abbaye, d'en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et de les passer au fil de l'épée. »
De si judicieux conseils ne tombent pas dans l'oreille de sourds. Le 2 septembre, tandis que sonne le tocsin, « plusieurs centaines d'égorgeurs envahissent les prisons et se mettent à massacrer les prisonniers de manière le plus souvent sadique et atroce » (Histoire et dictionnaire de la Révolution française, Robert Laffont, 1987). Les tueurs touchent 6 francs par jour, avec le vin à discrétion pour entretenir leur zèle révolutionnaire.
La boucherie dure jusqu'au 9 septembre. Il semble y avoir eu 1 392 prisonniers assassinés (les chiffres varient, à quelques dizaines près). Parmi eux, Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, surintendante de la Maison de Marie-Antoinette et confidente de la reine, qu'elle voulut accompagner jusqu'au bout. Incarcérée avec la famille royale au Temple, elle en est tirée pour être enfermée à la prison de la Force. Restif de la Bretonne a décrit son martyre : « Je vis paraître une femme, pâle comme un linge, soutenue par un guichetier. On lui dit d'une voix rude : "Crie vive la nation !" - "Non, non" disait-elle. On la fit monter sur un monceau de cadavres. On lui répéta de crier : "Vive la nation !" Elle refusa dédaigneusement. Alors un tueur la saisit, arracha sa robe et lui ouvrit le ventre. Elle tomba et fut achevée comme les autres. Je voulus fuir, mes jambes faiblirent. Je m'évanouis. Quand je revins à moi, je vis la tête sanglante. On m'a dit qu'on fut la laver, la friser, la mettre au bout d'une pique et la porter sous les croisées du Temple » (pour qu'elle soit vue par Marie-Antoinette ... )
Ces massacres ne furent désavoués par aucun des chefs révolutionnaires. Robespierre ne dit mot, Danton affirma : « Je me fous bien des prisonniers, qu'ils deviennent ce qu'ils pourront ! ». Se souvint-il de ces mots quand vint son tour de monter à la guillotine ? Quant aux administrateurs de la Commune de Paris, parmi lesquels siège Marat, ils envoient dès le 3 septembre une missive à toutes les communes de France pour les inciter à imiter Paris : « La Commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans ses prisons ont été mis à mort par le peuple : actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir par la terreur les légions de traîtres cachés dans ses murs, au moment où il allait marcher à l'ennemi ; et sans doute la nation entière, après la longue suite de trahisons qui l'ont conduite sur les bords de l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public ».
Appel entendu à Meaux, Caen, Versailles, Reims, Lyon. Dans cette dernière ville, le 9 septembre, une foule d'hommes, femmes et enfants (!), entraînés par les disciples du chef des agitateurs Chalier (qui fut novice chez les Dominicains), envahissent les prisons de Pierre-Seize, Roanne et St-Joseph et massacrent les officiers du Royal-Pologne et les prêtres réfractaires qui s'y trouvent avant d'aller exhiber dans les rues les têtes coupées plantées au bout des piques.
Le 22 septembre la Convention nouvellement élue put décréter « l'an I de la République ». Une naissance célébrée dans l'odeur du sang des "Septembrisades" .
Pierre VIAL. Rivarol du 26 septembre 2008

vendredi 10 octobre 2008

A quand la repentance pour les esclaves blancs de la traite transatlantique ?

