samedi 31 mai 2008

Le passé trouble du PC français

Août 1939-juin 1941, l'appel de Cachin : les attentats anti-allemands sont condamnés
Le 18 juin 1940 (mais oui, cela ne s'invente pas), Maurice Tréand, Denise Ginollin et Suzanne Schrod, envoyés spéciaux du PC clandestin puisque dissous officiellement par le gouvernement Daladier - se présentent chez le lieutenant Weber, munis de laissez-passer de la Propagandastaffel. Ce lieutenant allemand est chargé des affaires de presse dans la France occupée. Les envoyés spéciaux, tous membres du Comité central, viennent demander à cet organisme national-socialiste de censure l'autorisation de faire reparaître L'Humanité. Par un autre circuit, certainement celui de Jean Catelas, lui aussi membre du Comité central clandestin, les Allemands ont reçu une demande de reparution signée Jacques Duclos.
Les Allemands semblent, a priori, disposés à accepter la reparution du journal, au vu des maquettes et de la ligne politique proposée. Mais la police française, la police de Vichy, arrête les envoyés spéciaux qui seront libérés sept jours plus tard sur ordre des services allemands.
A peine dehors, les communistes relancent les discussions. Celles-ci échouent car, à Vichy, Doriot s'agite comme un beau diable et obtient gain de cause. L'Humanité pro-allemande ne reparaîtra pas officiellement.
Le gouvernement du maréchal , Pétain a rendu, ce jour-là, involontairement un fieffé service aux hommes de Moscou !
Duclos pensait que les Allemands, maintenant alliés des Soviétiques, donneraient l'autorisation tant attendue. C'est une grande déception pour le parti clandestin.
Car la vérité jamais écrite par aucun « spécialiste » est que les communistes voulaient surtout mettre en place un autre gouvernement dirigé par eux avec l'accord de l'Allemagne nazie et l'aide de l'URSS.
La direction clandestine, bien cachée et bien nourrie dans une cave aménagée de banlieue (cave où elle « fera » toute la guerre ...) ne comprend pas!
Le PC, clandestin contre sont gré !
L'Humanité clandestine du 13 juillet 1940 ne publiait-elle pas encore: « Les conversations amicales entre travailleurs parisiens et soldats allemands se multiplient. Nous en sommes très heureux. Apprenons à nous connaître. »
Devant si peu de reconnaissance et de récompense de la part de l'occupant national-socialiste, cette même direction, qui n'est, à l'époque, traquée que par la police française, donne une directive suicidaire. Elle exige que tous ses députés et tous ses responsables qui ne sont pas internés pour trahison - depuis la dissolution du 25 septembre 1939 - réintègrent leurs mairies et leurs permanences.
De leur côté, des centaines de députés et hauts cadres communistes arrêtés et internés par la République française restent emprisonnés sous la responsabilité de l'Etat français. Obéissant aux ordres, beaucoup de responsables communistes reprendront contact avec leurs électeurs ou avec leurs militants.
Pour que la trahison soit complète et dans l'espoir d'une prise de pouvoir à la botte des nationaux-socialistes alliés de Moscou, de sa prison, Marcel Cachin écrira même une lettre de vingt pages pour expliquer la politique du PCF et condamner les attentats contre les soldats allemands.
Cela permet aux nationaux-socialistes de le libérer et d'utiliser une partie de sa lettre pour faire une affiche « collaborationniste ». Lui aussi, mais il est vrai qu'il est très âgé, fera la guerre, planqué dans la cave d'un pavillon de banlieue. En août 1944, il reprendra sa place de directeur de L'Humanité, sans pour autant que cela ne fasse de vagues dans la rédaction ....
La dissolution du PCF par Daladier et l'emprisonnement de nombreux élus et cadres communistes a créé une situation difficile pour le parti. Clandestin, mais désirant ne plus l'être, il fait de la corde raide, espérant toujours une intervention favorable de Moscou.
Députés communistes, témoins à charge?
Le 19 décembre 1940, François Billoux, sur ordre de la direction clandestine du parti, écrivait au maréchal Pétain à Vichy et demandait, au nom de tous les députés communistes emprisonnés, de pouvoir se présenter comme témoin à charge au procès de Riom, pour y dénoncer la guerre faite à Hitler, les impérialistes anglais et leurs complices français, Blum en tête... ..
Et il terminait sa lettre par : « Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, l'assurance de ma haute considération. »
Là aussi, le refus circonstanciel de Vichy fut, pour la suite, une sacrée aubaine pour la légende communiste!
Durant des mois, toutes les actions anti-allemandes furent interdites par la direction clandestine du parti. Elles furent dénoncées comme provocatrices, y compris les inscriptions sur les murs. Des groupes OS (Organisation spéciale) et des groupes TP (Travail particulier) étaient chargés, aux ordres directs des politiques, de liquider les « provocateurs ». Furent abattus ainsi plusieurs responsables locaux qui avaient commencé la lutte contre l'occupant. Ce fut entre autres le cas de Désiré, jeune dirigeant de Seine-Maritime. Le « maquisard » Georges Guingouin, qui ne fit pas dans la dentelle par la suite, faillit subir le même sort en 1941.
Continuant sur sa lancée, la direction clandestine - rappelons qu'elle est clandestine du fait de la dissolution du PCF par le gouvernement légal, le 25 septembre 1939 pour haute trahison - continue à forger son utopie et publie en septembre 1940 ce communiqué qui en dit long:
« L'URSS de Lénine et de Staline, pays du socialisme et espoir des travailleurs du monde, est le rempart de la paix comme elle vient de le montrer, une fois de plus, en réglant pacifiquement avec la Roumanie la question de la Bessarabie et de la Bukovine du Nord. En défendant le pacte germano-soviétique, en août 1939, nous avons opposé à la politique des fauteurs de guerre, la politique stalinienne de paix et aujourd'hui, nous avons conscience de servir la cause de la paix et de l'indépendance de notre pays en demandant la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique. »
Le 4 octobre 1939, Thorez déserte et rejoint Moscou en traversant l'Allemagne nazie.
A la même époque, largement diffusé et surtout axé contre Vichy, mais pas contre les nationaux-socialistes, sur deux pages complètes, imprimé impeccablement, paraît l'appel intitulé Peuple de France qui se veut le programme d'un soi-disant « gouvernement du peuple au service du peuple » mais surtout au service des nationaux-socialistes pour complaire à Moscou et au génial petit père des peuples Joseph Staline qui avait officiellement félicité Hitler quand ses troupes étaient entrés dans Paris.
En juin 1941, quand l'Allemagne se retourna brusquement contre l'URSS les communistes dits Français firent un demi-tour à 180°, prêchèrent la résistance à mort contre les nationaux-socialistes qui étaient cependant les mêmes, quelques jours avant...
Alors, il fallut remettre de l'ordre à tous les échelons. Il fallait tenter d'effacer tout ce qui avait été fait et dit pendant les vingt-deux mois de lune de miel Hitler-Staline. Toute honte bue, les « historiens » du PC inventèrent totalement une imaginaire vie du PCF pendant ces mois fatidiques qui, sans Vichy, auraient été mortels pour le parti de M. Thorez ... M. Hue ne serait certainement pas là aujourd'hui...
A entendre ces messieurs, le général De Gaulle n' aurait pas été le seul à engager la résistance contre l'occupant. Le PCF aurait appelé aux armes dès le 10 juillet 1940. Pour prouver l'improuvable, un faux appel fut fabriqué de toutes pièces, ainsi que de faux numéros de L'Humanité clandestine.
Las! L'appel qui devait faire pièce à celui de De Gaulle ne collait pas très bien : même en mentant beaucoup et avec assurance, ce n'était pas très facile de falsifier à ce point l' Histoire ...
Un jour pourtant, il faudra que cette époque honteuse soit inscrite dans les livres d'Histoire de nos enfants. Et il serait bon, alors, qu'en première page soit reproduite cette déclaration ahurissante de L'Humanité clandestine du 15 mai 1940 (clandestine sous le gouvernement français), au moment même où les armées allemandes déferlaient sur la France: « Quand deux gangsters se battent entre eux, les honnêtes gens n'ont pas à secourir l'un d'entre eux sous prétexte que l'autre lui a porté un coup irrégulier. »
Si l'attaque de l'URSS par l'Allemagne nazie changea du tout au tout la conduite des communistes, ils eurent surtout l'impérative nécessité de tenter de camoufler leur conduite pendant près de deux années. Ils faussaient totalement l'histoire et à la libération, ils racontèrent «des histoires». Ils devinrent les plus grands menteurs et les seuls vrais révisionnistes.
Ils échouèrent en partie mais réussirent à intoxiquer assez « d'idiots utiles » pour que leur « légende utopique » surnage encore aujourd'hui.
Roger Holeindre National Hebdo du 9 au 15 décembre 1999