« ... Et se rappeler que la moitié, peut-être les 2/3, des colons américains originels ne sont pas arrivés ici librement mais kidnappés, drogués, abusés, et, oui, enchaînés » (Elaine Kendall).
DANS son éditorial du 16 mai, Camille Galic illustrait de l'aphorisme fameux de Napoléon, « Une tête sans mémoire est une place sans garnison », l'odieuse repentance qu'on nous matraque sur la traite négrière. « C'est, concluait-elle, évidemment pour désarmer la garnison que notre mémoire est subvertie, dévoyée, persécutée et finalement prohibée au profit de mémoires non seulement étrangères mais aussi falsifiées, voire fabriquées ». Pendant deux cents ans, sur la même aire géographique atlantique, ce crime-là, pas plus qu'il ne fut le plus détestable, ne disposa de quelque antériorité.
Aussi est-il crapuleux de la part du président de la République française de vouloir imposer son étude aux écoliers. Honorant ainsi exclusivement ce qui n'est qu'une partie de l'esclavage transatlantique. Déjà, on ne cesse de présenter les Vikings comme les grands prédateurs esclavagistes du VIe au XIe siècle quand trafiquants vénitiens, génois, grecs, arabes, juifs, tatars, mongols, turcs mirent pendant mille ans nos ancêtres blancs en coupe réglée. Jusqu'à l'Al Andalous islamisé, Eden mythique de la société multiraciale, d'où par milliers femmes et enfants razziés d'Espagne et du Portugal partaient pour le Maghreb et au-delà comme l'a rappelé Le Choc du Mois (de juin) portant en titre « Stop à la repentance - La vérité sur l'esclavage ».
LES IRLANDAIS ET LES ALLEMANDS AUSSI
Mais il est un autre servage dont nul ne parle. Disparu théoriquement d'Angleterre au début du 17e siècle, l'esclavage resurgit lors de la conquête de l'Irlande par Cromwell entre 1649 et 1653. On estime à 100 000 le nombre des Irlandais, hommes, femmes et enfants envoyés comme esclaves dans les colonies d'Amérique du Nord. Linebaugh et Rediker, dans Marins, esclaves, prolétaires, Histoire cachée de la révolution atlantique, les évaluent en 1660 à 12 000 aux Antilles et à 8 000 en 1669 à la Barbade, où un rapport de 1667 décrit ces Irlandais comme « des miséreux méprisés par les Noirs et traités en esclaves blancs ». En 1640, sur 25 000 esclaves, 21 000 étaient blancs et 8 sur 10 ne passaient pas la première année. En 1670, l'Assemblée de Virginie, suivie par les autres colonies, vota une loi interdisant aux Noirs et aux Indiens de posséder un esclave blanc ("christian"). Au XVIIIe siècle encore, on en trouve en grand nombre dans les plantations du Maryland. En 1717, pour être élu à l'assemblée de Caroline du Sud, il fallait « posséder un homme blanc ».
De cette époque date le terme de redlegs qui désignait aux Caraïbes les esclaves irlandais, anglais, écossais, allemands, danois, qui, pour la plupart, moururent brisés physiquement, détruits psychologiquement. Il en existe encore des traces bouleversantes. A Belize et à la Jamaïque, on les appelle des bakras. A Bequia (Grenadines), à la Grenade et dans le district de Dorsetshire Hill à St Vincent, mais également dans quelques Etats américains où ils émigrèrent au fil du temps, ils ont su conserver, incroyablement, leur identité ethnique.
Aux Antilles françaises où le phénomène est demeuré tabou, parfois file un brin de vérité. Ainsi dans Le Marronnage aux Antilles françaises au XVIIIe siècle, l'historien de l'esclavage Gabriel Debien écrit-il : « Le "marronnage" existait autant chez les servants blancs asservis par contrat que chez les esclaves noirs. » De sorte que si un marronnage blanc coexista avec le noir c'est parce que, dans la Caraïbe française, il y avait aussi des esclaves blancs.
"PAUVRES EN SURPLUS", OCCULTÉS PARCE QUE BLANCS
Officiellement, cette main-d'œuvre blanche - qui colonisa également l'Australie à partir de 1776 - est dite indentured servants ou « domestiques sous contrat ». Venus du Royaume-Uni, d'Irlande, d'Allemagne, ils payaient, prétend-on, leur passage d'un contrat de servage de quatre à sept ans. « Qu'ils soient "serviteurs" ou esclaves, souligne Richard Hostadter dans White Servitude, ils souffrirent la même cruelle et déracinante traversée de l'Atlantique. Furent confrontés à la même difficile acclimatation physique et psychologique. Furent contraints au même contact oppressif et intime avec un maître inconnu. Et si l'on prend en compte le nombre des fuites et des suicides, les conditions dans l'un et l'autre cas ne furent sans doute pas très différentes ».
Mais outre le fait que, après le Waltham Act de 1723, l'Angleterre déporta en Amérique par dizaines de milliers ses voleurs de pain, l'historien américain Michaël Hoffman démontra - dans They were Whites and they were Slaves - que les « indentured servants » ne représentèrent qu'une petite partie de la servitude blanche et que 50 % des Européens échoués dans les treize premières colonies, après 1609, y furent plus maltraités que les Noirs.
Les sources historiques ne manquent pas qui montrent la permanence de l'esclavage dans le Royaume-Uni. Le terme "kid-napper", déformation de "kid-nabber", voleur d'enfants, est ainsi défini par le Dictionnaire Anglais des Bas-Fonds : « Voleur d'êtres humains, spécialement d'enfants ; à l'origine destinés à être exportés vers les plantations d'Amérique du Nord. ». Dans toutes les grandes villes britanniques, écrit dans Enchaînés le journaliste John van der Zee, « des gangs loués par les marchands écumaient les rues, saisissant de force les enfants et les emmenant en troupeaux à travers la ville vers les baraques du port ».
Au XVIe et au XVIIe siècles, la traversée de l'océan prenait entre neuf et douze semaines sur des bateaux surchargés. Le taux de mortalité, de 10 à 20 % chez les Noirs, rapporte l'historienne Sharon Salinger, atteignait au moins 25 % chez les esclaves blancs. Selon Foster R. Dulles, « ils enduraient le même inconfort et les mêmes souffrances que les Noirs » et « les enfants survivaient rarement aux horreurs du voyage ». Horrifié, l'historien A.B. Ellis, rapportait dans The Argosy que cette « cargaison humaine n'avait jamais accès à l'air libre. Dans les cales d'en bas tout n'était qu'obscurité, lamentations, puanteur, maladie et mort », comme l'apprit à ses dépens Françoise d'Aubigné, la future Mme de Maintenon, dont le père perclus de dettes avait été déporté vers les Isles et dont l'épouse et la fille connurent après sa mort un quasi-servage. Le 6 mai 1893, Ellis ajoutait : « Peu de gens savent qu'entre 1649 et 1690, un florissant commerce de prisonniers politiques vendus comme esclaves, parfois à vie, existait entre l'Angleterre et ses colonies. ». Dans le Calendrier des Papiers Coloniaux, année 1701, est mentionnée la vente d'esclaves "anglais". Une « pratique très fréquente » qui apparaît dans la Caraïbe britannique dès 1627. Dans son Agenda Parlementaire, 1656-1659, Thomas Burton, évoque un débat sur le commerce vers le Nouveau Monde de Blancs britanniques qualifiés non d' indentured servants mais d'esclaves. Marcus Jernegan cite un nommé Mittelberg qui affirme avoir vu au cours d'une traversée jeter par-dessus bord 32 dépouilles d'enfants. Dans White Servitude in Colonial South Carolina, Warren Smith confirme que « les serviteurs blancs voyageaient dans les mêmes conditions que les esclaves africains ».
Les matelots embarqués de force à bord des navires corsaires ou de Sa Gracieuse Majesté, étaient traités comme les esclaves noirs qui représentaient parfois un quart des effectifs. Peter Lamborn Wilson écrit dans Utopies Pirates : « Les travailleurs de la mer constituaient une sorte de proto-prolétariat. Les conditions de travail des marines marchandes d'Europe offraient un tableau abominable du capitalisme naissant - et les conditions prévalant dans les marines de guerre étaient encore pires ». D'ailleurs, jusqu'au début du XXe siècle, ce seront les mêmes hommes qui défricheront l'Amérique, construiront routes et voies ferrées, assécheront les marais, s'épuiseront dans les usines tandis que les Noirs traînaillaient dans les plantations du Sud.
Inventeur en 1960 avec Stanley Engelman de la Cliométrie, méthode d'évaluation historique appuyée sur les mathématiques et les statistiques, Robert Fogel, Prix Nobel d'Economie 1993, ne se fit pas que des amis en démontrant que les conditions d'existence des Noirs dans les plantations du Sud étaient bien meilleures que celles des ouvriers (blancs) du Nord, exploités dans ce que William Blake appelait les usines de Satan. Comme dans l'Europe livrée au capitalisme sauvage et à la révolution industrielle. Ou l'Angleterre de Charles Dickens, où pour huit pence par jour des enfants de six ans travaillaient seize heures d'affilée dans les mines. Fouettés et frappés à coups de barres de fer - les billy-rollers - pour un mot ou un geste. Des dizaines de milliers d'entre eux furent estropiés, défigurés par un machinisme primitif. Sans compter le sort tragique de milliers d'orphelins ramoneurs.
Alors, Victor Schoelcher ou le sanglant abbé Henri Grégoire, qui n'eurent jamais un mot de compassion pour les Blancs asservis, se consacraient à l'émancipation noire. En Angleterre, Granville Sharp créait en 1760 la Société anti-esclavagiste et en 1787 le Comité Parlementaire pour l'Abolition. De grandes âmes y adhérèrent. William Wilberforce, Thomas Clarkson qui menèrent de bruyantes actions politiques. Aujourd'hui, on couvrirait d'honneurs ces militants d'une « philanthropie télescopique » selon la formule méprisante de Dickens. Lui savait quels étaient les traitements honteux infligés aux « pauvres en surplus » des faubourgs d'Europe.
Jim REEVES. Rivarol du 4 juillet 2008

jeudi 9 octobre 2008

Le coût de l'avortement

L'avortement pose un problème moral personnel, que chacun tente de résoudre selon ses croyances et opinions. Mais, sachons-le, il y a par-delà les clivages idéologiques une dimension économique au dilemme posé. D'après des estimations de la Banque mondiale, dans moins d'une génération, en 2025, la population du Nord devrait avoir baissé de 29 millions, alors que celle du Sud aura augmenté de 1,6 milliard. Les conséquences sur les pays de l'Europe de l'Ouest sont incalculables. Pourquoi ? Une étude sur l'avenir de la démographie mondiale et ses répercussions économiques récemment publiée va à l'encontre des idées reçues. Selon cette étude de la BNP, la forte croissance démographique dans le monde et particulièrement en Asie au cours des prochaines décennies devrait entraîner un déplacement de richesses des pays développés vers les pays émergents. L'appauvrissement de l'Europe est subséquemment inévitable. La Terre devrait compter 9 milliards d'individus ou plus d'ici à 2050 (contre 6 aujourd'hui), soit une croissance de 50 %, essentiellement concentrée en Asie et en Afrique, tandis que la population des pays développés devrait plafonner à 1,26 milliard de personnes.
En 2050, les plus de 60 ans seront 2 milliards et la proportion des inactifs par rapport aux actifs devrait passer de 11 % aujourd'hui à plus de 25 % en 2050 dans le monde. Ce choc démographique va induire un déplacement des richesses spectaculaire.
Avec le taux de fécondité le plus faible du monde, l'Europe devrait être la plus touchée, avec un manque à gagner estimé à 18 % (soit 0,35 % par an) suivie par l'Amérique du Nord (9,3 % soit 0,2 % par an). Tous les pays d'Europe occidentale sont menacés d'un appauvrissement sensible, avec une baisse du revenu par tête allant de 9 à 23 % selon les cas. Dans un tel contexte, le rapport 2008 intitulé l'« évolution de la famille en Europe » dressé par l'Institut de Politique Familial (IPF) présente des chiffres édifiants.
Il y a en Europe un avortement toutes les 27 secondes, et un divorce toutes les 30 secondes, pour un résultat de près d'un million de naissances en moins par rapport à 1980. Entre 2000 et 2007 la population de l'Union européenne a augmenté de 14,2 millions de personnes, mais 84 % de cette croissance (12 millions de personnes - "officiels") sont dus à l'immigration. Chaque année, l'Europe enregistre à cause de l'avortement, une baisse de population égale à celles que comptent le Luxembourg, Malte, la Slovénie et Chypre additionnés ; c'est-à-dire qu'un enfant sur cinq conçus (20 %) ne voit pas le jour. Sur 6 390 014 de grossesses en 2004, 1 167 683 ont été interrompues. Or, au risque de choquer ceux qui trouvent l'avortement du dernier chic, il y a un coût à ces cadences infernales : il se trouve que l'immigration a été la méthode choisie depuis 1975 pour suppléer à la défaillance des naissances, celle-ci s'expliquant par un ensemble de facteurs purement sociétaux qui frappe tant le monde occidental (modèle hédoniste axé sur la consommation, reconnaissance juridique du modèle homosexuel, affaiblissement des aspirations spirituelles, mais aussi difficultés de logement dues à la montée de l'immobilier ces trentes dernières années, etc.). L'immigration a certes été un leurre commode pour masquer les implications économiques du non-renouvellement des générations. Elle permet la survie artificielle du système de retraite par répartition, structurellement en faillite, mais à quel prix ? Les estimations convergentes de différentes études sur le sujet - incontestées et reprises dans la presse économique française - tournent toutes autour du chiffre ! probablement assez timide de 50 milliards d'euros par an de perte sèche pour la France. Les causes en sont au principal le taux de chômage des populations immigrées (entre 30 et 40 %) et les dispositifs d'aides subséquents (logements, santé, RMI, CMU, écoles, etc.) qui s'additionnent à proportion du dénuement et de la fertilité. Si, par hypothèse, la France cessait donc de recourir à l'immigration comme méthode de résolution du problème de la natalité, on arriverait au résultat assez incroyable que 85 % de son déficit public annuel serait résorbé ... Nous devons ajouter que le coût d'un avortement par voie médicamenteuse est d'environ 400 euros, et par intervention chirurgicale du double au moins, ce qui, multiplié par 200 à 250 000 actes chaque année fait tout de même une somme située entre 100 et 200 millions d'euros, que la Sécurité sociale, bonne fille, rembourse à hauteur de 80 %.
Dans ces conditions, sans heurter les convictions des adeptes de la liberté totale sur cette question, vécue comme un triomphe du droit citoyen, limiter - fût-ce d'une façon marginale - le remboursement de l'avortement aurait un effet forcément dissuasif. Ainsi, la baisse du nombre des actes abortifs pourrait être envisagée par des gouvernants avisés en matière de finances publiques comme une piste intéressante, sachant que l'avenir passe d'une part par la réduction drastique de l'intenable dette actuelle (1 300 milliard d'euros), et d'autre part par un sursaut démographique vital sur le plan économique.
Deux cas viennent à l'esprit : la raison futile, comme par exemple le départ en vacances, n'ouvrirait pas droit au remboursement ; chez les multirécidivistes de la chose (20 % des cas selon le Planning Familial), limiter le nombre d'avortements successifs remboursés ne semble pas liberticide non plus.
A cela s'ajoute un problème culturel : au rythme actuel de l'immigration, une étude démographique menée en 2004 par deux chercheurs du CNRS a clairement montré qu'en 2030, 42 % au moins des naissances en France seront le fait de personnes « issues de l'immigration » (sic).
Mais là, nous touchons à un autre enjeu, politiquement incorrect, où le couscous remplace à terme la poule au pot.
Grégoire DUHAMEL. Rivarol du 27 juin 2008