Des crimes du PC ne faisons pas table rase

Le livre noir du communisme (II)
« Du passé faisons table rase » : ce début de couplet de l'Internationale a toujours été appliqué par les communistes de tous poils, surtout à propos de leurs échecs et de leurs crimes, innombrables. En son temps, Le Livre Noir du Communisme, publié sous la direction de Stéphane Courtois, malgré son épaisseur, et en dépit de son caractère très méritoire, n'avait pas tout dit. Ce que proclame, avec honnêteté, la bande qui entoure le dernier-né fin 2002, réalisé sous la direction du même, Du passé faisons table rase, qui part à la recherche d'atrocités du communisme en Europe. A l'heure où Chirac, prisonnier de sa jeunesse marxiste, rend hommage sur hommage au PC "français", il est utile et nécessaire de se rafraîchir la mémoire au sujet d'une « utopie meurtrière » dont les crimes européens sont tout aussi monstrueux que les tueries asiatiques, africaines ou sud-américaines.

Seize historiens de plusieurs pays, dont un Français, Philippe Baillet, ont déterré les dossiers que les communistes et leurs ailiés souhaitaient oubliés à jamais, Le tabou qui interdisait de stigmatiser les horreurs marxistes a certes été ébranlé par la chute des bastions les plus importants du système, et d'abord à Moscou, mais son influence perverse et dangereuse subsiste, Quand on voit, comme le cite S Courtois une Arlette Laguillier, la trotskiste si sentimentale, aux pleurs si spontanés, dire à propos du Livre Noir, que ses auteurs étaient de « prétendus historiens », des « falsificateurs à l'œuvre », il ne suffit pas de hausser les épaules, car Chirac agit officiellement en accord avec Lutte Ouvrière, Et toute une campagne systématique, l'organe officieux Le Monde en tête, se sert de Hitler pour tenter d'effacer le caractère criminel du communisme, Le directeur du Monde en personne, Jean-Marie Colombani, se distingue avec une hypocrisie consommée, parlant d'« absence de méthode » lorsqu'on évoque les tueries communistes, et caressant l'idée d'un Livre noir du capitalisme, ce qui réserverait des surprises, car Colombani apprendrait alors, qu'il le veuille ou non, l'étroite collaboration entre les financiers mondiaux, d'une part, Lénine, Staline, Mao d'autres part. Face aux auxiliaires honteux des Tchékas, Securitate et Stasi, le devoir de vigilance et de mémoire s'impose, car l'occultation du passé préparera demain l'acceptation d'autres crimes de même inspiration.

L'ordinaire des tueurs rouges


Alexandre lakovlev, dirigeant du PC soviétique finissant, et qui fut un artisan de sa liquidation, donne dans cette œuvre collective une remarquable analyse des schémas d'assassinats, du point de vue des léninistes, copiés tous leurs successeurs, Il qualifie de manière pertinente le bolchevisme de « maladie sociale du XXe siècle », et il énumère les responsabilités qui furent d'emblée celles du communisme : le coup d'Etat, sanglant et illégal, d'« Octobre Rouge » ; le déclenchement de la plus terrible des guerres, la guerre civile (13 millions de morts en tout) ; la destruction de la paysannerie russe; l'anéantissement des Eglises chrétiennes et non chrétiennes exécution des prêtres, mise à bas des lieux de culte) ; liquidation des couches traditionnelles de la société (officiers, nobles, intellectuels, commerçants, industriels, etc,) instauration des exécutions administratives, sans jugement, généralisation de la torture, installation des camps de concentration où sont internés même des enfants, usage des gaz asphyxiants (vingt millions de morts) ; étouffement de toute liberté (interdiction de tous mouvements de pensée, de toute expression non contrôlée) ; représailles écoeurantes contre les prisonniers de guerre sovietiques rapatriés après 1945, alors que le PC était responsable de leur capture au cours du conflit; persécutions systématiques contre les scientifiques, les médecins, les écrivains, les artistes; pratique des proces racistes et de campagnes criminelles contre les « dissidents »; ruine économique et morale d'un pays immense; enfin, « instauration d'une dictature contre l'être humain, son honneur, sa dignité et sa liberté », Tout ceci fut rigoureusement imitée par les marxistes du monde entier.