mardi 7 octobre 2008

Un Livre noir sur une période rouge

Il y eut un (remarquable) Livre noir du communisme rédigé sous la direction de Stéphane Courtois. Il y a maintenant un Livre noir de la Révolution française. La logique historique eût préféré que le second précédât le premier puisque l'on sait que Lénine s'inspira de la répression contre la Vendée pour ses méfaits en Russie. Mais l'idée de Livre noir étant excellente, elle a inspiré ce second ouvrage et c'est tant mieux.
NÉGATIONNISME ?
Ce livre a suscité polémique et mépris chez l'adversaire, qui n'hésite pas à crier au "négationnisme" bien que d'impeccables démocrates comme Jean Tulard, Emmanuel Le Roy Ladurie ou Mickaël Bar-Zvi y aient apporté leur contribution. Il a donc touché juste. Le mythe de la bienfaisante révolution prend sa claque. Le si consensuel René Rémond qui déclarait dans Les Droites en France : « Les réformes sociales de 1789 et le gouvernement parlementaire, bon gré mal gré, c'est là ce qu'on appelle une civilisation », avait tout faux. Nous le savions mais ce livre à plusieurs plumes mesurées, historiques et littéraires, le redit avec des arguments-massues pris dans les faits, les déclarations, les bilans des morts et des exils. Ce fut même le contraire d'une civilisation c'est-à-dire le retour à la barbarie. Paul Augustin d'Orcan cite Nietzsche : « Il est des rêveurs politiques et sociaux qui dépensent du feu et de l'éloquence à réclamer un bouleversement de tous les ordres, dans la croyance qu'aussitôt le plus superbe temple d'une telle humanité s'élèverait, pour ainsi dire, de lui-même. Malheureusement, on sait par des expériences historiques que tout bouleversement de ce genre ressuscite à nouveau les énergies les plus sauvages, les horreurs et les excès des âges reculés : que par conséquent un bouleversement peut bien être une source de force dans une humanité exténuée, mais ne peut jamais servir d'ordonnateur, d'architecte, d'artiste, de perfecteur de la nature humaine. » C'est plutôt une époque qui, « de viols d'innocentes en cannibalisme, d'ambulantes expositions de bustes sanguinolents en brandissement de gonades, exprime au nom des "droits de l'homme" les instincts les plus immondes. »
Une première partie présente les faits comme l'excellente étude sur le massacre du 10-Août par notre ami Ghislain de Diesbach. Texte particulièrement douloureux car il relate l'effroyable faiblesse de Louis XVI désarmant ses Suisses et livrant aux sauvages cette unité d'élite justement présente pour le protéger et dans laquelle on trouve bien sûr deux Diesbach, Hubert et Romain. Quand les descendants de ces victimes demandèrent en 1992 une messe à Notre-Dame de Paris, cela leur fut refusé. Elle eut lieu aux Invalides. Il ne fallait pas fâcher les thuriféraires de la révolution. Encore une lâcheté qui se paiera un jour car toutes les lâchetés se paient.
Autres études : celle de Jean de Viguerie sur la persécution antireligieuse, celle pleine d'humour de Pierre Chaunu sur la sécularisation des biens d'Eglise citant Jean de Viguerie ; « C'est à Talleyrand, sans honneur et sans vergogne, qu'appartient la honte d'avoir proposé le 10 octobre que, pour se donner les moyens de faire face à ses créanciers, l'Etat s'appropriât l'énorme richesse constituée par les biens du clergé. Ce qui implique, pour que l'opération soit rentable, que l'on vole, au profit des créanciers privilégiés, éventuellement pousse-au-crime des villes, Dieu, les enfants, les pauvres et les malades. »
DÉSHONORER L'ADVERSAIRE
Mais quel habillage juridique allait-on trouver pour justifier l'abolition du droit de propriété que les députés venaient de déclarer inviolable et sacré ? Tout rapprochement avec d'autres vols, maquillés en droits, à d'autres périodes révolutionnaires, comme en 1944-45, est permis et même conseillé. La même hypocrisie masque les mêmes appétits. Le droit révolutionnaire est abordé parfaitement par Xavier Martin. Un prêtre signe un article profond sur « Liberté, Egalité, Fraternité » ou l'impossibilité d'être fils si l'on ne se reconnaît plus de père puisqu'on l'a exécuté sur terre comme au ciel. Dû à Tancrède Josseran, un article sur la Royale, anéantie en pleine gloire et suprématie, rappelle avec justesse - et beaucoup d'humour là - aussi - que la démocratie révolutionnaire à bord des navires les mène sur les récifs ou à la défaite. « Cet esprit de corps, cet élitisme insupportable heurtaient de front les principes égalitaires de 1789. La Révolution va s'acharner à détruire, niveler, araser par tous les moyens. Les marins détonnaient par leur genre de vie, leurs habitudes, leur code de l'honneur. Ils formaient un univers bien à part en marge de la société. Les idées abstraites ne pouvaient que dérouter les gens de mer habitués à penser et agir en fonction de réalités bien concrètes. Car jusqu'à nouvel ordre les éléments déchaînés ne plient que rarement face à l'idéologie. »
Le sac des bibliothèques donne aussi un éclairage très signifiant sur l'époque. Sous la monarchie, le clergé, les aristocrates, quelques bourgeois ont des bibliothèques immenses couvrant tous les sujets. Il y a certes un enfer mais les livres existent. A la Révolution, ces bibliothèques sont volées et tout ce qui ne correspond pas à la doxa est brûlé, comme dans tout bon régime totalitaire qui se respecte.
Dans un article remarquable, Reynald Secher insiste sur le mémoricide des guerres de Vendée et cite une lettre rédigée par sept conventionnels désespérés de la tournure des événements en faveur des Blancs et qui indique le tactique à appliquer à tout prix pour gagner : « Il faut tout sacrifier pour mettre l'opinion de notre côté. Il faut supposer que les chefs insurgés ont voulu rompre le traité, se créer princes des départements qu'ils occupent ; que ces chefs ont des intelligences avec les Anglais ; qu'ils veulent leur offrir la côte, piller la ville de Nantes et s'embarquer avec le fruit de leurs rapines. » Tout cela est faux mais qu'importe, il s'agit de discréditer, de déshonorer l'adversaire. Encore un procédé qui fera école en d'autres temps.
La seconde partie offre des portraits d'écrivains peu enclins à admirer cette période, notre patron Antoine de Rivarol, Joseph de Maistre, Balzac, Maurras, Bernanos, Péguy ... D'inégale valeur, certains auteurs ayant des prudences révélatrices. Et la troisième partie, une anthologie de documents d'archives, apporte des richesses implacables.
Il faut remercier le Père Renaud Escande d'avoir fait ce livre et peut-être lui suggérer un second tome tant le sujet est vaste ... et contemporain. Il faut aussi éditer ce Livre noir en livre de poche afin que chaque jeune de France connaisse enfin la vérité.
Un autre ouvrage complète parfaitement ce Livre noir, la dernière étude du Dr Minh Dung Louis Nghiem intitulée Cannibalisme révolutionnaire. Ce médecin connaît bien les révolutions contemporaines. Etudiant à Paris, il n'avait pu rentrer chez lui au Vietnam, anéanti par les Rouges. Après une carrière médicale intense, il se consacre à l'étude du cerveau et aux dommages qu'une certaine musique fait subir au cerveau des jeunes qu'elle met en transes et réduit à l'état primitif. Elargissant ses recherches, il se rend compte que les révolutionnaires vivent les mêmes transes, abolissant tous les tabous de la civilisation. Ainsi le délicat Carrier peut-il dire lors de son procès : « Dans le département où j'ai donné la chasse aux prêtres, jamais je n'ai tant ri, éprouvé de plaisir qu'en leur voyant faire leurs grimaces en mourant. »
Et le charmant Marat de déclarer pour sa part : « Quand un homme manque de tout, il a le droit d'arracher à un autre le superflu dont il regorge. »
Le Dr Nghiem voit la révolution comme un immense défoulement qui ramène l'homme à l'état de mauvais sauvage. Et son diagnostic nous semble assez exact : « La civilisation, construite par l'homme en plusieurs dizaines de siècles, se défait inéluctablement, en passant d'abord par la destruction des lois naturelles de la politique (royauté d'un Fils du Ciel, père du peuple) en 1789 puis des lois naturelles de l'économie, par la victoire du communisme, en 1917. Enfin des lois naturelles des mœurs en mai 1968 avec l'exaltation du sexe par la victoire des doctrines psychanalytiques. Toutes ces péripéties ont permis à l'homme de se dénuder progressivement des constructions de ses ancêtres. Et bientôt déchirant le dernier "blue-jean ", il ne nous restera que des "strings" et des étuis péniens. » Et l'on pourra tranquillement revenir à l'état de nature en s'ensauvageant, mais sans devenir pour autant de Bons Sauvages.
Anne Brassié Rivarol du 13 juin 2008
Le Livre noir de la révolution française. Editions du Cerf. 882 pages, 44 €. Cannibalisme révolutionnaire par L. Nghiem. Editions de Paris. 160 pages, 15 €.