Estonie, pays martyr


Quand on regarde un petit pays de un million d'habitants au début du siècle passé, l'Estonie, - le communisme dès décembre 1918 se déchaîne avec toutes ces caractéristiques léninistes. Voici des « échantillons » concernant la religion: un pasteur a les yeux crevés et périt sous la torture. En janvier 1919, dans la cave d'une Caisse d'Epargne, les rouges tuent dix-neuf personnes, dont un aumônier luthérien, un évêque orthodoxe, un archiprêtre, qui s'était opposé, une décennie plus tôt, à ce qu'on mette hors d'état de nuire des révolutionnaires. Les Soviétiques furent vaincus militairement et durent pour le moment arrêter leurs crimes, Mais ils se rattrapèrent sur les Estoniens vivant en URSS, en jetant près de 70 000 dans des camps de concentration où ils périrent par milliers. Les chefs du PC d'Estonie en exil furent abattus en 1937-1938. Début 1939, 2.360 Estoniens communistes étaient dans le goulag. Fin septembre 1939 l'Armée rouge de Staline occupe l'Estonie, qui n'oppose pas de résistance. En juin 1940, le pays est annexé à l'URSS. La terreur se déclenche, Des arrestations par milliers, des exécutions, des massacres purs et simples (78 personnes abattues dans des villas au printemps 1941). L'élite estonienne, traduite en justice, vit pleuvoir les condamnations à mort, perpétrées après minuit. Les déportations « familiales » se développèrent, plus de dix mille personnes, à quoi il faut ajouter 12 000 soldats estoniens « arrêtés ». Dans un pays de un million d'habitants. A partir de la guerre germano-soviétique, fin juin 1941, ces chiffres sont pulvérisés, et des méthodes sauvages de mise à mort remplacent les balles dans la nuque et les pelotons de fusilleurs, Les incendies de bâtiments sont la règle. A l'été 1941, 3.247 fermes sont détruites, ainsi que 19 mairies, 102 bâtiments coopératifs, 79 écoles, et beaucoup de maisons. Le tout sans la moindre utilité militaire. Le 8 juillet 1941, à la prison de Tartu, 192 détenus, parce que « bourgeois » sont massacrés, dont des écrivains, des artistes, des prêtres. Dans des îles côtières, le sadisme communiste battit tous les records: prisonniers ébouillantés, yeux arrachés, seins coupés aux femmes (95 cadavres sur une seule île). Au total, sur cette période, on n'a pu identifier que 2.199 assassinés.
Et la France ?

La suite fut de la même horreur ordinaire pendant la guerre, où Staline se servit comme de chair à canon des Estoniens sur son sol. Afin de se disculper de leurs premières vagues de crimes, les communistes tentèrent au procès de Nuremberg de charger au maximum les Allemands. Les recherches effectuées ont fait tomber les 125 000 victimes imputées au Reich à 6 600, En revanche, les communistes ajoutèrent à leur palmarès de 1918-1919 et de 1939-1941 celui de 1944-45, d'une ampleur sans précédent 75 000 arrestations dont au moins 35 % de fusillés, ou tués autrement, et des déportations eurent lieu encore en 1949. Arrêtons là cet unique exemple, sur un peuple de un million d'habitants.

De bien plus grands pays Roumanie, Hongrie, Grèce... ont subi le déferlement des barbares.
Ce qui est arrivé chez eux aussi ne doit pas être oublié. Du passé ne faisons pas table rase. Reste un souhait : qu'un jour, le tableau des crimes du communisme en France soit établi de façon exhaustive. Car sur notre sol aussi, les disciples de Lénine ont sévi, tuant dans toutes les catégories (paysans, « bourgeois » ou ouvriers), toutes les opinions (gens de droite ou d'extrême gauche, gaullistes ou maréchalistes), assassinant des réfugiés accueillis par la France, A quand ce travail ?

Alexandre MARTIN, National Hebdo du 16 au 23 janvier 2003.
Du passé faisons table rase, sous la direction de Stéphane Courtois, éditions Robert Laffont, 576 pages, 22,95 euros.

jeudi 22 mai 2008

L’exil du peuple juif est un mythe

L’historien Shlomo Sand affirme que l’existence des diasporas de Méditerranée et d’Europe centrale est le résultat de conversions anciennes au judaïsme. Pour lui, l’exil du peuple juif est un mythe, né d’une reconstruction à postériori sans fondement historique. Entretien.

Parmi la profusion de héros nationaux que le peuple d’Israël a produits au fil des générations, le sort n’aura pas été favorable à Dahia Al-Kahina qui dirigea les Berbères de l’Aurès, en Afrique du Nord. Bien qu’elle fût une fière juive, peu d’Israéliens ont entendu le nom de cette reine guerrière qui, au septième siècle de l’ère chrétienne, a unifié plusieurs tribus berbères et a même repoussé l’armée musulmane qui envahissait le nord de l’Afrique. La raison en est peut-être que Dahia Al-Kahina était née d’une tribu berbère convertie semble-t-il plusieurs générations avant sa naissance, vers le 6e siècle.

D’après l’historien Shlomo Sand, auteur du livre « Quand et comment le peuple juif a-t-il été inventé ? » (aux éditions Resling - en hébreu), la tribu de la reine ainsi que d’autres tribus d’Afrique du Nord converties au judaïsme sont l’origine principale à partir de laquelle s’est développé le judaïsme séfarade. Cette affirmation, concernant les origines des Juifs d’Afrique du Nord à partir de tribus locales qui se seraient converties - et non à partir d’exilés de Jérusalem - n’est qu’une composante dans l’ample argumentation développée dans le nouvel ouvrage de Sand, professeur au département d’Histoire de l’Université de Tel Aviv.