lundi 6 octobre 2008

28 mai 1794 : Une sanglante vengeance républicaine

Perché sur une colline, au pied du mythique mont Ventoux et à peu de distance du monastère du Barroux, le village provençal de Bédoin offre aujourd'hui au promeneur le charme de ses rues pittoresques, montant vers l'église de style jésuite. Comment imaginer qu'une tragédie ait pu ensanglanter un lieu si paisible ? Et pourtant ...
Tout est arrivé à cause d'un arbre. Un végétal, certes, peu ordinaire puisqu'il s'agissait d'un « arbre de la Liberté », symbole adopté comme message d'une nouvelle ère par les partisans de la Révolution française à partir de 1790 (le premier fut planté en mai de cette année-là par le curé d'un village de la Vienne, pour célébrer l'installation des nouvelles autorités municipales). Ce faisant, les révolutionnaires récupéraient au service de leur idéologie un très ancien thème mythique de l'imaginaire européen. L'arbre a en effet été perçu dès la protohistoire comme un réceptacle du sacré, la demeure du divin. Lui qui plonge ses racines dans la terre et dresse ses frondaisons vers le ciel, il est le lien entre les forces souterraines et les forces célestes, il est porteur de l'influx vital, il est arbre de Vie. Sa sève est son sang. En Grèce Dionysos descend aux enfers et en remonte pour apporter ces rameaux verts avec lesquels il est représenté sur les vases de la Grèce archaïque, tandis qu'un rameau sacré - une branche d'olivier - était porté en procession vers le temple d'Apollon lorsque, au mois de mai, les adolescents partaient en forêt recevoir la formation et l'initiation qui feraient d'eux des guerriers. Chez les Celtes, c'est aussi en forêt, et au mois de mai, que l'élite des jeunes gens partait, groupée derrière des chefs, pour devenir des fiana, chargés d'une autorité sacrée faisant d'eux des intermédiaires entre le monde des vivants et celui des morts.
Quant aux Germains, leur arbre sacré, par excellence, était le frêne Yggdrasill, l'Arbre du Monde sous lequel les dieux tenaient conseil. Chez les Saxons, il s'appelait lrminsul et Charlemagne espéra briser la résistance saxonne en le détruisant. Au Moyen Age, Robin, un héros défenseur du peuple, ne s'appelait pas pour rien « des bois ». Et une certaine Jeanne d'Arc se souvenait des joies enfantines autour de « l'arbre aux fées » de Domrémy ...
L'Eglise médiévale se soucia de faire disparaître la vénération, jugée païenne, des arbres sacrés. Mais, rappelle Marie-France Houdart (Arbres de Mai, Maiade éditions, 2008), « issue du monde sémite des déserts du Proche-Orient, où l'arbre rare était facile à abattre, la religion nouvelle se heurtait à forte partie en prétendant convaincre les populations du monde romain, germain, celte ou grec, descendantes de ces peuples longtemps familiers des grandes forêts d'Europe centrale et tempérée, de se détourner de leurs arbres et de leurs bois sacrés ». Eurent peu de résultats les efforts et interdits des saints (Martin Benoît, Eloi) et des synodes et conciles (Arles, Ve s., Agde et Auxerre, VIe s., Tolède, VIIe s., Paderborn et Aix-la- Chapelle, VIIIe s., Szaboles et Londres, XIe et XIIe s., Trèves, XIIIe s.).
On comprend facilement, du coup, cette tradition si enracinée du "Mai" : pour célébrer la venue du printemps c'est à dire le temps du renouveau, de la renaissance cyclique et éternelle de la vie, on plante un arbre enrubanné autour duquel la jeunesse va chanter, danser, rire et festoyer.
C'est cette ancestrale coutume que les révolutionnaires voulurent détourner à leur profit : généralement orné de rubans et de cocardes tricolores, souvent coiffé d'un bonnet phrygien, « l'arbre de la Liberté » avait vocation à témoigner, au centre des villages, des « immortels principes » imposés par les nouveaux maîtres du pouvoir. On estime à environ 60 000 le nombre de ces arbres plantés en 1792.
Las ! Des esprits chagrins y voyaient un symbole de tyrannie plutôt que de liberté ... Ce fut le cas dans le village de Bédoin où une main impie arracha « l'arbre de la Liberté » dans la nuit du 4 mai 1794. La vertu révolutionnaire outragée réagit immédiatement : l'avocat Etienne Maignet, délégué de la Convention, décréta le 17 mai que le village de Bédoin était devenu, de ce fait, « pays ennemi que le fer et la flamme doivent détruire ». Ce n'était pas simple morceau d'éloquence républicaine : le 28 mai, 67 habitants furent les uns fusillés, les autres guillotinés, tandis que 450 maisons étaient brûlées. Louis Gabriel Suchet, chef du 4e bataillon de l'Ardèche, écrivit à Maignet : « Ton génie révolutionnaire surpasse tous nos désirs. »
Pierre VIAL. Rivarol du 30 mai 2008