Dans ce livre, Sand essaie de démontrer que les Juifs qui vivent aujourd’hui en Israël et en d’autres endroits dans le monde, ne sont absolument pas les descendants du peuple ancien qui vivait dans le royaume de Judée à l’époque du premier et du second Temple. Ils tirent leur origine, selon lui, de peuples variés qui se sont convertis au cours de l’Histoire en divers lieux du bassin méditerranéen et régions voisines. Non seulement les Juifs d’Afrique du Nord descendraient pour la plupart de païens convertis, mais aussi les Juifs yéménites (vestiges du royaume Himyarite, dans la péninsule arabique, qui s’était converti au judaïsme au quatrième siècle) et les Juifs ashkénazes d’Europe de l’Est (des réfugiés du royaume khazar converti au huitième siècle).

A la différence d’autres « nouveaux historiens » qui ont cherché à ébranler les conventions de l’historiographie sioniste, Shlomo Sand ne se contente pas de revenir sur 1948 ou sur les débuts du sionisme, mais remonte des milliers d’années en arrière. Il tente de prouver que le peuple juif n’a jamais existé comme « peuple-race » partageant une origine commune mais qu’il est une multitude bigarrée de groupes humains qui, à des moments différents de l’Histoire, ont adopté la religion juive. D’après Sand, chez certains penseurs sionistes, cette conception mythique des Juifs comme peuple ancien conduit à une pensée réellement raciste : « Il y a eu, en Europe, des périodes où, si quelqu’un avait déclaré que tous les Juifs appartenaient à un peuple d’origine non juive, il aurait été jugé antisémite séance tenante. Aujourd’hui, si quelqu’un ose suggérer que ceux qui sont considérés comme juifs, dans le monde (...) n’ont jamais constitué et ne sont toujours pas un peuple ni une nation, il est immédiatement dénoncé comme haïssant Israël » (p. 31).

D’après Sand, la description des Juifs comme un peuple d’exilés, errant et se tenant à l’écart, qui « ont erré sur mers et sur terres, sont arrivés au bout du monde et qui, finalement, avec la venue du sionisme, ont fait demi-tour pour revenir en masse sur leur terre orpheline », cette description ne relève que d’une « mythologie nationale ». Tout comme d’autres mouvements nationaux en Europe, qui ont revisité un somptueux âge d’or pour ensuite, grâce à lui, fabriquer leur passé héroïque - par exemple, la Grèce classique ou les tribus teutonnes - afin de prouver qu’ils existaient depuis fort longtemps, « de même, les premiers bourgeons du nationalisme juif se sont tournés vers cette lumière intense dont la source était le royaume mythologique de David » (p. 81).

Mais alors, quand le peuple juif a-t-il réellement été inventé, selon l’approche de Sand ? « Dans l’Allemagne du 19e siècle, à un certain moment, des intellectuels d’origine juive, influencés par le caractère ‘volkiste’ du nationalisme allemand, se sont donné pour mission de fabriquer un peuple "rétrospectivement", avec la soif de créer une nation juive moderne. A partir de l’historien Heinrich Graetz, des intellectuels juifs commencent à esquisser l’histoire du judaïsme comme l’histoire d’un peuple qui avait un caractère national, qui est devenu un peuple errant et qui a finalement fait demi-tour pour revenir dans sa patrie. »
http://www.voxnr.com/

L’exil du peuple juif est un mythe (suite)

Shlomo Sand, historien du 20e siècle, avait jusqu’à présent étudié l’histoire intellectuelle de la France moderne (dans son livre « L’intellectuel, la vérité et le pouvoir », Am Oved éd., 2000 - en hébreu), et les rapports entre le cinéma et l’histoire politique (« Le cinéma comme Histoire », Am Oved, 2002 - en hébreu). D’une manière inhabituelle pour des historiens de profession, il se penche, dans son nouveau livre, sur des périodes qu’il n’avait jamais étudiées - généralement en s’appuyant sur des chercheurs antérieurs qui ont avancé des positions non orthodoxes sur les origines des Juifs.

En fait, l’essentiel de votre livre ne s’occupe pas de l’invention du peuple juif par le nationalisme juif moderne mais de la question de savoir d’où viennent les Juifs.
« Mon projet initial était de prendre une catégorie spécifique de matériaux historiographiques modernes, d’examiner comment on avait fabriqué la fiction du peuple juif. Mais dès que j’ai commencé à confronter les sources historiographiques, je suis tombé sur des contradictions. Et c’est alors ce qui m’a poussé - je me suis mis au travail, sans savoir à quoi j’aboutirais. J’ai pris des documents originaux pour essayer d’examiner l’attitude d’auteurs anciens - ce qu’ils avaient écrit à propos de la conversion. »

Des spécialistes de l’histoire du peuple juif affirment que vous vous occupez de questions dont vous n’avez aucune compréhension et que vous vous fondez sur des auteurs que vous ne pouvez pas lire dans le texte.
« Il est vrai que je suis un historien de la France et de l’Europe, et pas de l’Antiquité. Je savais que dès lors que je m’occuperais de périodes anciennes comme celles-là, je m’exposerais à des critiques assassines venant d’historiens spécialisés dans ces champs d’étude. Mais je me suis dit que je ne pouvais pas en rester à un matériel historiographique moderne sans examiner les faits qu’il décrit. Si je ne l’avais pas fait moi-même, il aurait fallu attendre une génération entière. Si j’avais continué à travailler sur la France, j’aurais peut-être obtenu des chaires à l’université et une gloire provinciale. Mais j’ai décidé de renoncer à la gloire. »
« Après que le peuple ait été exilé de force de sa terre, il lui est resté fidèle dans tous les pays de sa dispersion et n’a pas cessé de prier et d’espérer son retour sur sa terre pour y restaurer sa liberté politique » : voilà ce que déclare, en ouverture, la Déclaration d’Indépendance. C’est aussi la citation qui sert de préambule au troisième chapitre du livre de Shlomo Sand, intitulé « L’invention de l’Exil ». Aux dires de Sand, l’exil du peuple de sa terre n’a en fait jamais eu lieu.
« Le paradigme suprême de l’envoi en exil était nécessaire pour que se construise une mémoire à long terme, dans laquelle un peuple-race imaginaire et exilé est posé en continuité directe du "Peuple du Livre" qui l’a précédé », dit Sand ; sous l’influence d’autres historiens qui se sont penchés, ces dernières années, sur la question de l’Exil, il déclare que l’exil du peuple juif est, à l’origine, un mythe chrétien, qui décrivait l’exil comme une punition divine frappant les Juifs pour le péché d’avoir repoussé le message chrétien. « Je me suis mis à chercher des livres étudiant l’envoi en exil - événement fondateur dans l’Histoire juive, presque comme le génocide ; mais à mon grand étonnement, j’ai découvert qu’il n’y avait pas de littérature à ce sujet. La raison en est que personne n’a exilé un peuple de cette terre. Les Romains n’ont pas déporté de peuples et ils n’auraient pas pu le faire même s’ils l’avaient voulu. Ils n’avaient ni trains ni camions pour déporter des populations entières. Pareille logistique n’a pas existé avant le 20e siècle. C’est de là, en fait, qu’est parti tout le livre : de la compréhension que la société judéenne n’a été ni dispersée ni exilée. »

Si le peuple n’a pas été exilé, vous affirmez en fait que les véritables descendants des habitants du royaume de Judée sont les Palestiniens.
« Aucune population n’est restée pure tout au long d’une période de milliers d’années. Mais les chances que les Palestiniens soient des descendants de l’ancien peuple de Judée sont beaucoup plus élevées que les chances que vous et moi en soyons. Les premiers sionistes, jusqu’à l’insurrection arabe, savaient qu’il n’y avait pas eu d’exil et que les Palestiniens étaient les descendants des habitants du pays. Ils savaient que des paysans ne s’en vont pas tant qu’on ne les chasse pas. Même Yitzhak Ben Zvi, le second président de l’Etat d’Israël, a écrit en 1929, que "la grande majorité des fellahs ne tirent pas leur origine des envahisseurs arabes, mais d’avant cela, des fellahs juifs qui étaient la majorité constitutive du pays". »

Et comment des millions de Juifs sont-ils apparu tout autour de la Méditerranée ?
« Le peuple ne s’est pas disséminé, c’est la religion juive qui s’est propagée. Le judaïsme était une religion prosélyte. Contrairement à une opinion répandue, il y avait dans le judaïsme ancien une grande soif de convertir. Les Hasmonéens furent les premiers à commencer à créer une foule de Juifs par conversions massives, sous l’influence de l’hellénisme. Ce sont les conversions, depuis la révolte des Hasmonéens jusqu’à celle de Bar Kochba, qui ont préparé le terrain à la diffusion massive, plus tard, du christianisme. Après le triomphe du christianisme au 4e siècle, le mouvement de conversion a été stoppé dans le monde chrétien et il y a eu une chute brutale du nombre de Juifs. On peut supposer que beaucoup de Juifs apparus autour de la mer Méditerranée sont devenus chrétiens. Mais alors, le judaïsme commence à diffuser vers d’autres régions païennes - par exemple, vers le Yémen et le Nord de l’Afrique. Si le judaïsme n’avait pas filé de l’avant à ce moment-là, et continué à convertir dans le monde païen, nous serions restés une religion totalement marginale, si même nous avions survécu. »

Comment en êtes-vous arrivé à la conclusion que les Juifs d’Afrique du Nord descendent de Berbères convertis ?
« Je me suis demandé comment des communautés juives aussi importantes avaient pu apparaître en Espagne. J’ai alors vu que Tariq Ibn-Ziyad, commandant suprême des musulmans qui envahirent l’Espagne, était berbère et que la majorité de ses soldats étaient des Berbères. Le royaume berbère juif de Dahia Al-Kahina n’avait été vaincu que 15 ans plus tôt. Et il y a, en réalité, plusieurs sources chrétiennes qui déclarent que beaucoup parmi les envahisseurs d’Espagne étaient des convertis au judaïsme. La source profonde de la grande communauté juive d’Espagne, c’étaient ces soldats berbères convertis au judaïsme. »

Aux dires de Sand, l’apport démographique le plus décisif à la population juive dans le monde s’est produit à la suite de la conversion du royaume khazar - vaste empire établi au Moyen-âge dans les steppes bordant la Volga et qui, au plus fort de son pouvoir, dominait depuis la Géorgie actuelle jusqu’à Kiev. Au 8e siècle, les rois khazars ont adopté la religion juive et ont fait de l’hébreu la langue écrite dans le royaume. A partir du 10e siècle, le royaume s’est affaibli et au 13e siècle, il a été totalement vaincu par des envahisseurs mongols et le sort de ses habitants juifs se perd alors dans les brumes.
Shlomo Sand revisite l’hypothèse, déjà avancée par des historiens du 19e et du 20e siècles, selon laquelle les Khazars convertis au judaïsme seraient l’origine principale des communautés juives d’Europe de l’Est. « Au début du 20e siècle, il y a une forte concentration de Juifs en Europe de l’Est : trois millions de Juifs, rien qu’en Pologne », dit-il ; « l’historiographie sioniste prétend qu’ils tirent leur origine de la communauté juive, plus ancienne, d’Allemagne, mais cette historiographie ne parvient pas à expliquer comment le peu de Juifs venus d’Europe occidentale - de Mayence et de Worms - a pu fonder le peuple yiddish d’Europe de l’Est. Les Juifs d’Europe de l’Est sont un mélange de Khazars et de Slaves repoussés vers l’Ouest. »