dimanche 5 octobre 2008

Portrait impitoyable d'un impitoyable dictateur

LENINE, LA CAUSE DU MAL
• Refusant toujours de s'être trompés de bout en bout sur la révolution bolchévique et l'empire soviétique, beaucoup d'ex-Staliniens continuent à prétendre que Lénine a été le prophète d'un humanisme radieux, dont l'œuvre généreuse aurait été occultée et trahie par ses successeurs à la tête du plus redoutable État totalitaire du siècle.
Comme si le fondateur de l'Iskra (l'Etincelle) et de la Pravda (La Vérité ou la Justice, le mot russe est le même) ne portait pas dans son système, comme la nuée porte l'orage, la Tchéka et le Goulag ! Lénine ne serait finalement qu'un doctrinaire du socialisme assez semblable à ces philosophes du Siècle des Lumières, qu'on innocente de la Terreur révolutionnaire ...
Il fallait sans doute un écrivain d'origine russe, Paul Mourousy, savant biographe de plusieurs de ses compatriotes, de Potemkine à Raspoutine en passant par Catherine II ou Alexandre III, pour retracer ce que fut la carrière de ce moderne tyran. Ce livre n'est pas tant une nouvelle histoire de la révolution de 1917 que le portrait psychologique d'un homme singulier, tout au long des diverses étapes de sa marche vers le pouvoir.
Cette fantastique ascension s'explique tout autant par la faiblesse parfois criminelle de ses adversaires que par une fantastique volonté et une confiance sans faille dans ses analyses et ses décisions.
Sa trajectoire ne se comprend que par la rencontre, en un même personnage d'exception, des deux types d'hommes les plus antinomiques : l'intellectuel et l'activiste. Pendant un demi-siècle, cet être à l'aspect insignifiant à la silhouette de «rond-de-cuir», va se livrer à une colossale exégèse des écrits de Karl Marx, tout en créant de toute pièce l'organisation révolutionnaire la plus strictement militarisée qui se puisse imaginer.
Quel homme était-il ? On sait que Viadimir llitch Oulianov est né à Simbirsk en 1870, d'un père haut fonctionnaire de l'Enseignement tsariste. Après avoir choisi le pseudonyme de Lénine, lors d'une déportation en Sibérie sur les bords de l'Iénissei, il rappelera lui-même ses origines :
« Mi-Kalmouk, mi étranger »
« Mon père était certainement un Kalmouk d'Astrakhan et ma mère est née Blank, un nom-d'origine étrangère. J'ai hérité des Kalmouks le courage de n'avoir de respect pour rien, le désir de tout détruire et de vouloir reprendre l'édifice d'un monde nouveau sur les ruines de l'ancien... D'ailleurs, qu'importe si c'est un Russe qui a fabriqué le marteau ou la scie dont vous vous servez ? Qu'importe si c'est un Russe, un Juif, un Letton ou un Nègre qui vous dote d'un Etat socialiste, pourvu qu'il vous le donne ! Il est interdit de reculer. Si vous n'êtes pas des nôtres, tout de suite au mur pour être fusillé. Et si vous êtes avec nous, alors au travail. Sans répit, sans condition, faisons s'écrouler le maudit capitalisme.»
Lénine n'a jamais au grand jamais, été démocrate et prétendra : « II vaut mieux dix personnes intelligentes que cent imbéciles ». Il se veut, bien entendu, fondamentalement anti-occidental et aime à rappeler qu'il est né sur les rives de la Volga dans une Russie déjà eurasienne, sans insister trop sur le fait que cet ouvriériste acharné appartenait à la petite bourgeoisie cultivée et que sa grand-mère, Mme Blank, provenait d'un milieu israélite allemand qui n'avait rien de prolétarien. Il n'aimait pas rappeler sa pieuse jeunesse, lui qui devait poursuivre la religion d'une haine tenace : « C'est de la vodka de basse qualité, la sivoukha, dont le peuple se grise pour oublier ses souffrances ».
Par contre, il fait grand cas de son frère aîné Alexandre, pendu après un complot avorté contre le tsar. Il s'écartera pourtant du nihilisme romantique et terroriste de la génération précédente pour bâtir « scientifiquement » un parti qu'aucun scrupule ne saurait arrêter.
Peu lui importe que les Bolchéviks (c'est à dire, pendant un temps, les « majoritaires ») soient devenu ultra-minoritaires parmi les sociaux-démocrates et tous les autres groupes d'opposition.
Lénine avance comme un somnambule persuadé de détenir la Vérité avec un grand V. En un sens, cet athée est un fantastique croyant. Il ne croit certes pas en Dieu, mais à une cause, celle de la lutte des classes érigée en dogme. Et il ne croit d'ailleurs en lui-même qu'en tant qu'infaillible serviteur de cette cause ; il n'a pas d'appétit de pouvoir personnel et n'en est que plus dangereux. C'est finalement une sorte de Robespierre tartare, totalement insensible, incapable d'un autre élan que celui d'une haine qui va tout emporter. Que pèse le pauvre Nicolas II et ses vélléités naïves et généreuses contre un « tel gourou » de l'agitation et de la propagande ?
Mourousy insite bien sur les étapes de sa formation, à commencer par la prison et l'exil. C'est un nouveau départ après chaque épreuve. Que l'adversité le rende plus dur et plus fort est évident.
Ce livre ne consacre qu'un chapitre à ce qui advient entre la prise du pouvoir et la mort du vieux lutteur en 1924, un 21 janvier (comme Louis XVI), dans son lit et gâteux.
L'écrivain Gorki, qui fut naguère son partisan, écrira : « Lénine est un fourbe au sang-froid qui ne se soucie ni de l'honneur ni de la vie du prolétariat ».
Impitoyable dictateur
On sait comment sera réprimée la révolte des marins rouges de Cronstadt en 1921, au moment où le parti venait d'adopter officiellement l'adjectif de communiste. Mais on ignore que si la police tsariste, l'Okhrana, comptait seulement quinze mille agents après plus de trente ans d'existence, la Tchéka, créée en 1917, en réunira à son origine trente-sept mille qui seront cent quarante mille dès 1921 ! En saluant cette police politique qui deviendra par la suite Guépéou, puis NKVD, puis KGB, Lénine parlera des « braves tchékistes » :
« Croyez-vous que l'on puisse faire une révolution sans fusiller ? » lancera-t-il à ses contradicteurs.
La conclusion du livre de Mourousy est celle d'un réquisitoire sans appel : « Si l'on examine d'un peu plus près les actes et les écrits de Lénine, au cours de ces cinq années où il exerce vraiment le pouvoir, on s'aperçoit ( ... ) que tous les vices et les crimes du régime stalinien proviennent de ses méthodes et de ses défauts. Renforcé à chaque nouveau succès, dans son incommensurable orgueil, ne tenant aucun compte des échecs, qu'il impute à ses collaborateurs mais jamais à lui-même, ne tolérant aucune contradiction, ni chez ses ennemis qu'il envoie à la mort, ni chez ses amis qu'il élimine des postes de commande, il s'est comporté dès le départ en impitoyable dictateur ».
Jean MABIRE National Hebdo du 28 janvier au 3 février 1993
Paul Mourousy : Lénine, la cause du mal, 300 pages, Perrin