Si les Juifs d’Europe de l’Est ne sont pas venus d’Allemagne, pourquoi parlaient-ils le yiddish, qui est une langue germanique ?
« Les Juifs formaient, à l’Est, une couche sociale dépendante de la bourgeoisie allemande et c’est comme ça qu’ils ont adopté des mots allemands. Je m’appuie ici sur les recherches du linguiste Paul Wechsler, de l’Université de Tel Aviv, qui a démontré qu’il n’y avait pas de lien étymologique entre la langue juive allemande du Moyen-âge et le yiddish. Le Ribal (Rabbi Yitzhak Bar Levinson) disait déjà en 1828 que l’ancienne langue des Juifs n’était pas le yiddish. Même Ben Tzion Dinour, père de l’historiographie israélienne, ne craignait pas encore de décrire les Khazars comme l’origine des Juifs d’Europe de l’Est et peignait la Khazarie comme la "mère des communautés de l’Exil" en Europe de l’Est. Mais depuis environ 1967, celui qui parle des Khazars comme des pères des Juifs d’Europe de l’Est est considéré comme bizarre et comme un doux rêveur. »

Pourquoi, selon vous, l’idée d’une origine khazar est-elle si menaçante ?
« Il est clair que la crainte est de voir contester le droit historique sur cette terre. Révéler que les Juifs ne viennent pas de Judée paraît réduire la légitimité de notre présence ici. Depuis le début de la période de décolonisation, les colons ne peuvent plus dire simplement : "Nous sommes venus, nous avons vaincu et maintenant nous sommes ici" - comme l’ont dit les Américains, les Blancs en Afrique du Sud et les Australiens. Il y a une peur très profonde que ne soit remis en cause notre droit à l’existence. »

Cette crainte n’est-elle pas fondée ?
« Non. Je ne pense pas que le mythe historique de l’exil et de l’errance soit la source de ma légitimité à être ici. Dès lors, cela m’est égal de penser que je suis d’origine khazar. Je ne crains pas cet ébranlement de notre existence, parce que je pense que le caractère de l’Etat d’Israël menace beaucoup plus gravement son existence. Ce qui pourra fonder notre existence ici, ce ne sont pas des droits historiques mythologiques mais le fait que nous commencerons à établir ici une société ouverte, une société de l’ensemble des citoyens israéliens. »

En fait, vous affirmez qu’il n’y a pas de peuple juif.
« Je ne reconnais pas de peuple juif international. Je reconnais un "peuple yiddish" qui existait en Europe de l’Est, qui n’est certes pas une nation mais où il est possible de voir une civilisation yiddish avec une culture populaire moderne. Je pense que le nationalisme juif s’est épanoui sur le terreau de ce "peuple yiddish". Je reconnais également l’existence d’une nation israélienne, et je ne lui conteste pas son droit à la souveraineté. Mais le sionisme, ainsi que le nationalisme arabe au fil des années, ne sont pas prêts à le reconnaître.
« Du point de vue du sionisme, cet Etat n’appartient pas à ses citoyens, mais au peuple juif. Je reconnais une définition de la Nation : un groupe humain qui veut vivre de manière souveraine. Mais la majorité des Juifs dans le monde ne souhaite pas vivre dans l’Etat d’Israël, en dépit du fait que rien ne les en empêche. Donc, il n’y a pas lieu de voir en eux une nation. »

Qu’y a-t-il de si dangereux dans le fait que les Juifs s’imaginent appartenir à un seul peuple ? Pourquoi serait-ce mal en soi ?
« Dans le discours israélien sur les racines, il y a une dose de perversion. C’est un discours ethnocentrique, biologique, génétique. Mais Israël n’a pas d’existence comme Etat juif : si Israël ne se développe pas et ne se transforme pas en société ouverte, multiculturelle, nous aurons un Kosovo en Galilée. La conscience d’un droit sur ce lieu doit être beaucoup plus souple et variée, et si j’ai contribué avec ce livre à ce que moi-même et mes enfants puissions vivre ici avec les autres, dans cet Etat, dans une situation plus égalitaire, j’aurai fait ma part.
« Nous devons commencer à œuvrer durement pour transformer ce lieu qui est le nôtre en une république israélienne, où ni l’origine ethnique, ni la croyance n’auront de pertinence au regard de la Loi. Celui qui connaît les jeunes élites parmi les Arabes d’Israël, peut voir qu’ils ne seront pas d’accord de vivre dans un Etat qui proclame n’être pas le leur. Si j’étais Palestinien, je me rebellerais contre un tel Etat, mais c’est aussi comme Israélien que je me rebelle contre cet Etat. »

La question est de savoir si, pour arriver à ces conclusions-là, il était nécessaire de remonter jusqu’au royaume des Khazars et jusqu’au royaume Himyarite.
« Je ne cache pas que j’éprouve un grand trouble à vivre dans une société dont les principes nationaux qui la dirigent sont dangereux, et que ce trouble m’a servi de moteur dans mon travail. Je suis citoyen de ce pays, mais je suis aussi historien, et en tant qu’historien, j’ai une obligation d’écrire de l’Histoire et d’examiner les textes. C’est ce que j’ai fait. »

Si le mythe du sionisme est celui du peuple juif revenu d’exil sur sa terre, que sera le mythe de l’Etat que vous imaginez ?
« Un mythe d’avenir est préférable selon moi à des mythologies du passé et du repli sur soi. Chez les Américains, et aujourd’hui chez les Européens aussi, ce qui justifie l’existence d’une nation, c’est la promesse d’une société ouverte, avancée et opulente. Les matériaux israéliens existent, mais il faut leur ajouter, par exemple, des fêtes rassemblant tous les Israéliens. Réduire quelque peu les jours de commémoration et ajouter des journées consacrées à l’avenir. Mais même aussi, par exemple, ajouter une heure pour commémorer la "Nakba", entre le Jour du Souvenir et la Journée de l’Indépendance. »
notes
Shlomo Sand est né en 1946 à Linz (Autriche) et a vécu les deux premières années de sa vie dans les camps de réfugiés juifs en Allemagne. En 1948, ses parents émigrent en Israël, où il a grandi. Il finit ses études supérieures en histoire, entamées à l’université de Tel-Aviv, à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris. Depuis 1985, il enseigne l’histoire de l’Europe contemporaine à l’université de Tel-Aviv. Il a notamment publié en français : « L’Illusion du politique. Georges Sorel et le débat intellectuel 1900 » (La Découverte, 1984), « Georges Sorel en son temps », avec J. Julliard (Seuil, 1985), « Le XXe siècle à l’écran » (Seuil, 2004). « Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël » (Fayard, 2006)

Source : Ofri Ilani, Haaretz, 21 mars 2008, traduit de l’hébreu par Michel Ghys pour Protection Palestine

mercredi 21 mai 2008

ALAIN DE BENOIST REVIENT SUR MAI 68

La commémoration de Mai 68 revient tous les dix ans, avec la même marée de livres et d'articles. Nous sommes au quatrième épisode, et les barricadiés du « joli mois de mai » ont aujourd'hui l'âge d'être grands-pères. Quarante ans après, on discute toujours de savoir ce qui s'est exactement passé durant ces journées-là - et même s'il s'est passé quelque chose. Mai 68 a-t-il été un catalyseur, une cause ou une conséquence ? A-t-il inauguré ou simplement accéléré une évolution de la société qui se serait produite de toute façon ? Psychodrame ou mutation ?

La France a le secret des révolutions courtes. Mai 68 n'a pas échappé à la règle. La première « nuit des barricades » eut lieu le 10 mai. La grève générale se déclencha le 13 mai. Le 30 mai, le général De Gaulle prononçait la dissolution de l'Assemblée nationale, tandis qu'un million de ses partisans défilaient sur les Champs-Elysées. Dès le 5 juin, le travail reprenait dans les entreprises, et quelques semaines plus tard, aux élections législatives, les partis de droite remportaient une victoire en forme de soulagement.

Par rapport à ce qui se déroula à la même époque, ailleurs en Europe, on note tout de suite deux différences. La première, c'est qu'en France, Mai 68 ne fut pas seulement une révolte étudiante. Ce fut aussi un mouvement social, à l'occasion duquel la France fut paralysée par près de 10 millions de grévistes, Déclenchée le 13 mai par les syndicats, on assista même à la plus grande grève générale jamais enregistrée en Europe.

L'autre différence, c'est l'absence de prolongement terroriste du mouvement. La France n'a pas connu de phénomènes comparables à ce qu'ont été en Allemagne la Fraction armée rouge (RAF) , ou en Italie les Brigades rouges. Les causes de cette « modération » ont fait l'objet de nombreux débats. Lucidité ou lâcheté ? Réalisme ou humanisme ? L'esprit petit-bourgeois qui dominait déjà la société est sans doute l'une des raisons pour lesquelles l'extrême gauche française n'a pas versé dans le « communisme combattant ».

Mais en fait, on ne peut rien comprendre à ce qui s' est passé en Mai 68 si l'on ne réalise pas qu'à l'occasion de ces journées deux types d'aspirations totalement différentes se sont exprimés. A l'origine mouvement de révolte contre l'autoritarisme politique, Mai 68 fut d'abord, indéniablement, une protestation contre la politique spectacle et le règne de la marchandise, un retour à l'esprit de la Commune, une mise en accusation radicale des valeurs bourgeoises. Cet aspect n'était pas antipathique, même s'il s'y mêlait beaucoup de références obsolètes et de naïveté juvénile.

La grande erreur a été de croire que c'est en s'attaquant aux valeurs traditionnelles qu'on pourrait le mieux lutter contre la logique du capital. C'était ne pas voir que ces valeurs, de même que ce qu'il restait encore de structures sociales organiques, constituaient le dernier obstacle à l'épanouissement planétaire de cette logique. Le sociologue Jacques Julliard a fait à ce propos une observation très juste lorsqu'il a écrit que les militants de Mai 68, quand ils dénonçaient les valeurs traditionnelles, « ne se sont pas avisés que ces valeurs (honneur, solidarité, héroïsme) étaient, aux étiquettes près, les mêmes que celles du socialisme, et qu'en les supprimant, ils ouvraient la voie au triomphe des valeurs bourgeoises : individualisme, calcul rationnel, efficacité ».

Mais il y eut aussi un autre Mai 68, d'inspiration strictement hédoniste et individualiste. Loin d'exalter une discipline révolutionnaire, ses partisans voulaient avant tout « interdire d'interdire » et « jouir sans entraves ». Or, ils ont très vite réalisé que ce n'est pas en faisant la révolution ni en se mettant « au service du peuple » qu'ils allaient satisfaire ces désirs. Ils ont au contraire rapidement compris que ceux-ci seraient plus sûrement satisfaits dans une société libérale permissive. Ils se sont donc tout naturellement ralliés au capitalisme libéral, ce qui n'est pas allé, pour nombre d'entre eux, sans avantages matériels et financiers.

Installés aujourd'hui dans les états-majors politiques, les grandes entreprises, les grands groupes éditoriaux et médiatiques, ils ont pratiquement tout renié, ne gardant de leur engagement de jeunesse qu'un sectarisme inaltéré. Ceux qui voulaient entamer une « longue marche à travers les institutions » ont fini par s'y installer confortablement. Ralliés à l'idéologie des droits de l'homme et à la société de marché, ce sont ces rénégats qui se déclarent aujourd'hui « anti-racistes » pour mieux faire oublier qu'ils n'ont plus rien à dire contre le capitalisme. C'est aussi grâce à eux que l'esprit "bo-bo" (bourgeois-bohême, c'est-à-dire libéral-libertaire) triomphe désormais partout, tandis que la pensée critique est plus que jamais marginalisée. En ce sens, il n'est pas exagéré de dire que c'est finalement la droite libérale qui a banalisé l'esprit « hédoniste » et « anti-autoritaire » de Mai 68. Par son style de vie, Nicolas Sarkozy apparaît d'ailleurs, le tout premier, comme un parfait soixante-huitard.

Simultanément, le monde a changé. Dans les années 1960, l'économie était florissante et le prolétariat découvrait la consommation de masse. Les étudiants ne connaissaient ni le sida ni la peur du chômage, et la question de l'immigration ne se posait pas. Tout semblait possible. Aujourd'hui, c'est l'avenir qui paraît fermé. Les jeunes ne rêvent plus de révolution. Ils veulent un travail, un logement et une famille comme tout le monde. Mais en même temps, ils vivent dans la précarité et se demandent surtout s'ils trouveront un emploi après leurs études.