Portrait impitoyale d'un impitoyable dictateur
LENINE, LA CAUSE DU MAL
• Refusant toujours de s'être trompés de bout en bout sur la révolution bolchévique et l'empire soviétique, beaucoup d'ex-Staliniens continuent à prétendre que Lénine a été le prophète d'un humanisme radieux, dont l'œuvre généreuse aurait été occultée et trahie par ses sucesseurs à la tête du plus redoutable Etat totalitaire du siècle.
Comme si le fondateur de l'Iskra (l'Etincelle) et de la Pravda (La Vérité ou la Justice, le mot russe est le même) ne portait pas dans son système, comme la nuée porte l'orage, la Tchéka et le Goulag ! Lénine ne serait finalement qu'un doctrinaire du socialisme assez semblable à ces philosophes du Siècle des Lumières, qu'on innocente de la Terreur révolutionnaire ...
Il fallait sans doute un écrivain d'origine russe, Paul Mourousy, savant biographe de plusieurs de ses compatriotes, de Potemkine à Raspoutine en passant par Catherine II ou Alexandre III, pour retracer ce que fut la carrière de ce moderne tyran. Ce livre n'est pas tant une nouvelle histoire de la révolution de 1917 que le portrait psychologique d'un homme singulier, tout au long des diverses étapes de sa marche vers le pouvoir.
Cette fantastique ascension s'explique tout autant par la faiblesse parfois criminelle de ses adversaires que par une fantastique volonté et une confiance sans faille dans ses analyses et ses décisions.
Sa trajectoire ne se comprend que par la rencontre, en un même personnage d'exception, des deux types d'hommes les plus antinomiques : l'intellectuel et l'activiste. Pendant un demi-siècle, cet être à l'aspect insignifiant à la silhouette de «rond-de-cuir», va se livrer à une colossale exégèse des écrits de Karl Marx, tout en créant de toute pièce l'organisation révolutionnaire la plus strictement militarisée qui se puisse imaginer.
Quel homme était-il ? On sait que Viadimir llitch Oulianov est né à Simbirsk en 1870, d'un père haut fonctionnaire de l'Enseignement tsariste. Après avoir choisi le pseudonyme de Lénine, lors d'une déportation en Sibérie sur les bords de l'Iénissei, il rappelera lui-même ses origines :
« Mi-Kalmouk, mi étranger »
« Mon père était certainement un Kalmouk d'Astrakhan et ma mère est née Blank, un nom-d'origine étrangère. J'ai hérité des Kalmouks le courage de n'avoir de respect pour rien, le désir de tout détruire et de vouloir reprendre l'édifice d'un monde nouveau sur les ruines de l'ancien... D'ailleurs, qu'importe si c'est un Russe qui a fabriqué le marteau ou la scie dont vous vous servez ? Qu'importe si c'est un Russe, un Juif, un Letton ou un Nègre qui vous dote d'un Etat socialiste, pourvu qu'il vous le donne ! Il est interdit de reculer. Si vous n'êtes pas des nôtres, tout de suite au mur pour être fusillé. Et si vous êtes avec nous, alors au travail. Sans répit, sans condition, faisons s'écrouler le maudit capitalisme.»
Lénine n'a jamais au grand jamais, été démocrate et prétendra : « II vaut mieux dix personnes intelligentes que cent imbéciles ». Il se veut, bien entendu, fondamentalement anti-occidental et aime à rappeler qu'il est né sur les rives de la Volga dans une Russie déjà eurasienne, sans insister trop sur le fait que cet ouvriériste acharné appartenait à la petite bourgeoisie cultivée et que sa grand-mère, Mme Blank, provenait d'un milieu israélite allemand qui n'avait rien de prolétarien. Il n'aimait pas rappeler sa pieuse jeunesse, lui qui devait poursuivre la religion d'une haine tenace : « C'est de la vodka de basse qualité, la sivoukha, dont le peuple se grise pour oublier ses souffrances ».
Par contre, il fait grand cas de son frère aîné Alexandre, pendu après un complot avorté contre le tsar. Il s'écartera pourtant du nihilisme romantique et terroriste de la génération précédente pour bâtir « scientifiquement » un parti qu'aucun scrupule ne saurait arrêter.
Peu lui importe que les Bolchéviks (c'est à dire, pendant un temps, les « majoritaires ») soient devenu ultra-minoritaires parmi les sociaux-démocrates et tous les autres groupes d'opposition.
Lénine avance comme un somnambule persuadé de détenir la Vérité avec un grand V. En un sens, cet athée est un fantastique croyant. Il ne croit certes pas en Dieu, mais à une cause, celle de la lutte des classes érigée en dogme. Et il ne croit d'ailleurs en lui-même qu'en tant qu'infaillible serviteur de cette cause ; il n'a pas d'appétit de pouvoir personnel et n'en est que pius dangereux. C'est finalement une sorte de Robespierre tartare, totalement insensible, incapable d'un autre élan que celui d'une haine qui va tout emporter. Que pèse le pauvre Nicolas II et ses vélléités naïves et généreuses contre un « tel gourou » de l'agitation et de ia propagande ?
Mourousy insite bien sur les étapes de sa formation, à commencer par la prison et l'exil. C'est un nouveau départ après chaque épreuve. Que l'adversité le rende plus dur et plus fort évident.
Ce livre ne consacre qu'un chapitre à ce qui advient entre la prise du pouvoir et la mort du vieux lutteur en 1924, un 21 janvier (comme Louis XVI), dans son lit et gâteux.
L'écrivain Gorki, qui fut naguère son partisan, écrira : « Lénine est un fourbe au sang-froid qui ne se soucie ni de l'honneur ni de la vie du prolétariat ».
Impitoyable dictateur
On sait comment sera réprimée la révolte des marins rouges de Cronstadt en 1921, au moment où le parti venait d'adopter officiellement l'adjectif de communiste. Mais on ignore que si la police tsariste, l'Okhrana, comptait seulement quinze mille agents après plus de trente ans d'existence, la Tchéka, créée en 1917, en réunira à son origine trente-sept mille qui seront cent quarante mille dès 1921! En saluant celle police politique qui deviendra par la suite Guépéou, puis NKVD, puis KGB, Lénine parIera des « braves tchékistes » :
« Croyez-vous que l'on puisse faire une révolution sans fusiller ? » lancera-t-il à ses contradicteurs.
La conclusion du livre de Mourousy est celle d'un réquisitoire sans appel : « Si l'on examine d'un peu plus près les actes et les écrits de Lénine, au cours de ces cinq annnées où il exerce vraiment le pouvoir, on s'aperçoit ( ... ) que tous les vices et les crimes du régime stalinien proviennent de ses méthodes et de ses défauts. Renforcé à chaque nouveau succès, dans son incommensurable orgueil, ne tenant aucun compte des échecs, qu'il impute à ses collaborateurs mais jamais à lui-même, ne tolérant aucune contradiction, ni chez ses ennemis qu'il envoie à la mort, ni chez ses amis qu'il élimine des postes de commande, il s'est comporté dès le départ en impitoyable dictateur ».
Jean MABIRE National Hebdo du 28 janvier au 3 février 1993
Paul Mourousy : Lénine, la cause du mal, 300 pages, Perrin

vendredi 3 octobre 2008

Les communistes du «souterrain»

Jean Moulin, le héros de la Résistance, l'envoyé spécial du général de Gaulle en France sous l'Occupation, et dont la dépouille repose au Panthéon, était-il tout bonnement un agent du KGB ?
Question quasiment sacrilège qui m'aurait valu, si je m'étais permis de la formuler, une très lourde condamnation. D'autant que le célèbre résistant Henri Frenay, qui avait seulement suggéré ses attaches communistes, s'était vu, en la circonstance, condamné.
Et voici que la question resurgit, brutale. Coup sur coup, avec un grand article d'Annie Kriegel et d'Henri-Christian Giraud, qui fait la « Une » du Figaro-Magazine ; avec un livre bourré de révélations de Thierry Wolton, Le grand recrutement (1), interviewé dans le même numéro du Fig-Mag, et lors d'une émission, « La marche du siècle ».
« Descendre dans le souterrain » est une expression propre à certains militants communistes qui signifiait : passer à l'action clandestine.
Cette action pouvait prendre Deux formes : militer pour l'appareil clandestin du parti communiste qui a existé dès sa fondation, mais qui a pris une importance plus grande dans certaines circonstances tendues : l'occupation de la Ruhr en 1923 ; l'action défaitiste du parti communiste français, après sa dissolution, prononcée par le ministre de l'Intérieur, le socialiste Sérol ; la période qui va, sous l'Occupation, de juin 1941 (après entrée des troupes allemandes en Union soviétique), à août 1944 ; la guerre d'Indochine, celle d'Algérie ...
Dans son interview au Fig-Mag, Wolton évoque la figure d'un agent du GRU (service de renseignement de l'armée soviétique), Harry Robinson, qui opère comme recruteur d'espions dans les milieux communistes, ou para-communistes, tout de suite après la création du Komintern par Lénine en 1919 .
Robinson a continué à agir pendant la guerre. Et Wolton assure qu'il a obtenu, auprès d'un service occidental, la collection de ses messages secrets expédiés à Moscou. Il indique de même que Robinson a été livré à la Gestapo par le fameux Trepper, le « héros » de l'Orchestre Rouge, selon le très communisant Gilles Perrault.
Le service créé par Robinson n'est qu'une section des activités soviétiques en France, avant la guerre. Opère aussi le réseau du fameux général Muraille (pseudonyme d'un Balte dont l'identité, à notre connaissance, n'a jusqu'ici jamais été percée, mais que les archives soviétiques devraient aujourd'hui révéler).
Muraille, secondé par un communiste français, Emile Bougère (que j'ai bien connu et qui a laissé un volume de souvenirs inédits), est à la tête du réseau des « Rabcors ».
Rabcors est l'abréviation de « Rabonichki Korrespondanti » correspondants ouvriers). Ceux-ci en Russie, avant la prise du pouvoir par Lénine, étaient les agents d'information du parti bolchevik dans les entreprises.
A partir de 1927, un réseau identique qui regroupe plus de 2 000 correspondants, est constitué dans les entreprises françaises. Une page spéciale lui est consacrée dans L'Humanité.
En réalité, il s'agit d'une simple couverture pour l'espionnage industriel, particulièrement dans les entreprises qui travaillent pour la Défense nationale.
L'homme qui sélectionne ces agents pour le compte de Muraille, n'est autre qu'Emile Bougère. Des travailleurs dans les entreprises deviennent ainsi les espions des Soviétiques sans même s'en douter. Quelque temps plus tard, un autre réseau est constitué sous la direction d'un Polonais d'origine juive, Isaïa Birr, alias « Fantômes ». Trepper aurait pu travailler avec lui (2).
La gauche du parti radical
C'est dire l'importance et la diversité du « souterrain ».
Revenons à Robinson. Annie Kriegel et Giraud, dans leur article, établissent un parallèle entre le Trinity College de Cambridge, dans les années 30, et, à la même période, l'aile gauche du parti radical.
En Grande-Bretagne, le Trinity College de Cambridge fut la matrice des célèbres agents soviétiques Burgess, MacLean, Anthony Blunt et Philby
Ils indiquent que du militantisme politique, ils glissèrent à l'espionnage. Ils ne précisent pas que pour certains d'entre eux, l'homosexualité fut un facteur non négligeable.
« En France, écrivent-ils, mutatis mutandis, le scénario fut le même. Le vivier, ce n'est pas Trinity College et ses jeunes étudiants, mais l'aile gauche du parti radical et ses jeunes politiciens groupés d'abord autour du plus titré et du plus brillant d'entre eux, Pierre Cot, puis au sein de son cabinet quand Pierre Cot devient ministre, qui plus est ministre de l'Air. »
Ici, il faut citer un livre, complètement occulté par les médias, L'affaire Jean Moulin. La contre-enquête (préface de Jacques Soustelle), de Charles Benfredj, qui fut l'avocat du résistant Henri Frenay.
C'est Henri Frenay, le premier, qui attira l'attention sur la personnalité énigmatique de Jean Moulin. Avant guerre, celui-ci avait été surnommé le « Préfet rouge » lorsqu'il était en poste à Rodez, en 1937, et « Moulin rouge » à Amiens, en 1935.
Dans une lettre qu'il écrivit au colonel Passy le 13 juillet 1950, Frenay indiquait : « Jean Moulin avait été avant la guerre le chef de cabinet de Pierre Cot, communiste déguisé en radical, prototype accompli des actuels fellow-travellers (compagnons de route). Qui a-t-il choisi pour le seconder, c'est-à-dire pour user de ces pouvoirs dictatoriaux que nous avons si durement combattus ? Ils étaient trois : le colonel Manhès, l'actuel président de la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes, organisation communiste.
Meunier et Chambeiron, tous deux actuellement députés communistes ... Jean Moulin, selon nous, a été l'homme du parti communiste.» (3)
Être l'homme du parti communiste est une chose. Être un agent soviétique en est une autre.
D'où l'intérêt du livre de Wolton. En fonction de documents de la Gestapo récupérés par les Alliés, il établit la réalité du contact entre Moulin et Robinson.
« Moulin et Robinson commentent Annie Krieger Giraud - ont collaboré dès la guerre d'Espagne... mais aussi pendant la guerre de 1939 à 1942. »
Réseau secret
Toujours selon cette source :
1) Les relations Robinson-Moulin sont antérieures à la désignation de ce dernier par De Gaulle, comme délégué de la France libre auprès de Résistance intérieure.
2) Interrogé par le KGB après la guerre, Trepper déclare. « Harry (Robinson) obtenait des informations de grande valeur de la part de Moulin. »
3) « "Les papiers Robinson" publiés par Wolton indiquent d'autre part que Moulin a fourni des informations à Robinson à l'époque du pacte germano-soviétique, donc avant son départ pour Londres. »
Passons à d'autres personnages qui constituent ce qu'il faut bien appeler un réseau secret. Dans le livre de Benfredj (4), on lit :
« Cot et Moulin ont été en relation quasi hebdomadaire nous le savons par ses déclarations (celles de Cot) dans Action (15 juin 1945) - comme vraisemblablement ils l'étaient tout aussi secrètement avec André Labarthe.» L'un était donc aux USA, l'autre auprès de Giraud, et le troisième au cœur du dispositif de De Gaulle.
Toujours selon la même source (c'est-à-dire Frenay), Pierre Cot était en liaison avec une madame Dangon. Elle le recevait fréquemment et s'occupait avant-guerre de sa propagande électorale.
Cette madame Dangon n'était autre que la femme de l'imprimeur communiste (de L'Humanité entre autres). C'est ce personnage que les communistes Tréand et Denise Ginollin « contactèrent », aussitôt après leur entrevue avec le lieutenant Weber de la Propagandastaffel, le 18 juin 1940, en vue de faire reparaître L'Huma. Ce qui ne put se faire, en raison de l'opposition de Vichy.
Récapitulons : sous l'Occupation, Moulin est à Londres, auprès de De Gaulle. Quand il vient clandestinement en France, il est l'homme-clé qui distribue les fonds aux divers mouvements de résistance. Le second, Pierre Cot, opère aux Etats-Unis, dans les milieux américains. Et le troisième homme, André Labarthe, est bien placé à Alger, auprès du général Giraud, c'est-à-dire de la Résistance de droite. Voilà une «troïka» redoutablement efficace.
A propos de Labarthe, on lit dans les Mémoires de Peter Wright, ancien directeur du MI 5 (Services secrets britanniques) publiés aux Etats-Unis sous le titre Spycalcher (Dell International Edition, août 1988) :
« En 1964, nous décryptâmes un message qui prouvait sans doute possible que Labarthe avait, durant cette période, travaillé comme espion soviétique... je découvris qu'un autre politicien français, Pierre Cot, ministre de l'Air du gouvernement Daladier d'avant-guerre, était également un espion soviétique ... J'obtins l'autorisation de fournir à la DST les renseignements prouvant que Cot et Labarthe étaient des espions soviétiques. Ils étaient âgés mais encore actifs sur le plan politique et cela me paraissait de bonne précaution. J'allais à Paris, au siège de la DST, au début de 1965. Je fus reçu par Marcel Chalet, sous-directeur du service ... II était violemment anticommuniste et pourtant admirait Jean Moulin, lui-même communiste plus que tout autre.. Malheureusement, Labarthe mourut d'une crise cardiaque pendant que Marcel [Chalet] l'interrogeait, et on laissa Cot en paix. » (5)
Ce texte est étonnant. Cot y est traité d'espion dans un livre paru aux Etats-Unis. Le fils Cot a-t-il engagé des poursuites ?
Mais il y a plus étonnant encore. Quoi ! Labarthe meurt d'une crise cardiaque pendant son interrogatoire, dans une enceinte de police ? Quelle magnifique occasion, pour un Gilles Perrault, par exemple, de s'indigner et de crier à l'assassinat ! Avec toute l'orchestration de la presse communiste, du Monde, de Témoignage Chrétien, de La Croix, de la Télévision, des chaînes de radio, etc...
Dites, avez-vous entendu quelque chose ? Pour ma part, rien.
Cela prouve que la cause de Labarthe était indéfendable. Et quand un espion soviétique meurt, son décès est escamoté.
Dernier point qui n'est pas abordé dans l'article du Figaro-Magazine, ni dans le livre de Wolton.
Dans le livre Lamia, nom de code de l'auteur, Thyraud de Vosjoli, agent de renseignement de la Résistance, resté aux Etats-Unis après la perte de l'Algérie française, il est clairement indiqué qu'à l'Elysée, dans l'entourage immédiat de De Gaulle, opérait un espion soviétique. Trois ou quatre pistes à ce sujet ont été évoquées. Peut-être les archives soviétiques nous livreront-elles un jour le nom attendu ?
Voilà qui pourrait intéresser Pierre Joxe qui, sous Gorbatchev, est allé rendre une petite visite aux successeurs du KGB et dont le père occupa avant-guerre le poste de directeur-adjoint du cabinet de Pierre Cot.
Roland GAUCHER National Hebdo du 11 au 17 février 1993
(1) Ed. Grasset
(2) Sur ces réseaux, cf. Roland Gaucher. Histoire secrète du Parti communiste français (Albin Michel, éd.)
(3) Benfredj L'Affaire Jean Moulin p. 62 et p. 63 (Albin Michel)
(4) o.c. p. 85
(5) o. p.65