En 1968, aucun étudiant ne portait de jeans et les slogans « révolutionnaires » qui fleurissaient sur les murs ne comportaient aucune faute d'orthographe ! Sur les barricades, on se réclamait de modèles vieillis (la Commune de 1871, les conseils ouvriers de 1917, la révolution espagnole de 1936) ou exotiques (la « révolution culturelle » maoïste), mais au moins militait-on pour autre chose que pour son confort personnel. Aujourd'hui, les revendications sociales ont un caractère purement sectoriel : chaque catégorie se borne à réclamer de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. « Deux, trois, plusieurs Vietnam ! », « Mettre le feu à la plaine », « Hasta la libertad, sempre ! » : cela ne fait évidemment plus battre les cœurs. Plus personne ne se bat pour la classe ouvrière dans son ensemble.

Le sociologue Albert O. Hirschman disait que l'histoire voit alterner les périodes où dominent les passions et celles où dominent les intérêts. L'histoire de Mai 68 fut celle d'une passion qui s'est dissoute dans le jeu des intérêts.

Alain de Benoist, National Hebdo du 8 au 14 mai 2008.

lundi 5 mai 2008

Et si l'Europe ne devait rien à l'islam ?

A une heure où Monsieur Nicolas Sarkozy s’est vanté des apports de la civilisation islamique dans la culture européenne – en confondant islam et monde arabe – un étonnant ouvrage de Sylvain Gouguenheim risque de susciter débats et polémiques.
Son thème concerne la filiation culturelle entre le monde occidental et le monde musulman. Or ce professeur d'histoire médiévale à l'Ecole normale supérieure de Lyon, remet en cause un certain nombre de préjugés qui sont souvent les piliers idéologiques des apôtres du multiculturalisme. Notamment le fait que la culture européenne et principalement grecque serait redevable du monde musulman dans de nombreux domaines -philosophie, médecine, mathématique, astronomie –.
Selon Sylvain Gouguenheim, il n’y a pas eu de rupture entre l'héritage grec antique et l'Europe chrétienne du haut Moyen Age. Des manuscrits grecs circulaient, avec des hommes lettrés parfaitement à même de les lire et se seraient transmis sans passer par le prisme de la civilisation arabo-musulmane.
A titre d’exemple, au VIIIème siècle, Pépin le Bref se fit envoyer par le pape Paul Ier des textes grecs, notamment la Rhétorique d'Aristote.
Selon l’auteur, cet intérêt médiéval pour les sources grecques trouve sa source dans la culture chrétienne elle-même. Les Evangiles furent en effet rédigés en grec, comme les épîtres de Paul. Nombre de Pères de l'Eglise, formés à la philosophie, citent Platon et bien d'autres auteurs païens, dont ils ont sauvé des pans culturels entiers.
L'Europe est donc demeurée consciente de sa filiation à l'égard de la Grèce antique, et se montra soucieuse d'en retrouver les textes.
L’auteur cite également le travail des traducteurs du Mont-Saint-Michel. Ils auraient fait passer presque la totalité des ouvrages d’Aristote directement du grec au latin, plusieurs décennies avant qu'à Tolède on ne traduise les mêmes oeuvres en partant de leur version arabe.
En résumé, la culture européenne, dans son histoire et son développement, ne devrait pas grand-chose à l'islam. Loin des lieux communs assénés et considérés comme des évidences, cet ouvrage précis, scientifique et courageux participe lui aussi de la réinformation face au rouleau compresseur à broyer les peuples en particulier les peuples d’Europe.
ARISTOTE AU MONT SAINT-MICHEL. LES RACINES GRECQUES DE L'EUROPE CHRÉTIENNE de Sylvain Gouguenheim. Seuil, "L'Univers historique"
http://www.europaegentes.com/

Et si l'Europe ne devait rien à l'islam ?



À une heure où Monsieur Nicolas Sarkozy s’est vanté des apports

de la civilisation islamique dans la culture européenne
– en confondant islam et monde arabe – un étonnant ouvrage de Sylvain Gouguenheim risque de susciter débats et polémiques.
Son thème concerne la filiation culturelle entre le monde occidental et le monde musulman. Or ce professeur d'histoire médiévale à l'Ecole normale supérieure de Lyon, remet en cause un certain nombre de préjugés qui sont souvent les piliers idéologiques des apôtres du multiculturalisme. Notamment le fait que la culture européenne et principalement grecque serait redevable du monde musulman dans de nombreux domaines -philosophie, médecine, mathématique, astronomie –.

Selon Sylvain Gouguenheim, il n’y a pas eu de rupture entre l'héritage grec antique et l'Europe chrétienne du haut Moyen Age. Des manuscrits grecs circulaient, avec des hommes lettrés parfaitement à même de les lire et se seraient transmis sans passer par le prisme de la civilisation arabo-musulmane.
A titre d’exemple, au VIIIème siècle, Pépin le Bref se fit envoyer par le pape Paul Ier des textes grecs, notamment la Rhétorique d'Aristote.

Selon l’auteur, cet intérêt médiéval pour les sources grecques trouve sa source dans la culture chrétienne elle-même. Les Evangiles furent en effet rédigés en grec, comme les épîtres de Paul. Nombre de Pères de l'Eglise, formés à la philosophie, citent Platon et bien d'autres auteurs païens, dont ils ont sauvé des pans culturels entiers.

L'Europe est donc demeurée consciente de sa filiation à l'égard de la Grèce antique, et se montra soucieuse d'en retrouver les textes.

L’auteur cite également le travail des traducteurs du Mont-Saint-Michel. Ils auraient fait passer presque la totalité des ouvrages d’Aristote directement du grec au latin, plusieurs décennies avant qu'à Tolède on ne traduise les mêmes oeuvres en partant de leur version arabe.

En résumé, la culture européenne, dans son histoire et son développement, ne devrait pas grand-chose à l'islam. Loin des lieux communs assénés et considérés comme des évidences, cet ouvrage précis, scientifique et courageux participe lui aussi de la réinformation face au rouleau compresseur à broyer les peuples en particulier les peuples d’Europe.

ARISTOTE AU MONT SAINT-MICHEL. LES RACINES GRECQUES DE L'EUROPE CHRÉTIENNE de Sylvain Gouguenheim. Seuil, "L'Univers historique"